Syrie
Le théorème de Bachar al-Assad
Bruno Guigue
Mercredi 21 octobre 2020
Prolongée par un acharnement
criminel dont Erdogan n'est que
l'instrument, la guerre qui
sévit en Syrie depuis dix ans a
fait l’effet d’un révélateur
chimique. Protagonistes
embusqués de ce bain de sang,
les gouvernements américain,
britannique, français, turc,
saoudien et qatari passeront à
la postérité pour ce qu’ils sont
: les bourreaux d’un peuple qui
ne leur a rien fait. La tragédie
syrienne a dissipé leurs
faux-semblants. Elle a exposé au
grand jour leurs stratégies les
plus retorses. Mais la pire de
toutes a consisté à blanchir le
terrorisme chez les autres.
Comment résister à la nausée
devant la viscosité de ces
politiciens qui, à chaque
attentat sur le sol français, se
répandent en condamnations
indignées d’une violence
terroriste qu’ils ont nourrie et
encensée ailleurs ? On se
souvient qu’il n’y a pas si
longtemps, la médiasphère
occidentale déployait sa fausse
dialectique pour faire de la
branche syrienne d’Al-Qaida une
respectable organisation
combattante. On nous disait que
le Front Al-Nosra, c’est ainsi
qu’il se nommait, finirait par
se « normaliser ». Et il
faudrait, tranchait François
Burgat sur une chaîne publique,
négocier pour de bon avec cette
organisation destinée à faire
partie du « futur de la Syrie ».
Son affiliation revendiquée à
Al-Qaida, son idéologie haineuse
et sectaire, sa pratique répétée
des attentats aveugles frappant
les civils, le régime de terreur
obscurantiste qu’elle répandait
comme la peste partout où ses
coupeurs de tête avaient
l’opportunité de sévir ?
Peccadilles. Une sorte de
mutation génétique devait valoir
à l’organisation djihadiste
concurrente de Daech, pour
rétribution de ses services
rendus contre Damas, un
véritable brevet de
respectabilité. C’est ainsi que
la diplomatie occidentale
faisait des miracles. De son
chapeau de magicien, elle
sortait des terroristes modérés,
des extrémistes démocrates, des
coupeurs de tête humanistes, des
mangeurs de foie philanthropes.
Cette opération de blanchiment
de la branche syrienne d’Al-Qaida,
en effet, se déroulait au moment
où cette organisation confortait
son hégémonie politique et
militaire dans le nord de la
Syrie. La prédestinant à jouer
un rôle majeur au lendemain de
l’effondrement attendu de l’État
syrien, ce succès lui valait les
faveurs des puissances
occidentales et régionales
décidées à abattre le dernier
État laïc et progressiste du
Moyen-Orient. Peu importaient
alors le coût humain et le prix
politique de ce consentement
anticipé à l’instauration en
Syrie d’un pouvoir sectaire et
mafieux. La chute de Bachar Al-Assad
était un jeu, disait-on, qui en
valait la chandelle.
Le terrorisme remaquillé pour
les besoins de la cause rendait
- et il rend encore - des
services inespérés à la vaste
coalition contre la Syrie
souveraine. Cette connivence des
États occidentaux et des
monarchies pétrolières avec les
rejetons frelatés d’Al-Qaida
signait la réinscription
simultanée des deux avatars du
terrorisme takfiriste dans
l’agenda stratégique occidental.
La destruction de l’État syrien,
objectif numéro un de l’axe
Washington-Riyad-Paris-Londres-Ankara-Doha,
secondé en coulisses par
Tel-Aviv, était une fin qui
justifiait tous les moyens, et
la perspective d’un émirat
extrémiste faisait clairement
partie du plan.
Pour le faire aboutir, les
puissances étrangères coalisées
contre le dernier régime
nationaliste arabe se
répartissaient cyniquement les
rôles. Dans son combat sans
merci contre la Syrie, les
tueurs d’Al-Qaida pouvaient
ainsi compter sur leurs précieux
amis : la Turquie leur livrait
des armes, Israël soignait leurs
blessés, le Qatar leur versait
un chèque à la fin du mois, et
le quotidien « Le Monde » les
faisait passer pour des enfants
de chœur. Qui se souvient qu’en
2014, lorsque le Front Al-Nosra
s’est emparé du village chrétien
de Maaloula, ce quotidien osait
nier que les extrémistes aient
tué le moindre civil, alors
qu’on pouvait voir sur la BBC,
au même moment, les obsèques
religieuses des victimes de
cette agression ?
