Liban
Liban : Justice pour Michel Samaha
Ghaleb Kandil
Jeudi 19 février 2015
L’annonce par le
ministre de la Justice Achraf Rifi [1]
selon laquelle il serait en possession
d’informations concernant une tentative
d’assassinat du ministre incarcéré,
Michel Samaha, constitue un
rebondissement inattendu dans cette
affaire pleine de zones d’ombre et de
mystères [2].
En réponse, la
famille de M. Samaha a considéré que
cette annonce visait à faire pression
sur le Tribunal militaire pour
l’empêcher de consentir à sa libération
suite aux demandes réitérées des avocats
de la défense. Ceci en soulignant que la
protection de M. Samaha contre tout
risque potentiel relève, en effet,
théoriquement et en premier lieu de la
responsabilité de l’État libanais, qui
ne saurait se résoudre à prolonger sa
détention si l’on se réfère aux
allusions politiques du discours du
ministre de la Justice.
Premièrement :
D’un point de vue
juridique, l’Affaire Samaha semble
suspendue à la dissimulation du supposé
témoin, Milad Kfoury, empêchant sa
comparution devant le tribunal et, par
conséquent, sa confrontation avec M.
Samaha. C’est ce qui provoque la
rétention de preuves et d'informations,
rétention considérée par les avocats de
la défense comme un élément de
présomption imposant l’annexion de Milad
Kfoury au dossier, en tant que
défendeur, partenaire et complice.
Ceci, alors que
nombreux sont ceux qui pensent que M.
Kfoury aurait été recruté pour une
opération des Services du renseignement
afin de piéger M. Samaha. Par
conséquent, si la confrontation de
l’accusé et du supposé témoin devait
confirmer cette suspicion, l’acte
d’accusation ayant conduit à
l’incarcération de cette figure
politique de premier plan serait annulé,
car fondé sur un témoignage fabriqué
dans le but non seulement de le piéger,
mais aussi d’exploiter l’affaire
politiquement et médiatiquement en
élargissant les accusations en direction
de l’État syrien.
Les indices d’un tel
piège tendu par les Services du
renseignement ne manquent pas, et nombre
de personnalités des milieux politique
et juridique suggèrent une collaboration
directe avec les services français dans
cette affaire. Le choix se serait porté
sur M. Kfoury en raison de ses anciennes
fonctions sécuritaires au sein des
milices des Forces libanaises, pendant
la guerre civile, et de sa vieille
relation avec M. Samaha. Relation qui a
probablement semblé d’autant plus
intéressante aux yeux des
planificateurs, qu’elle a été décorée de
l’idée d’une action dirigée contre les
groupes terroristes takfiris sévissant
au Liban ; ce qui est désormais devenu
l’objectif prioritaire pour la
protection des Libanais, y compris celle
des pires ennemis de M. Samaha qui se
sont vantés de son arrestation et n’ont
cessé de développer leur discours
accusatoire et diffamatoire contre une
personne incarcérée [depuis l’été 2012,
NdT] attendant l’occasion de s’exprimer
devant les tribunaux de son pays.
Et pendant que les
amis et les ennemis de M. Samaha
attendent ce procès [reporté
du 30 mai 2014, au 5 décembre 2014, puis
maintenant au 15 juin 2015, NdT] pour
enfin connaître la vérité, les rumeurs
et informations contradictoires courent
sur « la cachette » de M. Kfouri,
traitée comme une affaire d’État ; alors
qu’en plus d’empêcher la tenue du
procès, elle interdit tout éclairage sur
bien des aspects de cette sombre affaire
qui préoccupe toujours l'opinion
publique libanaise, nonobstant le fait
qu’il est normal de réclamer justice
pour n’importe quel accusé conformément
aux lois libanaises et aux conventions
internationales.
Deuxièmement :
Certains observateurs
estiment que la détermination française
à piéger M. Samaha est la conséquence de
ses prises de position contre
l’implication du gouvernement français
dans la guerre contre la Syrie ; ceci,
alors que leurs relations sont anciennes
et ont été très solides par le passé. En
effet, il a été choisi comme
interlocuteur et médiateur entre la
France et le gouvernement syrien, d’un
commun accord, à l'époque du président
Nicolas Sarkozy.
Mais vu l’évolution
de ses prises de position politiques au
fur et à mesure de l’agression contre la
Syrie, Paris en est arrivée à le
considérer comme un ennemi redoutable
totalement engagé contre l’alliance au
sein de laquelle elle jouait un rôle de
premier plan, œuvrant directement et
sans relâche au parrainage des
plateformes politiques et des
organisations terroristes intervenant
dans la guerre contre l’État syrien.
D’ailleurs, nombre de ces actions ont
été lancées à partir du Liban, à tel
point que l'ambassade française à
Beyrouth a joué un rôle majeur dans le
retrait des experts et combattants via
le nord de la Bekaa au cours de la
bataille de libération de Baba Amr dans
la ville de Homs, et que la presse
française n’a pas manqué d’en rapporter
certains romans passionnants [3].
Ce qui précède
explique cette idée de représailles
décidées par le gouvernement français
contre M. Samaha qui, grâce à ses
relations en France ainsi qu’au Vatican
et dans toute l’Europe, a contribué à
alerter et à faire réfléchir sur les
dangers du soutien de l’Occident au
terrorisme takfiri et aux factions
d'Al-Qaïda dans le but de détruire la
Syrie. Son travail intense a aussi
contribué à prouver la menace pesant sur
l’existence même des chrétiens au Liban
et en Syrie, en particulier, comme il
l'a déclaré dans ses apparitions
médiatiques [4].
