Syrie
La menace d’une attaque américaine
contre la Syrie se précise avec la chute
imminente d’un bastion «rebelle»
Bill Van Auken
L’armée évacue de nouvelles parties de
civils séquestrés par les terroristes
dans la Ghouta orientale via le corridor
de Wafidine
Photo : Sana
Mardi 27 mars 2018
Le gouvernement syrien du président
Bachar al-Assad prendrait des mesures
pour se préparer à une frappe militaire
américaine contre la capitale Damas.
Washington a intensifié ses menaces
d’attaque militaire directe depuis que
l’armée syrienne, jouissant du soutien
aérien russe, a fait des progrès
décisifs dans le siège de Ghouta,
banlieue est de Damas, l’un des derniers
bastions des «rebelles» islamistes
soutenus par l’Occident.
Ces derniers jours,
des dizaines de milliers de civils sont
parvenus à sortir de l’enclave,
contrôlée par le Front Al-Nusra,
successeur de l’affilié syrien
d’Al-Qaïda, et ses alliés. Les forces
gouvernementales syriennes ont récupéré
80 % de la zone, divisant ce qui en
reste en trois poches isolées et
encerclées.
La chute imminente
de la banlieue est de Ghouta survient
parallèlement à l’invasion de l’enclave
kurde d’Afrin dans le nord-ouest de la
Syrie par l’armée turque et ses troupes
au sol, la fameuse Armée syrienne libre,
constituée en grande partie de
combattants de l’État islamique et du
Front Al-Nusra. La victoire turque a
provoqué l’exode de quelque 250.000
personnes fuyant pour leur vie.
La chute de la
banlieue est de Ghouta aux mains du
gouvernement Assad représente une étape
importante dans l’échec de la guerre
orchestrée par l’Occident et la CIA pour
un changement de régime lancée il y a
sept ans par les États-Unis et les
forces terrestres de leurs alliés au sol
en Syrie. Le territoire tenu par les
«rebelles» a été utilisé pour lancer des
attaques au mortier et à la roquette
contre la capitale syrienne, ainsi que
pour organiser des attentats à la
voiture piégée et d’autres actes
terroristes.
Avec la reprise de
la zone par le gouvernement, Washington
craint une perte de puissance dans sa
tentative de sauver son opération de
changement de régime en faisant pression
pour l’éviction d’Assad dans le cadre
d’un règlement politique négocié au
niveau international du conflit syrien.
C’est ce qui se
cache derrière la campagne renouvelée
sur les allégations non fondées de
l’utilisation par les forces
gouvernementales syriennes de chlore
gazeux dans leur attaque contre la
banlieue est de Ghouta. Alors que Damas,
qui a procédé à la destruction complète
de ses stocks d’armes chimiques sous
supervision internationale, a nié toute
attaque de ce type, des acteurs
importants de l’administration Trump
menacent directement de mener des
représailles militaires non seulement
contre la Syrie, mais aussi ses
principaux alliés militaires que sont la
Russie et l’Iran.
Ainsi, jeudi
dernier, le général H.R. McMaster,
conseiller en sécurité nationale du
président Donald Trump, a prononcé un
discours au Musée de l’Holocauste à
Washington, affirmant que «toutes les
nations civilisées doivent tenir l’Iran
et la Russie responsables de leurs
atrocités». McMaster a ensuite rajouté:
«Assad ne devrait pas avoir l’impunité
pour ses crimes, pas plus que ses
alliés.»
De la même façon,
Nikki Haley, l’ambassadrice des
États-Unis aux Nations Unies, a mis en
garde le «régime syrien hors la loi» que
Washington «reste prêt à agir si nous le
devons». Faisant référence à l’attaque
des missiles de croisière américains de
l’an dernier, elle a ajouté: «Ce n’est
pas la voie que nous préférons. Mais
nous avons démontré que c’est une voie
que nous pouvons prendre, et nous sommes
prêts à la reprendre.»
L’hypocrisie des
accusations et des prétentions
humanitaires des États-Unis est éhontée
lorsqu’on pense aux lourdes pertes
civiles infligées par les sièges
militaires de Raqqa en Syrie et de
Mossoul en Irak, où les frappes
aériennes et des pilonnages d’artillerie
menés par les États-Unis ont fait des
dizaines de milliers de victimes civiles
et réduit ces villes en décombres.
Alors que
Washington condamne le gouvernement
syrien et ses alliés et les menace même
de représailles militaires, les
atrocités commises par la Turquie à
Afrin – pays qui, comme les États-Unis,
a envoyé illégalement des troupes en
Syrie sans la permission du gouvernement
du pays ni quelque autorisation
internationale – sont passées sous
silence, le département d’État se
contentant de publier qu’il nourrit de
«sérieuses inquiétudes».
Le sentiment
présent dans des sections de l’armée et
des services de renseignement américains
favorable à une escalade de
l’intervention contre le gouvernement
Assad – et son allié la Russie – a
trouvé son expression dans un éditorial
publié lundi par le Washington Post
intitulé «Will Trump try to stop Assad’s
chemical weapons use?» (Trump
tentera-t-il d’arrêter l’utilisation
d’armes chimiques par Assad?)
