Arrêt sur Info
Synthèse sur l’attaque à l’arme chimique
en Syrie le 21 août 2013
François Belliot
Jeudi 2 juillet 2015
Préambule
L’attaque à l’arme chimique dans la
banlieue de Damas le 21 août 2013 est un
tournant majeur de la crise syrienne.
Cet événement peut être comparé par son
scénario et son instrumentalisation aux
affaires du faux charnier de Timisoara
fin décembre 1989 et du faux massacre de
Rachak du 15 janvier 1999. Ces
événements manipulés avaient été
utilisés alors comme casus belli contre
la Roumanie de Ceausescu et la Serbie de
Milosevic[i].
Cette étude s’appuie sur un vaste
ensemble d’éléments concordants montrant
que cette attaque à l’arme chimique
était une opération sous faux
drapeau perpétrée par des
« rebelles », dont l’objectif était de
fournir un casus belli décisif contre le
« régime » syrien et son « abominable
dictateur ».
Dans une première partie nous
rappelons les événements antérieurs à
l’affaire qui permettent de mieux
l’éclairer: le discours de Barack Obama
du 20 août 2012 la première affaire
d’utilisation d’armes chimiques par les
« rebelles », le 19 mars 2013, dans le
village de Khan el-Assal, le nouveau
massacre perpétré par les « rebelles »
dans le même village de Khan el-Assal le
18 juillet 2012 avant l’arrivée des
inspecteurs de l’ONU en Syrie pour faire
la lumière sur l’utilisation d’armes
chimiques dans divers sites dont celui
de Khan el-Assal. Nous relatons ensuite
la couverture médiatique et politique
« occidentale » du tir à l’arme chimique
dans la banlieue de Damas entre le 21
août et le 9 septembre 2013, couverture
unanime qui désigne avant toute enquête,
et avec la sémantique la plus radicale,
le « régime » syrien comme l’unique
coupable possible de ce forfait inouï.
Dans la seconde partie nous passons
en revue les rapports ignorés, censurés
ou déformés par les médias de masse, et
pointant la responsabilité des
« rebelles » dans le massacre chimique :
le rapport de l’ISTEAMS du 11 septembre
2013, le rapport final de l’ONU du 18
décembre 2013, le « rapport du
MIT » de Théodore Postol et Richard
Lloyd du 14 janvier 2014, le rapport des
avocats turcs pour la justice du 14
janvier 2014, le premier article de
Seymour Hersch du 19 décembre 2013
intitulé « le sarin de qui ? », le
deuxième article de Seymour Hersch du 17
avril 2014. Mis bout à bout ces rapports
dessinent un scénario bien différent de
celui unanimement relayé avant toute
enquête par les médias.
Dans la troisième partie nous
relatons les suites et les conséquences
de l’affaire, entre le 9 septembre 2013,
date à laquelle la Syrie adhère à
l’Organisation pour l’Interdiction des
Armes Chimiques (OIAC), éloignant ainsi
les perspectives d’une intervention
militaire internationale, et le 24 juin
2014, date à laquelle les dernières
armes chimiques sont évacuées du
territoire syrien pour être détruites.
Pendant cette période les accusations
d’utilisation d’armes chimiques (bombes
au chlore) par le régime syrien ne
faiblissent pas, massivement relayées
dans les médias.
Tous ces « événements » qui
s’enchaînent du 20 août 2012 au 24 juin
2014 forment un ensemble finalement très
cohérent que l’on pourrait appeler la
« séquence du massacre chimique ». Les
médias comme dans d’autres affaires du
même genre, ont censuré ou déformé de
manière constante tous les éléments
pointant une responsabilité « rebelle »
et ont rivalisé d’accusations
hystériques et fragiles contre Bachar
el-Assad et son « régime », afin
d’attirer sur eux la haine aveugle des
masses, et fournir un casus belli pour
une campagne de frappes militaires
contre les autorités syriennes.
Par la force des choses, cette
étude est également une accusation
envers ces médias et l’état français,
que l’on peut considérer, eu égard aux
mensonges énormes et constants dont ils
se sont rendus collectivement coupables
dans l’accompagnement des
différents événements qui forment cette
« séquence », comme les complices
objectifs du massacre à l’arme chimique
perpétré par les rebelles dans la
banlieue de Damas le 21 août 2013.
Nous n’englobons pas tous les
journalistes et tous les politiques dans
cette accusation. Les bonnes volontés
dans ces deux corporations ne manquent
pas mais elles sont rapidement étouffées
dès lors qu’elles prétendent faire
entendre à haute voix une position
discordante sur un sujet sensible comme
celui de la guerre en Syrie. Le lynchage
politique et médiatique du voyage à
Damas de quatre parlementaires français
le 25 février 2015[ii],
et de leur demande d’un repositionnement
de la politique étrangère de la France
en Syrie, en considération de
l’extension de la menace représentée par
l’Etat Islamique en Irak et au Levant
(EIIL[iii]),
en est une bonne illustration. La
complexité de cette affaire, et le dense
emploi du temps des représentants de la
nation explique peut-être aussi leur
réticence à remettre en cause le récit
officiel du massacre à l’arme chimique
inlassablement relayé à l’époque, sans
la moindre nuance, par les dirigeants et
les médias de masse français.
C’est l’un des objectifs de cette
synthèse que de fournir aux
représentants de la nation un texte
exposant de façon aussi ramassée et
accessible que possible la plupart des
éléments, tenants et aboutissants de
cette affaire géopolitique cruciale. A
défaut d’en tirer toutes les conclusions
qui s’imposent, ils ne pourront pas dire
après lecture de cette synthèse
qu’ils ne savaient pas.
Première partie :
signes avant-coureurs et récit des
événements par les médias et les
politiques entre le 21 août et le 9
septembre 2013
20 août 2012 : l’irruption
des « armes chimiques » dans le débat
sur la crise syrienne
C’est le lendemain du jour où la
Mission de Surveillance des Nations
Unies en Syrie (MISNUS)[iv]
prend fin (19 août 2012 à minuit), que
fait irruption dans le débat la question
des armes chimiques et de leur
utilisation éventuelle. A la fin d’une
conférence de presse à la Maison
Blanche, un journaliste interroge Barack
Obama à ce propos. Nous sommes en pleine
campagne présidentielle[v].
En des termes lourds de menaces il
répond :
« J’ai indiqué de façon répétée
que le président el-Assad avait perdu sa
légitimité, qu’il devait démissionner.
Jusqu’à présent il n’a pas entendu le
message, et au lieu de cela a redoublé
de violence envers son propre peuple.
(…) Mais pour l’heure, la probabilité
d’un atterrissage en douceur semble
s’être considérablement éloignée. (…) En
ce point je n’ai pas ordonné
d’engagement militaire sur le terrain
mais la remarque que vous faites à
propos des armes chimiques et
biologiques est cruciale. (…) Nous avons
été très clairs avec le régime d’Assad,
mais aussi avec les autres acteurs sur
le terrain, que la ligne rouge pour nous
serait franchie si nous constations le
déplacement ou l’utilisation de tout un
tas (a whole bunge) d’armes chimiques.
Cela changerait mes calculs. Cela
changerait mon équation. (…) Nous avons
mis sur pied une gamme de plans
d’urgence. Nous avons communiqué dans
des termes non équivoques avec tous les
acteurs de la région[vi]
que cela constituerait pour nous une
ligne rouge et qu’il y aurait d’énormes
conséquences si nous commencions à voir
du mouvement sur le front des armes
chimiques ou de l’utilisation d’armes
chimiques. »[vii]
Le 23 juillet 2012 les autorités
syriennes avaient reconnu qu’elles
disposaient d’un stock d’armes
chimiques, et qu’elles étaient en état
de s’en servir en cas d’agression
étrangère. Les médias unanimes avaient
voulu y voir un aveu coupable, mais en
réalité la détention de telles armes
était un secret de Polichinelle, et
Bachar el-Assad en cette occasion
n’avait proféré aucune menace concrète[viii].
Le lendemain des déclarations des
États-Unis, la Russie et la Chine
réagissent très vivement à ces
déclarations brutales, alors que l’on
sort à peine de l’affaire du massacre de
Houla du 25 mai 2012, où ces deux pays
avaient dénoncé une manipulation. Le ton
employé est à la mesure de celui du
président états-unien en réponse à un
journaliste. Par la voix de son agence
de presse Xinhua[ix]
(article par Liu Chang), le gouvernement
chinois avertit ainsi :
« Une nouvelle fois les
puissances occidentales creusent
profondément pour trouver des prétextes
à une intervention militaire dans un
autre pays du Moyen-Orient déchiré par
un conflit, comme Barack Obama a averti
lundi que l’usage d’armes chimiques par
le gouvernement syrien était de nature à
changer ses « calculs ». Alors que les
hypocrites négociations en vue de
l’élimination des armes de destruction
massives en Irak et la protection des
civils en Libye résonnent encore dans
les oreilles, de telles menaces de
« ligne rouge » semblent presque être
devenues un signal pour les USA et
certains de ses alliés occidentaux pour
aiguiser leurs armes avant de se lancer
dans l’interventionnisme. (…) Il n’est
pas difficile de comprendre, que, sous
le prétexte d’humanitarisme, les USA ont
toujours tenté de renverser les
gouvernements qu’ils considèrent comme
des menaces envers leurs soi-disant
intérêts nationaux et les remplacent
systématiquement par des gouvernements
favorables à Washington. Cela explique
facilement pourquoi l’Irak de Saddam
Hussein et la Libye de Mouammar Kadhafi,
qui autrefois travaillaient en liaison
étroite avec les USA, furent par la
suite présentés comme des dictateurs
brutaux trempant leur mains dans le sang
de leur peuple. En ce moment même, alors
que les combats entre les troupes
gouvernementales et les forces rebelles
font toujours rage en Syrie, toutes les
nations du monde devraient continuer de
bâtir sur les progrès qui ont été
réalisés par l’envoyé international
sortant, Kofi Annan, et son équipe. (…) »
On note ici que les positions
qualifiées de « conspirationnistes » par
les médias et les politiques exprimées
et dénoncées dans les pays « amis de la
Syrie » s’expriment sans pincettes dans
le cadre des débats à l’ONU.
Cette première déclaration
spectaculaire de Barack Obama, suivie
des fermes réactions de la Russie et de
la Chine, constitue le premier jalon de
la série qui aboutira, un an plus tard,
à un jour près, à l’affaire de l’attaque
chimique de la Ghouta le 21 août 2013. A
intervalles réguliers, entre-temps, les
grands médias saupoudreront des
informations sur la question des armes
chimiques et de leur utilisation sur le
sol syrien, le suspect ou l’accusé
principal étant toujours le « régime »
syrien et le président el-Assad, tout en
passant sous silence ou en édulcorant
les cas les plus solides d’utilisation
d’armes chimiques par des « rebelles ».
Des armes chimiques vont en effet
être utilisées pour de vrai dans le
conflit syrien plusieurs mois avant
l’attaque du 21 août 2013, et à ce titre
le cas du village de Khan el-Assal le 19
mars 2013 est fondamental.
Une première[x]
affaire d’attaque à l’arme chimiques:
Khan el Assal, 19 mars 2013
Le 19 mars 2013, un missile chimique
est tiré sur le village de Khan el Assal
dans la banlieue d’Alep. 25 personnes
périssent et 110 autres sont intoxiquées[xi].
Les villageois dénoncent unanimement,
comme on peut s’en rendre compte sur des
images filmées par la chaine al
Ikhbariya[xii],
le front al Nosra dont les positions
sont proches et qui venait d’être chassé
récemment du village par l’armée
syrienne. L’affaire est très peu relayée
à l’époque dans les médias, mais au
moins l’opinion publique fut-elle
informée que des armes chimiques étaient
en usage en Syrie.
Le lendemain, 20 mars 2013, le
gouvernement syrien est le premier à
demander à l’ONU d’envoyer sur place une
équipe d’enquêteurs pour mener une
enquête « professionnelle,
impartiale, et indépendante » sur
ce massacre. Il est important de
préciser que dans le cadre de cette
demande, les autorités syriennes
formulent le souhait, que soient
examinées « toutes les allégations »
d’usage d’armes chimiques[xiii] ;
elles demandent également que les
coupables de ces usages éventuels soient
identifiés, ce qui n’est jamais rappelé
dans les médias. Le 21 mars 2013 la
France et le Royaume-Uni formulent une
demande semblable, associant à ce cas
celui d’une attaque à Homs le 23
décembre 2012, et une autre à Ottaybah
près de Damas le 19 mars 2013[xiv].
Le même jour, le secrétaire général
des Nations Unies acte la mise en place
d’une mission des Nations Unies pour
faire la lumière sur l’utilisation
éventuelle d’armes chimiques en Syrie.
Le 26 mars, Ake Sellström est nommé à sa
tête. L’équipe d’enquêteurs est
assemblée le 2 avril à la Haye. Le 7
avril une équipe avancée se rend à
Chypre en attente d’un déploiement en
Syrie, et y demeure jusqu’au 12 mai[xv].
Le travail de la mission jusqu’en
juillet consiste en la consultation
d’experts et d’officiels de parties
prenantes dans le conflit, qu’ils soient
alliés ou hostiles aux autorités
syriennes. Ce n’est que le 25 juillet
qu’Ake Selström se rend enfin à Damas
pour discuter avec le gouvernement
syrien des modalités de coopération et
de mise en œuvre de la mission,
modalités acceptées dans un échange de
lettres du 13 et 14 août. Les enquêteurs
étudieront le cas de Khan el-Assal mais
aussi une dizaine d’autres soumis entre
temps pour l’essentiel par la France, le
Royaume-Uni, les États-Unis et la Syrie.
Le 22 juillet, trois jours avant
l’arrivée d’Ake Sellström à Damas, le
village de Khan el Assal, gardé par une
centaine de soldats, et peuplé encore
d’une centaine de personnes, parmi
lesquelles des témoins du massacre, est
assailli par des combattants du front al
Nosra. Après avoir pris le village, ils
réunissent les soldats survivants et les
villageois et les massacrent.
J’ai trouvé très peu de traces sur
les sites des médias de cette tuerie
perpétrée par les « rebelles », et quand
elle est évoquée, c’est en l’édulcorant.
Le Figaro du 22 juillet rapporte par
exemple une dépêche Reuters informant
que « des rebelles s’emparent d’une
ville »[xvi].
France24.com rapporte que « des
rebelles ont pris le contrôle de la
ville de Khan al-Assal »[xvii].
Nulle part dans l’article il n’est
question de combattants du front al
Nosra, d’Etat Islamique, ou plus
largement de combattants takfiris,
wahhabites, djihadistes, etc ; dans la
vidéo tournée par les auteurs du
massacre[xviii],
on entend pourtant l’homme tenant la
caméra ponctuer chaque vision d’un
cadavre d’un « Allah ou Akhbar ».
Relevons tout de même une dépêche AFP
plus précise citée par le Point.fr du 26
juillet dans laquelle on peut lire : « Depuis
le début jeudi à l’aube de l’assaut de
l’EI contre cette base, au moins
50 soldats ont été sommairement exécutés
par les jihadistes »[xix],
l’information étant confirmée par l’OSDH
qui donne le détail suivant concernant
les combattants de l’État Islamique
clairement accusés d’être les auteurs du
massacre : « Certains des soldats
exécutés ont été décapités, et leurs
corps et les têtes coupées exposés à
Raqa».
Cette affaire par son bilan humain et
la barbarie des exécutants fait
immédiatement penser au « massacre de
Houla » du 25 mai 2012, qui avait été
massivement relayée dans les médias, et
qui faillit à l’époque fournir le casus
belli contre le « régime » syrien,
prélude à une intervention militaire de
la « communauté internationale ». Le
silence médiatique sur ce massacre, qui
redouble celui entourant l’emploi
d’armes chimiques dans cette même
localité 4 mois plus tôt, montre
clairement le deux poids deux mesures
dans le traitement des informations
relatives à la crise syrienne.
La journaliste russe Anastasia
Popova, de la chaîne Russia 24, avait pu
se rendre fin mars 2013 à Khan Al Assal
où elle avait pu interroger des
villageois survivants et témoins de
l’attaque chimique[xx].
Interrogée par la journaliste Silvia
Cattori, elle fait cette remarque
désabusée :
« Alors maintenant l’ONU a
subitement accepté de se rendre à Khan
Al-Assal ? Alors maintenant les experts
de l’ONU veulent aller inspecter la
zone ? Et ceci après presque quatre mois
de demandes de la part du gouvernement
syrien ? Quelle curieuse coïncidence !
Avec qui les experts de l’ONU ont-ils
l’intention de parler de l’attaque à
l’arme chimique qui a fait de nombreuses
victimes en mars ? Avec les âmes des
témoins oculaires ? Ou peut-être avec
leurs dépouilles ? »
Le rapport de l’ONU du 18 décembre
2013 détaillera certes l’agenda de la
mission entre mars et octobre 2013,
lequel explique éventuellement ce retard
à l’allumage, mais on ne peut, sur le
moment, comme la journaliste russe,
qu’être étonné de la coïncidence[xxi].
Anastasia Popova donne les détails
suivants relatifs au massacre : « Al-Nosra
a tué des civils, des témoins oculaires
de l’attaque chimique survenue en mars.
J’ai essayé désespérément de contacter
mes connaissances sur place ; leurs
téléphones ne répondent pas. (…) Je ne
sais pas si des témoins ont réussi à
s’échapper. Mais je crains que tous
aient été tués. Plus de 200 personnes en
un jour ont été exécutées par al-Nosra. »
Et elle interprète ainsi la
décision soudaine de l’ONU d’envoyer des
enquêteurs : « Il est évident que
l’assaut qui a frappé Khan Al-Assal,
juste après qu’un accord ait été trouvé
entre l’ONU et Damas, était planifié.
Il est évident que si les enquêteurs de
l’ONU visitent la zone, les témoignages
qu’ils pourront obtenir sur place seront
biaisés parce que les véritables
témoins, s’il y en a qui sont encore en
vie, ne parleront plus maintenant que
les rebelles d’Al-Nosra sont sur place.
Et que diront les rebelles aux
enquêteurs ? Que c’est le gouvernement
de Bachar el-Assad qui a lancé l’obus
qu’ils avaient eux-mêmes lancé. Que
c’est le gouvernement qui a tué ses
propres sympathisants et ses propres
soldats dans ce quartier de Khan Al-Assal
– où tous les habitants sont fidèles au
gouvernement d’el-Assad – parce que le
gouvernement est démoniaque… Ce qui est
un non-sens pour les gens qui se donnent
la peine de penser… mais une vérité
cristalline pour l’ONU ! »
Malgré cet événement inquiétant, le
président Bachar el-Assad donne son
accord, et une équipe de dix inspecteurs
de l’ONU entre en Syrie le 18 août 2013.
Ils sont censés rester 14 jours. Partis
pour enquêter sur l’affaire de Khan al-Assal
et deux autres cas comparables, ils
auront, 3 jours plus tard, une affaire
imprévue et beaucoup plus considérable à
gérer.
Pour compléter le tableau, le
secrétaire d’état états-unien John Kerry
et le ministre des affaires étrangères
russe Sergueï Lavrov doivent se
rencontrer la semaine suivante à la Haye
pour préparer la conférence déjà
plusieurs fois reportée de Genève II,
qui doit préparer un règlement politique
du conflit.
L’attaque chimique de la Ghouta la
nuit du 21 août 2013 va anéantir cette
perspective.
L’attaque à l’arme chimique
du 21 août 2013 : au début étaient des
vidéos
Entre 4 et 11 heures du matin (heure
de Damas), le mercredi 21 août 2013, une
trentaine de vidéos sont diffusées sur
YouTube par des forces anti Assad[xxii].
Filmées dans des localités situées
essentiellement dans la banlieue est de
Damas[xxiii],
certaines montrent, alignés ou
dispersés, des dizaines de cadavres de
civils syriens, en majorité de jeunes
enfants et des hommes dans la force de
l’âge ; d’autres montrent des nuées
d’hommes s’affairant dans des antennes
médicales de fortune pour prodiguer des
soins à des civils jeunes pour la
plupart qui semblent très mal en point.
Aucun cadavre ne présente les signes
d’une exécution à bout portant, comme
dans le massacre de Houla[xxiv],
de même que les vivants soignés dans les
antennes médicales, et pour cause : ils
auraient été victimes d’une attaque de
grande ampleur à l’arme chimique qui
serait survenue vers 2 heures du matin.
Les quartiers touchés sont pour
l’essentiel sous contrôle des
« rebelles ».
Les localités où auraient été
utilisés les armes chimiques sont toutes
situées dans la « Ghouta » (traduction :
oasis), du nom de la ceinture agricole
largement urbanisée qui entoure Damas,
en particulier dans sa partie est.
