Un monde changeant
Poutine proclame
le conservatisme idéologie d'Etat
Fedor Loukianov
Fedor
Loukianov - © RIA Novosti. Alexei Naumov
Vendredi 13 décembre 2013
Un monde
changeant" par Fedor Loukianov
Source:
RIA Novosti
Dans son message annuel au Parlement
russe, Vladimir Poutine a pour la
première fois exprimé clairement et sans
équivoque la philosophie de l'Etat russe
: le conservatisme.
Ce n’est pas un scoop : les discours
antérieurs du président et l'ensemble de
la logique des actions du Kremlin ont
toujours indiqué que c'est cette école
de pensée qui était la plus proche du
gouvernement russe.
Cette fois le chef de l'Etat a
simplement expliqué ce qu'il entendait
par cette notion en citant le philosophe
Nikolaï Berdiaev : "Le conservatisme
n'empêche pas l’évolution, mais protège
de la régression, du mouvement vers
l'obscurité chaotique et vers un état
primitif".
Vladimir Poutine n'apprécie pas le
chaos – il s’est déjà beaucoup exprimé
sur le sujet. Aujourd’hui il a défini
une ligne claire : "Soit nous
rétrogradons vers la poursuite de
l'érosion des fondements de l'ordre
mondial, vers le triomphe de la primauté
de la force, vers la loi du plus fort et
vers la démultiplication du chaos, soit
nous prenons des décisions responsables
de manière collective".
En février 2012 il avait publié un
article intitulé "La Russie dans un
monde changeant", en prévision de
l'élection présidentielle. Son emphase
dans la description du monde qui
l’entourait pouvait se résumer au fameux
serment d'Hippocrate : "Primum non
nocere" – ne pas nuire.
En fin de compte, Poutine demandait
aux puissances occidentales et avant
tout aux Etats-Unis : que faites-vous ?
Pourquoi toute démarche majeure – de
l'ingérence dans les conflits régionaux
jusqu'aux initiatives d'envergure telles
que la monnaie européenne commune, en
passant par les tentatives de promouvoir
la démocratie – détruit ce qui restait
des principes régissant l'ordre mondial
? Tout ça pour donner un nouveau mal de
tête au monde entier et aggraver les
problèmes.
Le président – consciemment ou
intuitivement – part du fait que tout
changement, aujourd'hui, entraînera
forcément un résultat négatif. Selon
lui, le progrès n'est pas un but en soi
mais il doit servir à renforcer les
fondements du développement. En
revanche, s'il conduit au résultat
inverse, qui a besoin d'un tel progrès ?
Et qui a eu l'idée de dire qu'il
s’agissait d'un progrès ?
Les anciennes approches des relations
internationales et des affaires
mondiales sont critiquables, certaines
notions sont obsolètes et ont perdu de
leur efficacité dans les conditions
contemporaines. Il faut effectivement
reconnaître qu'elles ont énormément
changé. Mais le fait est que rien ne
vient prendre leur place. Plus
précisément, ce qu'on propose pour
remplacer les vieux principes ne forme
aucune carcasse et mène uniquement vers
des interprétations de plus en plus
floues. Et par conséquent vers
l'arbitraire, inévitable, qui lui
engendre le chaos.
L'accent mis sur les traditions, que
l'on entend depuis longtemps dans les
discours du président, a été réitéré
dans son message – le désir de trouver
quelque soutien est compréhensible.
Par définition le conservatisme est
opposé à l'idée d’un monde universel.
Chaque nation et culture est unique et
valorise, avant tout, sa propre
identité. Le tournant vers l'Asie de
nouveau proclamé par Poutine est donc
parfaitement logique – et pas seulement
pour des raisons géopolitiques ou
économiques.
De plus le président a qualifié
l'ascension de la Sibérie et de
l'Extrême-Orient de "priorité nationale
pour tout le XXIe siècle". La région du
Pacifique est probablement la seule
aujourd'hui à participer activement aux
processus mondiaux, à en faire partie,
tout en conservant sa propre tradition
culturelle. Cette combinaison de
l'économie et de la technologie moderne
avec une vision du monde qui tire ses
racines de l'histoire de la nation et ne
change pas ses priorités, est
certainement l'objectif de la Russie
telle que la voit Vladimir Poutine.
La partie de son message portant sur
la politique nationale était très
commerciale et objective. Alors qu'on
note une sérieuse prétention en ce qui
concerne la politique étrangère.
D'après les propos de Poutine, la
Russie prétend au droit de présenter sur
l’échiquier mondial un système de
pensées opposé à ceux qui dominaient
inconditionnellement la politique
internationale il y a encore peu de
temps.
C’est un changement significatif car
jusqu'à présent la politique de la
Russie était explicitement et
notoirement non idéologique. Le
pragmatisme était considéré comme
l'objectif absolu et une valeur phare en
politique étrangère. L'idéologie est une
notion à double-tranchant et
contraignante.
Cependant, dans un monde où les
images et les points de vue jouent
clairement un rôle prédéterminant, un
pays qui prétend à une position de
leader ne peut pas user d'un simple
mercantilisme. Ou simplement nier les
idées des autres. Il faut forcément
avancer une alternative. C'est risqué
car il existe un risque d’erreur, mais
en dépit de son conservatisme Vladimir
Poutine est joueur.
L’opinion de l’auteur ne coïncide
pas forcément avec la position de la
rédaction
La Russie est-elle imprévisible?
Peut-être, mais n'exagérons rien: il
arrive souvent qu'un chaos apparent
obéisse à une logique rigoureuse.
D'ailleurs, le reste du monde est-t-il
prévisible? Les deux dernières décennies
ont montré qu'il n'en était rien. Elles
nous ont appris à ne pas anticiper
l'avenir et à être prêts à tout
changement. Cette rubrique est consacrée
aux défis auxquels les peuples et les
Etats font face en ces temps
d'incertitude mondiale.
Fedor Loukianov,
rédacteur en chef du magazine Russia in
Global Affairs.
© 2013
RIA Novosti
Publié le 13 décembre 2013
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