France-Irak
Actualité
Vers une Arabie Heureuse?
Badia Benjelloun
Dimanche 19 juillet 2015
Par Badia Benjelloun
(revue de presse :
dedefensa.org – 18/7/17)*
La très vieille alliance des Séoud
avec les Anglo-Saxons est bien plus
ancienne que le fameux pacte signé par
Abdelaziz et Roosevelt en février 1945
sur le croiseur Quincy alors que le
Président étasunien revenait de Yalta.
Les Saoud avaient trouvé refuge en
1891 au Koweit, déjà colonie
britannique, quand ils furent défaits
par un Émir soutenu par les Ottomans.
Ils tentaient pour la deuxième fois de
constituer un royaume indépendant de la
Sublime Porte après un premier échec en
1818.
Le nouveau chef du clan Abdelaziz a
reconquis le Nejd grâce à l’organisation
d’une force militaire bédouine les
Ikhwan (les Frères) dès 1902. Il signe
un traité en 1915 avec les Britanniques
qui vont favoriser leur expansion dans
le Hidjaz au dépens des Hachimites
gardiens des deux Sanctuaires musulmans,
La Mecque et Médine pendant tout un
millénaire, descendants du Prophète.
Dans les suites de l’invasion de
l’Irak en 2003 par une coalition
internationale qui devait être le
prélude d’une guerre préemptive sans fin
contre le terrorisme, ce pacte «
protection des Saoud par les Usa contre
un accès privilégié aux ressources
pétrolières » n’a plus de raisons d’être
maintenu.
Deux évènements fondent cette
caducité.
Coup d’État
égyptien
Les Saoud ont mis en oeuvre le coup
d’État en Égypte qui a renversé un
Président et un gouvernement élus –
démocratiquement selon les normes
occidentales. Les Frères Musulmans
parvenus au pouvoir après le
renversement populaire d’un Président à
vie ont subi une double pression.
Économique d’abord – tarissement des
disponibilités financières
internationales un peu comme vient de le
subir le gouvernement Tsipras en Grèce –
dans un contexte d’émeutes et de
revendications syndicales inhérentes à
tout processus révolutionnaire dans une
situation sociale de grande fragilité.
Et médiatique et cybernétique –
consultation populaire orchestrée
magistralement par des réseaux sociaux.
Ils n’ont pas mesuré l‘efficacité
d’aucune des deux formes de guerre car
inédites.
Les Saoud ont frappé de toute leur
puissance financière.
Ils n’en ont pas prévenu leur allié
et suzerain qui se montre davantage
préoccupé depuis quelques temps par son
limes dans le Pacifique aux alentours de
la mer de Chine. L’administration Obama
ne voyait pas d’un œil hostile un Islam
politique modéré en Égypte. Il est
certes compatible avec l’hégémonie
capitaliste nord-américaine. L’aider
passivement ou par le biais d’ONG de
longue date préparées à prendre le pas
sur une dictature qui contrôlait de plus
en plus durement une situation sociale
explosive minée par la pauvreté et une
frustration politique devait être un
facteur de stabilité.
L’installation d’un régime avec des
allures de démocratie représentative sur
son flanc est tout simplement
inacceptable pour la famille des
gérontocrates saoudiens. Elle s’est
découverte subitement sans protection
étasunienne malgré toutes les
contreparties qu’elle lui offrait sous
forme d’achats effrénés d’armements
obsolètes et coûteux.
L’alliance des Saoud avec le régime
de Tel Aviv est désormais affichée
ouvertement. L’entité sioniste a
acté elle aussi depuis le gouvernement
Sharon qu’une intervention militaire
étasunienne en Iran sera sans cesse
repoussée. Les sanctions économiques, et
l'utilisation du « soft power » (ONG,
bourses, invitations, corruption, etc.),
sont jugées suffisantes pour induire un
étranglement progressif et le glissement
vers un « regime change ». Il est devenu
évident pour les éléments du Pentagone
capables de raisonner en dehors de
l’aveuglement idéologique qu’il serait
difficile d’envisager une attaque sur
une cible capable de rétorquer par des
missiles capables de détruire Tel Aviv.
Les
hydrocarbures, indépendance relative des
Usa.
