La Voix de
la Russie
France 2
se déchaîne contre les prisons russes.
On croirait rêver !
Françoise Compoint
Photo: EPA
Samedi 16 novembre 2013
J’aurais beaucoup apprécié le
travail fourni par Mesdames Ménand
et Leroyer si ce n’était un détail :
quand on a une poutre dans l’œil, il
est de très mauvais ton d’essayer
d’enlever la paille égratignant la
rétine du voisin.
Une poutre, c’est
quand même lourd ! C’est même si
visible que ça crève la vue !
Or, ces dames préfèrent crier au
diable, enfin, à la paille, pour
détourner les regards de la
poutre. Peut-être ont-elles
raison en un sens, servant une
cause qu’elles croient justes.
Mais il se fait que moi aussi je
pense avoir raison en répondant
au reportage qu’elles ont
tourné.
« Vingt ans après
la chute de l’URSS, peut-on lire
dans l’introduction accompagnant
le film, le goulag a changé de
nom mais ses usages perdurent
pour 700.000 détenus ». Dans un
élan de compassion indifférent
aux frontières, le magazine de
France 2 « Envoyé spécial » a
diffusé la veille (jeudi 14
novembre à 20h45) un reportage «
au cœur de ces prisons censées
rééduquer les prisonniers ».
Bien entendu, le verbe rééduquer
est revêtu de guillemets
révélateurs dans l’original, car
on est à comme minimum 1000
lieus des vertus pédagogiques
d’une Mme Taubira. C’est
regrettable, je vous l’accorde,
mais la réalité est telle qu’une
prison est au demeurant un lieu
de privation de liberté et de
punition, ce n’est pas une école
où l’on fait recopier 100 fois «
je ne dois pas bavarder en cours
». Tant mieux si la peine purgée
conduit à ce qu’on appelait
naguère le repentir ou si du
moins elle tient lieu
ultérieurement de mesure
dissuasive. Or, ce n’est pas
toujours le cas, en Russie comme
ailleurs.
Qu’on se le dise :
les prisons russes, tout comme
n’importe quelles prisons, ne
sont pas ces lieux à la limite
utopiques, ces non-lieux peuplés
de Piaget en costumes roses
rompus à la prompte et efficace
rééducation des détenus. Trois
fois hélas. Qu’on se le dise
aussi : il est extrêmement
compliqué, pour ne pas dire
impossible, de mesurer le degré
de persécution pourrissant la
vie des détenus (abus de pouvoir
mineurs ou majeurs, sadisme,
harcèlement sexuel, coups et
blessures), car, primo, les
sévisses infligés par un
prisonnier à un autre peuvent
être attribuées au personnel
carcéral (et vice-versa),
secundo, le témoignage d’un
ancien directeur de prison comme
celui qui a été mis à
contribution par les deux
journalistes de France 2 ne sont
aucunement révélatrices cet
homme étant retraité depuis bien
des années (ses propos ne sont
plus d’actualité) et la prison
qu’il gérait ne représentant pas
forcément toutes les prisons
russes des années qu’il a
évoqué. C’est ainsi que je ne
puis me faire une idée concrète
des prisons françaises en me
bornant à mentionner le cas des Baumettes ou de la Santé.
Pourtant, qui ne connaît ces
deux prisons ?
En outre, France 2
nous parle de 200 prisonniers
politiques. J’aimerais leur
poser une question : Mme
Timochenko dont le procès a
suscité ici et là de vives
réactions, est-elle oui ou non
une détenue politique ? Si vous
me dites oui, je poursuivrai mon
raisonnement : si demain M.
Cahuzac est incarcéré, sera-t-il
un prisonnier politique ? De la
même manière, je doute fort que
les machinations fiscales de M.
