Opinion
Obama et Kerry donnent des leçons
à la Russie sur l'Ukraine
Bill Van Auken
Photo:
D.R.
Mardi 4 mars 2014
Le ministre américain des Affaires
étrangères John Kerry s'est servi d'une
conférence de presse du ministère pour
donner des leçons à la Russie sur la
nécessité de maintenir la « stabilité »
et « l'intégrité territoriale » de
l'Ukraine alors que l'intervention
occidentale y a exacerbé la situation.
Ces remarques interviennent tout
juste une semaine après que
l'intervention concertée des États-Unis,
de l'Allemagne, de la France et des
autres puissances européennes a entraîné
un violent coup d'Etat par les forces
d'extrême-droite et fascistes dans la
capitale de Kiev.
« Les États-Unis soutiennent
entièrement l'intégrité territoriale de
l'Ukraine et la souveraineté [sic], et
nous attendons des autres nations
qu'elles en fassent autant, » a déclaré
Kerry. Il a ajouté qu'il avait instruit
plus tôt dans la journée le ministre
russe des Affaires étrangères Sergei
Lavrov qu'« il est important pour tout
le monde de faire extrêmement attention
à ne pas envenimer la situation et ne
pas envoyer les mauvais messages. »
Plus tard dans la journée, ces
remarques ont été reprises par le
président Barack Obama, qui a dit qu'il
trouvait les rapports sur les mouvements
de troupes « profondément inquiétants. »
Il a déclaré que « toute violation de la
souveraineté et de l'intégrité
territoriale ukrainienne serait
profondément déstabilisante, » ajoutant
de manière menaçante que « toute
intervention militaire en Ukraine en
coûtera. »
Qui Kerry et Obama espèrent-ils
tromper ? Washington est intervenu de
manière très claire dans les affaires
internes de l'Ukraine, déversant 5
milliards de dollars depuis les années
1990, un fait reconnu en décembre
dernier par l'adjointe du ministre des
Affaires étrangères chargée de l'Europe
et de l'Eurasie, Victoria Nuland, dans
des programmes visant à fabriquer un
instrument politique en vue d'un
changement de régime pro-occidental dans
ce pays d'Europe de l'Est.
Nuland elle-même a fait au moins
quatre voyages à Kiev au cours de ces
derniers troubles, distribuant du pain
et des gâteaux aux « manifestants »
néo-fascistes sur la place de
l'Indépendance et organisant des
réunions avec les figures de
l'opposition Arseny Yatseniuk et Vitali
Klitschko, qu'elle appelle « Yats » et «
Klitsch » dans sa tristement célèbre
conversation enregistrée avec
l'ambassadeur des États-Unis, ainsi
qu'avec le chef du parti antisémite et
fasciste Svoboda, Oleh Tyahnybok.
Tout cela visait non à assurer l'«
intégrité territoriale, » la «
souveraineté » et la « stabilité, » mais
à déchaîner un chaos violent pour faire
tomber un gouvernement élu et installer
un régime qui suive la ligne de
Washington et projette la puissance
américaine vers les frontières de la
Russie.
Kerry a parlé jeudi en particulier
des manifestations pro-russes en Crimée
et de la nécessité de « désamorcer ces
tensions. » Il n'a fait aucune mention
de ce que ces « tensions » ont été
attisées par l'une des premières actions
du prétendu gouvernement provisoire, qui
a été d'abolir les droits aux langues
minoritaires pour les russophones, soit
plus de 30 pour cent de la population,
qui sont majoritaires dans le Sud et
l'Est, ainsi que pour ceux qui parlent
bulgare, hongrois, roumain et polonais.
Cette action a été entreprise à
l'initiative du partiSvoboda.
Le coup d'Etat soutenu par les
États-Unis en Ukraine représente le
point culminant d'un processus de longue
durée d'intervention en Europe de l'Est,
dans la foulée de la dissolution de
l'Union soviétique il y a 25 ans.
Affirmer que l'« intégrité
territoriale » serait un principe
inviolable avancé par l'impérialisme
américain dans cette entreprise
agressive serait ridicule. Au contraire,
l'intervention américaine a commencé en
ex-Yougoslavie avec la promotion
belliqueuse des mouvements séparatistes
et le soutien à la sécession et aux «
nettoyages ethniques » systématiques
pour tailler de nouveaux micro-Etats sur
des bases ethniques sous la domination
de Washington. Deux fois durant les
années 1990, cela a entraîné des guerres
de l'OTAN qui ont fait des milliers de
morts et de blessés et des centaines de
milliers de gens qui ont fui leur foyer.