Les vidéos[xxv]
montrent des victimes, des civils, et du
personnel médical dans différentes
situations et différents lieux : gros
plans sur des enfants en train
d’agoniser, le teint pâle, la bave aux
lèvres, agités de spasmes, plans larges
sur des dizaines de cadavres alignés ou
étendus en désordre, médecins témoignant
du manque de médicaments et de l’horreur
de la situation, médecins appliquant des
masques à oxygène sur les mourants ou
leur faisant des injections, homme en
larmes étreignant la dépouille inerte
d’un enfant, témoins ou
« commentateurs » criant leur détresse
et leur indignation, portant parfois des
accusations contre le régime syrien et
appelant à l’aide la communauté
internationale. Sur quelques vidéos, des
« Allah ou Akbar » ponctuent le
déplacement de la caméra.
Ces images rappellent la mise en
scène des victimes du massacre de Houla
du 25 mai 2012, avec une charge
émotionnelle décuplée : cette fois-ci ce
n’est pas une seule vidéo qui a été
postée, mais plusieurs dizaines ; les
enfants dans les divers alignements sont
en plus grand nombre et sont montrés
tantôt en train d’agoniser, tantôt
décédés ; les commentaires sont de
sources apparemment variées
(« médecins », témoins, cameramen,
combattants « rebelles »).
Comme l’établira[xxvi]
le rapport préliminaire de l’ONU du 13
septembre 2013 sur l’utilisation d’armes
chimiques en Syrie, le scénario de
l’attaque est le suivant : entre 2 et 5
heures du matin, une roquette de type
M14 chargée de 2 litres et demi de gaz
sarin a été tirée dans la Ghouta ouest à
Muadammiyah, et une dizaine de roquettes
Grad de 330 mm, chargées chacune de 50 à
60 litres de gaz sarin ont été tirées
dans la Ghouta est. Aucune cible
particulière n’était visée, des
roquettes ont été retrouvées par exemple
au sommet d’un immeuble, dans un champ,
dans la rue.
A 14 heures du même jour, le
« Bureau Médical Unifié de la Ghouta »,
structure « rebelle », rend un premier
rapport[xxvii].
Les victimes présentent les symptômes
suivants : bave épaisse, pâleur, suées
abondantes, vomissements, rétrécissement
des pupilles, pouls lent, agitation
spasmodique, difficultés respiratoires,
inflammations dans la partie supérieure
du corps. C’est en effet ce que l’on
voit sur les vidéos. Les agonisants ne
font pas semblant.
Le bilan selon ce rapport est de 1466
morts, parmi lesquels 67% de femmes et
d’enfants, 10000 blessés, dont 3000
grièvement. Des médecins ont été
intoxiqués ou sont morts en portant
assistance aux victimes. La Ghouta est
une zone de désastre et la « communauté
internationale » doit prendre ses
responsabilités.
Récit des événements entre le
21 août et le 9 septembre par les médias
et les politiques.
Les premières chaînes de télévision à
relayer ces vidéos sont la chaîne
qatarie al Jazeera, et la saoudienne al
Arabiya[xxviii].
Quant aux médias de masse occidentaux,
bien qu’ils embrayent rapidement dans la
dénonciation du « régime syrien »,
ils prennent soin de préciser qu’il
existe deux versions des faits, une
version « rebelle », et une
version « gouvernementale ».
Néanmoins les titres, les chapeaux des
articles et les éditoriaux sont sans
ambiguïté.
Le journal de 20 heures de TF1 du 21
août 2013 ouvre sur cette phrase : « C’est
l’une des attaques les plus violentes
perpétrées par les troupes de Bachar
el-Assad depuis le début de la guerre
civile, elle aurait fait 1300 morts
selon l’opposition syrienne ».
Le Monde.fr rapporte ce même jour une
dépêche AFP intitulée : « Syrie :
l’armée accusée de bombardements massifs
et d’attaques chimiques »[xxix].
Hala Kodmani rédige le même jour dans
Libération un article intitulé : « Damas
accusé d’une vaste attaque chimique »[xxx].
Dans son éditorial filmé du 22 août
intitulé « Syrie : Que faire sans
l’aide de l’ONU ? »[xxxi],
Christophe Barbier, directeur de la
rédaction de l’Express, exhorte : « Que
faire désormais, maintenant ? D’abord
réunir l’OTAN. L’OTAN est une force de
frappe qui fonctionne encore, et c’est
peut-être par l’OTAN que l’on pourra
trouver une solution militaire ou
diplomatico-militaire. L’OTAN peut être
crainte alors que l’ONU n’est même plus
crue. Ensuite il faut que la France
prenne les devants, une initiative
politique et militaire, il faut que la
France soit à la pointe d’une nouvelle
phase anti Bachar el-Assad, et puis il
faut remettre à Bruxelles sur l’établi
la question de la livraison des armes »
Le même jour le Figaro titre en Une :
« Assad de nouveau soupçonné d’un
massacre à l’arme chimique », Une
complétée par un article d’Isabelle
Lasserre en page 5 intitulé « L’opposition
syrienne dénonce un massacre à l’arme
chimique »[xxxii],
accompagné d’une chronologie autour de
cette thématique suggérant que l’usage
d’armes chimiques par le régime était
inéluctable. La journaliste y prétend
que Bachar el-Assad bloquait le travail
des inspecteurs de l’ONU depuis des
semaines.
Le 23 août, nouvelle Une du Figaro
titrant : « l’opération anti Assad a
commencé », suivie de l’explication
suivante : « Selon nos informations,
des opposants au régime, encadrés par
des commandos jordaniens, israéliens et
américains, progressent vers Damas
depuis la mi-août. Cette offensive
pourrait expliquer le possible recours
du président syrien à des armes
chimiques. » Cette Une est
complétée par un édito de Pierre
Rousselin dans lequel il déclare : « Une
« ligne rouge » a été franchie ; c’est
celle de l’incohérence occidentale. Il
serait temps d’y remédier. Par exemple
en adoptant une stratégie efficace
contre Bachar el-Assad. »[xxxiii]
Un article en page 4 intitulé : « Pourquoi
Assad a choisi la stratégie du pire »,
complète cette présentation
catastrophiste.
Le 28 août, nouvelle Une du Figaro:
« Hollande prêt à engager la France
dans une intervention en Syrie »,
complétée par le chapeau suivant : « Alors
qu’une riposte internationale se dessine
sans l’aval du conseil de sécurité de
l’ONU, impossible à obtenir en raison du
veto russe, le chef de l’état a affirmé
mardi que Paris était prêt « à punir
ceux qui ont pris la décision infâme de
gazer des innocents » en Syrie ».
La Une du Figaro du 29 août (la
quatrième en 7 jours), la Russie ayant
haussé le ton pour défendre la Syrie,
semble marquer un refroidissement de
l’enthousiasme : « Syrie, une
intervention punitive à haut risques »,
mais dans la double page (2 et 3) qui
est consacrée à la crise l’analyse est
toujours la même. Un article titre : « Syrie,
le compte à rebours est lancé. »,
et est accompagné du chapeau suivant :
« Des écoutes téléphoniques auraient
convaincu les États-Unis de la
culpabilité de Damas ». Et dans le
corps de l’article on peut lire : « Les
responsables de cet usage effroyable
d’armes chimiques en Syrie ne fait aucun
doute, c’est le régime syrien. »
Nous avons suivi le fil du Figaro ;
le fil est semblable dans les autres
quotidiens.
La convergence de vue est totale
entre instances médiatiques et pouvoir
politique.
La réaction officielle du
gouvernement français est dans un
premier temps circonspecte. Comme tous
les états du monde (site de la
Présidence de la République), « La
France condamne les attaques meurtrières
attribuées au régime syrien mercredi 21
août dans la région de Damas et dont le
bilan provisoire dépasserait cent morts »[xxxiv].
Une déclaration du ministre des affaires
étrangères Laurent Fabius le même jour,
à l’issue des travaux du Conseil des
Affaires Étrangères de l’Union
Européenne, est toutefois déjà lourde de
menaces : « Vous savez que ces armes
chimiques sont condamnées, il y a
quelques pays dans le monde qui n’ont
pas signé cette convention, parmi
lesquels M. Bachar Al-Assad et la Corée
du Nord[xxxv],
cela vous donne une idée, … mais elles
sont d’une gravité extrême. Nous savons
que le régime possède des armes
chimiques et donc il faut d’abord que
leur utilisation soit établie, d’où la
nécessité d’une enquête de l’ONU très
rapide, puisqu’ils sont sur le terrain,
et ensuite évidemment si c’est avéré, il
y aura non seulement une condamnation
internationale très forte et
certainement des réactions précises. »
Le ministre indique toutefois que de
telles réactions ne pourront être que
concertées avec les autres puissances
parties prenantes.
Le 25 août, lors d’une conférence de
presse à Jérusalem tenue en compagnie du
premier ministre israélien Benjamin
Netanyahou, la position de M. Fabius
gagne en clarté : « Le massacre
chimique qui est intervenu en Syrie et
dont à l’évidence la responsabilité est
celle du régime ne peut pas être
acceptée, et la position de la France,
comme je l’espère la position de toutes
les démocraties, est qu’il y a besoin
d’une réaction forte.(…) Les indications
sont totalement convergentes sur
l’étendue du massacre et la
responsabilité écrasante du régime (…)
En ce qui nous concerne, il n’y a aucun
doute sur la matérialité des faits et
sur leur origine »[xxxvi].
Quant au président Hollande, dans un
entretien avec son homologue états-unien
le même jour, il estime « que tout
concord(e) pour désigner Damas comme
l’auteur » des attaques du 21 août[xxxvii].
Notons qu’au moment où ces
déclarations accusatoires sont
formulées, aucune enquête n’a encore
rendu de conclusions sur ces événements.
Rappelons également qu’une équipe
d’inspecteurs de l’ONU se trouve sur
place depuis le 18 août, distants d’une
dizaine de kilomètres des sites frappés
par les armes chimiques. On relève dans
les médias de pressantes demandes dans
la « communauté internationale » pour
que le « régime » syrien accepte une
enquête menée par des inspecteurs de
l’ONU.
Cette même journée du 25 août le
président el-Assad autorise les
inspecteurs de l’ONU, dont il
sollicitait la venue en Syrie depuis 4
mois, à se rendre sur place pour mener
une enquête, ce qu’ils pourront faire
après une première tentative vaine au
cours de laquelle ils essuieront des
tirs de snipers non identifiés, les
autorités syriennes accusant les
rebelles qui contrôlent la zone
d’enquête d’en être les auteurs. Une
forme de cessez-le-feu s’instaure
néanmoins entre le 26 et le 29 août,
permettant aux enquêteurs de se rendre
sur le terrain en toute sécurité.
Comme pour le « massacre de Houla »
15 mois plus tôt, la prise de position
du gouvernement
français est à l’évidence concertée avec
les partenaires qui sont les siens
depuis le début de la crise, les « amis
de la Syrie ». De même que c’est dans la
même journée qu’à l’époque les
ambassadeurs avaient été expulsés des
capitales occidentales, c’est dans le
même tempo que les États-Unis, le
Royaume-Uni et la Turquie vont prendre
des positions fermes et belliqueuses
envers le régime syrien.
Ainsi le même jour, peut-on lire dans
une dépêche AFP, « Dans le même
temps, nous apprenions que le président
américain Barack Obama et le premier
ministre britannique David Cameron ont
exprimé leur préoccupation face aux
« signes de plus en plus importants » de
l’utilisation d’armes chimiques par
l’armée syrienne. « Ils sont tous les
deux très préoccupés par l’assaut qui a
eu lieu mercredi à Damas et les signes
de plus en plus importants qu’il
s’agissait d’une attaque significative
aux armes chimiques, menée par le régime
syrien contre son propre peuple », a
déclaré le porte-parole de David
Cameron. « Ils ont redit que
l’utilisation conséquente d’armes
chimiques mériterait une réponse
sérieuse de la communauté internationale
et ils ont tous les deux demandé aux
responsables concernés d’examiner toutes
les options », a-t-il ajouté. »[xxxviii]
L’AKP (parti au pouvoir en Turquie)
rédige une résolution qu’il présente au
parlement, résolution discutée en
session restreinte, présentée le
jour-même de l’attaque et paraphé par le
premier ministre Recep Tayip Erdogan.
Cette résolution dit: « Le régime a
violé la loi internationale et a
commencé à utiliser des armes chimiques,
ainsi que des armes lourdes incluant des
missiles balistiques et des attaques
aériennes non discriminantes. Au final
1400 citoyens syriens, parmi lesquels
une majorité d’enfants, ont été tués
lors d’une attaque à l’arme chimique à
Damas el 21 août 2013″[xxxix].
Signe de cette intention, la marine
états-unienne a ordonné la veille (24
août, l’Express) « le déploiement
d’un destroyer supplémentaire en
Méditerranée, portant à quatre le nombre
des navires équipés de missiles de
croisière Tomahawk. La VIème flotte
américaine, responsable de la
Méditerranée, a décidé de laisser sur
zone l’USS Mahan, qui devait
initialement retourner à son port
d’attache de Norfolk sur la côte est
américaine et être remplacé par l’USS
Ramage. (…) Ce renfort permet au
Pentagone d’agir plus rapidement en cas
d’intervention. »[xl]
Deux jours plus tard (27 août), le
ton se durcit et les accusations se font
plus directes, comme en témoignent ces
extraits de l’allocution du président
Hollande à lors de la Conférence des
Ambassadeurs[xli] :« Tout
porte à croire que c’est le régime qui a
commis cet acte abject. Il le condamne
définitivement aux yeux du monde. Car
c’est une ignominie que de recourir à
des armes que la Communauté des nations
a banni depuis 90 ans dans toutes ses
conventions internationales. (…)
Aujourd’hui, notre responsabilité c’est
de rechercher la riposte la plus
appropriée aux exactions du régime
syrien, une fois achevée l’essentiel de
la mission d’enquête des Nations Unies.
(…) La France est prête à punir ceux qui
ont pris la décision effroyable de gazer
des innocents. » La sémantique est
la même, avec quelques bémols, à la tête
de tous les états membres du club des
« amis de la Syrie ».
Le 28, par exemple, le premier
ministre britannique David Cameron
annonce sur tweeter que «Le
Royaume-Uni a rédigé une résolution
condamnant l’attaque à l’arme chimique
par (le président) Assad et autorisant
les mesures nécessaires[xlii]
pour protéger les civils.»
Dans le même temps les « amis de la
Syrie », anticipant sur un plus que
probable veto russe, multiplient les
déclarations comme celle de Christophe
Barbier du 22 août promouvant une
intervention militaire en dehors du
cadre de l’ONU.
La Syrie par son ministre des
affaires étrangères Walid al Mouallem
conteste l’utilisation d’armes chimiques
par le gouvernement syrien, demande
instamment que ceux qui l’accusent
avancent des preuves tangibles. En cas
de frappes, la Syrie se défendra avec
les moyens qui sont les siens. La Russie
et l’Iran mettent en garde contre toute
intervention militaire en Syrie dont les
conséquences, disent-ils, ne pourraient
être que catastrophiques.
Par ailleurs, la perspective d’une
intervention armée en dehors du cadre de
l’ONU suscite de nombreuses et
vigoureuses protestations dans la
« communauté internationale ». La Chine
met à son tour en garde contre toute
intervention sans l’aval du Conseil de
Sécurité, laquelle contredirait les
principes énoncés dans sa charte.
L’assemblée vénézuélienne condamne et
réaffirme sa solidarité avec la Syrie.
La délégation yéménite apporte son
soutien. La Russie et l’Iran réaffirment
leur hostilité à toute ingérence
militaire internationale.
Le 30 août, les services de
renseignement états-uniens, se basant
sur 13 des 35 vidéos lancées sur
YouTube dans les sept heures suivant
l’attaque chimique[xliii],
une écoute téléphonique d’un officier
syrien, et des images satellites,
affirment que toutes les preuves sont
réunies pour confirmer la responsabilité
du « régime » syrien dans l’attaque
chimique de la Ghouta.
Le secrétaire d’état John Kerry, le
même jour, lors d’une conférence de
presse dans la salle des traités de la
Maison Blanche[xliv],
reprend ces « preuves » et accuse sans
détours les autorités syriennes d’être
les auteurs de l’attaque à l’arme
chimique :
« Lisez tous, par vous-même, les
preuves qui nous viennent de milliers de
sources, des preuves déjà rendues
publiques, et lisez vous-même le verdict
porté par nos spécialistes du
renseignement sur l’attaque aux armes
chimiques infligée par le régime de
Bachar el-Assad à l’opposition et aux
quartiers contestés ou contrôlés par
l’opposition dans la banlieue de Damas
le 21 août au lever du jour. (…) Notre
communauté du renseignement a examiné et
réexaminé avec la plus grande attention
les informations concernant cette
attaque, et soyez assurés que cet examen
a été effectué en gardant
particulièrement à l’esprit l’expérience
irakienne. (…) La communauté du
renseignement des États-Unis a la
confiance la plus absolue dans tous ces
éléments que je viens de vous donner, et
dans toutes ces informations que nous
possédons. Une confiance absolue. C’est
une question de bon sens. Ce sont des
preuves, Ce sont des faits. (…) si nous
choisissons de vivre dans un monde où un
bandit et un assassin comme Bachar
el-Assad peut gazer sa propre population
en toute impunité, même après que les
États-Unis et leurs alliés aient dit
non, et que le monde décide de ne rien
faire, il n’y aura plus de limite aux
défis lancés à notre détermination ni
aux dangers qui émaneront de ceux qui
pensent qu’ils peuvent faire comme bon
leur semble. »
Cette démonstration sera appuyée deux
jours plus tard par un rapport de la
DGSE apportant lui aussi son lot de
« preuves ». Le Journal Du Dimanche fait
sa Une dessus, annonçant : « Armes
chimiques : les preuves des
services français »[xlv].
Ces preuves sont qualifiées de « mensonges »
par le ministre des affaires étrangères
syrien dans un communiqué officiel lu à
la télévision : « Ce que
l’administration américaine a qualifié
de preuves irréfutables (…) n’est rien
de plus que d’anciennes histoires
diffusées par les terroristes (ndlr:
les « rebelles ») depuis plus d’une
semaine, avec tout ce qu’elles
comportent de mensonges, de fabrications
et d’histoires montées de toutes
pièces. »
Vladimir Poutine déclare que « les
accusations contre le régime syrien sont
d’une absurdité totale » et
qualifie d’« inacceptables »
les menaces des États-Unis. Il rappelle
à la mémoire d’Obama, le prix Nobel de
la paix qui lui a été remis au début de
son mandat en récompense des promesses
qu’il incarnait, et salue le refus (à 13
voix près) de la Chambre des Communes
anglaise d’avoir voté contre une
intervention en dehors du cadre de
l’ONU.
En effet, pour la première fois le
camp des « amis de la Syrie » commence à
se fissurer. Le président Obama, le 31
août, recule lui aussi pour la première
fois. Il se déclare toujours en faveur
d’une intervention militaire, mais
annonce la décision de soumettre cette
éventualité au vote du Congrès des
États-Unis. Un plan de frappes ciblées[xlvi]
franco états-unien avait été préparé
pendant la semaine, en vue de punir
le « régime » d’el-Assad. Le
gouvernement français était persuadé que
l’attaque était pour le lendemain et est
extrêmement désappointé de se trouver
soudain seul l’épée à moitié tirée du
fourreau.
La surprise est d’autant plus grande
que le 30 août John Kerry avait présenté
les « preuves » de la responsabilité du
régime syrien dans l’attaque du 21 août.
Cette annonce d’Obama repousse de
facto toute campagne de frappes en Syrie
après le 9 septembre, date à laquelle le
Congrès doit se prononcer sur cette
éventualité.
La raison principale de ces deux
reculs serait le tir de deux missiles
balistiques depuis une base de l’OTAN
vers la Syrie, missiles aussitôt repérés
par les radars russes et neutralisés.
Ces tirs auraient été destinés à tester
l’efficacité du système de défense syro
russe. Cet épisode aurait ensuite été
maquillé en exercice militaire
Etats-unis/Israël[xlvii].
La sémantique états-unienne demeurant
toutefois des plus belliqueuses, les
alliés de la Syrie montent au créneau de
nouveau, Russie, Chine et Iran en tête.
Sergueï Lavrov se plaint de ce que,
lorsqu’on demande aux États-Unis des
preuves plus tangibles que les vidéos
des « rebelles » ou l’écoute de
l’officier syrien, ils répondent que
leurs informations sont secrètes et ne
peuvent pas être partagées. Une
intervention armée basée sur des preuves
aussi fragiles ne pourra être considérée
par la Russie que comme une agression.