Le deuxième volet du pacte n’aura
bientôt plus de consistance.
Les firmes étasuniennes ont investi
dans l’exploitation des gaz de schiste
en empruntant à des taux négatifs en
s’endettant lourdement. Les Saoud ont
alors réagi en contribuant à la baisse
du prix du baril et ont ajusté leur
production de manière à ruiner les
efforts étasuniens de se retrouver leur
indépendance énergétique.
Malgré cela, la production de l’or
noir par les Usa frôlera en 2015 le pic
d’extraction historique de 1970. Il
semble cependant qu’un fléchissement de
la courbe d’augmentation de la
production est observé indiquant
l’arrivée d’un plateau.
Les cours du brut remontent et
l’Arabie ne pourra indéfiniment les
manipuler à ses dépens même si son
niveau d’endettement est très faible.
L’état des réserves des champs
pétroliers de la pétromonarchie des
Saoud reste inconnu du public. Depuis
2011, on assiste à un regain des
activités de forage indiquant la
nécessité d’exploiter de nouveaux champs
pour maintenir leur niveau de production
de plus en plus destinée au marché
asiatique.
Quelques indices peuvent venir
renforcer le dessin de cette tendance
d’un détachement relatif de la péninsule
arabique du continent anglo-saxon.
La Suède a mis fin à sa coopération
militaire avec la Saoudie en mars de
cette année. En renonçant à un marché
assez limité de moins de 400 millions
pour des radars de l’équipementier Saab,
la vieille monarchie nordique
participe à la mise à l’index
droitdelhommiste de l’Arabie.
Un peu plus tôt, en janvier 2015,
l’Allemagne a décidé
de surseoir ou de rejeter des
demandes d’achat d’armes formulées par
la Saoudie, qui a été l’un des plus
importants clients de l’industrie
allemande de l’armement pour l’année
2013.
En marge du Forum Économique de
Saint-Pétersbourg, après la rencontre
avec Poutine du Ministre de la Défense
saoudien, Mohamed Ben Salmane a déclaré
que son pays étudie la possibilité
d’acheter à la Russie du matériel
militaire défensif.
Bien sûr, le premier exportateur
d’armes européen, la France, continuera
d’être le plus important fournisseur
parmi les pays de l’UE, moins gênée par
un régime oligarchique rétrograde que
par celui de la Syrie.
Le
refus de la part du Pakistan de
participer à la guerre des Saoud contre
le Yémen rehausse le soulignement d’un
relatif abandon de la péninsule. Jusque
là, les soldats pakistanais ont toujours
fait le sale boulot pour le compte des
Saoud et des Usa en Afghanistan comme au
Bahrein.
L’accord sur le nucléaire signé entre
les 5+1 et l’Iran à Vienne ce mardi 14
juillet, réduction du nombre des
centrifugeuses actives et accès limité à
quelques sites militaires iraniens
contre une levée des sanctions
économiques confirme s’il était besoin
la volonté étasunienne de se désengager
de la zone.
Les centaines de princes saoudiens
peuvent porter officiellement le deuil
de la protection américaine.
Yémen, sa
prestigieuse histoire.
Pour la première fois de son histoire
récente, l'unification du Nejd avec Haïl
et du Hidjaz ne s’est faite qu’en 1932,
l’Arabie aux mains des Saoud entreprend
une guerre avec une coalition de pays
arabes sous son seul commandement au
sens conventionnel du terme contre un
pays tiers, membre de l’Onu. Repeints
aux couleurs du pays attaquant, des
avions de l’armée
israélienne participent à la
destruction du Yémen.
L’aviation marocaine a été aussi
conviée à la partie, elle vient de
perdre un appareil sous le feu des
Houtis et de l’armée régulière fidèle à
l’ancien Président Salah.
Le Yémen, c’est la Felix Arabia de
Pline qui a entrepris la relation de
l’incursion romaine non aboutie en 24
avant JC sous l’empereur Auguste
conduite par Aelius Gallus.
Yémen aussi bien en sabéen que dans
l’idiome sud-arabique signifiait Sud
avant de désigner la droite de la Qaaba
à la période islamique.
