Opinion
Les sanctions des États-Unis et de l'UE
contre la Russie : une menace de guerre
à peine voilée
Alex Lantier
Photo:
D.R.
Mercredi 19 mars 2014
Dans son discours
d'hier annonçant des sanctions contre
les responsables du Kremlin en
représailles au référendum soutenu par
la Russie en Crimée en faveur d'une
sécession d'avec l'Ukraine et d'une
union avec la Russie, le président
américain Barack Obama a déclaré que les
États-Unis et leurs alliés de l'Union
européenne auraient recours à tous les
moyens nécessaires, y compris l'action
militaire, pour humilier et écraser la
Russie.
En initiant une
guerre commerciale avec la Russie et en
offrant un soutien militaire à durée
indéterminée et des garanties de
sécurité aux régimes droitiers qui
bordent les frontières de la Russie,
tels l'Ukraine, l'impérialisme américain
et européen met en branle une
confrontation qui pourrait facilement se
terminer par un désastre. Une telle
confrontation crée des risques immenses
et n'a aucun soutien de la part de la
classe ouvrière en Europe ou aux
États-Unis.
Dans ses remarques,
Obama a inversé la réalité, tentant de
présenter l'intervention
américano-européenne en Ukraine comme
une défense non-violente et de principe
du droit international contre
l'agression russe. Il a dit, « Ces
derniers mois, tandis que les citoyens
d'Ukraine font entendre leur voix, nous
avons été guidés par un principe
fondamental : l'avenir de l'Ukraine doit
être décidé par les gens d'Ukraine […]
Et donc, la décision de la Russie
d'envoyer des troupes en Crimée a
entraîné à juste titre une condamnation
mondiale. »
Obama a critiqué le
référendum de dimanche en Crimée comme «
une violation claire de la constitution
ukrainienne et du droit international. »
Il a ensuite annoncé : « Nous imposons
des sanctions à des individus
spécifiques responsables d'atteintes à
la souveraineté, à l'intégrité
territoriale, et au gouvernement de
l'Ukraine. » Il a promis de faire passer
de nouvelles sanctions pour « faire
payer un prix plus élevé à l'économie
russe » s'il ne se soumettait pas aux
demandes de Washington.
La déclaration
d'Obama est une ânerie. Ce sont
Washington et Berlin qui ont conçu une
provocation politique massive, armant
des groupes fascistes pour prendre le
pouvoir au cours d'un putsch et évincer
illégalement le président Viktor
Ianoukovitch. Le principal objectif de
cette opération, menée en violation
flagrante de la constitution et de la
souveraineté ukrainiennes, et au mépris
de l’opinion publique ukrainienne, était
de transformer l'Ukraine en un poste
avancé des puissances impérialistes,
tenu par l'extrême-droite, et prêt à
servir en vue d'opérations militaires et
de menaces contre la Russie.
Privé de crédits
par les principales banques, le régime
non-élu de Kiev dépend totalement des
renflouements de l'UE, des États-Unis et
du FMI pour éviter la faillite. Ses plus
hauts responsables de la sécurité sont
des fascistes qui s'occupaient de la
sécurité durant les émeutes soutenues
par l'occident sur la place de
l'indépendance à Kiev, à savoir le
ministre de la sécurité nationale Andriy
Parubiy, co-fondateur du parti
d'extrême-droite Svoboda, et son
second, Dmytro Yarosh, chef de la milice
Secteur droit.
Ces forces ne
parlent pas au nom du « peuple
ukrainien, » contrairement à ce
qu'affirme Obama, mais pour
l'impérialisme américain, qui a dépensé
plus de 5 milliards de dollars pour
établir des groupes d'opposition
pro-américains en Ukraine depuis la
dissolution de l'URSS, d'après Victoria
Nuland, responsable pour l'Europe au
ministère américain des Affaires
étrangères.
Ces éléments ne
dissimulent aucunement leur violente
hostilité envers la Russie, ni leur
vénération des fascistes ukrainiens qui
ont aidé les unités SS nazies à
massacrer les juifs d'Ukraine au cours
de la Seconde Guerre mondiale. Dans un
entretien du 12 mars accordé à
Newsweek, Yarosh a mentionné ses
liens avec les terroristes islamistes
tchétchènes qui combattent Moscou, et
s'est vanté d'avoir brandi le drapeau
noir et rouge du fascisme ukrainien. «
Nous nous sommes tenus sous les drapeaux
rouges et noirs tout au long de la
révolution, » a-t-il déclaré. « Du sang
ukrainien rouge répandu sur de la terre
noire ukrainienne : ce drapeau est le
symbole de la révolution nationale. »
Ces forces sont
maintenant intégrées dans la nouvelle
Garde nationale établie par le régime de
Kiev, soutenue et bientôt armée par
l'OTAN. Pendant qu'Obama prononçait son
discours, le ministre ukrainien des
Affaires étrangères, Andriy Deshchytsia
rencontrait de hauts responsables de
l'OTAN à Bruxelles. Il a promis de
renforcer la « coopération militaire
technique » avec l'OTAN. D'après le
quotidien belge Le Soir, « les
autorités de Kiev vont bientôt présenter
à l'OTAN, peut-être dès lundi, une
''liste'' d'équipements qu'ils
aimeraient avoir à leur disposition. »
Dénonçant « les
touristes politiques russes en Ukraine
orientale, » Deshchytsia a déclaré que
la situation actuelle en Ukraine «
ressemble fortement au scénario de
Géorgie en 2008, où les provocations
risquaient d'entraîner une escalade
militaire. »
Cette déclaration
extraordinaire est une menace d'action
militaire de la part du régime de Kiev.