Le 3 septembre, Bachar el-Assad, dans
un entretien au Figaro, rejette les
preuves avancées par les services
états-uniens et français, pointe
l’absurdité pour son armée de lancer des
armes chimiques dans des zones où ses
propres soldats risqueraient d’être
intoxiqués, souligne que des
interceptions téléphoniques ne sauraient
être qualifiées de preuves, de même que
des vidéos tournées par les
« terroristes », met en garde contre le
risque d’une guerre régionale, évoque
des répercussions négatives pour les
intérêts de la France. Il avance qu’il
ne faut pas faire confiance aux
états-uniens, que 80 à 90% des hommes
armés que son armée combat sur le
terrain sont des terroristes liés à al
Qaïda. Il dénonce le soutien apporté par
ces terroristes par l’Arabie saoudite,
la Turquie, la Jordanie, la France, les
États-Unis, et le Royaume-Uni. En ce qui
concerne la France, « (elle) a
décidé de renoncer à son indépendance et
est devenue la subalterne de la
politique américaine », et il juge
absurde de « s’opposer à des gens
comme Mohammad Merah en France, et les
soutenir en Syrie » et de
« combattre le terrorisme au Mali et le
renforcer en Syrie ».
Le 6 septembre, en marge du sommet du
G20 de Saint-Pétersbourg, 11 chefs
d’état et représentants des pays de ce
groupe (Australie, Arabie saoudite,
Canada, Corée du sud, Espagne,
États-Unis, France, Royaume Uni, Italie,
Japon, Turquie) se déclarent prêts à une
intervention en Syrie sans l’aval de
l’ONU[xlviii],
[xlix]
Le tournant du 9 septembre
2013
La journée du 9 septembre marque le
tournant dans l’affaire des tirs à
l’arme chimique sur la Ghouta. Le
ministre des affaires étrangères russe,
Sergueï Lavrov, émet une proposition qui
suscite la surprise générale : il
appelle les dirigeants syriens « à
accepter de placer sous contrôle
international leurs stocks d’armes
chimiques, et ensuite de les détruire »,
proposition immédiatement acceptée par
Damas.
Le 12 septembre, dans un entretien à
la télévision russe, Bachar el-Assad
pose ses conditions pour le
démantèlement de son stock d’armes
chimiques : les États-Unis doivent
cesser d’aider les rebelles, de leur
livrer des armes, et de menacer Damas.
Il annonce également à cette occasion
que la Syrie va déposer une demande
d’adhésion à l’Organisation pour
l’Interdiction des Armes Chimiques
(OIAC). La Syrie transmettra
ensuite les informations sur ses stocks
d’armes chimiques.
Le 14 septembre, John Kerry et
Sergueï Lavrov se rencontrent à Genève
et tombent d’accord sur le plan de
démantèlement du stock d’armes chimiques
de la Syrie, accord officialisé par une
conférence de presse commune. L’accord
prévoit que d’ici une semaine la Syrie
doit transmettre toutes les informations
concernant son arsenal, et que le
non-respect par la Syrie de cette
échéance entraînera le dépôt d’une
résolution impliquant le chapitre 7.
Le 15 septembre, le secrétaire
général de l’ONU Ban Ki Moon annonce
l’adhésion de la Syrie à l’OIAC le 14
octobre prochain, et salue l’accord
scellé entre Kerry et Lavrov. Tout le
monde salue l’accord du côté des
soutiens de Damas.
Les informations relatives à ses
stocks d’armes chimiques sont transmises
le 19 septembre par les autorités
syriennes, et le 1er octobre, une
vingtaine d’inspecteurs de l’OIAC
pénètrent en Syrie par la frontière
libanaise. Comme le souligne une dépêche
AFP publiée le même jour, « Il
s’agit de l’une des opérations de
désarmement les plus ambitieuses et les
plus dangereuses jamais tentées. De
telles opérations ont déjà été
entreprises en Irak et en Libye mais
jamais en pleine guerre. »
Et, pour l’ensemble des observateurs
avertis, un embrasement général a été
évité.
Deuxième partie : Rapport des documents
contredisant le récit officiel
La version des faits défendue par des
états comme la France, les États-Unis,
la Turquie, ou Israël, a été battue en
brèche dans les jours et les mois
suivant les événements par divers
articles et rapports, que je vais à
présent résumer, dans l’ordre
chronologique de leur parution : le
rapport de l’ISTEAMS du 11 septembre
2013, le rapport final de l’ONU du 18
décembre 2013, l’article de Seymour
Hersch du 19 décembre 2013, le rapport
de Théodore Postol et Richard Lloyd du
14 janvier 2014, le rapport des avocats
turcs paru le même jour, le second
article de Seymour Hersch du 17 avril
2014.
Le point commun de tous ces documents
est qu’ils ont été ignorés ou déformés
par les médias, si bien que le grand
public ignore qu’il existe une
constellation d’éléments solides et
convergents remettant en cause le récit
officiel de l’attaque chimique du 21
août 2013. Mis bout à bout, ces
documents dessinent un scénario bien
différent de celui unanimement martelé
par les médias et politiques « amis de
la Syrie ».
Le rapport de l’ISTEAMS[l]
du 11 septembre 2013
L’analyse des vidéos diffusées par
les rebelles dans la journée du 21 août
est cruciale dans la mesure où elles ont
servi d’aliment à la campagne médiatique
mondiale qui devait retourner
définitivement l’opinion publique en
faveur d’une intervention armée en
Syrie.
Le 11 septembre 2013, L’International
Support Team for Mussalaha[li]
in Syria (ISTEAMS), présidée par la mère
Agnès Mariam de la Croix, rend un
rapport de 50 pages sur 13 vidéos
érigées en preuves par les services de
renseignement états-uniens.
La décision de les examiner
attentivement a été prise après que
plusieurs familles dont les enfants ont
été enlevés les jours précédant
l’attaque chimique ont contacté
l’ISTEAMS pour signaler qu’ils
reconnaissaient des proches sur
certaines vidéos.
L’ISTEAMS pointe de nombreux indices
d’anomalies et de manipulations:
Il est dit que la plupart des gens
qui ont été gazés l’ont été pendant leur
sommeil. Cela veut dire que les gens qui
ont été gazés étaient chez eux et que
les sauveteurs avaient les moyens de les
identifier. Or presque tous les cadavres
sont anonymes, identifiés seulement par
un numéro scotché.
Il est dit que 67% des victimes sont
des femmes et des enfants. Or sur les
vidéos, on ne voit aucune femme, et que
des hommes dans la force de l’âge et des
jeunes enfants qui par ailleurs semblent
de la même tranche d’âge, en groupes.
Dans les alignements ils ne sont
jamais « en famille ».
On ne comprend pas pourquoi ces
enfants ont été emmenés dans les
antennes médicales sans leurs parents.
Aucune famille syrienne « normale »
n’apparaît dans les alignements de
cadavres.
Les vidéos 1 et 6 montrent un même
enfant en T-shirt rouge. Ces vidéos sont
censées avoir été tournées dans deux
secteurs différents (Hamouria pour la
première, Jobar pour la deuxième). Dans
la première il est mort, ses habits sont
trempés, il gît sur un sol en ciment, au
milieu d’autres enfants et d’infirmiers.
Une femme au début tente en vain de le
ranimer avec des tapes dans le dos. Mais
on a bien vu avant qu’il était mort.
Dans la 6 il est en train d’agoniser,
sur un sol en carrelage, parcouru de
tremblements spasmodiques. Il est tout
seul et personne ne lui porte secours.
La vidéo 11 montre une morgue
improvisée, à Kafr Batna, dans laquelle
des dizaines de cadavres d’enfants et
d’hommes sont disposés dans un relatif
désordre. Cette même pièce a été filmée
dans un reportage d’al Jazeera dans
laquelle six des « acteurs » ont déjà
été placés. Dans la vidéo 11 ces
cadavres sont exactement au même
endroit, les espaces alentours ayant été
entre temps remplis par d’autres
cadavres en utilisant au mieux l’espace
disponible. Par ailleurs, 9 des enfants
figurant dans cette mise en scène ont
été filmés dans un autre quartier, celui
d’al Marj, dans une autre configuration,
ce qui implique qu’ils ont été
transportés pour des raisons qui n’ont
rien à voir avec l’humanitaire (p 27 du
rapport, voir illustration infra). Sur
cette vidéo d’al Marj, on distingue par
ailleurs une petite fille que l’on
retrouve sur une troisième vidéo, dans
un troisième assemblage, à Jobar.[lii]
Le dossier de l’ISTEAMS donne
d’autres exemples de manipulations des
victimes avec d’amples détails.
La rapidité avec laquelle ces mises
en scène ont été effectuées :
anesthésies, transports de « corps »
d’une zone à l’autre, disposition
ordonnée ou à tout le moins réfléchie
dans des morgues improvisées, tout cela
ne peut avoir été fait en aussi peu de
temps, avec aussi peu de protection,
d’autant que le gaz, extrêmement
dangereux, inodore, était actif encore
une demi-heure après le tir. Ces images
pourraient avoir été tournées
antérieurement à l’attaque.
Il ne peut y avoir autant de victimes
« non identifiées » alors que presque
toutes les victimes étaient censées
résider dans cinq quartiers de la Ghouta
est.
Le rapport avance l’explication
suivante : les familles ayant reconnu
leurs enfants dans les alignements de
cadavres vivent dans les environs de
Lattaquié. Le 4 août le front al Nosra y
avait investi 11 villages alaouites et à
cette occasion enlevé 150 femmes et
enfants[liii] :
ces enfants auraient pu servir en
complément de l’attaque chimique, pour
lui donner un caractère encore plus
horrible et spectaculaire. En plus
d’user véritablement d’armes chimiques
dans la partie orientale de la Ghouta,
des « rebelles » auraient décidé d’en
amplifier les apparences en tuant
chimiquement ou en anesthésiant un grand
nombre d’enfants capturés auparavant.
Cette capture préalable aurait par
ailleurs, une fois les enfants
anesthésiés, rendu plus facile leur
réunion et leur alignement dans des
morgues. Cela expliquerait aussi
pourquoi il y a une proportion anormale
d’enfants dans les vidéos, pourquoi
aucun d’entre eux n’a dans un premier
temps été identifié, et pourquoi il
n’existe aucune vidéo de l’enterrement
de l’un d’entre eux.
Une remarque sur le bilan des
victimes : le Bureau Médical Unifié de
la Ghouta avait donné, pour rappel, 1466
morts et 10000 intoxiqués, dont 67% de
femmes et d’enfants. Il se pourrait que
ce bilan soit à relativiser. Le 22 août,
Libération annonce 1300 morts et 5000
intoxiqués, dont 75% de femmes et
d’enfants. Le 24 août, Médecins Sans
Frontières annonce 355 morts et 3600
personnes traitées dans les hôpitaux. Le
30 août, le rapport des services de
renseignement états-uniens accusant
Damas évoque 1429 morts dont 426
enfants. Le 31 août, l’OSDH dresse le
bilan de 502 morts, dont 80 enfants, 137
femmes, et des dizaines de rebelles. Le
3 septembre, le rapport des services
français fait état de 281 morts.
Cette incertitude sur le nombre de
victimes est redoublée par la rareté des
photos de leurs enterrements. Avec plus
de 1000 victimes, on aurait pu
s’attendre à des cérémonies importantes.
Or les « rebelles » n’ont posté qu’une
seule vidéo d’un enterrement, et l’on
n’y voit que 8 corps, dont 3 ne sont pas
recouverts du linceul blanc
traditionnel. Aucun d’entre eux n’est
d’un enfant. Cela renforce aux yeux des
auteurs l’hypothèse que les enfants
présents dans les alignements de
cadavres n’ont pas été gazés, mais
anesthésiés[liv].
Alors que
les « rebelles » ont posté des dizaines
de différents sites le 21 août,
une seule a été tournée d’un
enterrement, et on n’y compte que
8 personnes.
Le rapport de l’ISTEAMS a été
complètement ignoré dans les médias.
Le rapport de Human Rights
Watch du 10 septembre 2013
J’insère dans cette série d’articles
et rapports remettant en cause le récit
« officiel » un rapport du 10 septembre
l’appuyant, publié par l’ONG Human
Rights Watch (HRW)[lv].
Ce rapport est important dans la mesure
où il a servi à l’époque de caution dans
les médias pour accuser le régime
syrien, et permet de se rendre compte du
deux poids deux mesures dans le relais
des rapports prétendant apporter des
lumières dans cette affaire de tir à
l’arme chimique. A l’inverse des autres
documents dont je propose dans ce
chapitre un parcours, il a été
massivement relayé, ses accusations
contre le « régime » syrien étant
reprises telles quelles dans des
articles aux titres et chapeaux
très engagés[lvi].
Le 10 septembre, donc, l’organisation
Human Rights Watch (Observatoire des
Droits de l’Homme) publie un rapport de
22 pages qui accuse le régime syrien
d’être à l’origine du tir à l’arme
chimique du 21 août : « En se basant
sur les preuves disponibles, Human
Rights Watch établit que les forces du
gouvernement syrien ont été presque
certainement responsables des attaques
du 21 août. » (page 7 du rapport)
Pour rendre ses conclusions,
l’organisation s’est appuyée sur les
observations d’un expert qui a examiné
les témoignages d’habitants, les signes
cliniques sur les victimes, et les
vidéos postées par les rebelles.
Comme le rapport des Nations Unies du
13 septembre et celui de l’ISTEAMS du 11
septembre, l’organisation est d’accord
sur les symptômes observés, les lieux
d’impact des roquettes et leur nature :
une roquette M14 dans la Ghouta ouest,
et 8 roquettes Grad de 330 mm dans la
Ghouta est. Les points de tirs sont
situés à de 4 à 7 km des zones touchées.
Les éléments qui pointent la
responsabilité du régime syrien sont :
1) l’échelle de l’attaque, deux zones
cibles distantes de 16 km, et le nombre
de roquettes: seul le régime syrien
serait capable d’une attaque d’une telle
ampleur. 2) des roquettes semblables à
celles tombées dans la Ghouta est ont
été filmées sur des vidéos de l’armée
syrienne, et l’opposition ne disposait
pas de telles armes. 3) la quantité de
gaz utilisée : seul le régime syrien
pouvait disposer d’une quantité aussi
importante de gaz sarin, et des moyens
techniques pour le manipuler sans
danger. 4) le fait que des roquettes
chimiques de type comparable ont déjà
été utilisées les mois précédents dans
des zones contrôlées par
« l’opposition » 5) le fait que les
zones touchées sont toutes contrôlées
par « l’opposition ».
On peut faire de nombreuses
objections à ce rapport, en anticipant
forcément sur certains des « documents »
ultérieurs que nous allons rapporter
ensuite : 1) HRW n’a pas mené d’enquête
de terrain. Dix témoins
ont été interrogés par skype mais
personne de l’organisation ne s’est
rendu sur place pour recueillir des
échantillons et interroger directement
les témoins. Ce n’est pas une objection
absolue, mais la différence est de
taille avec les enquêtes de l’ISTEAMS et
de l’ONU qui s’appuient sur des
observations directes. 2) les experts
contactés par HRW pour analyser les
vidéos n’ont repéré aucune des
nombreuses anomalies relevées dans le
rapport de l’ISTEAMS. 3) Les zones de
tir des roquettes (distantes de 4 à 10
km des points d’impact) sont
incompatibles avec les conclusions
ultérieures de l’estimation indépendante
de l’ONU, et du « rapport du MIT » de
Lloyd et Postol de janvier 2014, selon
lesquelles la portée maximale des
roquettes de 330 mm lancées sur la
Ghouta est ne peut excéder 2 km. 4) Ce
même rapport avance que la confection de
ces armes n’a rien d’une gageure et
l’obtention des grandes quantités de
sarin par des rebelles envisageable si,
comme le suggère Seymour Hersch dans un
article d’avril 2014, ils étaient
assistés par une puissance belligérante
comme la Turquie, ce qui est amplement
éclairé par le rapport des avocats turcs
de janvier 2014. 5) Que les zones
touchées soient exclusivement des zones
contrôlées par l’opposition n’est pas un
argument. Des forces de l’opposition
pouvaient tout à fait lancer ces armes
contre les zones contrôlées par elles,
pour ensuite accuser l’armée syrienne.
C’est le principe de l’opération sous
faux drapeau, dont il existe de nombreux
cas bien documentés pour le XXème siècle
et le début du XXIème siècle. Du reste
nous avons le précédent immédiat du
« massacre de Houla » du 25 mai 2012 qui
est une opération sous faux drapeau[lvii].
Des gens qui sont capables de la
manipulation de Houla sont tout à fait
capables d’une manipulation de plus
grande ampleur le 21 août 2013, et de
moindre ampleur les mois précédents 6)
Si des armes chimiques ont été utilisées
les mois précédents dans des
circonstances comparables, cela
n’implique pas obligatoirement une
responsabilité du « régime ». Dans son
rapport du 18 décembre, l’ONU conclura à
l’usage d’armes chimiques dans seulement
4 localités seulement, et dans 3 de ces
4 cas des soldats syriens ont été
touchés. 7) les forces rebelles, sans
exposé factuel sont exonérées de toute
responsabilité avec un argumentaire
minimal : « HRW a enquêté sur les
déclarations alternatives selon
lesquelles les forces de l’opposition
elles-mêmes étaient responsables des
attaques du 21 août, et est parvenue à
la conclusion que de telles déclarations
manquaient de crédibilité et étaient
incompatibles avec les preuves
constatées sur le terrain. »
(page 1 du rapport)
Tout n’est pas faux dans ce rapport
mais pour paraphraser ses rédacteurs, on
pourrait résumer ainsi ses conclusion : même
si elles leur sont antérieures,
les déclarations de HRW accusant les
autorités syriennes manquent de
crédibilité et sont incompatibles avec
les analyses autrement plus solides du
rapport de l’ONU du 13 septembre et du
18 décembre, de celui de l’ISTEAMS du 11
septembre, de celui de Mrs. Postol et
Lloyd et celui des avocats turcs
du 14 janvier 2014.
Le rapport de HRW a les apparences
d’un rapport de commande destiné à
conforter la propagande des
gouvernements de la zone OTAN impliqués
dans la déstabilisation de la Syrie aux
côtés des monarchies du Golfe, de la
Turquie et d’Israël.
C’est le lieu de préciser que Human
Rights Watch ne peut pas être considérée
comme une organisation véritablement
« indépendante », si l’on considère par
exemple qu’en 2010, le milliardaire
« philanthrope » George Soros s’est
engagé à verser à l’ONG, via sa
fondation l’ « Open Society » 100
millions de dollars sur dix ans[lviii].
Or George Soros est connu pour être
depuis une quinzaine d’années l’un des
acteurs majeurs de l’organisation des
« révolutions colorées » en Serbie en
2000, en Géorgie en 2003, en Ukraine en
2004, au Kirghizistan en 2005,
au Liban en 2005, en Tunisie et en
Égypte en 2011, qui avaient pour but de
remplacer des gouvernements en place non
en raison de leur non-respect des droits
de l’homme, mais parce qu’ils ne
défendaient pas assez les « intérêts
des États-Unis ». Ces révolutions
colorées ont été menées avec l’appui de
la CIA, comme l’expose un documentaire
de Manon Loizeau de 2005 intitulé « les
États-Unis à la conquête de l’ouest »[lix].
Un deuxième rapport de HRW
d’octobre 2013 sur les tueries des
villages des environs Lattaquie
En octobre 2013, Human Rights Watch
publie un nouveau rapport sur des
massacres et enlèvements commis en Syrie
le 4 août au sud-est de Lattaquié, soit
un peu moins de deux semaines avant le
tir à l’arme chimique dans la banlieue
de Damas. La connexion entre ce rapport
et l’affaire qui nous occupe ne saute
pas aux yeux mais il faut le résumer ici
pour trois raisons.
Après le cas de Khan el-Assal le 13
mars (attaque chimique) puis le 18
juillet 2013 (massacre), il s’agit d’un
nouveau massacre commis sans
contestation possible par des
« rebelles ». Son bilan terrible, la
barbarie des exécutions, la certitude
quant à l’identité des agresseurs,
aurait dû conduire à un relais massif
dans les grands médias, ce qui aurait
fatalement montré aux yeux de l’opinion
publique certains « rebelles » sous leur
vrai visage. Au contraire, ce rapport a
été complètement ignoré dans les grands
médias. Il a été pourtant été évoqué et
brandi par le directeur d’HRW France
lors d’une table ronde sur la guerre en
Syrie, à Blois, à mi-octobre 2013, en
présence de plusieurs journalistes bien
connus.
Ce rapport montre qu’une organisation
dont les rapports sont cités par les
grands médias quand ils accusent le
« régime » syrien peut produire des
rapports d’une tout autre facture qui
eux sont passés sous silence. C’est un
paradoxe, qui ne s’explique que par les
tensions et pressions qui s’exercent sur
ce genre d’ONG à dimension
internationale et richement financée,
qui doit conserver sa crédibilité dans
son travail sur le long terme mais est
susceptible d’être instrumentalisée pour
des coups comme le rapport du
13 septembre. Si l’on compare les deux
rapports, il saute aux yeux que le
premier représente une étude bâclée sans
fondements et remplie d’à peu près, et
le second le fruit d’une enquête menée
et exposée dans les règles de l’art.
