Arrêt sur Info
Jamais la Russie n’abandonnera la Syrie
Boris Rojin
Des
troupes russes participent-elles aux
combats en Syrie?
Mardi 15 septembre 2015
On a beaucoup reparlé ces derniers
jours de la participation de troupes
russes aux côtés de l’armée de Assad
dans la lutte de la Syrie contre le
Califat. Je voudrais seulement éclaircir
ici quelques points.
1. – Ce n’est un secret pour
personne que la survie du régime Assad
dépend de l’assistance que la Syrie
reçoit de la Russie et de l’Iran.
La Russie a bloqué la création par le
Conseil de sécurité de l’ONU d’une zone
d’interdiction de vol, permettant ainsi
la survie politique de Assad. Quant à
l’assistance militaire, tant russe
qu’iranienne, elle a assuré la survie
militaire du gouvernement syrien
légitime qui, depuis 4 ans, se bat le
dos au mur malgré la perte de nombreux
territoires syriens. Le régime Assad a
montré ses capacités de combat et de
résistance.
2. – La Russie et l’Iran ne
prennent pas part directement aux
combats aux côtés des Syriens,
mais ils aident à maintenir l’État
syrien en vie. Le fardeau de la guerre
reste sur les épaules de l’armée
régulière syrienne et des milices qui se
battent sur les différents fronts. Il
est clair que sans les
approvisionnements transitant par les
ports syriens sur la Méditerranée, il
serait beaucoup plus difficile de
maintenir les troupes prêtes au combat.
Il est aussi évident que sans les
conseillers russes polis et les
spécialistes appartenant à la Garde
révolutionnaire iranienne, les forces
syriennes ne seraient pas aussi
affûtées. Et donc cela fait longtemps
que la Russie et l’Iran participent au
conflit du côté du gouvernement syrien,
ce qui irrite Washington, qui suggère,
diplomatiquement bien sûr, qu’il est
temps pour Moscou de laisser tomber le
régime Assad. Un certain nombre de
suggestions ont été lancées sur le
sujet «échangeons Assad».
3. – Néanmoins, aujourd’hui, la
Russie n’a clairement pas l’intention de
cesser de soutenir Assad. Et
plus encore, la Russie tente aujourd’hui
d’assurer sa survie à long terme, en
échafaudant une alliance entre les
différents belligérants qui se battent
contre le Califat. Moscou espère que si
le Califat, et non plus Assad, devient
la principale menace, alors les
États-Unis accepteront qu’un règlement
politique en Syrie puisse se construire
sur un compromis avec Assad, et non sur
son éviction ou élimination. Mais les
États-Unis ont rejeté la proposition
russe et, plus encore, ont durci leur
position au sujet de la Syrie, déclarant
ouvertement que si Assad tente de
reprendre du terrain sur les partisans
soutenus par les Américains, le
territoire sous contrôle de Damas sera
bombardé. A cet égard, les États-Unis
continuent de souligner que l’opposition
pro-occidentale est la mieux structurée,
même si aujourd’hui elle est loin de
pouvoir inquiéter Assad.
4. – La Turquie, qui a
beaucoup craché sur le régime Assad en
soutenant ses adversaires sur le
terrain, s’est maintenant lancée dans
une autre direction, en
nettoyant les régions kurdes (notamment
celles, autonomes, du Nord de la Syrie
et du Kurdistan irakien). Du coup, la
Turquie s’est engagée dans le combat
contre le Califat et a commencé à lancer
des frappes aériennes contre le
territoire des cinglés au drapeau noir.
Les Américains ont laissé tomber les
Kurdes, abandonnant du coup ce projet
longtemps caressé d’un Grand Kurdistan
en Syrie, Turquie et Iraq. Maintenant,
la priorité pour les Américains est
d’envoyer la Turquie contre le Califat
(la coalition actuelle ne peut rien
faire contre) et en même temps
d’empêcher tout rapprochement entre
Ankara et Moscou, vu la confrontation en
cours entre les États-Unis et la Russie.
5. – Pour la Russie, il est
nécessaire de tenir ses positions en
Syrie au milieu d’un désordre sanglant,
ce qui veut dire qu’il faut maintenir
Assad au pouvoir… La Russie est
intéressée au premier chef à
l’élimination du Califat, dont
l’influence se fait sentir jusqu’en Asie
centrale, au Caucase et même sur le
territoire russe. Une victoire du
Califat signifierait qu’un État
islamique très agressif pourrait voir le
jour dans le Sud de la Russie. Et que ce
Califat chercherait à s’étendre
indéfiniment par la guerre et la
violence, y compris vers le Nord, donc
la coalition qui agit avec les
États-Unis pour repousser le Califat est
plutôt dans l’intérêt de la Fédération
de Russie.
6. – Le problème principal :
personne ne veut affronter le Califat
directement.C’est une chose de
bombarder les positions du Califat
depuis une base sûre (la défense
aérienne des troupes du Califat est
faible et s’occupe uniquement de la
courte portée, bien que l’exemple de
l’avion jordanien abattu montre que le
risque n’est pas nul) et là, la Russie
peut se joindre aux raids aériens sur
des positions du Califat en Syrie dans
ces zones, qui peuvent aider l’armée
syrienne. Problème : le coût financier
du maintien des matériels sur le
territoire syrien et le coût des
missions de combat.
7. – C’est une autre chose,
par contre, de mener une guerre au sol.
En ce moment, l’armée syrienne, les
milices kurdes, les groupes islamiques
autonomes, les groupes pro-syriens [le
Hezbollah, notamment, NdT], l’armée
irakienne et les milices chiites se
battent contre les troupes du Califat.
