Opinion
L’OTAN et les bacchanales du califat
Bruno Guigue
©
Francois Lenoir - Source: Reuters
Mardi 12 avril 2016
Dans un Moyen-Orient dévasté par
l’invasion savamment orchestrée des
desperados du djihad global, des
mercenaires psychopathes et des
mystiques sacrificiels mandatés pour le
détruire, on sait comment de richissimes
dynasties, aussi cupides que vermoulues,
ont abreuvé de leurs millions de
pétrodollars cette piétaille accourue de
partout et de nulle part. On sait aussi
par le menu, désormais, comment un
puissant Etat-membre de l’OTAN s’est
fait le fourrier empressé de cette
gangrène d’importation, par quels canaux
transfrontaliers il lui a fourni et
continue de lui fournir à foison des
hommes, des armes, des vivres et des
munitions.
Sans scrupule, la Turquie a non
seulement perçu les royalties d’un
pillage systématique des ressources
pétrolières, agricoles et artistiques
des territoires occupés par ses alliés,
mais sa politique du pire s’est acharnée
à perpétuer en Syrie une guerre ignoble
dont le peuple turc, par ricochet,
commence lui aussi à faire les frais.
Avec courage, les meilleurs journalistes
de ce grand pays n’ont cessé de le dire
: pour la plus grande honte de ses
dirigeants, la Turquie est devenue une
véritable « autoroute du djihad », une
voie express destinée au takfir, en
attendant, peut-être, un TGV pour
coupeurs de tête.
En entretenant le chaos, la Turquie
d’Erdogan sacrifie ainsi à son ambition
néo-ottomane et à sa voracité financière
le sort des populations de la région. En
ce sens, la guerre atroce qui endeuille
la Syrie depuis 2011 est aussi
incontestablement une guerre turque, une
guerre de l’OTAN. Et dans cette tuerie
par procuration, le moins qu’on puisse
dire est qu’Ankara aura atteint le
summum de la duplicité. Tout en livrant
des armes au conglomérat takfiriste,
notamment dans la province d’Alep où il
combat l’ennemi de toujours, l’ennemi
kurde, la Turquie prétend simultanément
combattre Daech, organisation avec
laquelle elle fait pourtant de juteuses
affaires et entretient une connivence
qui ne trompe personne.
N’oublions pas qu’avec la deuxième
armée de l’OTAN, la Turquie est la pièce
maîtresse du dispositif occidental au
Moyen-Orient. Civil ou militaire,
islamiste ou kémaliste, son gouvernement
a toujours été l’auxiliaire zélé de
l’Oncle Sam. Que sa puissance militaire
plane sur le nord de la Syrie, que son
gouvernement y aide massivement les
gangs djihadistes, que cet allié
militaire se compromette sans vergogne
avec les assassins de Paris et
Bruxelles, cependant, n’émeut pas les
dirigeants français. A l’abri de cette
fiction qu’est la « coalition
internationale », ce conglomérat de
pacotille qui livra Palmyre à Daech,
l’on choisit de perpétuer l’alliance
grotesque entre des Etats qui
nourrissent la terreur et des Etats qui
lui servent de cible.
Complice jusqu’au bout de cette
ignominie, Paris redouble donc de
servilité. Pendant que l’allié turc
nourrit le monstre qui a frappé sa
capitale, que fait le gouvernement
français ? Suprême dérision : il jette
une dernière pelletée sur l’indépendance
gaullienne. Le 7 avril, il fait voter
par l’assemblée nationale la
ratification du protocole de Paris, un
texte qui entérine la réintégration de
la France dans l’organisation militaire
de l’OTAN. Il achève ainsi l’oeuvre de
Nicolas Sarkozy, le fossoyeur du
gaullisme, qui décida ce retour à
l’atlantisme en 2009.
L’OTAN ? Erdogan en a fait la catin
des rois décadents du pétrole
péninsulaire et la complice délurée des
sanglantes bacchanales du califat. Pour
des socialistes français qui ne sont
jamais à court d’une nouvelle imposture,
à l’évidence, voilà d’excellentes
raisons de revenir au bercail. Paris a
choisi son moment, et l’histoire s’en
souviendra.
Bruno Guigue | 12
avril 2016
Bruno Guigue est un haut
fonctionnaire, essayiste et politologue
français né à Toulouse en 1962. Ancien
élève de l’École Normale Supérieure et
de l’ENA. Professeur de philosophie dans
l’enseignement secondaire et chargé de
cours en relations internationales dans
l’enseignement supérieur. Il est
l’auteur de cinq ouvrages et d’une
soixantaine d’articles. Aujourd’hui
professeur de philosophie, Bruno Guigue
est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont
« Aux origines du conflit
israélo-arabe, l’invisible remords de
l’Occident » (L’Harmattan, 2002).
Le sommaire de Bruno Guigue
Le
dossier Turquie
Les dernières mises à jour
|