Opinion
Ayn Hod, Lifta et Haïfa
Fadwa Nassar
Jeudi 19 février 2015
Trois lieux en Palestine occupée.
Qu’est-ce qui relie le village Ayn Hod
situé dans le mont Karmel, Haïfa la
ville portuaire et Lifta, le village
situé à l’entrée ouest de la ville d’al-Qods ?
Outre le fait que ce sont des villes et
villages palestiniens occupés depuis
1948 par des colons venus d’ailleurs,
d’Europe principalement, pour instaurer
un Etat de Juifs et pour les Juifs sur
la terre arabo-musulmane de la
Palestine, avec le soutien actif de
l’impérialisme.
Ce qui relie ces trois magnifiques lieux
de la Palestine, c’est qu’ils témoignent
de la manière dont les colons
occidentaux, notamment européens dans le
cas de la Palestine, conçoivent les
territoires d’autrui qu’ils se sont
appropriés : des espaces dont ils
trafiquent l’histoire et juste un cadre
servant à exprimer leur égo, souvent
artistique, et dont la judaïsation
totale ou partielle (ou nettoyage
ethnico- religieux) s’accompagne de
mystification : le mythe de la « vie
commune » à Haïfa, le mythe d’un « art
sioniste non entâché de sang » à Ayn Hod,
et le mythe d’un passé biblique à Lifta,
bien que ce mythe soit généralisé en
Palestine occupée.
Ayn Hod ne fut pas détruit, comme les
centaines de villages palestiniens, en
1948. Il fut préservé, sans sa
population, pour devenir le cadre
pittoresque d’une colonie d’artistes
sionistes. Un village où vivait une
population composée de familles entières
travaillant la terre et pratiquant
divers métiers, fut transformé par des
colons en colonie pour artistes. Ce qui
les intéressait, en premier lieu, c’est
le site et les maisons construites en
pierre. Les artistes sionistes ont su et
savent encore que ces maisons
appartiennent à des Palestiniens,
expulsés soit vers al-Nasra dans al-Jalil,
soit vers le camp de Jénine, en
Cisjordanie ou vers Amman, en Jordanie.
Le clan Abul-Hayga, au fil des
générations depuis la Nakba en 1948, n’a
jamais abandonné l’idée de retourner
vivre au village et de récupérer ses
biens, même si les autorités sionistes
ont été obligées d’accepter que
certaines familles du clan habitent à
proximité, sans que l’électricité leur
soit fournie et dans un espace
entièrement clos. Mais le clan hante les
lieux, ses fils se promènent tout
autour, d’autres y entrent, invités par
les colons, qui proposent parfois
d’acheter la maison. Mais les fils Abul
Hayga refusent : « on ne vend pas sa
maison » avait déclaré le sheikh Abu
Hilmi, décédé en 1982. Ayn Hod, le
village palestinien transformé en
colonie d’artistes, restera hanté
jusqu’au retour de sa population
expulsée.
La ville
arabo-palestinienne de Haïfa ne fut pas
détruite en 1948, les colons sionistes y
étaient parvenus, avant la Nakba, à s’y
infiltrer et à prendre possession de
plusieurs quartiers, notamment situés en
hauteur. Mais les Palestiniens de Haïfa
sont majoritairement expulsés du pays,
et leurs biens confisqués. Quantités de
belles maisons sont utilisées par
l’administration coloniale, d’autres
sont laissées à l’abandon, avec
interdiction formelle de les rénover ou
réparer. Plusieurs quartiers
palestiniens périclitent. Les juifs
sionistes, toutes classes confondues,
investissent les lieux et judaïsent
l’espace. Cependant, les Palestiniens
repeuplent la ville, certains déplacés
de leurs villages détruits, au temps du
gouvernement militaire (1952-1966),
d’autres plus tard, à la recherche de
travail et de logement. L’establishment
colonial s’inquiète et panique, bien
qu’il soit réputé libéral et même de
gauche. Un plan de judaïsation de la
ville palestinienne est mis en place,
sous couvert de « vie commune » et
d’animations artistiques. Un des
quartiers les plus visés est celui de
Hallissa, qui vit à présent le cauchemar
de la judaïsation. Les maisons des
Palestiniens expulsés vers le Liban ou
la Syrie, ayant été déclarés « biens des
absents », sont vendues par
l’administration coloniale au plus
offrant, c’est-à-dire aux Juifs
fortunés, les Palestiniens du pays ayant
rarement pu acheter à nouveau des biens
qui leur appartiennent. Depuis une
dizaine d’années, le quartier Hallissa
se transforme en quartier d’accueil pour
les colons, en quête de « couleur
locale », c’est-à-dire palestinienne,
notamment au cours d’animations
« culturelles et artistiques », décidées
par la mairie sioniste, soit disant pour
promouvoir une « vie commune » entre
colons juifs et palestiniens. Reste à
remarquer que la « vie commune » façon
sioniste ne consiste pas à transformer
les quartiers devenus juifs en « espace
commun » mais uniquement les quartiers
palestiniens, où l’argent et ceux qui le
possèdent parviennent à judaïser le
lieu. La « vie commune » est à sens
unique, pour l’administration coloniale,
elle consiste à éventrer le reste de
l’espace palestinien, à l’aide
d’artistes sionistes (et malheureusement
quelques artistes palestiniens qui,
pensant servir la présence
palestinienne, cautionnent cette forme
de judaïsation du lieu).
Lifta, le village
palestinien à l’entrée occidentale de la
ville d’al-Quds, n’a pas été détruit,
bien que sa population ait été
entièrement expulsée. Elle vit à présent
en Cisjordanie, ou en Jordanie, ou même
en exil, dans les camps de réfugiés.
Construites en pente, ses maisons en
pierre, pillées et transformées en lieux
de débauche par les colons, sont
l’objet, depuis plus de dix ans, de
projets sionistes, tous voulant mettre à
profit la beauté du site. Les artistes
sionistes réclament leur part, les
promoteurs immobiliers aussi, mais se
sont greffées aussi des prétentions
bibliques, l’entité coloniale ayant
« trouvé » une source qui appartiendrait
au patrimoine biblique. Lifta, le
village palestinien dont les maisons et
le paysage ont été préservés de la
destruction, continue à lutter. Sa
population, loin de baisser les bras,
essaie de s’organiser et revendique son
retour.
Mais l’entité
coloniale a récemment proposé le site de
Lifta pour faire partie du « patrimoine
juif sioniste » à l’UNESCO. Quantité de
villages et sites palestiniens ont déjà
été mutilés par l’occupant et attendent
la légalisation de la falsification de
leur histoire, que ce soit à Yafa, Akka,
ou à al-Khalil, Bethlehem et al-Quds. La
communauté internationale, ou ce qui est
considéré comme tel, légalisera-t-elle
le crime de la mutilation de l’histoire
après avoir légalisé le crime du vol de
la Palestine, en 1947 ?
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