L’étude de HRW sur le massacre des
villages des hauteurs au sud-est de
Lattaquié est beaucoup plus longue et
détaillée, s’appuie sur une étude de
terrain approfondie, renvoie à un grand
nombre de sources.
Ce rapport livre peut-être par
ailleurs une pièce cruciale du puzzle,
puisque certains des femmes et enfants
enlevés par la même occasion dans les
villages alaouites des environs de
Lattaquié le 4 août par des « rebelles »
sont les mêmes (les listes fournies dans
les rapports se recoupant), que ceux
répertoriés par le rapport de l’ISTEAMS
du 13 septembre 2013 : ces deux
rapports, produits par des entités
pouvant être qualifiés d’antagonistes au
vu de leurs soutiens (des financements
internationaux et largement
« occidentaux » pour HRW, et les
autorités syriennes pour l’ISTEAMS)
s’accordent sur le scénario de l’attaque
du 4 août, sur le nombre et l’identité
des victimes, de même que sur l’identité
des coupables.
Résumons maintenant ce que rapporte
HRW sur ce massacre au sud-est de
Lattaquié qui aurait été accompagné
d’enlèvement de femmes et d’enfants.
Vers 4 heures 30 du matin le 4 août
2014, un ensemble de villages alaouites
des hauteurs à quelques dizaines de
kilomètres au sud-est de Lattaquié sont
assaillis par des centaines de
combattants de l’opposition armée. Les
hommes armés s’attaquent d’abord à trois
postes de l’armée syrienne destinés à
protéger ces villages. Ces postes sont
rapidement submergés et 30 soldats
syriens trouvent la mort en les
défendant. Dans la foulée les groupes
armés se disséminent dans une dizaine de
villages alaouites dans lesquels ils
procèdent à des massacres et à un
enlèvement massif de civils sans
défense.
HRW a collecté les noms de 190
personnes assassinées, parmi lesquelles
57 femmes, 18 enfants, et 12 vieillards.
Dans certains cas, ils se sont contentés
de tuer tous les hommes et d’enlever
leurs femmes et leurs enfants, au nombre
de 200.
Les enquêteurs ont pu se rendre sur
place et enquêter sur ce massacre après
l’autorisation des autorités syriennes
qui lancent dès le lendemain une
opération de reconquête qui est achevée
le 18 août, au prix de 44 nouvelles
pertes pour l’armée syrienne.
Les inspecteurs de HRW ont ainsi pu
visiter cinq des villages attaqués et
recueillir sur place des témoignages et
des indices concordants sur la
culpabilité de « rebelles ». 200 vidéos
du massacre postées sur internet par
leurs soins ont pu être examinées. Un
officier du renseignement militaire
syrien déclare que les hommes armés
étaient équipés de fusils de précision à
lunette de visée, de mortiers, de
roquettes Grad, et de canons.
Cinq organisations sont en
particulier mises en avant : la brigade
Ahrar al-Sham, l’Etat Islamique en Irak
et au Levant (alias Daech), Jabhat
al-Nusra (lié à al Qaïda), Jaish
al-Muhajireen, et al-Ansar-Suquor
al-Izz.
Cette attaque coordonnée était prévue
depuis plusieurs semaines, a été lancée
depuis la Turquie, financée par de
riches particuliers d’états du Golfe.
La Turquie et les états du Golfe sont
mollement rappelés à leurs
responsabilités, les « rebelles » et les
autorités syriennes sont in fine
renvoyés dos-à-dos, mais tous les
éléments apportés par les auteurs du
rapport pointent avec un grand luxe de
détails et de sources la responsabilité
de milices « islamistes » dans le
massacre et les enlèvements.
Quant aux enlèvements, les détails
suivants sont donnés : au nombre de 200
ce sont essentiellement des femmes et
des enfants, dont une liste est donnée à
la page 102 du rapport. Le but de ces
enlèvements était de disposer d’une
monnaie d’échange pour obtenir la
libération de combattants « rebelles »
capturés et emprisonnés par les
autorités syriennes ; ceux-ci sont
d’ailleurs pour la plupart encore en
vie, comme en témoigneraient des vidéos
d’eux postées début septembre 2013 dans
lesquelles ils ont l’air bien portants.
On ne relève, comme signalé en
préambule, presque aucune recension de
ce rapport, à tout le moins du massacre,
dans les sites des médias de masse, si
l’on excepte celui du quotidien la Croix
dans un article intitulé « En Syrie
des dizaines de civils alaouites ont été
exécutés par des rebelles ». Son
auteur renvoie dans l’ensemble les deux
camps dos-à-dos, mais quant à la
responsabilité de ce massacre,
suit HRW dans ses conclusions
accablantes pour les « rebelles ».
Ce silence des médias de masse sur ce
rapport contraste avec le relais fourni
qui en a été fait sur des média
alternatifs comme upsyrianews.com[lx],
world socialiste web site[lxi],
Allainjules.com[lxii],
le Comité Valmy, le Salon Beige[lxiii],
la Plume à Gratter[lxiv],
michelcollon.info.
Il nous faut revenir sur un point
délicat : si les rapports de HRW et de
l’ISTEAMS s’accordent sur le scénario de
l’attaque du 21 août, ils ne s’entendent
pas sur le destin des femmes et enfants
pris en otages. HRW prétend qu’ils ont
été enlevés contre rançon et toujours
vivants, l’ISTEAMS qu’ils ont été
utilisés dans les alignements de
cadavres, après avoir été anesthésiés.
Rappelons un extrait de la conclusion
du rapport de l’ISTEAMS : « Nous
sommes en contact étroit avec les
survivants de ces horribles massacres
perpétrés le 4 août par Jobhat al Nosra
et ses alliés dans onze villages des
montagnes de Lattaquié. En tant que
comité de réconciliation nous sommes en
train d’essayer de libérer 150 femmes et
enfants afin de servir de monnaie
d’échanges contre des prisonniers. Nous
avons été contactés par certaines
familles de femmes et d’enfants enlevés.
Ils reconnaissent leurs proches sur les
vidéos publiées qui montrent les
prétendues victimes de l’attaque
chimique de la Ghouta est. »
Précisons également que HRW n’évoque
pas un instant dans son second rapport
l’hypothèse avancée par l’ISTEAMS, oubli
impensable un mois après la parution de
ce document fondamental, mais qui
s’explique si l’on se souvient des
conflits d’intérêt qui jettent le doute
sur l’indépendance ce cette
organisation : beaucoup plus solide que
le premier rapport, le second ne doit
pas pour autant être considéré comme
complet et entièrement conforme à la
vérité des faits, et il n’est pas
impossible qu’il ait été en partie
réalisé pour jeter le trouble sur le
rapport de l’ISTEAMS. Nous retiendrons
donc, sauf preuve du contraire, la
version des enfants enlevés à Lattaquié,
transportés à travers la Syrie,
anesthésiés ou ré-anesthésiés pour les
besoins des alignements spectaculaires
de « gazés ».
Il faut souligner enfin que les
déclarations des membres survivants des
familles ayant reconnu, selon ISTEAMS,
sur les vidéos du 21 août certains
enfants comme les leurs, pouvaient, à
partir de mi-septembre 2013, être assez
facilement soumises à vérification par
tout enquêteur en rentrant à nouveau en
contact avec ces survivants. Ce ne fut
pas fait par les enquêteurs de HRW. A
mi-octobre 2013, aux Rencontres
d’histoire à Blois, le directeur de HRW
France annonçant la publication tout
récente du rapport a reconnu qu’il
n’était pas au courant de ce point-clé
vérifiable, qui lui fut signalé alors :
« des enfants enlevés le 4 août ont été
reconnus sur les vidéos du 21 août
2013».
Le rapport de l’ONU du 18
décembre 2013[lxv]
Le rapport de la commission d’enquête
de l’ONU sur l’usage d’armes chimiques
en Syrie, dont les conclusions sont
rendues publiques le 18 décembre 2013
est intéressant pour plusieurs raisons.
Ce rapport, pour commencer, montre à
quoi peut ressembler une véritable
enquête. Les premières pages détaillent
les protocoles auxquels se sont
astreints les inspecteurs de l’OIAC
placés sous la direction de Ake
Sellström, pour considérer ou rejeter
les éléments apportés par les différents
gouvernements qui ont dénoncé l’usage
d’armes chimiques en Syrie entre octobre
2012 et août 2013. Il a fallu peu de
temps pour réunir l’équipe d’enquêteurs
et un peu plus pour la mettre à pied
d’œuvre : Ake Sellström est nommé le 26
mars, son équipe constituée le 2 mai, le
premier voyage à Damas a lieu le 25
juillet, l’équipe est au complet à Damas
le 18 août. Ils ont à faire la lumière
sur une vingtaine de cas d’usage d’armes
chimiques, dont trois qu’ils n’avaient
pas prévu. Ce « temps d’enquête »
contraste avec la rapidité avec laquelle
certains états comme le français, le
britannique, le turc,
l’états-unien, ou l’israélien, ont porté
des accusations avec des preuves
douteuses.
Entre octobre 2012 et août 2013, ce
ne sont pas moins de 17 accusations qui
ont été transmises à l’ONU par la Syrie,
les États-Unis, le Royaume Uni, ou la
France. Il est remarquable que presque
tous les dossiers transmis par les pays
occidentaux ont été rejetés comme trop
peu étayés ou invérifiables, tandis que
la plupart des dossiers transmis par la
Syrie ont été considérés comme crédibles
et ont abouti à une confirmation de la
part de l’équipe d’enquêteurs. Sur les
17 cas proposés, 11 ont été rejetés, et
4 des 5 proposés par la Syrie ont été
retenus finalement comme des cas d’usage
avéré d’armes chimiques.
Dans trois de ces quatre cas, on
compte des soldats de l’armée syrienne
parmi les victimes. Dans aucun des cas
retenus par les enquêteurs n’est recensé
de « rebelles » victimes d’attaques
chimiques.
L’utilisation d’armes chimiques est
en particulier confirmée à Khan el Assal
le 19 mars et dans la Ghouta le 21 août.
Deux des attaques confirmées se sont
produites dans les jours suivants
l’attaque du 21 août et dans ces deux
cas des soldats syriens ont été touchés.
Aucune responsabilité n’est pointée
car il n’entre pas dans les prérogatives
de la commission d’établir des
responsabilités, mais seulement
d’établir si oui ou non il y a eu usage
d’armes chimiques, et qui en a été
victime. Cela peut-être parce que
l’établissement des responsabilités,
demandé expressément par le gouvernement
syrien, avait été refusé par M. Ban Ki
Moon après consultation des États-Unis,
des Britanniques et des Français via
leurs ambassadeurs à l’ONU.
La somme d’éléments dévoilés par le
rapport confirme qu’il a été fait usage
d’armes chimiques en Syrie, et suggère
qu’il n’existe pas d’élément suffisant
permettant de conclure à une culpabilité
du régime syrien et à un usage
systématique d’armes chimiques par ce
dernier.
Le « rapport du MIT[lxvi] »
du 14 janvier 2014
Le 14 janvier 2014, Theodore Postol,
professeur et expert en sécurité
nationale, en science, technologie, et
société au Massachusets Institute of
Technology (MIT), université de grand
renom dont sont sortis de nombreux prix
Nobel, et Richard Lloyd, ancien
inspecteur de l’ONU qui a travaillé pour
des grands groupes privés d’armement
comme Raytheon, font paraître une étude[lxvii]
remettant en cause les conclusions des
services de renseignement états-uniens
présentées le 30 août pour incriminer le
régime syrien dans l’attaque chimique de
la Ghouta. Dans cette étude les auteurs
établissent que :
« Les munitions chimiques
artisanales utilisées le 21 août, lors
de l’attaque à l’agent neurotoxique ont
une portée de 2 km.
« L’évaluation indépendante des
Nations Unies de la portée des munitions
chimiques concorde parfaitement avec nos
résultats.
« Cela indique que ces munitions
ne peuvent pas avoir été tirées sur la
Ghouta Est depuis le « cœur », ou la
frontière orientale de la partie de
Damas contrôlée par le
gouvernement syrien, telle que délimitée
par la carte des services de
renseignement utilisée par la Maison
Blanche le 30 août 2013.
« Cette information erronée
aurait pu nous mener à une action
militaire états-unienne injustifiée
basée sur de fausses informations.
« Un examen correct du fait que
les munitions étaient d’une portée aussi
réduite nous aurait menés à une
évaluation complètement différente de la
situation à partir des données
collectées.
« Quelles que soient les raisons
de ces énormes erreurs commises par les
services de renseignement, la source de
ces erreurs doit trouver des
explications.
« Si la source de ces erreurs
n’est pas identifiée, les procédures qui
ont mené à cette faillite du
renseignement demeureront inchangées, et
les probabilités d’un futur désastre
politique s’accroîtront certainement.»
Carte produite par les auteurs
en page 9 de leur rapport
Comme dans le rapport présenté par
les autorités états-uniennes, les zones
de lancement de roquettes sont situées à
9/10 km des points d’impact (cette
analyse vaut pour les 4/7 km avancés par
HRW), et comme l’armée syrienne, si l’on
se fie à la série de cartes explicatives
contenues dans le rapport, aurait dû,
pour atteindre chacune des cibles,
s’approcher à l’extrême limite de la
portée autorisée par de telles
roquettes, la suspicion est jetée sur
l’interprétation qui a été faite de
l’événement par les services de
renseignement états-uniens.
Les extraits de munitions collectés
sur le terrain (pour la Ghouta est)
montrent qu’il s’agit de roquettes
« Grad » modifiées pour être équipées
chacune d’une charge chimique d’environ
50 litres. Les roquettes ne sont pas
très endommagées car la charge explosive
a été réduite, afin de favoriser une
diffusion efficace de l’agent chimique.
Ces roquettes de fabrication russe sont
de technologie ancienne[lxviii]
et largement répandues. Contrairement à
ce qu’affirmait John Kerry le 30 août,
des groupes armés isolés pouvaient tout
à fait confectionner et assembler de
telles armes, qui au demeurant n’ont pas
été déclarés par les autorités syriennes
à l’OIAC.
Et si ces groupes armés étaient
assistés par les services de
renseignement de pays maîtrisant ces
technologies (au moins dans la formation
des artificiers), c’était évidemment
encore plus faisable. C’est peut-être ce
qui s’est passé, comme nous allons le
voir en prenant connaissance du rapport
des avocats turcs du 14 janvier 2014
(même date), et de deux articles de
Seymour Hersch, publiés le 19 décembre
2013 et le 17 avril 2014.
Le traitement médiatique qui a été
fait du « rapport du MIT » en France est
minimal. Sur la toile nous n’avons
relevé qu’une recension, sur le site du
Point, par Armin Arefi. La
première phrase de son article : «
L’incident est passé relativement
inaperçu » résume bien la chose,
même si « complètement » aurait
mieux convenu. Et peut-être n’aurait-il
pas été évoqué du tout si lors d’un des
mardis de l’ESSEC (4 février 2014)
auquel le ministre des affaires
étrangères Laurent Fabius était invité,
un journaliste de l’Agence Info Libre ne
l’avait pas interpellé de la sorte[lxix] :
« La France s’est illustrée par son
empressement à condamner cette attaque
et à l’attribuer à Bachar el-Assad.
Aujourd’hui, c’était le 14 janvier 2014,
une étude du MIT menée par M. Lloyd et
M. Postol affirme que Bachar el-Assad
n’était pas à l’origine de cette attaque
chimique. Est-ce que ici, aujourd’hui
devant cette assemblée, vous pourriez
reconnaître que vous vous êtes trompé
sur cette situation et présenter vos
excuses » A quoi le ministre avait
répondu : « Certainement pas (rires
dans la salle)… M. Fabius n’est pas en
cause. Il y a eu une enquête des Nations
Unies, qui a diligenté beaucoup
d’experts, qui ont établi de la façon la
plus ferme qu’il y avait eu un massacre
chimique, et que ce massacre chimique
trouvait son origine dans les rangs du
régime. Mais il y a toujours des gens
pour contester l’évidence.
Malheureusement l’évidence est
absolument incontestable, et les mêmes
personnes, en l’occurrence M. Bachar
el-Assad, qui niaient deux jours avant
qu’ils possèdent des armes chimiques ont
été obligés de reconnaître qu’ils en
possédaient et qu’ils les avaient
utilisées. Faites attention, monsieur,
il faut bien sûr toujours être très
méticuleux sur les preuves, mais
quand on est en face d’un criminel, il
faut dire que c’est un criminel. »
Ce bref échange, qui a beaucoup
circulé sur internet et poussé de trop
rares journalistes à évoquer le
« rapport du MIT », est intéressant à
deux titres.
1) M. Fabius formule en un rien de
temps trois mensonges flagrants : 1) le
rapport de l’ONU n’accuse aucune des
parties belligérantes ; 2) la Syrie n’a
jamais nié qu’elle disposait d’un
arsenal chimique ; 3) le président
el-Assad n’a jamais dit ou reconnu y
avoir déjà eu recours.
2) M. Fabius est la seule
personnalité de stature internationale à
avoir osé remettre en cause
(indirectement en fait puisqu’il ne
répond pas à la question du journaliste,
notez au passage comment il commence par
parler de lui à la troisième personne)
un rapport co-rédigé par un professeur
travaillant dans l’une des universités
les plus renommées du monde.
Ce n’est pas la première fois que
l’on peut constater ce genre de mensonge
politique et de silence médiatique
depuis quatre ans. Chaque fois qu’un
élément vient gripper ou réduire à néant
l’harmonie de la légende de
l’ignoble-dictateur-qui-massacre-son-propre-peuple,
il est ignoré ou diffamé.
Le rapport des « avocats turcs pour la
justice » du 14 janvier 2014
Le 14 janvier 2014, un
groupe de 45 avocats et intellectuels
turcs publient un rapport dénonçant
« les crimes contre l’humanité »
commis en Syrie, et pointant directement
la responsabilité de « l’opposition
armée » dans ces atrocités. Ces
conclusions s’appuient sur une somme de
faits détaillés. La majeure partie du
rapport dresse l’historique de ces
violences commises en Syrie depuis le
début des événements, et une partie
spécifique est consacrée à l’attaque à
l’arme chimique du 21 août 2013 dont est
donnée une version assez détaillée.
Dans ce résumé nous nous concentrons
sur l’affaire des armes chimiques, mais
il est impossible de ne pas commencer
par énumérer sommairement les faits
généraux accablants pour l’opposition
armée parmi les plus importants relevés
et documentés par les auteurs du
rapport. Je renvoie pour les détails et
les sources à la version intégrale du
rapport consultable sur internet[lxx].
Les auteurs pointent la spécificité
des événements de Syrie qui réside en ce
que d’habitude il faut des années avant
de disposer de suffisamment d’éléments
pour étayer l’accusation de complot,
alors que dans ce cas on dispose d’une
pléthore, et pour ainsi dire en temps
réel.
Ils produisent des éléments indiquant
que les manifestations pacifiques
étaient dès le début des événements, en
mars 2011, accompagnées d’exactions de
la part de groupes armés contre des
civils, des fonctionnaires, et des
militaires de l’armée régulière. Ils
donnent de nombreux exemples, attirant
en particulier l’attention sur
l’exécution de 120 militaires syriens
lors de la prise de la caserne de Jisr
ech Choughour le 6 juin 2011, qualifiée
de « tournant ».
L’opposition armée est répartie en
différentes « brigades » en
fonction de leur pays pourvoyeur et de
leur enracinement géographique.
Certaines brigades sont composées de
mercenaires syriens de confession
sunnite, d’autres de combattants
étrangers. Toutes ces brigades, sans
exception, y compris ce qu’on appelle
« l’Armée Syrienne Libre », qu’il est
impossible de distinguer des milices à
coloration « islamiste » comme le Front
al Nosra, se sont rendues coupables de
crimes contre l’humanité.
« Dans l’éventail des crimes de guerre
répertoriés par le Statut de Rome,
presque tous les crimes suivants ont été
perpétrés par les groupes armés et les
gens qui se battent contre l’état syrien
et les populations: assassinats,
traitements inhumains, torture,
traitement humiliant et dégradant
d’individus, prises d’otages, jugements
et exécutions en dehors de toute
procédure légale, attaques contre les
civils, attaques contre des bâtiments,
du matériel, des unités médicales et de
transport, et des personnels portant les
emblèmes distinctifs des conventions de
Genève, attaques dirigées contre des
personnels, des installations, du
matériel, des unités ou des véhicules
impliqués dans l’assistance humanitaire
et les missions de maintien de la paix,
pillages de villes ou de localités,
viols, enrôlement d’enfants soldats,
déplacements de populations civiles,
déclarations qu’aucun quartier ne sera
fait, soumission d’individus à des
mutilations physiques (…), destruction
ou rapine de la propriété d’un
adversaire ». On doit ajouter à
cette liste la destruction, le pillage
ou la dégradation volontaire de sites
antiques, historiques, et religieux
Dans le point suivant (2.1.2),
les auteurs du rapport donnent de
nombreux exemples documentés de ces
exactions.