Ce Sud des hauts plateaux doté d’une
pluviosité importante qui a développé
une agriculture depuis l’Antiquité d’une
haute technicité, barrages fameux et
cultures en terrasse, était constitué de
plusieurs entités politiques. Leur
importance et les alliances et rivalités
entretenues entre elles ont fluctué au
cours de l’Antiquité et des premiers
siècles de l’ère chrétienne. Royaume de
Saba, Hadramaout, Qitban, Main,
organisés le plus souvent sous forme de
confédérations de tribus dont les
figures éminentes, les qayls étaient à
la fois riches paysans et guerriers. Le
royaume des Hymiars est d’apparition
plus tardive. Le pays était fameux pour
sa production et son commerce de
l’encens (résine d’un arbre indigène) et
des aromates mais aussi d’armes de
chasse et de guerre et d’objets en verre
et des produits textiles. L’union des
royaumes de Saba et de Hymiar réalisée
vers le troisième siècle a réussi à
repousser les Abyssins qui débordaient
dans la péninsule à partir du port d’Adoulis
depuis presque cent ans.
De très nombreuses villes et des
ports ont surgi sur ces terres
prospères, serties dans de riches
campagnes, actives dans un commerce
international, étapes dans des artères
commerciales qui charriaient des
marchandises entre l’Inde, l’Afrique,
l’Égypte et la Syrie, la Mésopotamie.
(1)
Au Nord, pendant des siècles, la
ville est rare, à peine quelques grosses
bourgades, Taif, Tayma mais surtout
Médine, ville symbole et la Mecque née
malgré le désert des nécessités du
commerce et développée autour du temple
de la Kaaba.
Une même langue avec des variantes
régionales.
Le Sud luxuriant, sédentaire, le Nord
qui ne fixe pas ses hommes au sol.
Le Yémen,
colonie des Saoud ?
Au lendemain du dépeçage de l’empire
ottoman, le Royaume Uni a désuni le
Yémen. En 1918, il a détaché sa partie
septentrionale qui est devenue royaume
zaïdite mutawakilite de la méridionale
conservée pour ses ports qui contrôlent
l’accès à la Mer Rouge jusqu’en 1967.
Les Saoud sont intervenus au Yémen
militairement à de nombreuses reprises.
En 1934, ils s’emparent de trois
chef-lieux régionaux et de trois
provinces Asir, Jizan et Nedjran, ayant
une position stratégique d’importance,
qu’ils finissent par « louer » pour 20
ans renouvelables au terme d’un accord
qui mit fin à cette guerre. Mais les
Yéménites considèrent toujours ce
territoire comme leur.
En 1948, la Saoudie a prêté
main-forte à la monarchie zaydite pour
faire échec au mouvement Révolution de
la Constitution qui a organisé un coup
d’État pour fonder une République.
Preuve s'il en est que le « chiisme » ne
dérange pas les Saoud quand il est
socialement conservateur, comme c'était
aussi le cas du régime du shah. Le
chiisme, comme les régimes laïcs ou
sunnites les dérangent en revanche dès
qu'il y est question de réformes
agraires, de socialisation ou
d'indépendance, ce qui est le cas
précisément avec les « Houthis » comme
avec le Hezbollah.
Le régime monarchique est finalement
destitué en 1962, la Saoudie s’est
engagée auprès des monarchistes dans la
longue guerre civile qui a duré de 1962
à 1970. L’armée égyptienne soutenait les
Républicains, elle y a perdu 70 000
soldats.
La réunification des deux Yémen a eu
lieu en 1990 après de longues années de
négociations qui avaient débuté dès
1972.
Pour la quatrième fois en soixante
ans, la Saoudie intervient en 1994 et
favorise une guerre civile de sécession
du sud Yémen.
L’embourbement des Saoud
En 2011, dans le sillage des
soulèvements arabes initié en Tunisie,
la jeunesse yéménite manifeste
continûment des mois durant réclamant le
départ du Président Saleh en place
depuis 1978 qui a malmené la
Constitution en sa faveur.
