Observatoire des
Mensonges d'Etat
Autopsie du « massacre de Douma »
du 16 août 2015 en Syrie
François Belliot
© François
Belliot
Lundi 24 août 2015
Source:
Observatoire des Mensonges d'Etat
Un massacre de
civils aurait été perpétré le 16 août
2015 sur un marché d’une place de Douma,
localité située dans la Ghouta de Damas,
faisant près de 100 morts et plus de 200
blessés. Les grands médias des
« démocraties occidentales » unanimes
ont aussitôt accusé de façon radicale
les autorités syriennes : « la
« barbarie » et l’« inhumanité » du
régime dénoncées après les raids
meurtriers sur Douma » (le
Monde.fr) ; « En Syrie, des dizaines
de personnes tuées dans des raids du
régime » (le Figaro.fr) ; « les
bombes du régime font un carnage près de
Damas » (Liberation.fr), etc. Les
autorités de ces mêmes pays n’ont pas
été en reste, à l’instar d’un Laurent
Fabius qui a dénoncé, comme d’habitude,
« l’inhumanité d’un régime qui
n’hésite pas à massacrer sa population ».
Le bilan du
massacre serait alourdi du fait d’une
habitude particulièrement perverse de
l’aviation syrienne, qui après avoir
frappé un endroit, attendrait que les
civils se regroupent pour porter secours
aux victimes afin de réaliser d’énormes
cartons. L’éditorial non signé du Monde
du 19 aoûti
va même jusqu’à prétendre que par la
suite les pilotes syriens ont pris « pour
cible des familles qui enterraient leurs
proches dans les cimetières ».
Ces articles et
déclarations basées sur une dépêche AFP,
les accusations de l’émissaire spécial
de l’ONU Staffan de Misturaii,
et des vidéos de la place du marché en
ruine postées par des « rebelles » (voir
infra), ont été par ailleurs l’occasion
de rappeler aux lecteurs qui l’auraient
oublié un certain nombre de « faits » et
« vérités » : ce massacre est à placer
dans la droite ligne de précédents
massacres dont le régime serait
coutumier, en premier lieu l’attaque
chimique perpétrée le 21 août 2013, il y
a presque deux ans jour pour jour, dont
le régime avait alors été tenu
responsable ; au début des événements il
n’y avait que des manifestations
pacifiques qui ont été sauvagement
réprimées, entraînant le durcisement et
l’islamisation de la rébellion ; cette
énième exaction est l’occasion d’enfin
réfléchir à une transition politique
dont doit être écarté le président el-Assad .
Bref, tout
citoyen occidental s’informant par les
médias traditionnels et ayant confiance
en ses dirigeants ne peut qu’être
convaincu que le démon sur la terre,
Bachar el-Assad a encore frappé, et
qu’il convient de prendre enfin les
mesures qui s’imposent.
Nous pouvons
toutefois d’emblée relever, dans cette
affaire et sa présentation médiatique,
un certain nombre de traits qui font
irrésistiblement penser à des cas
antérieurs comparables mis en exergue
ces quatre dernières années pour
diaboliser les autorités syriennes aux
yeux de l’opinion publique. Nous pensons
ici en particulier au massacre de Houla
du 25 mai 2012 et à l’attaque à l’arme
chimique du 21 août 2013iii,
sur lesquelles nous avons publié
récemment deux synthèses.
Le massacre a
été immédiatement imputé au « régime »
avant toute enquête : en l’occurrence il
est impossible d’affirmer aussi
rapidement que des raids de l’aviation
syrienne ont délibérément visé un marché
bondé de femmes et d’enfants, que les
chasseurs sont revenus à la charge pour
aggraver le bilan, et qu’ils ont pris
ensuite pour cible des familles en train
d’enterrer leurs proches dans des
cimetières.
L’information
est contrôlée par les « rebelles » qui
tiennent la zone et sont crus sur parole
sans la moindre réserve.