C’était l’époque où la prétendue
« coalition internationale »,
lors de l’offensive de Daech
vers Palmyre, s’abstenait de
tirer la moindre cartouche, ce
sauf-conduit offert aux
terroristes illustrant la
parfaite duplicité de
l’antiterrorisme proclamé à
Washington et à Paris. Entre la
poussée du pseudo-État islamique
sur l’axe Palmyre-Damas et celle
du Front Al-Nosra sur l’axe
Alep-Damas, le rêve des ennemis
de Bachar Al-Assad semblait
alors se réaliser. Mais c’était
sans compter avec la résistance
du peuple syrien et la loyauté
de son armée. La mobilisation
générale de la piétaille
takfiriste devait coûter un
milliard de dollars par an aux
pétromonarchies du Golfe.
Acheminée aux organisations
terroristes par l’intermédiaire
de la CIA, cette manne n’a
pourtant pas suffi à provoquer
la chute de Damas.
Car c’était sans compter, non
plus, avec la capacité du
gouvernement syrien à nouer les
alliances nécessaires avec des
partenaires fiables. Afin de
desserrer l’étreinte mortifère
des sponsors de la terreur,
Damas a obtenu le précieux
concours de Téhéran, Moscou et
Pékin. En réalité, il n’y a
jamais eu de guerre civile en
Syrie : déclenchée par les
puissances impérialistes, cette
guerre est d’emblée un conflit
international de grande ampleur
où une coalition s’est formée
pour vaincre la coalition
adverse. Sur le théâtre des
opérations, aujourd’hui encore,
les seules forces en présence
sont les bandes armées du takfir
sponsorisé d’un côté,
agrémentées de quelques forces
spéciales occidentales en
vadrouille ; et les forces
militaires de l’État syrien
soutenues par leurs alliés
russes, iraniens et libanais, de
l’autre.
Devant ce constat, tout le reste
n’est que littérature. Les
distinctions entre rebelles «
démocrates », « modérés », «
laïques », « islamistes » ou «
djihadistes » sont des
stupidités sans nom, dont le
seul effet est de jeter un voile
pudique sur une nébuleuse
terroriste dont l’intention est
parfaitement claire : imposer
par la force un pouvoir sectaire
et collaborateur de
l’impérialisme. Si les
puissances occidentales et
régionales qui ont alimenté ce
brasier avaient cru aux
soi-disant rebelles modérés,
elles n’auraient pas blanchi le
Front Al-Nosra, accrédité au
tournant de 2014 comme
successeur potentiel du régime à
abattre, tout en s’interdisant
de combattre Daech lorsque cette
organisation affrontait l’armée
syrienne.
Aujourd’hui encore, les milliers
de terroristes qui contrôlent la
poche d’Idlib appartiennent au
dernier avatar d'Al-Qaida, Hayat
Tahrir Al-Cham, placé sous
perfusion militaire turque. Les
rotatives de la propagande ont
longtemps accrédité la fable
d’une guerre civile opposant un
régime sanguinaire à une
opposition démocratique. Mais
tout le monde a compris que la
réalité du conflit syrien,
depuis dix ans, c’est la lutte
qui oppose un conglomérat
terroriste sponsorisé et une
armée nationale qui défend son
pays contre l’invasion
étrangère.
Depuis 2011, les avatars
successifs de la filiale
semi-clandestine de la CIA qui
porte la dénomination d’Al-Qaida
ont accueilli en Syrie un flux
incessant de mercenaires
lobotomisés, avides d’en
découdre avec les mécréants et
les apostats. Cette injection
massive de fanatisme mortifère a
eu pour effet de prolonger une
guerre qui n’en finit pas. Mais
elle a aussi répandu ses miasmes
aux quatre coins du globe.
Revenant comme un boomerang,
elle a frappé partout. Bachar
Al-Assad avait averti les
Européens que leur duplicité
finirait par se retourner contre
eux. L’ignorance de ce théorème
n’en finit pas de présenter
l’addition.
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