Ces brigades sont soutenues par des
états comme la Turquie, Israël, le
Qatar, l’Arabie Saoudite, qui leur
apportent hébergement, soins médicaux,
et soutien logistique et financier. Le
rapport insiste en particulier sur le
rôle crucial de la Turquie, par laquelle
transite l’essentiel des armes et des
combattants armés, dont certains ont été
transférés depuis la Libye après la
chute de Mouammar Kadhafi. « Il est
possible d’exposer des milliers
d’exemples concernant le lien entre
l’administration AKP (le parti au
pouvoir) et les groupes armés pendant
trois années. »
Les auteurs rapportent des
déclarations non ambiguës d’officiels
étatsuniens et turcs montrant que la
déstabilisation de la Syrie était prévue
depuis des années[lxxi].
Passons à l’attaque chimique du 21
août 2013.
Première remarque à faire,
soulignent les auteurs : « le
soutien de la Turquie aux groupes armés
n’est pas un secret dans les relations
internationales. Dans la lettre
approuvée par les Russes présentée au
président Obama et signée par 12 agents
secrets à la retraite, parmi lesquels
l’ancien chef d’opérations de la CIA
Patrick Giraldi, et l’ancien cadre de la
NSA Thomas Drake, [on peut lire] :
« Nous avons été informés que les 13-14
août 2013, les forces de l’opposition
(…) ont entamé des préparatifs à grande
échelle en Turquie en vue d’une
opération militaire majeure non
conventionnelle. Les discussions entre
les commandants exécutifs militaires des
opposants et les spécialistes du
renseignement du Qatar, de la Turquie,
et des États-Unis ont été menées dans
une base militaire localisée à Antakya
(sud de la province du Hatay) qui
appartenait auparavant à l’armée turque
et qui à présent est utilisée par l’ASL
et ses soutiens comme centre de
commandement. »
Signalons que cette information a
été publiée sous forme de lettre ouverte
à John Kerry et Sergueï Lavrov le 6
septembre 2013 par une association des
Veteran Intelligence Professionals for
Sanity (VIPS)[lxxii].
Les auteurs du rapport donnent des
éléments précis quoique parcellaires
concernant l’organisation de
l’opération : en confirmation des
preuves fournies par les Russes, les
missiles chimiques auraient été tirées
depuis une zone contrôlée par la brigade
« Liwa el Islam ».
Preuve de cette responsabilité de
la brigade « Liwa al Islam » : « le
15 septembre 2013, trois militants sont
tués par des peshmergas du gouvernement
régional du Kurdistan irakien. Sur leurs
téléphones portables on trouve des
images de la préparation d’une attaque
nommée « Opération Grand Froid ». La
bannière de « Liwa el Islam » apparaît
sur les armes tandis que des hommes de
l’organisation sont équipés de masques à
gaz », ce qui a permis au ministre
russe des affaires étrangères Sergueï
Lavrov de faire le commentaire suivant :
« Les opposants mettent sur internet
montrant qu’ils se préparent. Nous
disposons de preuves montrant qu’il
s’agit d’un scénario qui a été planifié
à l’avance. »
Concernant la partie logistique de
l’opération, les avocats turcs avancent
que « lors de l’opération de police
organisée contre les membres du front al
Nosra liés à al Qaida à Adana en mai
2013, des substances chimiques
nécessaires à la composition de gaz
sarin ont été saisies. L’acte
d’accusation avancé par le bureau du
procureur d’Adana mentionne que Heyssam
Kassab, né à Homs en Syrie, a créé un
vaste réseau en Turquie en vue de se
procurer les matériaux nécessaires à la
production d’armes chimiques. Plus
encore, Heyssam Kassab a avoué au bureau
du procureur qu’il n’était pas membre
d’al Qaida mais de Liwa el Islam. »
« La brigade Liwa el Islam est dirigée
par Zahran Allouch, d’origine saoudienne
et connu pour ses proches relations avec
le prince Bandar Ben Sultan, chef des
services de renseignement saoudiens. »
« Lors de son audition, Kassab a avoué
que l’ASL cherchait à se procurer des
matériaux chimiques, sans donner plus de
détails. Inexplicablement, l’homme a été
relâché après sa première audition, avec
le droit de quitter la Turquie. »
Par ailleurs « ce sont des
hommes de Liwa el Islam qui ont permis
aux enquêteurs de l’ONU d’accéder aux
zones touchées par les missiles dans la
Ghouta est. »
Les avocats turcs soulignent que ce
cas exemplaire indique, en plus de
nombreux autres énumérés et détaillés,
une complicité du pouvoir et des
autorités judiciaires turques au plus
haut niveau, le premier ministre Recep
Tayyip Erdogan étant souvent cité dans
ce genre de contexte, lesquels en
conséquence devraient être considérés
avec les terroristes comme coupables des
innombrables crimes contre l’humanité
commis en Syrie depuis le début des
événements, et poursuivis en tant que
tels (accusation formelle des auteurs p
32).
Malgré la qualité et le nombre
des auteurs du rapport, malgré la
précision des détails et des sources
fournies, ce rapport a été complètement
ignoré par les médias français, qui n’y
ont pas consacré une ligne.
Sur la toile je n’ai relevé qu’un
seul compte-rendu de ce rapport
accablant pour l’opposition armée en
Syrie : sur le site du Parti Communiste
Français. Ce compte-rendu a été relayé
par des sites alternatifs comme
legrandsoir.info, ilfattoquottidiano,
centpapiers.com, partiantisioniste.com,
michelcollon.info. Bref, nous retombons
dans le schéma classique du traitement
des événements de Syrie par les médias
français.
8 décembre 2013 : un article
de Seymour Hersch
Deux articles de Seymour Hersch
publiés en septembre 2013 et en avril
2014 pointent une connaissance précédant
de l’usage d’armes chimiques et une
complicité de la Turquie dans cette
opération.
Comme le MIT, le journaliste Seymour
Hersch, prix Pulitzer 1970, et
spécialiste des questions de
renseignement, est ce qu’on appelle une
autorité.
Seymour Hersch s’est entretenu avec
des officiers du renseignement et
militaires en exercice et à la retraite,
qui remettent en cause les éléments
présentés par la Maison Blanche comme
des preuves crédibles et voient dans
cette affaire d’armes chimiques une
vaste manipulation. Ils trouvent étrange
que les morning reports[lxxiii],
du 20 au 23 août ne contiennent presque
rien sur la Syrie, et rien du tout sur
l’attaque chimique ; la Maison Blanche
aurait été sous informée pendant cette
séquence cruciale.
Résumé de l’article
Un système de capteurs secrets à
l’intérieur de la Syrie a été installé
pour contrôler les sites d’armes
chimiques. Ces capteurs ont été
installés à proximité de tous les sites.
Ces « capteurs sont suivis par
le National Reconnaissance Office (NRO)
qui contrôle tous les satellites de
renseignement américains en orbite ».
Ces capteurs peuvent alerter les
États-Unis et Israël si des ogives
contenant du sarin sont utilisées.
Alerte d’autant plus efficace que
lorsqu’une bombe au sarin est assemblée,
elle doit être lancée au plus tard 3
jours après remplissage de la munition.
Ces capteurs n’ont rien relevé d’anormal
dans les jours précédant l’attaque du 21
août.
Pour constituer le dossier du 30
août, il a été demandé à la NSA
d’éplucher d’énormes quantités d’écoutes
téléphoniques recueillies sur le sol
syrien afin de recueillir, de manière
rétroactive, des échanges
compromettants. « Le tri
sélectif des données était similaire à
la procédure utilisée pour justifier la
guerre en Irak », et n’a pas donné
de résultats très convaincants.
En fait toutes les informations qui
ont servi à étayer l’accusation
états-unienne n’ont pas été collectées
avant ou pendant les événements, mais
par la suite.
Les inspecteurs de l’ONU n’ayant pu
accéder aux « scènes du crime », et sous
contrôle des « rebelles », que 5 jours
après le tir, le rapport du 16 septembre
avertit : « Comme pour d’autres
sites, ces sites ont été largement
fréquentés par d’autres personnes avant
l’arrivée de la mission … Pendant notre
séjour, des individus sont arrivés en
transportant d’autres munitions
suspectes, ce qui indique que ces
éléments de preuve potentiels sont en
train d’être déplacés et peut-être
manipulés. »
En examinant les photographies de
l’ONU, le professeur Theodore Postol a
établi que les roquettes étaient de
facture artisanale, n’étaient pas
répertoriées dans l’arsenal chimique
syrien, et ne portaient pas au-delà de
deux kilomètres.
Hersch, s’appuyant sur des sources du
monde du renseignement rapporte que les
services secrets avaient lancé des
avertissements les mois précédant le 21
août sur l’emploi d’armes chimiques par
les combattants du front al Nosra.
Ironie de l’histoire, « après la
destruction du stock d’agents chimiques
d’Assad, al-Nosra et ses alliés
islamistes pourraient se retrouver comme
la seule faction à l’intérieur de la
Syrie capable de fabriquer du sarin, une
arme stratégique différente de toute
autre dans la zone de guerre. »
Indice du caractère brûlant de ces
révélations, le journal New Yorker qui
avait commandé cet article, l’a
finalement refusé, de même qu’ensuite le
Washington Post, le rédacteur en chef de
ce quotidien Marty Baron arguant que « le
sourçage de l’article ne correspondait
pas aux exigences du Washington Post »
Cet article est finalement paru dans la
London Review of Books.
Ces révélations ont été relayées dans
les médias français, quoique sous un
jour essentiellement critique, et
n’entrant que très peu dans le détail de
ce très long article. Les journalistes
rappellent la frilosité de la presse
états-unienne à le publier. Ils évoquent
la réaction des autorités états-uniennes
qui démentent vigoureusement. Si
certains en font un compte-rendu
équilibré comme Philippe Bernard dans le
Monde du 9 décembre[lxxiv],
d’autres n’hésitent pas à faire les
amalgames classiques. Pour Thomas
Pierret, dans un article publié sur
Médiapart le 10 décembre[lxxv],
Hersch « applique scrupuleusement
les canons argumentatifs de la
littérature révisionniste en matière de
crime de masse ». En termes de
méthode, cela consiste à
« camoufler, sous un foisonnement
d’informations sans rapport direct avec
la thèse révisionniste, le fait
qu’absolument rien ne vient étayer cette
dernière. » L’auteur ne fournit
aucun argument à l’appui de ces
insinuations.
Si la couverture médiatique est
plutôt critique ou molle, nous avons eu
l’agréable et trop rare surprise de
tomber sur un article de Martine Grosman
pour Marianne le 9 décembre[lxxvi],
animé pour une fois d’un ton
radicalement différent. Elle ouvre son
article sur cette phrase choc « Le
camp du bien contre le camp du mal dans
la tragédie syrienne ? Cela fait
longtemps que la réalité a balayé cette
thèse lénifiante. » Les conclusions
auxquelles est parvenu Hersch sont «
non seulement plausibles, mais presque
tardives ». La journaliste ajoute
ironiquement: « des rapports
alarmants sur les massacres de civils
commis par les preux révoltés étaient
déjà sortis dans les ONG et la première
mention du gaz sarin aux mains d’Al
Nosra remonte à la fin 2012 ! ».
Les critiques émises envers les
révélations de Seymour Hersch portent à
chaque fois sur le même point : le
journaliste ne nomme pas ses
informateurs et se base sur des rapports
secrets qu’il semble le seul à
connaître. L’objection serait
parfaitement légitime si l’auteur était
un inconnu, or Seymour Hersch a fait ses
preuves sur des dossiers très sensibles[lxxvii]
et on ne peut pas balayer ses
révélations d’un revers de main.
Si l’on est fondé à formuler des
critiques envers les méthodes de Hersch,
en particulier sur l’opacité de ses
sources, il est anormal que ses
révélations aient eu si peu d’écho dans
les médias, et inconcevable de le
traiter avec un mépris aussi profond
comme l’ont fait certains journalistes.
De nouveau nous tombons sur le schéma
classique du traitement médiatique du
drame syrien en France.
Le second article de Seymour
Hersch du 4 avril 2014
Le cas du second article publié par
Hersch le 4 avril 2014, article qui
complète celui de décembre, est encore
plus révélateur de ce point de vue.
Intitulé « the red line and the rat
line » (la ligne du rat et la ligne
rouge), il est encore publié dans la
London Review of Books. Commençons par
le résumer :
Le président Obama aurait reculé in
extremis devant une opération de frappes
ciblées, en réponse au tir à l’arme
chimique du 21 août 2013, en raison de
dissensions profondes entre des membres
de son administration et des chefs
militaires. Les premiers insistaient
pour punir ce franchissement de la « ligne rouge »
des armes chimiques, les seconds
estimaient qu’une campagne de frappes
était à la fois injustifiée et
potentiellement désastreuse. Le
laboratoire de la défense anglais de
Porton Down, en examinant des
échantillons de sarin recueillis à la
Ghouta, a établi que la composition du
sarin n’était pas de même nature que
celui fabriqué par les autorités
syriennes. Les services anglais auraient
transmis ces analyses à leurs collègues
états-uniens en les mettant en garde
contre une manipulation.
Obama aurait été finalement convaincu
par les chefs militaires, et c’est la
raison pour laquelle il aurait décidé de
soumettre la question d’une campagne
militaire en Syrie au vote du Congrès.
Ainsi il ne porterait pas seul la faute
d’un « mensonge à l’irakienne »
supplémentaire, que les députés avaient
bien à l’esprit lorsqu’ils votèrent
contre le 30 septembre. Du reste, le
plan B consistant à obliger la Syrie à
démanteler son stock d’armes chimiques,
avait été discuté avec les Russes à
l’été 2012.
Hersch rappelle les informations des
services secrets mettant en garde contre
l’usage de sarin par le front al Nosra.
En mai 2013, dix membres de
l’organisation avaient été arrêtés à la
frontière turque avec deux kilos de
sarin. « Dans un acte d’accusation
de 130 pages, le groupe a été accusé
d’avoir tenté d’acheter des détonateurs,
des tubes pour la construction de
mortiers, et des composants chimiques
pour le sarin. »
Il révèle aussi les liens entre
l’organisation terroriste et l’état
turc. « Le Premier ministre Recep
Erdogan était connu pour son soutien à
al-Nosra, une faction djihadiste de
l’opposition rebelle, ainsi qu’à
d’autres groupes rebelles islamistes. »
Le journaliste évoque l’existence
d’une « ligne de rat » (rat line). La « ligne
de rat » désigne un circuit de
transit d’armes pour équiper les groupes
armés en Syrie. Les armes seraient
pillées dans les arsenaux de Kadhafi,
transférées en Turquie, et passées de
l’autre côté de la frontière syrienne
pour pourvoir les mercenaires. Selon les
termes de l’accord, le financement
serait assuré par la Turquie, ainsi que
l’Arabie saoudite et le Qatar ; la CIA,
avec le soutien du MI6, était chargée du
transfert des armes de l’arsenal de la
Libye vers la Syrie. » L’opération était
dirigée par le directeur de la CIA David
Petraeus.
Les États-Unis auraient interrompu ce
trafic après l’attaque, en septembre
2012, du consulat de Libye à Benghazi,
qui lui servait de couverture. Cette
interruption était également motivée par
le fait que les « rebelles » en Syrie
semblaient en train de perdre la guerre.
Ce retrait états-unien a suscité la
colère de son allié turc, dont la
perspective de faire de la Syrie un état
client s’éloignait. C’est à partir de là
que la Turquie aurait commencé à
collaborer avec le Front al Nosra pour
fabriquer des armes chimiques.
« L’espoir d’Erdogan était de susciter
un événement qui obligerait les
États-Unis à franchir la ligne rouge.
Mais Obama n’a pas réagi en mars et
avril » soutient l’ancien
responsable du renseignement qui a donné
à Hersch l’essentiel de la matière de ce
second article.
L’attaque chimique du 21 août 2013
aurait ainsi été une opération sous faux
drapeau organisé par des gens du premier
ministre Erdogan en collaboration avec
des gens du front al Nosra.
Que ces nouvelles révélations soient
pertinentes ou erronées, on aurait aimé
connaître le point de vue des autorités
et des médias français sur ce couple
d’articles longs et fourmillant de
détails écrits par une autorité aussi
respectée que Seymour Hersch.
Malheureusement, comme le rapport de
l’ISTEAMS, « du MIT », ou des avocats
turcs, ce long article n’a pas suscité
en France la polémique qu’on était en
droit d’attendre.
Quand on tape les mots clés sur un
moteur de recherche, on ne trouve que
peu de recension de cet article dans les
médias. L’argumentation de Hersch est
pourtant tout aussi fouillée et
développée que celle de décembre, et lui
donne a posteriori, en parallèle avec le
rapport des avocats turcs, plus de
solidité et de cohérence. Les graves
accusations portées contre la Turquie
auraient certainement mérité un débat,
d’autant que de nombreux autres
observateurs ont pointé le rôle majeur
et précoce de ce pays dans la
déstabilisation de la Syrie[lxxviii].
Les gouvernements états-unien et turc
ont officiellement et vigoureusement
démenti ces révélations de Seymour
Hersch, indice qu’ils ne les prenaient
pas à la légère.
Les États-Unis montent les premiers
au créneau par la voix du porte-parole
du Conseil de Sécurité Nationale Caitlin
Hayden : « Nous avons lu la dernière
histoire de M. Hersch, qui est
exclusivement basée sur des
sources anonymes et qui aboutit à des
conclusions sur l’attaque à l’arme
chimique du 21 août en Syrie
complètement dénuées de fondement »,
le porte-parole de l’Office of the
Director of National Intelligence (ODNI[lxxix])
Shawn Turner déclarant quant à lui : « Nous
n’allons pas commenter chacun des
aspects non pertinents de ce récit, mais
pour être clair : le régime d’el-Assad,
et seulement le régime d’el-Assad, peut
avoir été responsable de l’attaque
chimique qui a eu lieu le 21 août. Nous
sommes arrivés à cette conclusion en
nous appuyant sur des informations
collectées par les États-Unis et par nos
partenaires et alliés. C’est un point de
vue qui est partagé de manière écrasante
par la communauté internationale et qui
a mené à la coopération sans précédent
dans le démantèlement des stocks d’armes
chimiques d’el-Assad. La suggestion
qu’il y ait eu une tentative de
supprimer ou d’altérer des informations
des services de renseignement est
simplement fausse. De même, l’idée que
les États-Unis transféraient des armes
depuis la Libye est fausse. »[lxxx]
Ces vigoureux démentis n’entrent dans
aucun des nombreux détails de l’article.
Le lendemain le vice premier ministre
Bülent Arinç, également porte-parole du
gouvernement turc, qualifie le travail
de Hersch de « mensonge et de
diffamation intégraux ». S’appuyant
sur les déclarations états-uniennes de
la veille, il critique la méthodologie
de Hersch dans les mêmes termes et
reprend les accusations de la Maison
Blanche contre la Syrie, qui pour elle
est la seule responsable possible.
Complètement ignoré dans les médias
de masse, ce deuxième article de Hersch
a été en revanche très relayé et/ou
commenté par des médias alternatifs
comme le grandsoir.info[lxxxi],
Silviacattori.net, mondialisation.ca[lxxxii],
World Socialist Website[lxxxiii],
ilfattoquotidiano[lxxxiv],
reseauinternational.net[lxxxv],
french.irib[lxxxvi],
le Cercle des Volontaires,
AllainJules.com, mai68/org[lxxxvii],
solidariteetprogres.com[lxxxviii].
Certains l’ont même traduit en entier
pour le mettre à la disposition des
lecteurs francophones, effort louable
qu’aucun grand média n’a jugé utile de
fournir.
Conclusion de la seconde
partie
Nous en avons terminé avec le
parcours des documents fondamentaux
ignorés ou déformés par les médias et
les politiques français. Ce traitement
est cohérent avec celui de tous les
éléments pouvant remettre en cause le
récit officiel de
« l’infâme-dictateur-qui-massacre-son-propre-peuple »
martelé dans les médias depuis le début
des événements en mars 2011. L’intention
de censure de cette constellation de
documents est d’autant plus manifeste
que ces documents sont pour la plupart
longs, détaillés et réalisés pour
certains par des équipes (rapport de
l’ONU, rapport des avocats turcs,
rapport « du MIT », rapport de
l’ISTEAMS, second rapport de HRW).