Les vidéos (1,
2,
3) diffusées par les rebelles
présentent des anomalies : sur la place
du marché, hormis en un endroit filmé en
plan serré dans la vidéo 3, on ne
distingue aucun corps et presque aucune
trace de sang alors que dans les vidéos
diffusées par
bfmtv et
France 24 on nous dit que les
frappes viennent de se produire quelques
minutes plus tôt. Aucune famille de
victime n’est présente sur place pour
chercher ses proches dans les décombres,
aucun cri de lamentation, alors qu’on
nous affirme qu’on compte nombre
d’enfants, de femmes et de vieillards
parmi les victimes. On nous montre par
contre, en un autre endroit (1,
2) des alignements de cadavres
enveloppés dans des linceuls blancs,
dans lesquels, curieusement, on ne
distingue que des hommes dans la force
de l’âge.
Ce massacre
survient dans un créneau où un règlement
politique possible du conflit se
profile : en mai 2012, le massacre de
Houla avait torpillé le plan de sortie
de crise de l’envoyé spécial de l’ONU et
de la ligue Arabe Koffi Annan, en août
2013, le massacre chimique de la Ghouta
fut perpétré une semaine avant avant une
rencontre décisive à La Haye entre John
Kerry et Sergueï Lavrov pour préparer la
conférence plusieurs fois reportée de
Genève II ; dans le cas présent, alors
que l’accord sur le nucléaire iranien a
entraîné une détente dans les relations
internationales au Moyen-Orient, Russes
et Iraniens venaient d’initier début
août un plan politique de sortie de
crise. On aurait voulu torpiller ce
nouveau plan qu’on ne s’y serait pas
pris autrement.
Soulignons par
ailleurs la synchronisation suspecte de
l’attaque avec une réunion cruciale du
Conseil de Sécurité de l’ONU le
lendemain, qui a débouché sur une
déclaration commune ambigüe que l’on
peut juger défavorable aux autorités
syriennes, si l’on en juge par la façon
dont les chancelleries des pays « amis
de la Syrie » comme la France l’on
présentée ensuite en la reliant au
massacre de la veille : « Le
bombardement du marché de Douma à la
veille de l’adoption de cette
déclaration a une nouvelle fois montré
l’urgence d’une solution politique. »iv
Dans les trois
cas, le massacre est perpétré peu de
temps après qu’un personnel ou une
équipe de personnels de l’ONU viennent
d’arriver sur place. Ils peuvent ainsi
se rendre immédiatement sur place et,
guidés par les rebelles, rendre compte
concrètement de l’événement (25 mai
2012 : arrivée à Homs 3 jours avant ; 21
août 2013, arrivée à Damas trois jours
avant à 10 km des points d’impact des
roquettes chimiques ; 16 août 2015,
arrivée du responsable humanitaire de
l’ONU Stephen O’Brien à Damas trois
jours avant pour des discussions avec le
ministre syrien des Affaires étrangères
Walid Al-Mouallem). Signalons que dans
leur démenti du 19 août, les autorités
syriennes ont indiqué que l’observateur
de l’ONU Staffan de Mistura (l’envoyé
spécial de l’ONU qui s’est rendu sur
place et a d’emblée appuyé les
accusations des « rebelles ») s’est
écarté « de l’impartialité dans
l’exercice de sa mission en tant
qu’émissaire du secrétaire général de
l’ONU pour la Syrie [et] a donné des
déclarations qui s’écartent de
l’objectivité et des réalités et
reposent sur ce que propagent certains
milieux bien connus de leur hostilité à
la Syrie. »
Etrange
pratique des autorités syriennes qui
perpétreraient systématiquement les
massacres les plus révoltants 1) dans
les rares créneaux où un règlement
politique du conflit se fait jour, 2) la
veille d’échéances diplomatiques
majeures, 3) en des endroits
immédiatement accessibles à des
personnels de l’ONU qui viennent
d’arriver à proximité et peuvent
aussitôt se rendre sur place pour faire
leur compte-rendu, ou réagir à chaudv.