Rédigé par Josh
Rogin, éditorialiste du journal en
matière d’«opinion mondiale»,
l’éditorial met en garde que «la
crédibilité des États-Unis est en jeu»
et que «si rien ne se produit avant la
chute de la banlieue est de Ghouta, le
bluff de Haley et de McMaster aura été
révélé. Cela signifie un désastre pour
les prochaines confrontations
diplomatiques avec Assad, la Russie et
l’Iran dans d’autres parties de la
Syrie.»
Ces prises de
position ne sont pas simplement
«diplomatiques», comme l’a montré la
frappe américaine du mois dernier contre
une force progouvernementale qui a coûté
la vie à un certain nombre
d’entrepreneurs militaires russes près
de champs pétroliers et gaziers
stratégiques dans la province orientale
de Deir Ezzor. Cette action militaire
américaine allait dans le sens de
l’objectif de Washington de créer une
zone contrôlée par les États-Unis à
l’est de l’Euphrate, le long des
frontières de la Syrie avec la Turquie
et l’Irak.
Cette zone, qui
couvre près d’un tiers du territoire
syrien, doit être contrôlée par des
milliers de soldats américains et leur
principale force, les soi-disant Forces
démocratiques syriennes, composées en
grande partie de la milice syrienne
kurde des YPG.
Les dernières
menaces américaines sont prises
extrêmement au sérieux par Moscou. Le
chef de l’état-major de l’armée russe,
le général Valery Gerasimov, a averti
que Washington et les milices islamistes
combattant par procuration pour les
États-Unis se préparaient à lancer une
attaque chimique pour servir de prétexte
à une frappe militaire américaine. Il a
lancé comme mise en garde que toute
menace à la vie des troupes russes en
Syrie entrainera «des mesures de
représailles à la fois contre les
missiles et les lanceurs utilisés».
Le journal
«panarabe» Asharq al-Awsat basé à
Londres et contrôlé par le régime
saoudien, a publié un reportage citant
des diplomates occidentaux qui ont dit
que le gouvernement Assad prenait des
mesures en prévision d’une attaque
américaine imminente. Il a affirmé que
du personnel militaire russe avait été
déployé dans des «emplacements
critiques» à Damas pour tenter de
décourager les frappes aériennes et que
les Nations Unies avaient déplacé une
partie de leur personnel hors des zones
qu’elles craignaient faire l’objet de
frappes.
Au milieu des
menaces d’une confrontation en Syrie
entre les deux principales puissances
nucléaires du monde, la prise d’Afrin
par l’armée turque et ses milices
islamistes syriennes alliées a accru la
possibilité d’un affrontement militaire
sans précédent entre deux alliés
ostensibles de l’OTAN, la Turquie et les
États-Unis.
Le président turc
Recep Tayyip Erdogan fanfaronnait lundi
à propos de la prise de la ville d’Afrin
par ses forces, déclarant que les
combattants kurdes «se sont sauvé la
queue entre les jambes».
La ville a été en
grande partie abandonnée par sa
population civile, qui craignait les
atrocités commises par l’armée turque et
ses alliés des milices proches
d’Al-Qaïda. Ces forces ont
systématiquement pillé les commerces et
les maisons de la ville après l’avoir
conquise, et ont renversé au
centre-ville une statue du forgeron
Kaveh, ancienne figure mythique
considérée comme un symbole de la lutte
kurde contre l’oppression.
Ces événements, qui
comprennent l’exode de quelque 250.000
personnes dans la campagne sans
nourriture ni refuge, semblent présager
une opération systématique de nettoyage
ethnique, dans laquelle les Kurdes
seront définitivement chassés de leurs
maisons et remplacés par des réfugiés
syriens sunnites vivant en Turquie.
Lancée il y a deux
mois, l’invasion militaire turque,
baptisée Opération Olive Branch,
vise à empêcher l’établissement d’une
zone autonome syro-kurde à la frontière
sud de la Turquie. L’action a été
provoquée par l’annonce par Washington
que les États-Unis avaient l’intention
de continuer à occuper indéfiniment le
territoire syrien et d’organiser ses
forces de procuration dominées par les
YPG en une «force de sécurité
frontalière» de 30.000 hommes.
Le gouvernement
turc considère les YPG comme un
prolongement du PKK kurde turc, et
contre lequel il mène des opérations de
contre-insurrection depuis plus de
trente ans. Tant Washington qu’Ankara
considèrent officiellement le PKK comme
une organisation «terroriste».
S’adressant à un
auditoire de juges et de procureurs à
Ankara dimanche, Erdogan a déclaré que
bien que la capture d’Afrin est «une
étape importante» des opérations turques
en Syrie, «nous allons continuer ce
processus jusqu’à ce que nous ayons
complètement aboli le couloir qui passe
par Manbij, Ayn al-Arab, Tel-Abyad, Ras
al-Ayn et Qamishli».
Manbij est une
ville de la province syrienne d’Alep à
l’ouest de l’Euphrate, qui est entre les
mains des troupes des YPG et des forces
spéciales américaines. Les autres villes
mentionnées par Erdogan sont situées à
l’est de l’Euphrate, où le Pentagone
tente de créer une zone sous contrôle
américain, en utilisant la milice kurde
syrienne comme force de procuration.
Toute avancée dans l’une de ces zones
pose un danger de confrontation directe
entre les troupes américaines et
turques.
(Article paru en
anglais le 20 mars 2018)
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