La guerre de 2008 en Géorgie avait
commencé lorsque les forces géorgiennes
avaient attaqué les troupes russes qui
faisaient respecter le cessez-le-feu
dans la région controversée d'Ossétie du
Sud. Si la confrontation actuelle
ressemble à la guerre de 2008, comme le
dit Deshchytsia, c'est parce que Kiev se
prépare à attaquer les forces Russes ou
pro-russes, soit en Crimée soit en
Ukraine orientale.
Les critiques
d'Obama contre la Russie qui aurait
envahi la Crimée sont hypocrites et
politiquement absurdes. Premièrement, il
est historiquement établi que lorsque
l'impérialisme américain s'est opposé à
des régimes qui arrivaient au pouvoir à
ses frontières, comme ce fut le cas lors
de la révolution mexicaine de 1911 ou la
révolution cubaine en 1959, il n'a pas
hésité à organiser des attaques
militaires contre eux. Il a même menacé
de déclencher une guerre nucléaire,
comme durant la crise des missiles à
Cuba en 1962.
Dans leur propre
politique étrangère, les États-Unis et
leurs alliés ne reconnaissent pas la
souveraineté ou l'intégrité territoriale
des autres Etats comme quelque chose
qu'ils doivent respecter. Même avant de
formuler la doctrine de Bush autorisant
la « guerre préventive, » le
gouvernement américain et les médias
avaient inventé une catégorie spéciale
d'Etat, les soi-disant « Etats
défaillants » (Somalie, Afghanistan),
qui pouvaient être envahis ou bombardés
à volonté.
En second lieu,
l'affirmation implicite d'Obama que la
Crimée ne fait pas partie de la Russie
ignore l'histoire. Cette région à
majorité ethnique russe faisait partie
de la Russie, puis de l'URSS, depuis sa
conquête par la Tsarine russe Catherine
la Grande au 18e siècle jusqu'à la
dissolution de l'URSS en 1991.
Transférée à l'Ukraine en 1954 par le
dirigeant soviétique Nikita
Khrouchtchev, décision qui avait bien
peu d'importance pratique jusqu'à la
dissolution de l'URSS, elle continue à
abriter une base navale majeure de la
Russie à Sébastopol.
Le danger d'une
invasion de la Crimée ne vient pas de
Moscou, mais des forces d'extrême-droite
à Kiev. Ces paramilitaires fascistes,
auxquels les puissances de l'OTAN
laissent une latitude extraordinaire,
sont placées dans une situation où elles
pourraient déclencher une guerre majeure
pratiquement à n'importe quel moment et
bénéficier du soutien de l'OTAN.
Dans son discours,
Obama a dit : « Le vice-président Biden
part pour l'Europe, où il rencontrera
les dirigeants de nos alliés de l'OTAN :
la Pologne, l'Estonie, la Lettonie et la
Lituanie. Et je vais me rendre en Europe
la semaine prochaine. Notre message sera
clair. En tant qu'alliés de l'OTAN, nous
avons un engagement solennel à notre
défense collective, et nous respecterons
cet engagement. »
Cette utilisation
de la Pologne et des ex-républiques
soviétiques baltes comme avant-postes
militaires dirigés contre la Russie
souligne les conséquences
catastrophiques de la dissolution de
l'URSS par la bureaucratie stalinienne.
Cela a poussé l'ensemble de l'ex-URSS
sur une trajectoire de désintégration
territoriale et de retour à un statut
semi-colonial, où ces pays serviront de
source de travailleurs bon marché pour
le capital financier et seront livrés
aux intrigues impérialistes. En Estonie,
en Lettonie, en Lituanie, tout comme en
Russie, les élites dirigeantes qui sont
arrivées au pouvoir après la dissolution
de l'Union soviétique étaient des
oligarques capitalistes mafieux.
Les puissances
impérialistes calculent maintenant que
des menaces militaires constantes et des
sanctions économiques de plus en plus
fortes briseront le cercle des
oligarques qui soutiennent Poutine et
déstabiliseront la loyauté de la classe
moyenne supérieure russe envers le
Kremlin.
Le Süddeutsche
Zeitung écrit : « Les sanctions
actuelles ne sont pas des armes
miracles, et encore moins des armes à
effet immédiat. Le gel des avoirs et les
interdictions de voyager ne rendront pas
Poutine populaire parmi l'élite
politique et argentée russe, mais son
image dans le peuple en sera
probablement améliorée au début. Les
sanctions économiques, qui sont l'étape
suivante de l'escalade que l'UE promet,
sont dangereuses pour Poutine. Elles
coûteront cher à bien des gens dans
l'UE, mais elles coûtent encore plus
cher à Poutine. »
Cette politique
profondément téméraire, qui risque de
provoquer un effondrement du commerce et
une guerre mondiale, est menée avec un
mépris de l'opinion publique non
seulement en Russie et en Ukraine, mais
aussi aux États-Unis et en Europe. Obama
n'a pas demandé à la classe ouvrière des
États-Unis ou d'Europe si elles
soutiennent une guerre contre la Russie
pour honorer les « engagements solennels
» qu'il a passés avec des kleptocrates
lituaniens ou les fascistes de Kiev. Ce
qui se prépare est une explosion
d'opposition dans la classe
ouvrière internationale face à la
politique étrangère criminelle de
l'impérialisme.
(Article original
paru le 18 mars 2014)
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Publié le 19 mars 2014 avec l'aimable
autorisation du WSWS
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