Palestine
La mémoire des envahisseurs :
« Nous avions peur qu’ils reviennent »
Fadwa Nassar
La colonie
Maale Adomim - © Photo: PCHR
Vendredi 15 avril 2016
« Je n’ai pu fermer l’œil de la nuit.
Sur mon lit, un fusil à mes côtés,
j’imaginais les gens de ce village, qui
ont fui par peur et qui sont
probablement juste à côté, attendant la
première occasion pour retourner à leurs
villages, à leurs maisons….
Qu’allons-nous faire si ces jeunes
rassemblent leur courage et viennent ici
la nuit, pour se venger ? » (un colon
membre d’une colonie moshav, implantée
dans le centre de la Palestine occupée).
Quelques années
après avoir envahi la Palestine,
massacré et expulsé son peuple, les
colons installés dans les maisons des
Palestiniens, ou dans leurs villages
démolis, continuent à craindre leur
retour, malgré la destruction
systématique des villages, ordonnée par
les autorités coloniales, pour empêcher
ce retour. Pour ces colons, les
Palestiniens qui ont tenté leur retour
au village sont non seulement des
« infiltrés » indésirables, mais aussi
des « voleurs » bien qu’ils soient
revenus pour récupérer leurs propres
biens.
« Il y avait
beaucoup d’infiltrés… Ils venaient la
nuit pour voler les citrons avant de
retourner à Gaza… Nous faisions la garde
du kibbutz contre eux, nous en avions
arrêté certains et amenés au kibbutz.
Puis l’armée venait les récupérer au
matin et nous payait pour cela. Il y
avait une sorte de « prison » dans le
kibbutz, nous y gardions les captifs
jusqu’à ce que l’armée les récupère ».
Non seulement les
« infiltrés » palestiniens étaient
arrêtés, mais ils étaient souvent tués
par les colons, qui les pourchassaient
« presque toutes les nuits », au cours
d’expéditions menées du côté de la mer,
« pour arrêter les contrebandiers et les
voleurs ». Pour justifier leurs crimes,
un colon écrit : « tu y vas avec ton
arme et tu tires, et si tu ne le fais
pas, ils le feront. Plus d’une fois, les
contrebandiers ont été tués. »
Les colons qui ont envahi la Palestine,
avec l’aide de la Grande-Bretagne, ne se
sont pas installés sur une terre non
peuplée et non cultivée, où ils auraient
construit leurs maisons, planté leurs
jardins ou leurs « désert », comme le
proclame leur propagande, relayée par
les gouvernements occidentaux. Les
souvenirs rapportés par ces colons, au
cours des dix premières années après
l’occupation de la Palestine et
l’expulsion de plusieurs centaines de
milliers de Palestiniens de leur pays et
de leurs terres (1948), témoignent au
contraire que ces terres étaient
cultivées et que les maisons non
démolies furent razziées et vidées de
leur contenu.
Les colons qui
furent installés par l’armée sioniste,
ou qui se sont installés par eux-mêmes,
sur les terres des villages démolis, ont
pleinement profité des vergers, des
oliveraies et des champs cultivés par
les Palestiniens, comme le décrit un
colon :
« Kerem ben
Zimra (la colonie implantée dans le
village de Ras al-Ahmar, dans le Haut-Jalil)
… fut, dans un passé proche, riche de
vergers cultivés par les Arabes qui y
vivaient, où poussaient les figues, les
raisins, les grenades, les mûres, les
noix, les amandes et une oliveraie. Ces
arbres continuent à pousser partout dans
le moshav, bien qu’ils ne soient pas
soignés et cultivés comme par le passé.
Néanmoins, au cours des semaines d’été,
les résidents profitaient des fruits et
des arbres ». Les colons ont non
seulement utilisé le matériel
« abandonné » par les villageois
palestiniens, comme le four, par
exemple : « Nous avons commencé à cuire
le pain dans un four abandonné par ses
précédents propriétaires », écrit un
colon, mais les maisons à moitié
démolies furent razziées : « Ici et là,
nous avons vu des tabourets et
différents équipements ménagers. Nous
n’avons pas du tout hésité, nous les
avons pris pour les utiliser dans nos
tentes et cabanes.. Donc, peu à peu,
nous nous sommes équipés avec le minimum
de confort. Quelques-uns sont allés plus
loin, et ont commencé à récupérer
délibérément (des objets) pour
entreprendre des affaires, mais la
plupart d’entre nous se sont contentés
du minimum d’objets. Plus tard, une
recherche systématique des objets a
commencé et des membres se sont même
arrangés pour prendre des armoires, des
tables et des chaises… » (les colons de
Kabri, sur les terres du village
palestinien al-Kabri, dans al-Jalil).