L’Iran est indirectement impliqué dans
certaines de ces actions, notamment par
le biais des milices chiites. Les
États-Unis et l’OTAN se sont surtout
cantonnés à des frappes aériennes
coûteuses, à l’entraînement de l’armée
irakienne, et à l’équipement des milices
syriennes anti-Assad. Actuellement, la
Turquie et l’Iran se retiennent
d’envoyer leurs forces terrestres contre
le Califat, les pertes pouvant être
conséquentes, et les bénéfices d’une
telle intervention pouvant être
recueillis par d’autres : les
États-Unis, la Russie et la Syrie. La
Turquie s’intéresse maintenant à une
extension territoriale aux dépens des
Kurdes. L’Iran, comme avant, préfère
mener une guerre hybride, en
aidant la Syrie de Assad, les chiites en
Iraq et les Houthis au Yémen. Le
problème est là : si tout le monde,
officiellement, est contre le Califat,
les rivalités et antagonismes empêchent
la constitution d’une coalition efficace
contre celui-ci. Actuellement, les
États-Unis, l’OTAN, la Russie et l’Iran
se contentent d’une guerre hybride.
C’est pourquoi les conseillers
militaires américains et européens
restent derrière l’armée irakienne et
les rebelles syriens, comme le font les
spécialistes russes et iraniens pour
l’armée syrienne. De plus, les Iraniens
aident activement les Houthis à résister
à l’invasion saoudite, elle-même
soutenue par les États-Unis.
8. – On a bien compris que le
plan de la Russie est la création d’une
coalition contre le Califat qui
inclurait Assad, et que cela
serait la meilleure solution pour tout
le monde (y compris pour la Syrie). Mais
quand on sait que personne ne
s’intéresse au bien commun, ce plan a
peu de chances de se réaliser. Les buts
de guerre de chaque participant sont
trop divergents. Aussi, il semble bien
que la Russie va poursuivre son
assistance technico-militaire à la
Syrie, en y ajoutant la possibilité de
frappes aériennes russes contre les
troupes du Califat en Syrie. La présence
de troupes russes terrestres en Syrie
reste peu probable, surtout pour des
opérations sur le territoire syrien. Au
maximum, on pourrait en voir pour
protéger la région de Tartous et de
Lattaquié, si ces ports qui permettent
de ravitailler la Syrie étaient
réellement menacés. L’Iran ferait de
même. Comme avant, ce sont les armées
syrienne et irakienne qui se battent
contre le Califat (et ces armées sont
toutes les deux équipées de matériels
russes). En principe, le meilleur
scénario pour la Russie serait la
destruction du Califat (ou au moins,
l’arrêt de son expansion) par les
autres, et dans ce plan, le prêt-bailrèglerait
le problème des armes pour ceux qui
doivent détruire l’une des principales
menaces dans la région et pour la
Russie. Il est sans intérêt pour la
Russie d’être entraînée dans une guerre
directe contre le Califat, puisqu’elle
n’en retirerait pas les principaux
avantages.
9. – La Russie devrait-elle,
ou non, prendre ses distances avec la
Syrie? Nous devons nous
rappeler que la Syrie est le dernier
pays du Moyen-Orient où la Russie exerce
encore une forte influence. Perdre la
Syrie signifierait que la Russie serait
absente du Moyen-Orient pour longtemps.
La chute du régime Assad déferait les
derniers obstacles qui gênent le Califat
dans son expansion, laquelle ne
s’arrêtera pas en Syrie, et notre pays [la
Russie, NdT] se retrouverait en
première ligne. Jusqu’à présent, la
Russie peut choisir ce qu’elle va faire,
où et comment elle va agir. A mon avis,
une intervention limitée et un soutien
massif à Assad sont la meilleure
solution, alors qu’une entrée directe
dans la guerre ne serait pas
rationnelle, et il y a plein de gens, à
part nous, qui veulent tirer sur les
drapeaux noirs. Mieux vaut leur donner
les armes. Aujourd’hui, le renforcement
du Califat ouvre à la Russie une fenêtre
d’opportunité pour être associée au
maintien de la paix et à la diplomatie
de la coalition, malgré l’apparente
mauvaise volonté de Washington. Il est
certain que lors du séjour de Poutine
aux États-Unis, il sera question non
seulement du Donbass, mais aussi de
l’avenir de la Syrie et du Califat.
10. – La Russie et l’Iran,
tout comme les États-Unis et l’OTAN,
affirment n’être pas officiellement
engagés dans la guerre. Il
s’agit d’une caractéristique de la
guerre hybride moderne. Mais tout le
monde comprend les règles du jeu, qui
sont une conséquence logique de
l’évolution des conflits locaux
impliquant les grandes puissances, et
dans ce contexte la guerre
informationnelle-psychologiqueet
ses composants médiatiques ont un rôle
important à jouer. La Russie et l’Iran
ont beaucoup appris des Américains, et,
alors que la guerre entre dans sa
quatrième année, on voit que ces deux
pays sont de bons élèves. Assad est
toujours là, quant à l’offensive
saoudienne, elle s’enlise dans le désert
yéménite.
Par Boris Rojin (Colonel Cassad) – Le
6 septembre 2015
Article original :
Fort Russ
Traduit du russe par J. Arnoldski
pour
Novorosinform
Traduit en français par Ludovic
Source: http://lesakerfrancophone.net/jamais-la-russie-nabandonnera-la-syrie/
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