La Voix de
la Russie
Greenpeace
et prisonniers politiques
Quelques faits contre l'hystérie
Françoise Compoint
Alexandre
Bastrykine - © Photo : RIA Novosti
Vendredi 22 novembre 2013
Dans un de ses
récents articles, Marie Jégo,
correspondante du journal
Le Monde
à Moscou, évoque le mauvais accueil qui
a été fait à Alexandre Bastrykine,
numéro un du comité d'enquête de Russie
depuis 2007, lors d'une conférence
organisée à Paris1 Panthéon-Sorbonne.
Censé parler de la « propension de la
justice russe à se réformer »,
Bastrykine est parti sur de longues
divagations idiotes (il faut le
reconnaitre) mêlant anecdotes sur
Staline, éloges des belles dames et du
bon vin français, ne manquant pas de
signaler au passage les origines
aristocratiques de sa famille.
Or, ce n'est pas ça qu'attendaient de
lui les rares étudiants réunis salle
Turgot pour entendre enfin ce qu'ils
voulaient entendre sur Greenpeace, les
détenus politiques et les tortures
pratiquées dans les milieux carcéraux.
Monsieur Bastrykine, visiblement mal
préparé à ce genre d'interrogatoire, se
montra évasif, puis, selon certains
témoins de l'incident, un brin agressif.
Qui ne le serait pas, après tout,
lorsqu'on qualifie votre thèse de plagia
? Le ton monta, un ou deux militants
pour la bonne cause (en tout cas ceux
qui apparaissent sur la vidéo)
traitèrent l'invité du sénateur Patrice
Gélard de criminel, l'un d’eux fit même
l'effort d'exprimer cette précieuse
pensée en russe, ponctuant sa phrase
d'une menace grammaticalement mal
formulée mais dont le sens ne fut en
rien altéré : « Criminel, un jour
viendra où .... ». Voici pour les
prémices de l'histoire qui est surtout
intéressante en vertu de sa portée
sensationnelle plus qu'en vertu de son
contenu chaotique.
En revanche, ce que l'on pourrait
retenir de l'article de Mme Jégo ainsi
que de l'hystérie sélective de certains
promoteurs de la démocratie en Russie,
c'est le leitmotiv lancinant intitulé
Greenpeace et des représailles
politiques gangrénant le pays. On
retrouve toujours dans le même panier la
problématique des tortures et de
l'incarcération injuste de deux Pussy
Riot dont la dissidence est aussi avérée
que les origines extraterrestres de
Poutine. De deux choses l’une, dit-on.
Ayons donc une approche catégorielle des
griefs prononcés.
Il y a Greenpeace et Greenpeace. Nous
aimons tous les vrais « Verts » quand
ils mènent un juste combat au nom d’une
écologie de plus en plus maltraitée. A
ses débuts, c’est-à-dire dans les années
70-80 (fondation officielle à Vancouver
en 1971), cette ONG était tout ce qu’il
y a de plus innocent, militant à des
fins apolitiques essentiellement
consacrées au bien-être de
l’environnement, initiative hautement
louable. Or, il y quelques années, cette
ONG a endossé le destin d’un grand
nombre de ses semblables, masquant les
véritables combats du bloc atlantiste.
La sempiternelle problématique de la
prolifération nucléaire en fait
notamment partie . Ladite évolution,
contre-productive, voire pernicieuse, a
été vivement dénoncée par Fabrice
Nicolino et Luc Michel, ce dernier ayant
été longtemps proche des milieux dits «
verts » et connaissant de l’intérieur
les tenants et aboutissants de ces
métamorphoses dignes d’Ovide. Nicolino
mentionne quant à lui le statut réel des
« recruteurs d’adhérents » qui, loin
d’être des bénévoles altruistes, ont
droit à une rémunération des plus
conséquentes. Tel est le cas, dit-il, de
l’ancien directeur de Greenpeace France,
M. Pascal Husting, une personne qui a
derrière lui un long passé dans le monde
de la finance. Le sociologue Roberto
Michels parle lui aussi des tendances «
oligarchiques » des ONG dont Greenpeace
est tristement représentatif.