Cette « appropriation » d’objets qui
appartiennent aux Palestiniens devenus
réfugiés est rapidement légitimitée et
même légalisée par les autorités
coloniales, qui agissent fermement pour
que les réfugiés ne puissent pas revenir
à leur pays, en détruisant autant que
possible les villages et les maisons qui
s’y trouvent.
Les colons savaient
qu’ils s’appropriaient des objets et des
terres qui ne leur appartenaient pas.
Mais ils ont fermé les yeux et même
justifié leurs vols. Certains ont
considéré que leur sort (« holocauste »)
en Europe pouvait tout excuser, alors
qu’une partie des colons venue des
Etats-Unis ou de pays arabes (Yémen,
Irak, Maroc) ne partage même pas cet
épisode vécu par les Juifs européens.
D’autres, juifs américains, ont
considéré que le fait de promouvoir le
sionisme « enchanteur » sur terre
pouvait excuser tous les crimes commis,
car « le kibbutz que nous avons
construit à Sasa (village palestinien de
Sa’sa’, où un massacre a eu lieu en
1948) sera dédicacé non seulement à la
renaissance de notre peuple mais à
l’humanité…y compris à nos voisins
arabes ». Un cynisme
qui n’a rien à envier à celui de
Netanyahu, Pérès, Ben Gourion ou Sharon.
Certains, comme les colons de Kabri,
justifient leurs crimes par le fait que
les Palestiniens du village ont
dignement résisté contre les bandes
sionistes armées par les Britanniques et
en ont tué des dizaines. Quant aux
colons artistes installés dans le
village palestinien de Ayn Hod,
au-dessus de Haïfa, ils justifient leurs
vols par une histoire mythique où des
juifs y auraient vécu il y a des
millénaires, se considérant comme leurs
descendants.
Le retour des
réfugiés palestiniens à leurs villages
et à leur terre hante les colons et
l’entité qui les a rassemblés. Depuis
1948, toutes les mesures prises par
l’entité coloniale vise à empêcher un
quelconque lien entre le réfugié (même
interne, c’est-à-dire vivant en
Palestine occupée en 48 mais ailleurs
que dans son village ou sa ville) et son
village et sa terre. Tous les colons, ou
la plupart, refusent leur retour. Et
quand certains proclament
« généreusement » le droit au retour des
réfugiés palestiniens, c’est en
Cisjordanie ou à Gaza qu’ils espèrent ce
retour, et non à leurs propres villages,
même détruits, et à leurs propres
terres. Lorsque des réfugiés
palestiniens du village de Dimra (où est
implantée la colonie Erez) venus de la
bande de Gaza après son occupation en
1967 sont parvenus à rencontrer les
colons qui vivent sur leurs terres , ces
derniers n’avaient eu qu’un seul désir,
qu’ils s’en aillent le plus tôt
possible, ne pouvant supporter la vue de
ces Palestiniens parcourant les vergers
et touchant aux fruits et aux arbres,
« comme s’ils leurs appartenaient » :
« certains d’entre nous ont ressenti de
la culpabilité et une responsabilité
envers eux. Mais aussi un besoin urgent
de les pousser ailleurs » (Les textes
cités sont pris de « Erased from space
and consciousness » Noga Kadman, Indiana
University press, 2015).
De leur exil, les
réfugiés se préparent cependant au
retour. Non pas en Cisjordanie ou à
Gaza, où des réfugiés attendent
également leur retour, mais à leurs
villages, même détruits, à leurs champs
spoliés , à leurs villes défigurées par
le sionisme, de gauche ou de droite. Les
Palestiniens vivant encore dans le pays
les attendent. Des liens sont tissés
entre les différentes communautés, que
la Nakba a dispersées. Malgré tous les
malheurs qui se sont abattus sur eux,
depuis 1948, les réfugiés n’ont pas
perdu l’orientation ni la boussole de
leurs luttes : revenir au pays et en
chasser les envahisseurs. Des centaines
d’associations et de centres de
recherches, financés par les pays
occidentaux, cherchent à les en
détourner, notamment en ces périodes de
crise. Mais la mémoire des plus âgés,
ceux qui ont survécu aux massacres et
qui ont été expulsés, est restée vive et
saura vaincre toutes leurs tentatives.
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