Au-delà des
comparaisons nous pouvons faire d’autres
remarques : quand ils font la
comparaison entre ce nouveau massacre et
celui du 21 août 2013 les médias
insinuent systématiquement que le régime
en était l’auteur en omettant de
préciser que de nombreux articles et
rapports de la facture la plus sérieuse
publiés depuis avancent des éléments
accablants pour les groupes armés
wahhabitesvi.
En
particulier : s’ils rappellent que la
zone frappée est sous le contrôle de la
brigade Liwa el-Islam, financée par
l’Arabie Saoudite, et dirigée par Zahran
Allouch, ils omettent d’informer, ce que
démontre avec force détails et sources
le
rapport des avocats turcs du 14
janvier 2014, dont aucun média n’a
jamais rendu compte, que ce proche du
chef des services de renseignements
saoudiens Bandar Ben Sultan doit être
considéré, avec son organisation, comme
le principal suspect de l’attaque
chimique du 21 août 2013. Si l’on se
refuse à accorder du crédit aux
autorités syriennes, il est insensé de
faire confiance de façon aveugle à un
tel personnage et une telle
organisation.
On peut avancer
une interprétation plus plausible des
images du marché en ruines et des
alignements de cadavres d’hommes
diffusées par les grands médias, et
présentées comme le résultat d’un
ciblage délibéré d’un marché bondé de
femmes et d’enfants : il n’y avait ni
femmes ni enfants dans cette zone, vidée
depuis longtemps de ses habitants en
raison des combats, mais en revanche un
grand nombre de combattants de la
Brigade Liwa el-Islam, qui s’étaient
signalés les jours précédents en
pilonnant Damas, fait que reconnaissent
du reste l’ensemble des grands médias.
En riposte l’aviation syrienne aurait
bombardé la zone, tuant un grand nombre
de combattants. Cela expliquerait à la
fois l’état de la place du marché,
l’absence de familles de victimes sur
les images filmées après le
bombardement, et la proportion écrasante
d’hommes dans les alignements.
Pourquoi seuls
les « massacres » attribués au régime
sont-ils médiatisés, qui plus est sur la
base de preuves extrêmement douteuses ?
Nous rappelons, parmi beaucoup d’autres
les massacres de Jisr es-Choughour du 7
juin 2011vii,
de Lattaquié du 4 août 2013viii,
de Khan el Assal du 13 marsix
et du 18 juillet 2013x,
et nous renvoyons de nouveau au rapport
des avocats turcs qui dresse une liste
accablante de crimes contre l’humanité
de toutes natures perpétrés par toutes
les branches de la « rébellion » depuis
le début des événements en mars 2011.
Par ailleurs, le 19 août, l’agence de
presse officielle syrienne Sana, en
apportant le
démenti des autorités syriennes, a
rappelé : «Nous aurions espéré que
l’émissaire onusien condamne le
bombardement par les groupes terroristes
armés d’Alep, de Lattaquié et de Daraa,
la coupure des eaux et de l’électricité
à Alep et les massacres commis en Syrie
par des organisations terroristes,
telles que «Daech et le Front Nosra» et
autres affiliées à al-Qaïda», a fait
savoir la source dans une déclaration
faite à SANA » Les grands médias
qui ont rapporté ce démenti ont oublié (1,
2) de citer cette phrase cruciale,
comme ils ont oublié de rapporter
ailleurs les graves exactions
« rebelles » récentes qui y sont
rapportées.
On peut
également rappeler des cas antérieurs
récents beaucoup plus graves qui n’ont
suscité aucune réprobation
internationale : le bombardement de Gaza
par l’armée israélienne en juillet 2013
qui a causé la mort de 2000 civils dont
500 enfants, la campagne de frappes
occidentales contre la Libye qui a fait
des dizaines de milliers de morts en
2011, et plus récemment les
bombardements massifs de l’armée
saoudienne au Yemen suite au
déclenchement de l’opération Tempête
Décisive en mars 2015xi.