Il va céder. Une fraction de l’armée
l’abandonne et la Saoudie organise son
départ sous couvert d’une Initiative du
Conseil de Coopération du Golfe. Le
Vice-Président Hadi le remplace avec un
mandat de deux ans au cours duquel
l’opposition participerait au Conseil et
au gouvernement et à l’élaboration d’un
vaste programme de réformes.
Les Houthis, les Frères Musulmans et
le Mouvement du Sud furent écartés du
gouvernement nommé fin 2014 ce qui a
déclenché des manifestations à la mesure
de la base populaire des Houthis dans le
Nord du pays. Hadi le pantin de la
Saoudie démissionne, gagne le Sud,
déclare qu’il a été victime d’un coup
d’État et réclame l’intervention armée
de ses protecteurs.
En février, les Houthis proclament la
création d’un Comité Révolutionnaire. Il
regroupe les principaux partis, gouverne
et doit assurer l’organisation
d’élections.
Le 25 avril 2015, la gérontocratie
pétrolière déclenche une agression
militaire contre le Yémen.
Des milliers de morts, un million de
réfugiés, blocus, destructions des
infrastructures du pays.
Depuis l’Initiative du Golfe, le
Yémen était devenu un protectorat
saoudien et sa Constitution a été
abolie.
La participation étasunienne à ce
massacre se limite au renseignement
militaire. Toute la quincaillerie
achetée pour des centaines de milliards
de dollars – encaissés surtout par le
complexe militaro-industriel
anglo-saxon- aura servi à attaquer un
pays arabe, à très faible PIB pour le
punir d’exiger la fin d’un régime
corrompu et dictatorial.
Les Houthis sont rompus à la
guérilla. Ils combattent auprès d’une
armée régulière bien entraînée.
L’agresseur dispose d’une aviation
pléthorique qui assassine comme toujours
des civils, il ne livrera pas de combats
au sol.
En cas de poursuite de cette
ingérence d’une illégitimité flagrante,
le Yémen fera figure à la fois d’un
Vietnam, d’un Irak et d’un Mexique pour
les Saoud qui se verront ensevelis sous
les sables du Quart désertique.
Ils ne peuvent plus se prévaloir de
l’aide indéfectible de la puissance
hégémonique déclinante. Elle est fort
occupée à disséminer ses fonds de
pension, ses crédits pour étudiants et à
frapper de sanctions économiques les
pays récalcitrants à la Dette comme
instrument de domination.
Et le monde arabe, avec sa
complexité, ses diversités ethniques et
confessionnelles, se souviendra qu’à peu
près tout ce qui est arabe, c’est-à-dire
arabophone est originaire du Yémen. Le
peuplement de la péninsule s’est
constitué de vagues de migrations
successives issues du trop-plein
démographique yéménite y compris les
grandes tribus chrétiennes arabes, les
Lakhmides et les Ghassanides qui ont
occupé la Syrie et l’Irak entre les 3ème
et 6ième siècle de l’ère chrétienne. (2)
Les Saoud disparaîtront.
Ils deviennent encombrants
hétérogènes dans le plasma du droit
delhommisme et de ses performances
discursives dans lequel notre monde est
immergé.
Ils n’ont pas la maîtrise des entités
financières qu’ils ont contribuées à
créer avec les pétrodollars soustraits
aux investissements qui auraient dus
être réalisés depuis plus de soixante
ans en infrastructures, enseignement et
recherche.
L’Irak amputé du Koweït est destiné à
être segmenté en trois entités
confessionnelles et ethniques.
L’Arabie peut être promise à un
destin semblable.
Et l’Arabie en sera moins malheureuse
?
*http://www.dedefensa.org/article-vers_une_arabie_heureuse__18_07_2015.html
Photo : Badia Benjelloun
Notes :
(1) L’unification du Yémen Antique.
La lutte entre Saba Himyar et le
Hadramaout du 1er au 3ème siècle de
l’ère chrétienne de Mohammad Abd al
Qadir BAFAQIH Geuthner, la Bibiothèque
de Raydan 1991.
(2) Largement développé par Edmond
Rabbath dans « La conquête arabe sous
les quatre premiers califes » publié par
l’Université libanaise 1er janvier 1985.
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 19 juillet 2015 avec
l'aimable autorisation de Gilles Munier
Le
dossier Arabie saoudite
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