Dans ces cas, la position de
Washington était claire : les Etats
existants n'avaient aucun droit à
défendre leur intégrité territoriale
contre les desseins américains, et s'ils
essayaient de le faire, l'armée
américaine les bombarderait.
Et tout cela n'est pas nouveau pour
l'impérialisme américain. Il s'était
emparé de Panama et du site du futur
canal en le prenant à la Colombie au
début du 20e siècle, en créant son
propre mouvement sécessionniste et en
disant clairement qu'il attaquerait la
Colombie si elle résistait.
Au cours de la dernière décennie,
Washington a piétiné « l'intégrité
territoriale » de l'Afghanistan, de
l'Irak, de la Libye et de la Syrie avec
des invasions directes et des guerres
par procuration pour obtenir un
changement de régime.
L'on peut être sûr que le principe
soi-disant sacré de « l'intégrité
territoriale » sera jeté aux orties en
ce qui concerne la Russie, où Washington
ira certainement poursuivre son aventure
en Ukraine en venant jeter de l'huile
sur le feu des conflits ethniques et
nationaux dans le but de démanteler et
subjuguer la Russie.
Quant à la leçon sur le respect de la
« souveraineté » adressée à la Russie,
il est bon de se rappeler que
l'impérialisme américain a, en
substance, affirmé son droit de
propriété sur tous les territoires
situés à son Sud depuis la promulgation
de la Doctrine Monroe en 1825. Pas plus
tard que l'an dernier, c'était Kerry
qui, devant le Sénat, parlait de
l'Amérique latine comme de « notre
arrière-cour. »
Que Washington soit maintenant
capable d'étendre la Pax Americana aux
frontières de la Russie est dû, en
dernière analyse, aux processus mis en
mouvement par la dissolution de l'Union
soviétique, le crime final et
historiquement monumental de la
bureaucratie stalinienne de Moscou.
Le stalinisme a trahi les intérêts de
la classe ouvrière en Ukraine, en Russie
et dans le reste de l'Union soviétique,
comme dans tous les autres pays. Les
bureaucrates privilégiés se sont
transformés en capitalistes, pillant et
monopolisant la richesse sociale créée
pendant les 75 ans écoulés depuis la
révolution d'octobre 1917.
S'opposer à l'asservissement colonial
des peuples d'Ukraine, d'Europe de l'Est
et du reste de l'ex-URSS par
l'impérialisme américain et allemand ne
revient pas à défendre les intérêts
nationaux de la Russie ou le pouvoir
d'aucune des factions politiques en
Ukraine, qui sont toutes des instruments
directs d'une poignée d'oligarques.
La tendance agressive de
l'impérialisme américain en Ukraine a
servi à révéler au grand jour la
pourriture et la faillite du régime
russe dirigé par Vladimir Poutine.
Représentant les intérêts d'une couche
de gangsters et de bureaucrates
ex-staliniens qui constituent une classe
dirigeante comprador corrompue, ce
régime n'est pas en mesure, ni n'a
aucunement l'intention, de mobiliser une
opposition authentique à l'intervention
impérialiste américaine. Les exercices
militaires lancés à la frontière
ukrainienne représentent en fait la
moindre des choses que Moscou pouvait
faire dans ces circonstances.
La lutte contre le démantèlement
impérialiste des territoires de
l'ex-Union soviétique, avec une nouvelle
destruction du niveau de vie et le bain
de sang qui l'accompagneront
inévitablement, ne peut être menée sur
une base nationale. L'unique alternative
réaliste se trouve dans la perspective
du mouvement trotskyste mondial, le
Comité international de la Quatrième
Internationale, pour une mobilisation
indépendante et une unification
internationale de la classe ouvrière
dans la lutte pour mettre fin au
capitalisme et réorganiser la vie
économique et sociale sur des bases
socialistes.
(Article original paru le 1er mars
2014)
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Publié le 4 mars 2014 avec l'aimable
autorisation du WSWS
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