Ainsi donc, même dans le cas, qui n’est
nullement prouvé, où l’aviation syrienne
aurait occis une centaine de civils sur
la place d’un marché, nous pourrions
invoquer ces autres cas récents
d’agression meurtrière et délibérée,
passés sous silence pour les uns (Yemen),
considérés avec mansuétude pour d’autres
(bande de Gaza), voire fêtés comme de
grandes victoires de la Démocratie et
des Droits de l’Homme (Libye), pour
souligner le deux poids deux mesures
évident dans la présentation et
l’exploitation de ce genre d’événement
dramatique.
Nous invitons
donc le lecteur, au vu de la somme
d’éléments ici avancés, à prendre un un
recul salutaire face au concert
d’accusations radicales lancées contre
les autorités syriennes avant toute
enquête et avec les mots les plus durs
par des personnalités comme Laurent
Fabius ou des quotidiens « de
référence » comme le journal Le Monde.
Comme nous l’avons expliqué
dans un précédent article,
l’instrumentalisation des massacres à
des fins de propagande de guerre, dans
nos sociétés du spectacle d’Europe et
d’Amérique du nord ne constitue pas
l’exception, mais la règle.
Et nous
rappelons encore, ce que le « massacre
de Douma » tendrait opportunément à
faire oublier, qu’il y a deux ans
presque jour pour jourxii,
selon tous les articles et rapports
sérieux publiés depuis et entièrement
passés sous silence dans les grands
médias, que c’est bien plus
vraisemblablement la brigade Liwa
Al-Islam qui contrôle toujours la zone
où se serait produit ce nouveau
massacre, qui serait l’auteur de
l’attaque à l’arme chimique du 21 août
2013, événement qui faillit déclencher
une campagne de frappes aériennes de
l’OTAN en Syrie qui, si l’on en juge par
le précédent libyen, n’aurait pas fait
une centaine de victimes comme
prétendûment allégué à Douma le 16 août
2015, mais des dizaines de milliers, et
pour la plupart des victimes civiles
innocentes.
François
Belliot, 21 août 2015
i
http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/08/18/la-syrie-entre-perversite-et-desespoir_4728941_3232.html
ii Diplomate
italo suédois, nommé en remplacement
de Lakhdar Brahimi en mai 2015, qui
lui-même avait remplacé Koffi Annan
à ce poste.
iv
http://www.ambafrance-kz.org/Nations-unies-Conseil-de-securite-Syrie-17-aout-2015
v
http://www.onenewspage.com/video/20150817/3210532/Syrian-News-Agency-Edits-Out-Criticism-of-Douma.htm
vi rapport de
l’ISTEAMS du 11 septembre 2013,
rapport final de l’ONU du 18
décembre 2013, « rapport du
MIT » de Théodore Postol et Richard
Lloyd du 14 janvier 2014, rapport
des avocats turcs pour la justice du
14 janvier 2014, premier article de
Seymour Hersch du 19 décembre 2013
intitulé « le sarin de qui ? »,
deuxième article de Seymour Hersch
du 17 avril 2014. L’intégralité de
ces rapports a été passée sous
silence dans les grands médias.
vii Ce
jour-là, 120 militaires de l’armée
syrienne régulière sont massacrés
dans leur caserne. Cet épisode
constitue pour les autorités
syriennes un tournant. Cf « Syriana,la
conquête continue », de Bahar
Kimyongür, éditions investig’action
2011, p 120/121.
xhttp://silviacattori.net/article4661.html
xii Alors que
je finalise cet
aritcle, je
tombe sur cette
interviou
hallucinante de Hala
Kodmani dans
le Libération du 21 août 2015
intitulé : « Le régime d’el-Assad
doit sa survie depuis deux ans à
soncrime de la Ghouta ». Hala
Kodmani,qui
suit la guerre en Syrie pour ce
quotidien, est la sœur de Bassam
Kodmani,
membre fondatrice du Conseil
National Syrien, et l’une des
principales figures de l’opposition
anti
Assad en France depuis le début des
événements. Dans cette
interviou qui
est un modèle de désinformation,
Hala
Kodmani passe également sous silence
les nombreux rapports pointant la
responsabilité de l’opposition armée
dans l’attaque chimique du 21 août
2013.
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