Parmi les éléments de
preuve, retenus par les partisans de
cette opinion, l’hostilité manifeste du
président François Hollande exprimée à
l’égard de M. Samaha au Palais de Baabda
lors de sa visite au Liban. Interrogé
sur M. Samaha et sur la position
française quant à son arrestation, il a
répondu : « Cette personne n’a rien à
voir avec qui que ce soit au
gouvernement français depuis mon
accession à la présidence ». Cette
réponse directe du président français a
été considérée comme la levée d’immunité
d’une personne étroitement liée, depuis
plus de trente ans, à certains acteurs
influents sur la scène politique
française, renforçant l’idée d’un rôle
majeur des services français dans le
piège tendu et la mise à l’ombre de M.
Samaha.
Troisièmement :
Dans cette affaire,
abstraction faite des positions
politiques, des circonstances, des aveux
attribués à M. Samaha au sujet du
transport d’explosifs et d’argent qu’il
aurait remis à M. Kfoury, et vu le temps
écoulé depuis son arrestation ; la
justice suppose de tenir le procès, de
faire comparaître M. Kfoury, de le
confronter directement avec l’accusé en
personne, et non de le maintenir dans un
statut de témoin protégé par une
décision politique.
La justice suppose
aussi de tenir compte des inquiétudes et
des doutes légitimes de la famille de M.
Samaha quant aux pressions politiques
exercées sur la magistrature pour
l’empêcher de répondre aux demandes des
avocats de la défense, en prenant la
décision de le libérer avec garantie de
comparution ultérieure ou pour motif
d’expiration du délai de détention
normalement prévu en cas de transport
d’explosifs.
Cette affaire est une
affaire d'opinion publique. Aujourd’hui,
le choc et l'embarras suscités par les
aveux attribués à cette éminente
personnalité, chez nombre de ses amis et
alliés, ne doit empêcher personne de
réclamer justice pour Michel Samaha,
plutôt que de le maintenir dans une
situation proche d’une détention
politique.
En effet, il est à
craindre que certaines factions
politiques ne disposent de son destin et
tentent de le maintenir incarcéré, en
prévision d’éventuelles transactions
avec la Syrie et la Résistance, une fois
que le cycle de leur défaite dans la
guerre contre la Syrie sera complet et
que les gouvernements français et
saoudien se tourneront de nouveau vers
Damas avec, en mains, le dossier du
prisonnier Michel Samaha parmi le peu de
cartes dont ils disposeraient encore.
Ghaleb Kandil
18/02/2015
Source :
New Orient News
http://www.neworientnews.com/index.php/news-analysis/7079-2015-02-18-08-06-46
Article traduit de
l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Notes :
[1] Rifi confirme qu'un complot
visant à tuer Michel Samaha a été déjoué
http://www.lorientlejour.com/article/911654/rifi-confirme-quun-complot-visant-a-tuer-michel-samaha-a-ete-dejoue.html
Sauf que cet
article ne dit pas tout des déclarations
de M. Rifi. Voici la traduction d’un
extrait de sa déclaration, publiée sur
You Tube ce 16 février :
https://www.youtube.com/watch?v=h-QHC76ZmlM
« Nous avons reçu des
informations d’une source avec laquelle
nous travaillons et qui jouit d’une
haute crédibilité. Elle dit : Faites
attention. Il existe une décision de
liquider Michel Samaha ou de tenter de
le kidnapper pour l’assassiner… le
tuer… ; du fait qu’il est probable
qu’elle [la source] possède des
informations très dangereuses concernant
le régime syrien. À son avis [la
source], le régime commence à se
désagréger, commence à dégringoler. Il
[le régime syrien] veut liquider toutes
les personnes susceptibles de fournir,
au Tribunal pénal international ou à
tout autre tribunal international, des
informations sur les crimes commis par
le régime syrien… ».
[2] Liban/TSL: Un
procès politique sous habillage
juridique pour renflouer l’héritier
problématique du clan. Par René Naba
http://www.mondialisation.ca/libantsl-un-proces-politique-sous-habillage-juridique-pour-renflouer-lheritier-problematique-du-clan/5365296
Extrait :
Ancien ministre libanais de
l’information, ancien membre du parti
phalangiste (milices chrétiennes
libanaises), Michel Samaha a ainsi
affirmé le 4 juillet 2011 sur la
télévision «Al Manar» que Saad Hariri,
le fils de la victime, avait souscrit en
sa qualité de premier ministre du Liban
un engagement renonçant au tribunal
Spécial sur le Liban, de même qu’a son
financement à la condition expresse
qu’aucune censure parlementaire ne
sanctionne sa gestion gouvernementale.
Hariri jr avait posé
en outre comme condition qu’aucune
poursuite ne soit engagée contre les
faux témoins qui ont vicié le
déroulement de l’enquête, ni contre les
officiers qui lui sont proches, le
général Achraf Rifi, directeur des
forces de sécurité intérieure, Wissam
Hassan, chef du bureau du renseignement,
ni que l’évaporation de douze milliards
de dollars du ministère des finances
sous la gestion Hariri.
Samaha paiera le prix
fort pour ses révélations. Au terme de
la mandature Sarkozy, il sera
neutralisé, l’été 2012, sur ordre de
Wissam al Hassan, sous l’accusation de
menées pro syriennes et anti libanaises,
sur la base d’un témoignage d’un agent
triple, Milad Kfouri. Kfouri, ancien
membre des milices chrétiennes
libanaises, reconverti dans la
prestation de services auprès des
Syriens et du Clan Hariri, a disparu
depuis de la circulation, exfiltré et
son silence, semble-t-il, monnayé à son
pesant d‘or.
[3] Édith Bouvier et William Daniels,
épuisés mais saufs
Monsieur Ghaleb
kandil est
le Directeur du Centre New Orient News
(Liban)
Le
dossier Liban
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