Posons-nous maintenant une autre
question, partant du fait que la théorie
du hasard n’a aucune réalité quand il
est question d’intérêts politiques :
comment se fait-il que Greenpeace se
soit manifesté en Arctique au moment
même où les tensions entre la Russie et
le bloc occidental sont à leur apogée
pour la simple et bonne raison que la
Russie n’entend pas céder une zone
géostratégique de première importance à
un bloc usurpateur hostile à l’idée de
souveraineté quand il ne s’agit pas de
la leur ? Il fallait une provocation,
des provocateurs qui oseraient
enfreindre le droit international. Chose
commanditée, chose faite. J’aurais bien
aimé voir Greenpeace prendre d’assaut
une plateforme pétrolière israélienne ou
étasunienne, pourquoi pas française même
si c’est moins horrible à imaginer.
J’aurais bien aimé savoir ce que
diraient certains étudiants de la
Sorbonne si on leur narrait l’histoire
du Rainbow Warrior, navire amiral de
Greenpeace qui fut coulé le 10 juillet
1985 par les services secrets français
conformément à la volonté de François
Mitterrand qui avait trouvé inadmissible
qu’une ONG puisse protester contre les
essais nucléaires effectués au large de
la Nouvelle-Zélande. Un photographe de
35 ans y avait alors trouvé la mort. Je
présume qu’aucun des deux fauteurs de
trouble de la salle Turgot n’était
encore né et c’est presque dommage. Ils
auraient sans doute d’autres points de
repères que leur haine irrationnelle des
Etats non-alignés.
Pour ce qui est des prisonniers
politiques, je pense qu’il faudrait
mettre une bonne fois pour toutes les
points sur les i. Imaginons que je vole
une grosse somme d’argent et qu’au
moment de mon arrestation je prétende
détester le régime le trouvant
totalitaire. Devrait-on dire de moi que
je suis une opposante au régime et que
l’accusation n’est qu’un coup monté, un
audacieux prétexte pour m’évincer, moi
qui suis la voix de la liberté ? Voici
pourtant, exposé sous sa forme la plus
simple, le raisonnement des médias
occidentaux. Une fois promu au rang de
conseiller du gouverneur de Kirov,
Navalny s’empresse de privatiser le
groupe étatique placé sous sa direction.
Mais bon, après tout, n’était-ce donc
pas son droit de privatiser ce qui ne
lui appartenait pas ? Autre victime du
grand méchant maître du Kremlin : M.
Khodorkovsky. En effet, Cahuzac (pour ne
citer qu’un humble exemple) aurait bien
envié ses appétits et son savoir-faire
favorisé par le surréalisme débridé des
années 90. Coupable d’escroquerie, de
fraude fiscale, de vol de pétrole et de
blanchiment, l’ancien PDG de Ioukos est
bien sûr un dissident d’envergure qu’il
convient de décorer… de la Légion
d’honneur. Voici le noble profil de ces
prisonniers politiques qui auraient sans
doute dû suivre l’exemple du jeune
Nicolas Bernard-Busse, c’est-à-dire se
prononcer contre le mariage homo, pour
justifier immédiatement leur mise en
détention.
En dernier point, nul n’est à l’abri du
sadisme de certains monstres qui
prennent plaisir à se défouler de leurs
complexes sur les gens qui sont à leur
merci. C’est notamment vrai pour les
prisons. Ceci étant dit, cette pratique
relève de la déviation et non de la
règle, contrairement à ce qui se fait à
Guantanamo ou, plus généralement, dans
bien des prisons américaines. Pourquoi
l’ACAT (Action Chrétienn pour
l’abolition de la torture) n’y mène pas
l’enquête ? C’est il y a à peine une
semaine, le 16 novembre 2013, que le
New York Times a publié un article
intitulé « Condamnés à la mort lente ».
Des milliers de prisonniers ont été
condamnés à la perpétuité pour par
exemple « avoir partagé un peu de LSD à
un concert des Greatful Deal ou siphonné
l’essence d’un camion ».
Cela, Le Monde préférera le passer sous
silence, car ses maîtres sont
intouchables. Oui, Bastrykine n’a pas
été à la hauteur. Il a même été
ridicule. Mais la question n’est pas là.
Elle est ailleurs, dans l’incapacité du
bloc étasunien à déstabiliser une Russie
souveraine.
© 2005—2013
La Voix de la Russie
Publié le 23 novembre 2013
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