Le sérieux, la sobriété, et le souci
du détail de ces différents documents
contraste de façon flagrante avec
l’hystérie haineuse et la pauvreté
argumentaire des médias et des
politiques français dans les 15 jours
suivant l’attaque 21 août, jusqu’au
« tournant » du 9 septembre.
Tentons d’esquisser une histoire
possible de la façon dont s’est
réellement déroulée l’attaque à l’arme
chimique du 21 août 2013, en réunissant
les éléments épars exposés de façon
détaillée dans ces différents documents
« Le 4 août 2013, plusieurs centaines
de combattants de divers brigades
« islamistes » coalisées pour
l’occasion, investissent des villages
alaouites dans les environs de
Lattaquié. Après avoir pris trois postes
de l’armée syrienne, ils massacrent
certains habitants, et kidnappent 200
femmes et des enfants. Ces enfants sont
déplacés ensuite par les divers voies et
moyens possibles vers la Ghouta de
Damas. Dans la nuit du 21 août, 11
roquettes chargés de gaz sarin sont
tirées par des membres de la brigade
Liwa el-Islam dans une zone qui est sous
leur contrôle. Ces roquettes, avec
leurs composants, leur ont été procurées
par des réseaux turcs dont les liens
avec le Front al Nosra et les
« rebelles » armés à l’œuvre en Syrie
sont bien documentés. Pour donner un
caractère encore plus spectaculaire à
l’opération, ils ont anesthésié ou gazé
à part des dizaines de femmes et
d’enfants enlevés début août près de
Lattaquié, qui étaient indispensables
pour réaliser rapidement les
impressionnants assemblages de cadavres
diffusés le jour-même sur internet, avec
d’autres vidéos horribles d’agonisants,
par les « rebelles » de cette zone. Les
médias et les politiques des pays « amis
de la Syrie », sentant qu’ils avaient là
enfin un casus belli en béton armé, ont
accusé aussitôt avant toute enquête et
avec les mots les plus durs le
« régime » syrien, demandant une
intervention internationale au besoin en
dehors du cadre de l’ONU. Persuadés
qu’il s’agissait là de nouveau d’une
manipulation visant à faire accepter la
nécessité de la guerre, ne différant
finalement que par son ampleur avec des
événements comme le « massacre de
Houla » du 25 mai 2012, des pays comme
la Russie et la Chine se sont déclarés
encore une fois hostiles à toute
intervention sous chapitre VII de l’ONU.
Les « amis de la Syrie » seraient passés
dans tous les cas à l’action, mais un
incident militaire encore peu documenté,
sans doute le tir d’un missile
balistique depuis une base de l’OTAN
vers la Syrie pour tester son système de
défense, amène ce groupe de pays à
finalement reculer au dernier moment.
L’acceptation par la Syrie du
démantèlement de son stock d’armes
chimiques le 9 septembre ne marque pas,
loin de là, la fin des ennuis pour la
Syrie, mais la perspective d’une
intervention militaire internationale
s’éloigne durablement à partir de cette
date. »
Cette esquisse n’a évidemment nulle
prétention à être gravée dans le marbre,
mais elle est fortement étayée.
Troisième partie : Suites et
conséquences de l’attaque du 21 août
2013
Dans la troisième et dernière partie
de cette synthèse sur l’affaire des
armes chimiques, qui forme finalement
une séquence s’étendant sur deux années,
nous retraçons les dernières évolutions
sur l’utilisation d’armes chimiques en
Syrie, en rappelant certains événements
notables qui sont survenus pendant cette
période, comme la remise du prix Nobel
de la Paix à l’OIAC le 11 octobre 2013
et la réélection de Bachar el-Assad à la
présidence de la République Arabe
Syrienne le 2 juin 2014, et pour la
première fois devant deux candidats
suite à la réforme constitutionnelle de
2012.
Ayant transmis toutes les données sur
son arsenal comptant 1200 tonnes de
produits divers dans les délais
convenus, ayant en même temps adhéré à
l’OIAC, les autorités syriennes
pouvaient penser être enfin tranquille
sur ce point.
Et bien non… jusqu’au 30 juin 2014,
les médias vont régulièrement publier
des unes et des articles l’accusant d’en
faire usage. Cette date n’est pas
anodine puisqu’il s’agit de la date
butoir à laquelle le « régime » est
censé se débarrasser de ses derniers
stocks d’armes chimiques, selon le
calendrier établi avec l’OIAC.
La remise du prix Nobel de la
paix à l’OIAC
Le 11 octobre 2013, l’OIAC reçoit le
prix Nobel de la paix. Cette décision
fait peut-être partie des mesures
destinées à sauver la face des capitales
occidentales après le brutal recul du 9
septembre. Le président Hollande humilié
en cette occasion est ainsi tout heureux
de pérorer : « Le prix Nobel vient
donner une consécration à tout ce que la
France, pas seulement la France, a
engagé depuis plusieurs semaines pour
dénoncer l’utilisation des armes
chimiques et les éliminer dans un proche
avenir ». Pour ce qui concerne la
crédibilité d’une telle distinction, je
rappellerais l’analyse qu’en fait
François Asselineau, président fondateur
de l’Union Populaire Républicaine (UPR)
dans sa conférence sur « La
tromperie universelle comme mode de
gouvernement » : après avoir
analysé les conditions d’attribution du
prix Nobel de la paix, et passé en revue
les CV des derniers prix Nobels[lxxxix]: Barack
Obama en 2009 ; le « dissident chinois »
Liu Xiabao en 2010 ; la présidente du
Libéria Ellen Johnson Sirleaf et la
Yéménite Tawwakul Karman en 2011,
l’Union Européenne en 2012, il
synthétise : « Le prix Nobel de la
paix est devenu une imposture. C’est
désormais une opération de
désinformation qui fait partie
intégrante du dispositif hégémonique
mondial des États-Unis. Aucun média de
masse ne porte de regard critique ni sur
le mode d’attribution du prix Nobel de
la paix, ni sur le lien entre les
attributaires du prix Nobel et les
intérêts géostratégiques américains, ni
sur l’infiltration et le noyautage de
nombreux organes de presse occidentaux
par les services d’influence américains.
Aucun responsable politique ne fait non
plus ni l’un ni l’autre. Le cynisme des
manipulateurs n’a aucune limite : ils
jouent sur les idéaux les plus nobles
pour duper les peuples. »
Conclusion de M. Asselineau, qui
pourrait tout à fait s’appliquer à la
crise syrienne : « Si les forces
euro-atlantistes qui nous gouvernent
sont capables de ça, alors elles sont
capables de tout. »
Le jeudi 24 octobre 2013, l’OIAC
publie une déclaration préliminaire dans
laquelle elle « confirme que la
République Arabe Syrienne lui a soumis
la déclaration initiale formelle de son
programme d’armes chimiques »,
précisant que « la Syrie s’est
conformée à la date butoir », ce
qui « permet d’établir les plans
visant une destruction systématique,
intégrale, et vérifiée des armes
chimiques déclarées ainsi que des
installations de production et
d’assemblage »[xc].
Le 31 octobre, l’OIAC annonce que « tous
les stocks d’agents chimiques et d’armes
chimiques ont été placés sous scellés,
des scellés impossibles à briser. »
Ces stocks comprennent 1000 tonnes
d’agents chimiques, 290 tonnes d’armes
chimiques, et 1230 munitions non
remplies d’agents chimiques. L’OIAC
annonce également que tous les sites de
production d’armes chimiques ont été
détruits avant la date butoir du 1er
novembre. 21 des 23 sites déclarés par
la Syrie ont pu être visités, les deux
sites restants n’ayant pu l’être pour
des raisons de sécurité.
Le 15 novembre, l’OIAC adopte une
feuille de route pour la destruction des
agents et armes chimiques placés sous
scellés[xci].
L’ensemble de l’arsenal doit être
détruit le 30 juin 2014 au plus tard.
Les agents chimiques les plus toxiques
doivent être sortis du pays le 31
décembre 2013, les moins nocifs le 5
février 2014. Les munitions non chargés
doivent être détruites le 31 janvier
2014, et les installations de production
d’armes chimiques démantelées le 15 mars
2014.
Le 12 décembre, les inspecteurs de
l’ONU rendent leur rapport concluant à
l’usage d’armes chimiques dans 5
localités, sans nommer de responsables,
et en précisant que dans trois cas sur
quatre, les victimes étaient des soldats
syriens et des civils.
A la date du 29 janvier, moins de 5%
de ce qui aurait dû être sorti du pays
comme armes chimiques fin décembre l’a
été effectivement. La Syrie a donc
quelques semaines de retard pour ce qui
concerne une minime partie de son stock.
Le secrétaire général de l’ONU s’était
inquiété la veille dans un rapport de la
lenteur du processus, demandant à Damas
de l’accélérer.
Le 6 mars, rapporte une dépêche
Reuters, « La Syrie ne pourra pas
respecter la date du 15 mars pour la
destruction de l’ensemble de ses sites
de production d’armes chimiques, indique
une source au sein de l’Organisation
pour l’interdiction des armes chimiques
(OIAC), aujourd’hui. »[xcii]
Le 14 avril, l’OIAC annonce que les
deux tiers des armes chimiques détenues
par les autorités syriennes ont quitté
le sol syrien[xciii].
Nouvelles accusations contre le
« régime » syrien de faire usage d’armes
chimiques
Il est frappant d’observer, pendant
toute cette période qui s’étend entre
septembre 2013 et juin 2014, comme les
médias vont se montrer aux aguets du
moindre retard dans l’agenda du
démantèlement de son stock d’armes
chimiques par la Syrie, et comme ils
vont monter en épingle le moindre
soupçon d’usage d’armes chimiques contre
les populations par le « régime », en
accusant régulièrement, en particulier,
celui-ci d’utiliser à présent des
« bombes au chlore »
C’est particulièrement apparent
à partir du mois d’avril au cours duquel
ce genre d’accusation connaît une
floraison généreuse. Grégoire
Lecalot dans un article de RFI.fr du 21
avril rapporte, par exemple, que
« Les États-Unis ont annoncé qu’ils
disposaient d’informations sur une
utilisation très récente d’armes
chimiques en Syrie. Une substance,
probablement du chlore, aurait été
larguée sur le village de Kfar Zeïta en
avril. Le régime de Bachar al-Assad est
pointé du doigt. Le ministère français
des Affaires étrangères avait affirmé
avoir lui aussi des soupçons. »
Le 13 mai, un article du Monde
rapporte des déclarations de Laurent
Fabius faisant état de l’usage de bombes
à gaz chloré en Syrie, à 14 reprises. Il
dit disposer d’éléments et accuse le
régime syrien qui « est encore
capable d’en produire et reste déterminé
à les utiliser ». Ces propos sont
tenus lors d’une conférence de presse
commune avec John Kerry et à cette
occasion le ministre déplore l’occasion
qui a été manquée le 21 août dernier :
« Nous le regrettons parce que nous
pensons que ça aurait changé beaucoup de
choses, à beaucoup d’égards, mais c’est
un fait et nous n’allons pas
reconstruire l’histoire.»
Le 14 mai, une dépêche AFP[xciv]
intitulée « Syrie : Damas accusé de
recourir à l’arme chimique, Lakhdar
Brahimi jette l’éponge », reprend
certains éléments de l’intervention de
la veille : « Laurent Fabius a
accusé le régime de Bachar al-Assad
d’avoir utilisé à plusieurs reprises au
cours des derniers mois des armes
chimiques, notamment du chlore. »,
et « l’organisation américaine Human
Rights Watch (HRW) a affirmé mardi qu’il
existait des preuves solides d’attaques
au chlore, menées par le régime syrien
dans trois villes à la mi-avril. »
Les armes chimiques n’occupent qu’un
vingtième de l’article et n’ont
absolument aucun rapport avec la
démission de Brahimi, comme le suggère
trompeusement le titre.
Le 20 mai, François Hollande
renchérit sur son ministre, ainsi qu’on
peut le lire dans une dépêche AFP : «
François Hollande a estimé
aujourd’hui que « tous les moyens de
droit » pour « faire condamner le régime
syrien » et appliquer « des sanctions »
devraient être utilisés si « des
traces » d’armes chimiques étaient de
nouveau observées en Syrie. « Il se
produit tous les jours des massacres en
Syrie. Le régime utilise toutes les
armes possibles et parfois les pires »,
a dénoncé le président de la République
aux côtés du chef de l’opposition
syrienne Ahmad Jarba, qu’il a reçu à
l’Elysée. »
3 juin 2014 : réélection de
Bachar el-Assad à la présidence de la
République
Le 3 juin, Bachar el Assad est réélu
à la présidence de la République
syrienne pour un nouveau mandat de 7
ans, avec 87,6% des suffrages. Tous les
gouvernements des démocraties
« occidentales », secondés par les
médias associés dénoncent cette élection
comme une mascarade, avec des arguments
variés : seuls les résidents depuis 10
ans en Syrie pouvaient se présenter,
Bachar el Assad a joué à fond la carte
de la lutte contre le terrorisme, les
habitants des zones sous contrôle
« rebelle » n’ont pas pu voter, etc.
Plus généralement, comment croire à un
tel résultat quand on se souvient qu’en
2000 Bachar el Assad avait élu une
première fois à 99,7% des voix, et en
2007 à 97,6%.
Certains de ces arguments sont
recevables, notamment le dernier, mais
comme d’habitude les instances politico
médiatiques omettent délibérément des
contre arguments essentiels. Ainsi, une
estimation d’un rapport de l’OTAN
établissait en juin 2013 que Bachar
el-Assad était soutenu par 70% de la
population, contre seulement 10% pour
les « rebelles »[xcv].
Alors que lors des deux élections
précédentes (2000 et 2007) les chiffres
avaient été évidemment gonflés, certains
Syriens que nous avons rencontrés
étaient même étonnés de ce score de
87,6%, qu’ils pensaient minorés par le
pouvoir pour l’occasion ! Un score aussi
massif s’explique peut-être dans un pays
en guerre dont les ressortissants
reconnaissent leur dirigeant comme un
chef de guerre efficace, qu’il serait
insensé pour le moment de changer en des
circonstances aussi périlleuses. Les
médias auraient dû également souligner
la prouesse que constitue l’organisation
d’élections dans des conditions aussi
difficiles et discuter la décision
antidémocratique du gouvernement
français d’interdire aux Syriens de
France de participer au scrutin[xcvi].
Est-il besoin de rappeler, enfin, que le
président français, quand il dénonce
cette « mascarade », en même temps que
d’autres chefs d’états « élus » ne
recueillent depuis des mois dans les
sondages que 18%[xcvii]
d’opinions favorables.
La réélection de Bachar el-Assad,
concomitante avec la reconquête de
nombreuses villes et
axes stratégiques, et la presque
résolution du problème du transfert des
derniers stocks d’armes chimiques est un
triple coup dur à encaisser pour
l’opposition dont il ne reste plus grand
chose, si l’on excepte, sur le terrain,
le front al Nosra et l’Etat Islamique en
Irak et au Levant, et diverses
« brigades » cousines qui multiplient
les exactions du genre de celles que
nous avons rapportés depuis le début de
cette synthèse.
C’est pourquoi jusqu’au dernier
moment (la date butoir du 30 juin), les
médias vont agiter devant l’opinion
l’épouvantail des armes chimiques, en
particulier le chlore, en pointant, de
façon tantôt directe, tantôt insinuante
la responsabilité du régime syrien.
Un exemple de couverture
médiatique biaisée : le numéro du Monde
du 4 juin 2014
Je me contenterai, parmi de nombreux
cas de couverture médiatique biaisée qui
ont pu être commis pendant cette
période, d’évoquer le numéro du Monde du
4 juin 2014 qui est tout à fait
représentatif de ce qui s’est fait en
France dans les médias sur le sujet de
cette affaire de bombes chlorées.
Ce n’est pas le premier dossier du
genre que j’aurais pu analyser, le Monde
ayant publié à plusieurs reprises des
enquêtes-maison « prouvant »
l’utilisation d’armes chimiques par le
régime syrien. Ce dossier du 4 juin est
du même acabit, et il me semblait
instructif d’entrer un peu dans le
détail des méthodes d’un quotidien qui
est l’un des principaux fers de lance de
la propagande anti Assad en France, tout
en s’autoproclamant «le quotidien de
référence » en France et à
l’étranger.
Le sujet est en Une : « Syrie :
Assad lance des attaques au chlore, le
monde se tait ». Premier mensonge
puisque le dossier du Monde comme on va
le voir n’avance rien d’irréfutable à
l’appui de cette accusation. Cette Une
est complétée par un chapeau qui
commence de la façon suivante: « Moins
d’un an après l’attaque au sarin lancée
par Bachar el Assad, qui avait fait près
de 1400 morts le 21 août 2013, des
preuves existent sur le recours répété
des forces gouvernementales syriennes à
l’encontre de la population et des
rebelles » Second mensonge puisque
aucune enquête n’a établi de façon
indiscutable la responsabilité du régime
syrien dans l’attaque du 21 août, quand
des rapports pointent clairement la
responsabilité des « rebelles ». On voit
aussi que pour le rédacteur du chapeau,
si usage de bombes au chlore il y a, ce
ne peut être que le fait du « régime ».
Le rédacteur affirme plus loin que « Damas
a agi en violation des traités sur les
armes chimiques ». En bas de la
première page, la Une est illustrée par
un dessin de Plantu montrant une femme
syrienne tenant un enfant et hurlant
désespérée « Aidez-nous !! Bachar
nous attaque au chlore ». Elle est
pourchassée par un missile sur fond de
ruines au pied desquels un enfant très
mal en point semble agoniser (toujours,
toujours les enfants…). Les trois ont
les yeux brûlés(?) par le chlore. A
droite, contraste, une famille
« occidentale » au bord d’une piscine,
un homme sur un transat parcourant les
nouvelles sportives et répondant « J’peux
pas, j’ai piscine ! » Une femme aux
seins nus et en lunettes de soleil
complète le tableau en arrière-plan. On
aura compris le lien subtil entre le
chlore des piscines et des « bombes »,
mais le message est caricatural et vise
nolens volens à culpabiliser le lecteur
en partant de grilles d’analyse
faussées.
Cette Une est complétée page 2 et 3
par un long article de Benjamin Barthe,
Jacques Follorou, Cécile Hennion et
Yves-Michel Riols, dont le titre « Damas
persiste à mener des attaques chimiques »
contient déjà deux mensonges puisque le
verbe « persister » suppose une habitude
de la part du régime de Damas qui n’a
nullement été prouvée, et que le chlore,
selon la convention sur les armes
chimiques[xcviii]
n’est pas une « arme chimique ». Le
reste de l’article est à l’avenant. Si
la Une et le titre de l’article sont à
l’indicatif, la première partie de
l’article est largement au
conditionnel : « les interceptions
électroniques sur le sol révéleraient le
degré de préparation de cette opération »,
« le silence gardé sur le résultat
de ces expertises s’expliquerait en
partie par des pressions… », « au
total elles (les attaques) auraient fait
une centaine de morts’ ». Sinon les
journalistes s’appuient sur des sources
très vagues : « selon l’enquête
menée par le Monde », « d’après
plusieurs sources », « selon
nos informations », « d’après
un haut responsable de la communauté du
renseignement en France ». On
pourrait être tenté de faire confiance
aux journalistes du Monde, et c’est bien
ce qu’ils semblent demander, mais il
faut se souvenir que les articles de
Seymour Hersch ont été jetées aux
oubliettes précisément parce qu’on
considérait que ce journaliste
s’appuyait sur des sources
invérifiables.
Lorsqu’il s’agit de d’accuser Bachar
el-Assad et son « régime » des pires
atrocités, les sources n’ont que peu
d’importances, et les mensonges et
déformations dans les titres et les
chapeaux d’articles sont de « bonne
guerre » ; lorsqu’il s’agit de le
disculper, il faut se montrer
irréprochable en tout, et même quand
l’on s’inscrit dans cette voie de
probité et d’excellence, on est passé
sous silence, déformé, ou diffamé.
Bien qu’un long passage scientifique
explique les effets du chlore lorsqu’il
est utilisé comme gaz de combat, les
auteurs de cet article n’apportent aucun
élément de preuve tangible pointant la
responsabilité des autorités syriennes.
Pour l’essentiel ce sont des
insinuations sur la base de témoignages,
et si des journalistes du Monde ont
effectivement pu se rendre sur place
pour recueillir des échantillons, qui
ont ensuite pu être analysés par le « centre
d’études du Bourget, qui dépend de la
direction générale de l’armement et qui
possède le seul laboratoire en France
susceptible de produire des résultats
certifiés dans le domaines des armes
chimiques », rien ne prouve que des
bombes chlorées ont été utilisées par le
« régime », ce qui sera loin d’être
évident, du reste, à l’examen du rapport
de l’OIAC du 16 juin 2014 (point
suivant).
