Opinion
De Bruxelles, je rejette la solidarité
d’Israël
David Cronin
Photo:
D.R.
Jeudi 24 mars 2016
Voilà 21 ans que je vis à Bruxelles,
mais je n’ai jamais perçu cette ville
comme la mienne, jusqu’au moment où
Donald Trump l’a insultée.
En
décrivant Bruxelles comme un
« trou à rats » en raison de son
importante population musulmane, Trump
s’en prenait à mes amis et voisins.
Trump attaquait des personnes comme ce
charmant Syrien que je vois presque
chaque jour; sa fille est dans la même
classe que la mienne.
En fait, ce Syrien que je connais a
été la dernière personne que j’ai vue
lorsque j’ai quitté l’école mardi matin.
Très peu de temps après, je recevais un
message de ma femme me parlant des
explosions. Elle était arrivée sans
encombre à son travail, Dieu merci. En
cours de route, elle était passée par la
station de métro Maelbeek, quelques
minutes à peine avant qu’une bombe n’y
explose.
Nous ne connaissons pas encore les
identités de toutes les victimes.
Toutefois, elles appartenaient à toute
une diversité d’ethnies et de
nationalités. Elles parlaient des
langues différentes. Certaines étaient
sans doute croyantes, d’autres pas.
En bref, elles représentaient la
chose que je préfère de loin dans ma
ville d’adoption : son
multiculturalisme.
La première réaction de Donald Trump
aux attaques a été de tenter de
justifier son commentaire au sujet du
« trou à rats ». Une fois de plus,
il a fait étalage de son sectarisme. Le
candidat à la présidence ne loupera
aucune occasion d’attiser la peur.
Un trou à rats ?
Il ne devrait pas être nécessaire
d’expliquer ceci en détail, mais je le
ferai quand même. Les musulmans de
Bruxelles contribuent massivement à
l’esprit multiculturel de la ville. Ils
contribuent à rendre Bruxelles très
vivant et convivial, à en faire tout à
fait l’antithèse d’un trou à rats. Les
hommes qui ont perpétré les attentats de
cette semaine ne bénéficiaient d’aucun
mandat de leur communauté. Insister,
comme les gens fanatiques le font, pour
que les musulmans prouvent leur horreur
vis-à-vis de ces crimes, est une
profonde marque d’ignorance.
Malheureusement, la communauté
musulmane souffre, à cause de cette
ignorance. Quand il est apparu que les
attentats de Paris en novembre dernier
avaient été préparés à Bruxelles,
d’importants effectifs de policiers et
de militaires ont été déployés dans les
rues de cette ville. J’ai assisté à des
incidents où des jeunes hommes ont été
harcelés par la police, ces derniers
mois. Il n’y avait aucune indication que
ces jeunes aient fait quelque chose de
répréhensible. D’après ce que j’ai vu,
on ne les a importunés que parce qu’ils
étaient musulmans.
L’habituelle réponse à ce genre
d’atrocités, ce sont les pamphlets que
les comités d’experts publient sur la
façon d’aborder la
« radicalisation ». Les analystes
de ces groupes d’experts s’en prennent
rarement aux causes du terrorisme et ne
cherchent pas plus à le comprendre (et,
comme Frank Barat l’a écrit dans un
nouvel
article, comprendre n’est jamais la
même chose qu’excuser). Accepter que
l’impérialisme puisse être incriminé, a
tout du tabou, pour ces analystes, dont
beaucoup ont leurs « recherches »
financées par de grosses sociétés et des
gouvernements occidentaux.
Le droit à la colère
Les habitants de Bruxelles ont tout à
fait le droit d’être en colère à propos
de ce qui s’est passé cette semaine.
Nous devrions certainement exiger que
les autorités mettent tout en œuvre pour
arrêter les suspects. Mais nous ne
devrions pas accepter que les musulmans
puissent être brimés et stigmatisés.
Dirigeons plutôt notre colère contre
le petit nombre de personnes qui ont mis
le Moyen-Orient à feu et à sang. Le
terrorisme de l’État islamique est une
conséquence directe de la guerre
déclarée à l’Irak en 2003. S’il n’y
avait eu cette invasion illégale, il n’y
aurait pas eu d’attentat à Bruxelles
mardi, ni non plus à Istanbul samedi ou
à Bagdad le mois dernier.
Deux hommes, finalement, ont été
responsables de l’invasion et de la
destruction de l’Irak : George W. Bush,
à l’époque président des États-Unis, et
Tony Blair, à la même époque Premier
ministre britannique. Pourquoi sont-ils
toujours en liberté ?
La plupart des messages adressés aux
gens de Bruxelles cette semaine sont
venus du fond du cœur et ont été
appréciés. Quelques-uns, toutefois,
étaient cyniques. Un de ces messages
étaient méprisant. Il venait d’Israël.
Le gouvernement israélien, comme un
seul homme, a prétendu qu’il « était
avec Bruxelles ». En tant
qu’habitant de Bruxelles, je refuse
cette solidarité.
Ofir Akunis, le ministre israélien de
la Science, a tenté de jouer à la
politique. Il a suggéré que les
attentats ont eu lieu parce que,
plutôt que de combattre le terrorisme,
l’Europe était trop occupée à coller des
étiquettes sur les marchandises en
provenance des colonies israéliennes en
Cisjordanie occupée.
Ses commentaires sont trop ineptes
pour mériter qu’on les réfute. Et, en
outre, l’étiquetage
auquel il fait allusion est une
initiative lancée par l’élite politique.
Bien des citoyens européens ordinaires
sont allés au-delà de cette exigence
d’étiquettes : ils sont trop occupés à
boycotter tous les produits israéliens
et à faire campagne contre les
entreprises qui cherchent à tirer profit
de l’occupation.
Et nous resterons très occupés.
L’hommage le plus adéquat aux victimes
de la violence est de s’en prendre à ses
causes profondes. Cela signifie
combattre l’impérialisme, le sectarisme
et l’inégalité. Cela signifie défendre
le multiculturalisme, une belle et noble
idée qu’Israël a rejetée.
Publié le 23 mars 2016 sur
The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal.
David
Cronin est l’auteur de Europe’s
Alliance With Israel: Aiding the
Occupation (Pluto Press, 2011 –
L’Alliance de l’Europe avec Israël
contribue à l’occupation). Il a écrit
des articles pour de nombreuses
publications, dont The Guardian, The
Wall Street Journal Europe, European
Voice, the Inter Press Service, The
Irish Times and The Sunday Tribune. En
tant qu’activiste politique, il a tenté
d’appliquer un état d’ « arrestation
citoyenne » à Tony Blair et
Avigdor Lieberman pour
crimes contre l’humanité.
Le
dossier Monde
Les dernières mises à jour
|