Khodorkovski aient quelque
rapport que ce soit avec ses
idées politiques ou alors tout
escroc à grande échelle devrait
automatiquement être déclaré
détenu politique. Quel noble
statut ! Vous me direz : et les
Pussy Riot, Mme Tolokonnikova en
particulier ? L’incroyable
médiatisation de cette histoire
en Occident, notamment en
France, n’a été possible qu’en
vertu de la méconnaissance
totale des masses du code pénale
français. Si donc les Pussy Riot
s’étaient livrées à leur espèce
de performance à Notre-Dame (je
ne parle même pas des mosquées)
et que la France appliquait son
code pénale à la lettre – ce
qu’elle aurait tout intérêt à
faire – ces demoiselles auraient
été passibles de sept ans de
prison ferme et de 100.000 euros
d’amende pour dégradation d’un
bien culturel. Faut-il préciser
que le terme dégradation
acquiert un sens plus spirituel
que matériel quand il s’agit
d’un lieu de culte ? Faut-il
rappeler que les Femen, grandes
sympathisantes du mouvement
Pussy Riot, ont coupé à la
tronçonneuse des calvaires sans
que les mainstream occidentaux
condamnent leurs actes ? Ou
alors, devrait-on considérer que
ces gentes dames sont elles
aussi des dissidentes
d’envergure injustement
poursuivies et s’apitoyer de
leur sort ? Cependant, si France
2 a réussi à trouver d’autres
types de détenues dites «
politiques », je suis prête à
réviser mon jugement.
Enfin, autant les
conditions « humaines » de
détention sont souvent
difficiles à évaluer, autant
certains facteurs objectifs tels
que le nombre de suicides sont
révélateurs car aisément
chiffrables. Sur ce plan-là, la
Russie est loin d’être en tête
de liste contrairement à la
Belgique, à la France et aux
Pays-Bas. Selon le dernier
rapport d’Amnesty International,
les conditions de détention dans
les prisons françaises
avoisinent celles des prisons
turques ! Quant à La Santé, elle
fait partie du Top-9 des «
prisons les pires du monde », un
classement qui n’a pas été
effectué par des Russes.
Ces premiers
arguments exposés, je tiens à
partager l’exposé de M. Yvan
Blot, ancien haut-fonctionnaire,
chargé à l’époque de mission à
la Direction des collectivités
locales au ministère de
l’Intérieur.
La Voix de la
Russie.
En avril,
la France a été condamnée par la
Cour européenne des droits de
l’homme qui dénonçait le
traitement dégradant infligé aux
condamnés dans la majeure partie
des prisons. Le même reproche a
été récemment formulé par
Amnesty International qui n’a
pas hésité à comparer l’ambiance
régnant dans les prisons
françaises avec ce qu’on peut
trouver en Turquie. C’est quand
même très fort comme comparaison
! La croyez-vous justifiée ? Si
oui, en quoi ?
Yvan Blot.
« Moi qui ait eu
l’occasion de visiter pas mal de
prisons à l’époque où je
travaillais au ministère de
l’Intérieur, je suis assez
d’accord avec ce qui est dit là
parce que d’abord les prisons
françaises sont surpeuplées.
Elles sont surpeuplées de
l’ordre de 20 à 30 %, les gens
sont donc entassés dans les
cellules. Voici pour le premier
grand problème. Le deuxième
problème, c’est la composition
ethnique des prisons. Vous avez
70 % des prisonniers qui sont
maghrébins ou d’Afrique noire et
qui se haïssent entre eux. On
est donc obligés dans les
prisons françaises – et ça c’est
une chose que l’on dit rarement
– de séparer les prisonniers par
races, par ethnies, par
religions, sinon ils
s’entretuent. Si vous mettez des
Noirs dans une cellule où se
trouvent des Maghrébins, les
pauvres Noirs vont se faire
martyriser ! C’est ainsi le seul
endroit où vous avez une
ségrégation raciale légale,
c’est-à-dire dans les prisons,
sans quoi les gens se taperaient
dessus. Troisième problème. Vous
avez deux genres de locaux. Les
prisons modernes, on en a
construit quand même beaucoup.
Les prisons anciennes, celles-ci
étant évidemment en mauvais
état, l’hygiène n’y est pas non
plus extraordinaire. Par contre,
les prisonniers les aiment
beaucoup parce qu’ils trouvent
qu’elles sont plus humaines. Ce
n’est peut-être pas idéal du
point de vue des normes
officielles, mais il ya une
certaine ambiance qui fait
qu’ils sont mieux vus. Vous
savez, c’est comme un vieux café
un peu sale mais que les clients
adoreraient parce que ses murs
ont une certaine éloquence (…).
C’est ce que dit le directeur de
l’administration pénitentiaire,
lui-même très étonné: « je ne
comprends pas que les
prisonniers préfèrent les
vieilles prisons aux nouvelles,
pourtant, tous les sondages
qu’on fait prouvent ce constat
». Alors que moi, je ne suis
guère étonné de ce résultat,
parce que les nouvelles prisons
ressemblent à des cliniques.