C’est ce que reconnaît le second
article de la page 2, intitulé « Embarrassés,
les Occidentaux veulent éviter de passer
à l’action », et signé d’Alexandra
Geneste, Stéphanie Maupas, et
Yves-Michel Riols. On lit ainsi dans la
deuxième colonne, que « ni Paris, ni
Washington, ni Londres qui disposent
d’éléments tangibles sur les récentes
attaques au chlore de l’armée syrienne,
n’ont rendu publics leurs éléments de
preuve ». Les journalistes
pourraient faire la supposition que si
les dites capitales ne révèlent pas ces
« éléments », c’est probablement parce
qu’ils ne sont pas si « tangibles » que
cela, comme n’étaient pas si
« tangibles » que cela les éléments
avancés accusant les autorités syriennes
pour l’attaque chimique du 21 août 2013,
et qu’ils sentent qu’ils ont face à eux
(Russie, Chine, Iran), des adversaires
de plus en plus méfiants et déterminés.
Les journalistes rappellent tout de même
que le 27 mai les inspecteurs ont été
enlevés brièvement par des « rebelles »,
ce qui ne plaide évidemment pas en leur
faveur. Enfin bon, « si l’OIAC
venait à confirmer les accusations
d’attaques au chlore, l’organisation
devrait alors saisir le Conseil de
sécurité des Nations Unies. Au terme de
la résolution adoptée le 26 septembre
2013 sur le désarmement chimique de la
Syrie, l’ONU pourrait alors,
théoriquement, envisager des sanctions
contre Damas ».
Comme d’habitude dans la couverture
médiatique de la crise syrienne depuis
plus de trois ans, on doit comprendre
que seul le « régime » syrien peut être
coupable de telles atrocités, et châtié
en conséquence.
On trouve souvent dans ces documents
de propagande, lâchés soit par cynisme
soit par naïveté, des aveux des
journalistes révélant la vraie raison
d’être du dossier auquel ils
collaborent, à des degrés divers. Allons
à la phrase de conclusion du second
article : « En attirant
l’attention, sur de nouveaux recours à
des armes chimiques par Damas,
l’objectif est de saper la légitimité
que Bachar el-Assad tentera de retirer
de l’élection présidentielle du 3 juin :
« Un régime qui ne respecte pas ses
engagements internationaux et qui
utilise des armes chimiques contre sa
propre population ne peut jamais faire
partie d’une solution d’avenir »,
insiste-t-on à Paris. »
On comprend du même coup pourquoi le
Monde a produit dans son numéro du 4
juin un dossier aussi fragile et
orienté : en tant que courroie de la
propagande gouvernementale, il ne fait
que répercuter, à un moment bien choisi,
les déclarations accusatoires de M.
Fabius et M. Hollande les 13 et 20 mai
derniers. Rappelons que le Monde, à
l’instar de tous les « grands » titres
de la presse quotidienne et
hebdomadaire, bénéficie chaque années
d’appréciables subventions publiques (17
millions d’euros).
Au terme de cette synthèse, ce genre
de « dossier » se passe de commentaire.
Des dizaines de cas semblables ont été
passés en revue qui présentent tous le
même air de famille. On insistera
seulement sur les biais des titres (la
Une forcément) et des chapeaux, qui ont
un effet dévastateur sur les lecteurs ne
recherchant pas d’accès à d’autres
sources.
Le rapport de l’OIAC du 16
juin 2014
Le 16 juin, l’OIAC publie un
compte-rendu de ses premières enquêtes
sur le terrain concernant l’usage de
produits chlorés comme arme chimique sur
le terrain en Syrie. Nous en résumons
les grandes lignes.
La décision de mener cette enquête a
été prise le 29 avril 2014 suite à des
allégations répétées allant dans ce
sens. Ces allégations concernent des
régions qui échappent largement au
contrôle des autorités syriennes : Hama,
Idlib, et Rif Damas. L’enquête cependant
s’annonce difficile : « En raison de
ses nombreuses applications civiles, le
chlore est un agent chimique largement
accessible. C’est un agent chimique qui
n’est pas persistant.»
L’équipe d’inspecteurs est à Damas le 3
mai. Ils rencontrent des officiels
syriens, dont un ministre, qui les
assure de leur soutien et de leur
protection. Ces derniers affirment être
au courant de l’usage de chlore,
rappelant la prise d’une usine de
production de chlore dans la région
d’Alep par les rebelles.
Le premier lieu d’enquête choisi est
Kafr Zeyta : l’endroit est proche de
Damas, et les attaques au chlore y
seraient les plus récentes, facilitant
le recueil de preuves exploitables. La
mission est qualifiée à plusieurs
reprises de très risquée. Les enquêteurs
sont parvenus à obtenir une promesse de
cessez-le-feu de la part des deux
parties pour la journée du 27 mai.
Néanmoins vite l’enquête tourne court :
alors que le convoi de 6 véhicules
blindés fait route vers sa destination,
après avoir laissé derrière lui le
dernier check point tenu par l’armée
syrienne, le véhicule de tête est
attaqué avec un engin explosif et prend
feu. Quand le convoi tente de rebrousser
chemin, le véhicule de queue est attaqué
à l’arme automatique, et tous les
enquêteurs sont kidnappés avec leurs
chauffeurs. Ils seront rapidement
libérés suite à une intervention du
groupe de « rebelles » avec qui le
cessez-le-feu avait été négocié, mais
cet incident signe la fin de l’enquête
sur le terrain. Cela n’empêche pas les
enquêteurs de conclure (c’est l’une des
dernières phrases de ce rapport de 10
pages), au vu des informations
indirectes recueillies, que « l’information
(disponible) donne du crédit à l’idée
que les produits chimiques toxiques, le
plus probablement des agents irritants
pulmonaires tels que le chlore, ont été
utilisés de manière systématique dans un
certain nombre d’attaques. » Comme
d’habitude dans ce genre de rapport
aucune responsabilité n’est pointée ; le
lecteur dispose néanmoins de
suffisamment d’éléments pour déterminer
qui dans cette affaire est
l’interlocuteur le plus crédible : le
« régime » de Damas qui accorde toutes
les autorisations à l’équipe
d’enquêteurs et assure leur protection
jusqu’au dernier moment, et les
« rebelles » qui attaquent le convoi des
inspecteurs à l’explosif et à l’arme
automatique et les kidnappent.
Deux jours plus tard une dépêche AFP,
reprise sur tous les sites des médias de
masse, rend compte de ce rapport. Elle
est titrée : « Syrie, utilisation
systématique d’armes chimiques ».
Les développements montrant l’apparente
bonne volonté du gouvernement syrien
sont passés sous silence, et l’attaque
du convoi n’est évoquée qu’en passant
alors qu’elle constitue un morceau
important du rapport. La seule phrase
mise en valeur est celle que j’ai citée.
La dépêche insiste par ailleurs sur le
fait que la Syrie est en retard dans la
remise de ses derniers stocks d’armes
chimiques.
Il faut noter qu’au moment de la
publication de cette dépêche seule une
petite partie du rapport était rendue
public. Aucune nouvelle « dépêche »
depuis n’a été publiée pour nuancer la
présentation de ce rapport.
Dernier acte : 24 juin 2014
Le 24 juin 2014, une semaine avant la
date butoir du 30 juin, l’OIAC annonce
que la totalité de l’arsenal chimique
syrien a été démantelé et transporté
hors du pays. A partir de cette date,
les accusations d’emploi d’armes
chimiques par le régime syrien
disparaissent, de même du reste que
l’actualité syrienne disparaît pour
quelques mois des médias, remplacées, au
plan géopolitique, par celles de la
crise ukrainienne et l’opération
« bordure de protection » dans la bande
de Gaza, et la conquête du nord de
l’Irak par l’EIIL.
Tant d’ennemis nouveaux se sont
abattus depuis sur la Syrie… mais c’est
ici qu’il faut clore cette synthèse sur
le tir à l’arme chimique du 21 août 2013
dans la banlieue de Damas.
Conclusion générale
Nous disposons de suffisamment
d’éléments pour, au moins, nous
interroger sur le traitement médiatique
et politique français du tir à l’arme
chimique du 21 août 2013 dans la
banlieue de Damas. Nous manquons de
recul historique pour comprendre plus
précisément comment les événements se
sont déroulés, mais la combinaison des
rapports des VIPS, de l’ISTEAMS, de
l’ONU, de HRW, de l’OIAC, « du MIT »,
des avocats turcs, les articles de
Hersch, des réactions précoces et
unanimes avant toute enquête des
chancelleries occidentales, enfin de la
couverture médiatique dans sa partialité
identique à tous les cas de figure que
nous avons passés en revue depuis le
début de cette synthèse, cette
combinaison est plus que suffisante pour
établir que le tir à l’arme chimique du
21 août a été réalisé par des
combattants « rebelles », très
probablement avec la complicité d’une ou
plusieurs puissances engagées dans la
déstabilisation de la Syrie depuis mars
2011. Comme le massacre de Houla du 25
mai 2012, le tir à l’arme chimique dans
la Ghouta le 21 août 2013 est une
opération sous faux-drapeau mise en
œuvre pour fournir le casus belli
décisif contre le « régime » de Bachar
el-Assad. Habitués à ces manipulations
continuelles et orchestrées selon des
schémas présentant peu de variations, et
ayant plus d’intérêts en Syrie que dans
des crises précédentes, les
gouvernements de pays comme la Russie et
la Chine ont reconnu la manipulation,
n’ont pas voulu se laisser abuser, se
sont fortement engagés dans la défense
des autorités syriennes, et ont
finalement trouvé une solution qui a
permis d’éviter in extremis le lancement
d’une campagne de frappes aériennes qui
auraient probablement conduit à un
embrasement général de la région.
On est réduit à employer l’expression
de « perversité », au sens psychiatrique
du terme, pour qualifier l’état d’esprit
de ceux qui imaginent et osent mettre en
œuvre de telles manipulations. Il faut
avoir atteint un degré de perversité qui
sort du commun pour tirer des armes
chimiques sur des populations civiles,
compléter le bilan par une centaine
d’enfants kidnappés dans des villages
des environs de Lattaquié deux semaines
plus tôt, mettre en scène les victimes
dans des alignements ou assemblages
spectaculaires, filmer de près et avec
de nombreuses caméras des enfants en
train d’agoniser dans d’horribles
souffrances, et ensuite imputer tous ces
morts au régime syrien, en demandant
avec ardeur une campagne de frappes
« chirurgicales », qui, si l’on en juge
par leurs effets en Irak, en Libye, au
Yémen, ou dans la bande de Gaza,
feraient des dizaines de milliers de
nouvelles victimes innocentes.
Cette remarque vaut pour certains
relais clés et puissants dans les
milieux politiques et médiatiques, en
France et ailleurs, qui ont contribué de
manière délibérée à l’étouffement ou le
discrédit de tout élément pouvant
dessiner une responsabilité « rebelle »
dans l’attaque chimique du 21 août 2013,
dans la banlieue est de Damas.
Ce rôle essentiel des médias pour
justifier une intervention massive a du
reste été souligné en interne par
les stratèges militaires occidentaux dès
décembre 2011, selon un document révélé
par Wikileaks en mars 2012[xcix].
Il s’agit du compte-rendu des entretiens
d’un officier supérieur au Pentagone où
il s’est réuni longuement le 7 décembre
2011, avec quatre collègues d’un bureau
d’études stratégiques de l’US Air Force,
parmi lesquels deux officiers supérieurs
français et britannique. Ceux-ci ont
expliqué en cette occasion comment ils
espèrent déstabiliser le régime syrien
de l’intérieur: des agents et des
instructeurs occidentaux, mais aussi de
Jordanie et Turquie, sont déjà sur le
terrain pour former les forces
d’opposition. Pressés de parler des
étapes suivantes, de la perspective
d’une campagne aérienne, les officiers
avancent qu’il serait plutôt question de
« commettre des attaques de
guérilla, des campagnes d’assassinats… »
Tous évoquent les défenses
anti-aériennes mobiles de la Syrie, les
possibles interventions de l’Iran ; les
bases de départ envisagées pour les
reconnaissances et interventions
éventuelles seront Chypre pour les
avions français et britanniques, et le
Koweït pour les forces aériennes
américaines. Mais une zone d’exclusion
aérienne sur la région de Homs et Hama
ne serait pas suffisante et requerrait
au préalable une longue campagne
d’élimination des défenses
anti-aériennes. Par ailleurs, « ces
officiers ne pensent pas qu’une
intervention aérienne puisse survenir, à
moins qu’il y ait assez de battage
médiatique sur un massacre… » (They
dont believe air intervention would
happen unless there were enough media
attention on a massacre…). Ils pensent
que les USA auront une tolérance élevée
concernant les tueries aussi longtemps
que cela ne touche pas un large public. »
Étonnant document qui révèle la
complicité directe d’états « amis de la
Syrie » dans la formation et l’appui aux
groupes armés « rebelles », et qui
décrit près de deux ans à l’avance les
conditions dans lesquelles ont failli
être déclenchées des frappes aériennes
massives contre la Syrie en septembre
2013 : un grand massacre, attribué
aussitôt au « régime », avec un grand
battage médiatique, pour convaincre les
opinions qu’une intervention aérienne
est requise et justifiée.
Nous pensons avoir présenté
suffisamment d’éléments dans cette
synthèse pour affirmer notre présomption
qu’en août 2013 un nouveau massacre a
été planifié, exécuté et mis en scène
par des groupes mercenaires et
« rebelles », conçu pour être attribué
aussitôt au « régime » syrien dans le
cadre d’un battage médiatique et ainsi
créer un contexte psycho-stratégique,
un dépassement de ligne rouge,
à même de provoquer et faire accepter
une intervention occidentale massive et
déterminante.
François Belliot - juin
2015
Je tiens à remercier en
particulier Bernard Cornut qui m’a
indiqué quelques éléments cruciaux sans
lesquels cette synthèse n’aurait pas
atteint ce niveau d’exhaustivité.
Notes
[i]Nous avons résumé ces deux
affaires dans cette chronique :
http://arretsurinfo.ch/propagande-de-guerre-quand-les-medias-instrumentalisent-les-massacres-vi/
[ii]Il s’agit du député UMP Jacques
Myard, du sénateur de Centre droite
François Zocchetto, du président du
groupe d’amitié france-Syrie à la
Chambre haute, du député PS et président
du groupe d’amitié France-Syrie à
l’Assemblée Nationale Gérard Bapt, et
Jean-Pierre Vial, sénateur UMP de
Haute-Savoie, président du groupe
d’amitié France-Syrie au Sénat
[iii]C’est sous cette dénomination
que cette entité a d’abord été présentée
dans les médias. Elle est généralement
contracté aujourd’hui en État Islamique
(EI), ou en « Daech » qui est l’acronyme
arabe signifiant « EIIL » : Dawla al
islamiyya fi al Irak wa s’Cham. Avant
son implication dans les combats en
Syrie en 2013 contre les forces
gouvernementales syriennes,
l’organisation, fondée en 2006 en Irak
s’appelait « État Islamique d’Irak »
(EII, Dawlat al Irak al-Islamiyya)
[iv]La Mission d’Intervention des
Nations Unies en Syrie est ainsi
présentée sur son site internet : « Créée
par la résolution 2043 du 21 avril 2012
du Conseil de sécurité, initialement
pour une période de 90 jours, pour
contrôler le respect par toutes les
parties de la cessation de la violence
armée sous toutes ses formes et de
surveiller et appuyer l’application de
la proposition en six points de l’Envoyé
spécial conjoint pour mettre fin au
conflit en Syrie. Après un répit initial
relatif, les hostilités en Syrie ont
repris et le 15 juin 2012, la MISNUS a
dû suspendre ses activités en raison
d’une intensification de la violence
armée à travers le pays. Le 20
juillet 2012, le Conseil de sécurité a
prorogé le mandat de la MISNUS pour une
période de 30 jours, et a déclaré que
toute nouvelle prolongation ne serait
possible que « dans les cas où les
rapports du Secrétaire général et le
Conseil de sécurité confirmaient la
cessation de l’utilisation d’armes
lourdes et une réduction du niveau de
violence suffisante par toutes les
parties » pour permettre à la MISNUS de
mettre en œuvre son mandat. Ces
conditions n’ayant pas été remplies, le
mandat de la MISNUS a pris fin à minuit
le 19 août 2012. »
[v] Barack Obama est réélu le 6
novembre 2012.
[vi]Avec le recul, on ne peut
s’empêcher d’émettre l’hypothèse que ces
déclarations constituaient un feu vert
donné aux états « amis de la Syrie » les
plus proches géographiquement, Arabie
Saoudite, Israël, Turquie, Qatar, qui
dès lors savaient quoi faire pour
provoquer une intervention militaire de
grande ampleur menée par les USA.
[vii] Conférence de Barack Obama à
la Maison Blanche du 20 août 2012 :
https://www.youtube.com/watch?v=PBRqRl6RbDM
[viii] Voici ce qu’en dit Louis
Denghien sur le site infosyrie.fr« Les
armes chimiques, stockées et sécurisées
sous la supervisation des forces armées
ne seront utilisées qu’en cas
d’agression étrangère« . La petite
phrase de Jihhad Maqdisi, porte-parole
du ministère syrien des Affaires
étrangères, prononcée au cours d’une
conférence de presse ce 23 juillet,
n’est certes pas passée inaperçue.
C’était là une réponse aux allégations
d’un général et d’un diplomate syriens
dissidents, reprises par les Américains,
et un avertissement sans frais, dans le
registre « À vos risques et périls,
messieurs de l’OTAN ». La Syrie n’avait
pas nié disposer d’un tel armement, elle
l’avait simplement tu. C’est donc une
escalade proportionnée aux accusations
des État-Unis et une riposte graduée à
leurs menaces d’agir désormais « en
dehors de l’ONU« . Pour le reste,
et pour couper court aux campagnes
médiatiques sur le syndrome de Saddam
Husseïn, dont l’armée avait été accusé
d’avoir utilisé des gaz contre des
populations kurdes en 1987 à Halabja,
Jihad Maqdissi a assuré que de
telles armes ne « seront jamais,
jamais, utilisées contre nos
concitoyens, quelle que sot l’évolution
de la crise« .
http://www.infosyrie.fr/actualite/avertissement-sans-frais-de-la-syrie-a-ses-eventuels-visiteurs/
[ix]http://news.xinhuanet.com/english/world/2012-08/22/c_131800638.htm
[x] En fait l’affaire de Khan el
Assal est la deuxième du genre, un cas
semblable s’étant présenté à Homs en le
23 décembre 2012. Les grands médias
relayèrent à l’époque l’information en
pointant la responsabilité du « régime »
syrien. Le gaz utilisé n’était pas du
sarin mais un agent non létal, fortement
incapacitant. Ce cas étant beaucoup
moins grave, comparé à celui de Khan el
Assal je me contente de le rapporter en
note. Il faut tout de même remarquer que
cet épisode constitue, par sa couverture
médiatique, un des « petits pas » menant
vers l’affaire du 21 août 2013 et le
mensonge médiatico politique qui
l’accompagnera.
[xi] Chiffres fournis par l’OSDH et
repris par l’ensemble des grands médias.
Une source gouvernementale donne 25
morts et 110 blessés.
[xii]
https://www.youtube.com/watch?v=pmsBt-5V7k0#t=97.
Al Ikhbaria est une chaîne privée
syrienne fondée le 15 décembre 2010.
Depuis le début des événements en mars
2011 elle s’est montrée loyale avec
autorités syriennes.
[xiii]
http://www.legrandsoir.info/syrie-l-onu-va-enqueter-sur-l-eventuel-emploi-d-armes-chimiques-et-que-font-les-etats-comme-la-france-lorsqu-ils-utilisent-les.html
[xiv] Pour plus de détails,
consulter les dix premières pages du
rapport de l’ONU sur les armes chimiques
du 18 décembre 2013.
[xv] Le détail de l’agenda est donné
dans les pages 6 à 8 du rapport de l’ONU
du 18 décembre 2013 :
https://unoda-web.s3.amazonaws.com/wp-content/uploads/2013/12/report.pdf
[xvi]http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2013/07/22/97001-20130722FILWWW00252-syrie-les-rebelles-s-emparent-d-une-ville.php
[xvii]http://www.france24.com/fr/20130722-syrie-rebelles-bachar-al-assad-khan-al-assal-alep/
[xviii]Le lien sur lequel j’ai
visionné cette vidéo il y a un peu moins
d’un an n’est plus valide (https://www.youtube.com/watch?v=GlLjzA4uOcI),
il figure toujours sur l’article de
silviacattori.net dont la référence est
indiquée dans la note XIV. Il existe
tout de même ce lien sur lequel on voit
une partie du carnage :
https://www.youtube.com/watch?v=MBnVWOI5PMM
[xix]
http://www.lepoint.fr/monde/syrie-les-jihadistes-s-emparent-d-une-importante-base-de-l-armee-dans-le-nord-26-07-2014-1849326_24.php
[xx]http://www.silviacattori.net/article4520.html
[xxi]
http://www.silviacattori.net/article4661.html
[xxii] Entrer sur youtube :
« alleged chemical attack in eastern
Ghouta august 21st 2013 », pour tomber
sur des dizaines de vidéos tournées le
jour-même.
[xxiii] consulter la page 6 du
rapport de l’ISTEAMS pour plus de
détails
[xxiv] La vidéo du « massacre de
Houla » :
https://www.youtube.com/watch?v=jffUNQw8Fl8&bpctr=1429807757
[xxv] Je renvoie à la page 8 du
rapport de l’ISTEAMS que je résumerai
dans la seconde partie. On trouve sur
cette page une liste de liens renvoyant
vers les 35 premières vidéos postées par
les « rebelles » la journée du 21 août à
partir de 2h 50 du matin.
https://bsnews.info/wp-content/uploads/2013/09/ISTeams-Ghouta-Rreport.pdf
[xxvi] J’anticipe un peu, mais les
résultats de cette enquête, pour ce
volet de l’affaire, n’ont par la suite
été contestés par personne, dans l’un et
l’autre « camp ».
[xxvii] Je renvoie à la page 36 du
rapport de l’ISTEAMS :
https://bsnews.info/wp-content/uploads/2013/09/ISTeams-Ghouta-Rreport.pdf
[xxviii] « Al-Arabiya (en arabe
العربية) est une chaîne d’information
saoudienne, de langue arabe, fondée le 3
mars 2003 par un émir de la famille
royale saoudienne. La chaîne appartient
au groupe MBC et son siège est basé à
Dubaï aux Émirats Arabes Unis. La chaîne
essaye d’être la principale concurrente
de la chaîne al Jazzera. Al-Arabiya
propose une information globale sur le
monde. Dans le monde arabe, la chaîne se
classe comme l’une des chaînes les plus
regardées après Al Jazeera. Elle emploie
400 salariés dont 120 journalistes. »
(Wikipedia)
[xxix]
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/08/21/syrie-des-opposants-denoncent-une-attaque-chimique-sur-damas_3464095_3218.html
[xxx]
http://www.liberation.fr/monde/2013/08/21/damas-accuse-d-une-vaste-attaque-chimique_926177
[xxxi]
http://videos.lexpress.fr/actualite/politique/video-syrie-que-faire-sans-l-aide-de-l-onu_1275226.html
[xxxii] Article reproduit en version
électronique :
http://www.lefigaro.fr/international/2013/08/21/01003-20130821ARTFIG00470-l-opposition-syrienne-denonce-un-massacre-a-l-arme-chimique.php
[xxxiii]
http://blog.lefigaro.fr/geopolitique/2013/08/syrie-egypte-incoherence-occid.html
[xxxiv]
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/syrie/la-france-et-la-syrie/actualites-2013/article/syrie-armes-chimiques-21-08-13
[xxxv] Le ministre oublie dans sa
« short list » l’état d’Israël, qui a
signé la convention mais ne l’a pas
ratifiée
[xxxvi]
https://www.youtube.com/watch?v=48M7_Ay4P3U
[xxxvii] Cette déclaration dans une
mise en forme sommaire de l’AFP a été
relayée sur tous le sites des médias de
masse.
[xxxviii]
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2013/08/25/97001-20130825FILWWW00100-armes-chimiques-le-regime-syrien-autorise-l-onu-a-enquete.php
[xxxix] Je renvoie à la page 32
du « rapport sur les crimes de guerre
commis contre le peuple syrien »
rendu en décembre 2013par « Peace
Association of Turkey and lawyers for
justice »
http://www.wpc-in.org/sites/default/files/documents/war-crimes-committed-againts-the-people-of-syria.pdf
[xl]
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/syrie-washington-deploie-des-moyens-militaires-pour-fournir-des-options-a-obama_1275572.html
[xli]
http://www.elysee.fr/declarations/article/allocution-du-president-de-la-republique-a-l-occasion-de-la-conference-des-ambassadeurs/
[xlii] Il s’agit là de la citation
d’une expression du chapitre VII de la
charte de l’ONU qui fixe les
modalités d’une intervention militaire
internationale en cas de violation de la
charte. Les « mesures nécessaires » sont
un euphémisme dont la véritable
signification est « tous les moyens ».
[xliii] Ces vidéos ont été
sélectionnées par l’Open Source Center,
une unité de la CIA, qui les fera
visionner le 5 septembre par le comité
sénatorial spécial du renseignement des
États-Unis. L’ensemble de ces 13 vidéos,
présentées dans l’ordre est consultable
sur le lien suivant :
https://www.youtube.com/playlist?list=PLO_vQ_Y4lJ5B1lD1kCN-PRDm9A7aLeSkX
[xliv]
Http://iipdigital.usembassy.gov/st/french/texttrans/2013/08/20130831282068.html#axzz3b9J4Uaqw
[xlv] Cette une est reprise en titre
d’un long article sur l’édition
électronique du JDD:
http://www.lejdd.fr/International/Moyen-Orient/Actualite/Armes-chimiques-les-preuves-des-services-francais-626713
[xlvi] Vincent Jauvert dans un
article du Nouvel Observateur du 29
septembre rapporte : « Le plan était
de bombarder pendant une nuit, en
commençant vers 3 heures du matin au
moment où les gens sont profondément
endormis, dit un haut responsable
français. Il s’agissait de détruire
notamment des batteries de missiles et
des centres de commandement de la
quatrième armée, la chimique. »
[xlvii] Legrandsoir.info, 13
septembre, relayant almanar.com :
http://www.legrandsoir.info/les-dessous-du-tir-des-deux-missiles-en-mediterranee.html.
Seymour Hersch avancera dans son article
de décembre 2013 un autre argument :
Obama aurait fini par se rendre compte
de la fragilité des preuves fournies par
ses services de renseignement et en
impliquant le congrès, aurait voulu ne
pas se trouver seul à partager la
culpabilité d’une intervention militaire
décidée sur la base de mensonges, comme
ce fut le cas pour l’invasion de l’Irak
en 2003.
[xlviii] Voici par exemple ce qu’a
déclaré François Hollande en cette
occasion : « Sur l’intervention, si
elle devrait avoir lieu dans le cadre de
l’ONU ou hors du cadre de l’ONU si le
conseil de sécurité était bloqué, la
France serait prête à prendre cette
responsabilité. La France s’associerait
à une coalition qui va se former dans
cette perspective. »
http://www.franceinfo.fr/actu/monde/article/syrie-une-action-militaire-peut-accelerer-la-solution-politique-hollande-281171.
Nous renvoyons également aux auditions
de John Kerry au Sénat les jours
précédents, au cours desquelles il
décrit la mise en place de cette
coalition. Voir par exemple :
http://www.rts.ch/info/monde/5181155-john-kerry-a-defendu-une-intervention-en-syrie-devant-le-senat.html
[xlix] Nous ne pouvons manquer de
relever par ailleurs les propos tenus
deux jours plus tôt par le secrétaire
d’état John Kerry lors de son audition
au Sénat quant aux modalités d’une
intervention militaire en Syrie : « Quant
aux pays arabes proposant de supporter
les coûts et l’assistance [d'une
intervention militaire en Syrie], la
réponse est profondément oui, ils y sont
disposés. Cette offre est sur la table
(…). Et bien, nous ne savons pas dans
quelle action nous sommes engagés en ce
moment, mais ils ont été assez
explicites, je veux dire, très
explicites. En fait, certains d’entre
eux ont dit que si les Etats-Unis sont
prêts à aller faire le boulot, de la
façon dont nous l’avons fait par le
passé en d’autres endroits, ils
supporteront le financement. » Les
pays à même de financer une intervention
militaire en Syrie ne sont pas nommés,
mais si l’on considère le jeu d’alliance
dans la région, il ne peut s’agir que de
pays comme le Qatar, l’Arabie Saoudite,
ou le Koweït. Étonnante déclaration de
John Kerry qui explique publiquement, et
sans la moindre ambiguïté que les forces
armées de son pays, seront
éventuellement employées comme
mercenaires de pays qui sont dirigés par
des « régimes » autocratiques et
sectaires, voire dictatoriaux.
[l] Ce rapport est en libre accès
sur internet :
https://bsnews.info/wp-content/uploads/2013/09/ISTeams-Ghouta-Rreport.pdf
[li] Cette expression signifie
« réconciliation ». Musalaha est une
initiative populaire, fondée sur
une base non confessionnelle, elle se
présente comme une démonstration
d’espoir qu’une troisième voie demeure
possible pour résoudre le conflit armé.
Plus de détails sur ce lien :
http://www.syriasolidaritymovement.org/musalaha/what-is-mussalaha/
[lii] « La vidéo à droite a été
réalisée par l’agence de presse de la
région d’al Marj. Elle montre des
enfants inanimés reposant sur le sol en
désordre. Au moins neuf de ces enfants
ont été transportés depuis Kafar Batna
sans aucune explication médicale ou
humanitaire. Il semble que le transport
des corps vise à obtenir, à chaque fois,
la combinaison la mieux à même d’évoquer
à la communauté internationale de façon
aussi saisissante que possible la
tragédie que constitue les attaques
chimiques. »
« Autre détail : la fille
habillée en jaune, est étendue dans un
assemblage présenté comme situé entre
Zamalka et Aïn Tarma. Mais nous l’avons
retrouvée figurant sur une autre vidéo,
à Jobar ! »
« Plus encore, les deux hommes
que l’on voit dans la vidéo nominée n°11
dans la première pièce avec les enfants
sont également présents dans cette vidéo
d’al Marj : ils ont été transportés dans
un autre endroit. »
[liii]La liste des personnes
massacrées ou enlevées à cette occasion,
au nombre de 250, est détaillée à la fin
du rapport de l’ISTEAMS.
[liv] Cette hypothèse n’est pas si
improbable que cela si on rappelle des
précédents historiques comparables : le
transfert d’otages dans des cercueils,
une fois anesthésiés, est une pratique
connue et pratiquée, comme ce fut le cas
pour Michel Seurat otage en Liban en
1985/86. Un transfert par bateau,
camion, puis hélicoptère, avec l’appui
de services étrangers est également
plausible. Une fois l’acheminement
effectué vers la Ghouta, rien n’était
plus facile que des les anesthésier à
des fins de mise en scène.
[lv] Rapport consultable en ligne :
http://www.hrw.org/reports/2013/09/10/attacks-ghouta
[lvi] Quelques exemples :
europe1.fr: « Syrie: pour Human Rights
Watch, Assad est derrière l’attaque aux
armes chimiques/
http://www.europe1.fr/international/syrie-pour-human-rights-watch-assad-est-derriere-les-attaques-chimiques-1635321;
France24.com : « Pour HRW, l’armée
syrienne est probablement à l’origine de
l’attaque chimique »/
http://www.france24.com/fr/20130910-syrie-armee-origine-attaque-chimique-hrw-assad-damas/
;L’Express.fr : « Syrie, la
responsabilité du régime de Damas dans
l’attaque du 21 août ne fait aucun
doute »/
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/syrie-la-responsabilite-du-regime-d-assad-dans-l-attaque-du-21-aout-ne-fait-aucun-doute_1283834.html.
[lvii] Nous renvoie à cette synthèse
que publiée par nos soins en mai 2013
sur le site Arrêt sur Info :
http://arretsurinfo.ch/comment-les-medias-intoxiquent-lopinion-publique-le-cas-de-la-syrie-viii/
[lviii]
http://www.hrw.org/fr/news/2010/09/07/george-soros-s-engage-verser-100-millions-de-dollars-human-rights-watch
[lix]
https://www.youtube.com/watch?v=1zUg9NrkcAQ
[lx]
http://www.up-syria-news.com/index.php/fr/les-nouvelles/monde-analyses/193-article-fr-000019
[lxi]https://www.wsws.org/fr/articles/2013/oct2013/syri-o14.shtml
[lxii]
http://allainjules.com/2013/10/12/terrorisme-syriemassacre-des-alaouites-les-mainstream-parlent-au-conditionnel/comment-page-1/
[lxiii]
http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/2013/10/human-rights-watch-d%C3%A9nonce-un-massacre-commis-par-des-rebelles-en-syrie.html
[lxiv]http://www.laplumeagratter.fr/2013/10/12/syrie-hrw-denonce-un-massacre-perpetre-par-des-rebelles-en-pays-alaouite/
[lxv]https://unoda-web.s3.amazonaws.com/wp-content/uploads/2013/12/report.pdf
[lxvi] C’est sous l’appellation
« rapport du MIT » qu’est le plus
souvent évoqué ce rapport, notamment
par ceux qui dénoncent l’ingérence
étrangère en Syrie, mais il s’agit d’un
abus de langage, puisque ce rapport ne
porte pas le tampon du MIT et qu’un de
ses deux corédacteurs n’y est pas
rattaché. C’est pourquoi l’expression
« du MIT » est mise ici entre
guillemets.
[lxvii]https://s3.amazonaws.com/s3.documentcloud.org/documents/1006045/possible-implications-of-bad-intelligence.pdf
[lxviii] Sur le site de l’armée
israélienne on lit, en réponse à la
question : qu’est qu’une roquette Grad ?
la réponse suivante : « La roquette
Grad, utilisée pour le tir ciblé de
courte et moyenne portée, a été
développée dans les années 1960 par
l’Union Soviétique et est devenue depuis
l’une des fusées les plus utilisées dans
le monde. Aujourd’hui, elle est utilisée
par des organisations terroristes comme
le Hamas et le Hezbollah. Ce dernier a
lancé 3000 roquettes de ce type durant
la Deuxième Guerre du Liban. Le roquette
BM-21, également appelée roquette Grad,
a été développée par l’URSS au début des
années 1960 et a intégré l’arsenal de
l’Armée rouge en 1963. La roquette a un
diamètre d’environ 122 mm et est de
courte ou moyenne portée, pouvant
atteindre jusqu’à 40
kilomètres. Aujourd’hui, ce type de
roquette est utilisé dans plus de 50
pays. »
[lxix]
https://www.youtube.com/watch?v=y_rKaalu81c
[lxx]
http://www.wpc-in.org/sites/default/files/documents/war-crimes-committed-againts-the-people-of-syria.pdf
[lxxi]Concernant les USA : « La
dynamique de contraction/relâchement a
prévalu dans les relations entre la
Syrie et les USA depuis la dissolution
de l’URSS jusqu’à l’intervention de 2011
qui visait à l’élimination définitive de
la loi du pourvoir bassiste. Les
protestations de la Syrie contre
l’occupation de l’Iral en 2003 ont
poussé les USA à mettre ouvertement sur
pied les préparatifs pour le changement
de régime en Syrie. L’analyste en
stratégie de l’Enterprise Insitute
Mickaël Leeden , en tant que l’un des
idéologues majeurs des néo-cons dit au
Daily Telegraph le 16 juin 2003: « que
cela vous agrée ou non, nous nous nous
situons dans le cadre d’une guerre
territoriale et nous ne pouvons nous
retirer (…) Nous devons renverser ces
régimes et constituer des états libres
dans tous ces pays (…) en déstabilisant
d’autres pays, d’autres états? Cela
n’est pas très difficile. »
Concernant la Turquie: « Lors de la
réunion des amis de la Syrie à
Doha/Qatar en juin 2013, Davutoglu
(ministre des affaires étrangères turc)
a affirmé son soutien à la guerre par
ces mots: « Notre soutien aux opposants
syriens est claire. Ce soutien va
continuer à s’amplifier. Lors de la
réunion d’aujourd’hui, nous avons
débattu de ce qu’il faudrait mettre en
oeuvre pour aider les opposants syriens
à s’étendre en préservant leur intégrité
aussi tôt que possible. »
[lxxii]
https://consortiumnews.com/2013/09/06/obama-warned-on-syrian-intel/
[lxxiii] résumés quotidiens de
renseignement hautement classifiés pour
le secrétaire à la défense, le président
du comité des chefs d’état-major, le
conseiller à la sécurité nationale, et
le directeur du renseignement national,
ils fournissent un résumé des événements
militaires importants à travers le monde
[lxxiv] Apprécions la première
phrase : « Nouvel accès de «
conspirationnisme » ou scoop
retentissant ? » :
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/12/09/l-enquete-a-charge-contre-les-etats-unis-apres-l-attaque-chimique-en-syrie_3528166_3218.html
[lxxv]
http://blogs.mediapart.fr/blog/thomas-pierret/101213/armes-chimiques-en-syrie-propos-de-lenquete-de-seymour-hersh
[lxxvi]Http
://www.marianne.net/Syrie-Du-gaz-sarin-dans-l-arsenal-djihadiste-mais-Obama-s-est-tu_a234444.html
[lxxvii] D’une longue liste on
pourrait par exemple ressortir: 1969,
révélation du massacre de May Lay au
Vietnam, ce qui lui vaut le prix
Pulitzer en 1970 ; révélations sur
l’attentat de la discothèque la Belle du
5 avril 1985 et l’opération el Dorado
Canyon contre la Libye dix jours plus
tard ; révélations sur les sévices subis
par les détenus de la prison Abu Ghraïb
après l’invasion de l’Irak en 2003, etc.
[lxxviii] Je pense en particulier au
livre de Bahar Kimyongür, Syriana, paru
en 2012 aux éditions investig’action.
[lxxix] Le poste de directeur du
renseignement national a été créé en
2004. Ce directeur est le conseiller
principal du président des États-Unis
pour les questions de sécurité
nationale, et il coordonne l’ensemble
des 17 agences de renseignement
états-uniennes.
[lxxx] Source : Hürriyet Daily News
du 7 avril :
http://www.hurriyetdailynews.com/turkey-us-dismiss-seymour-hersh-report-.aspx?pageID=238&nID=64686&NewsCatID=359
[lxxxi]
http://www.legrandsoir.info/obama-erdogan-les-rebelles-syriens-et-la-ligne-rouge-london-review-of-books.html
[lxxxii]http://www.mondialisation.ca/nouvel-expose-de-seymour-hersh-la-turquie-a-organisee-des-attaques-au-gaz-pour-provoquer-une-guerre-des-etats-unis-contre-la-syrie/5377163
[lxxxiii]https://www.wsws.org/fr/articles/2014/avr2014/hers-a08.shtml
[lxxxiv]
http://ilfattoquotidiano.fr/seymour-hersh-a-propos-dobama-de-la-turquie-et-des-rebelles-syriens/
[lxxxv]
http://reseauinternational.net/syrie-false-flag-mensonges-du-sarin/
[lxxxvi]
http://french.irib.ir/analyses/articles/item/328019-syrie-armes-chimiques-qui-donne-des-le%C3%A7ons
[lxxxvii]
http://mai68.org/spip/spip.php?article7071
[lxxxviii]
http://www.solidariteetprogres.org/actualites-001/armes-chimiques-syriennes-seymour.html
[lxxxix] François Asselineau donne à
ce propos une somme abondante de
détails. La première heure de cette
conférence est tout entière consacrée à
la question des conditions d’attribution
du prix Nobel de la Paix. Lien :
http://www.upr.fr/conferences/la-tromperie-universelle-comme-mode-de-gouvernement
[xc]
https://www.opcw.org/news/article/syria-submits-its-initial-declaration-and-a-general-plan-of-destruction-of-its-chemical-weapons-pro/
[xci]
https://www.opcw.org/fileadmin/OPCW/EC/M-34/ecm34dec01_e_.pdf
[xcii]
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2014/03/06/97001-20140306FILWWW00398-armes-chimiques-damas-ne-tiendra-pas-le-delais.php
[xciii]
https://www.opcw.org/news/article/13th-consignment-of-chemicals-delivered-to-latakia-raising-overall-total-of-removals-to-65/
[xciv]http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Syrie-Damas-accuse-de-recourir-aux-armes-chimiques-Brahimi-jette-l-eponge-2014-05-14-1149953
[xcv]
http://www.worldtribune.com/2013/05/31/nato-data-assad-winning-the-war-for-syrians-hearts-and-minds/
[xcvi]
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2014/05/12/97001-20140512FILWWW00308-syrie-paris-et-berlin-interdit-le-vote-dans-leurs-ambassades.php
[xcvii] Ce taux de popularité
est remonté à 38% avec l’affaire Charlie
Hebdo du 9 janvier 2014. Il est depuis
(mai 2015) retombé à 24%.
[xcviii]
https://www.opcw.org/fr/convention-sur-linterdiction-des-armes-chimiques/la-convention/
[xcix] publié et commenté le 25 août
2013 par le site Zero Hedge puis par
le site ICH
http://www.zerohedge.com/news/2013-08-25/military-intervention-syria-us-training-rebels-2011-and-complete-grand-plan-march-20
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
|