Elles sont très propres, très
fonctionnelles, mais
humainement, c’est épouvantable
! Tous les murs sont blancs, il
n’y a pas le moindre décor, on a
l’impression d’être enfermés
dans une clinique, en somme.
Pour un quatrième aspect – et
là, je resterai pudique – les
plus odieuses des prisons
françaises se caractérisent par
les agressions sexuelles qui y
sont pratique courante. Nous ne
sommes pas les seuls, aux USA
c’est gratiné aussi mais il est
vrai que le problème prend des
proportions horribles. On
condamne les gens à se faire
emprisonner, pas à se faire
violer ! Alors si vous mettez
ces facteurs bout à bout, il
n’est pas étonnant que l’on
obtienne de mauvais rapports,
que les organisations
internationales se penchent sur
nos prisons. Sur ce point, nous
ne sommes pas un pays modèle,
c’est même une honte. Les vieux
qui sont au courant au sein de
l’Etat français ont honte de
cette situation surtout qu’on
n’arrive pas à dégager les
crédits qui permettraient de
construire des prisons
supplémentaires afin de
désengorger celles qui sont
surpeuplées. Parallèlement, il
faut bien garder l’esprit que
ces difficultés sont étroitement
corrélées aux problèmes de
l’immigration. A partir du
moment où vous avez 70 %
d’immigrés dans les prisons et
que les flux migratoires
augmentent, la problématique des
prisons n’est pas prête à être
bouclée. »
LVdlR.
La Santé figure dans la
liste des neuf prisons les pires
du monde ! Je présume que les
Baumettes auraient pu compléter
cette liste sinistre. Quand j’ai
cherché à comprendre pourquoi
c’est bel et bien la Santé qui
s’est retrouvée dans le
collimateur des organisations
humanitaires, j’ai découvert
qu’à la fin des années 90 cette
prison avait battu tous les
records du nombre de suicides
parmi les détenus. Comment
expliqueriez-vous la persistance
de cette vague suicidaire qui
prend parfois des dimensions
littéralement pandémiques ? Les
prisonniers sont donc si mal
gardés ?
Yvan Blot.
« On a en effet beaucoup
de mal à les garder. Pourtant,
il y a à peu près presque autant
de personnel pénitentiaire que
de prisonniers, ça doit tourner
autour de 60.000 personnes, ce
qui constitue des frais de
personnel tout à fait
considérables. Mais le gros
problème, c’est surtout la
violence croissante parmi les
prisonniers, les jeunes
générations étant pire que les
aînées et enclines à se
massacrer entre elles. Alors les
gardiens sont là pour faire
mettre un peu d’ordre mais comme
ils sont débordés, c’est souvent
un échec. Donc, si les gens se
suicident, ce n’est parce qu’ils
sont maltraités par le
personnel, mais parce qu’ils
sont martyrisés par leurs
propres camarades. Vous avez des
petits caïds, tout s’achète, il
y a une vie parallèle dans les
prisons, il y a même de la
drogue qui circule. Et puis un
dernier point que j’avais oublié
! Il s’agit de l’islamisme en
prison. Dans les prisons, il y a
des imams réguliers qui assurent
le service religieux – ce qui
est normal ! – mais au-delà de
cela nous avons des islamistes
fanatiques qui convertissent
leurs coreligionnaires. Souvent,
un jeune voyou qui entre en
prison étant à ce moment-là
modéré sur le plan religieux en
ressort absolument fanatisé. Les
lieux de détention sont donc en
même temps une maison à
fabriquer de futurs terroristes.
Si vous faites le total de tous
ces soucis, vous voyez que les
prisons françaises ont bien des
traits inhumains et que, dans
ces conditions-là, je trouve
inadmissible qu’on ait des
représentants officiels dans les
instances internationales qui
veuillent donner des leçons de
droits de l’homme à des pays
étrangers. »
La VdlR.
C’est l’hôpital qui se
moque de la charité alors …
Yvan Blot.
« Exactement, c’est une
très bonne formule. C’est triste
à dire, ça me fait de la peine,
mais c’est la vérité».
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Publié le 18 novembre 2013
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