Nouvelles d'Orient
Les juifs d’Afrique du Sud, Israël et
Gaza
Alain Gresh
Photo:
D.R.
Mercredi 13 août 2014
L’engagement de la population
sud-africaine aux côtés des
Palestiniens, notamment de Gaza, n’est
pas nouveau. Déjà, lors de l’opération
Plomb durci de 2008-2009, il s’était
exprimé
avec force. A nouveau, des centaines
de milliers de sud-africains ont
manifesté pour Gaza cet été. Cette
solidarité s’explique par différents
facteurs : le parallèle que nombre de
militants de
la lutte contre l’apartheid font
entre leur histoire et la situation
actuelle des Palestiniens ; la
coopération étroite entre Pretoria et
Tel-Aviv durant toute la période de
l’apartheid. Et personne là-bas n’oublie
cette déclaration de Nelson Mandela : « Notre
liberté est incomplète sans la liberté
des Palestiniens. »
Lire « Gaza
l’insoumise, creuset du nationalisme
palestinien », dans Le Monde
diplomatique d’août 2014, en
kiosques. La communauté juive
d’Afrique du Sud compte environ
100 000 membres. Elle est très largement
sioniste et, dans sa grande majorité,
n’a pas condamné le régime de
l’apartheid. Seuls un certain nombre
d’individus, souvent membres du Parti
communiste, se sont engagés, souvent au
péril de leur vie, dans la lutte contre
le pouvoir blanc. Dans un reportage
effectué dans ce pays pour Le Monde
diplomatique (« Regards
sud-africains sur la Palestine »,
août 2009), j’avais écrit :
« M. Andrew Feinstein, un ancien député
de l’ANC (juif et ancien communiste),
dont une partie de la famille est morte
dans les camps d’extermination nazis, a
obtenu que le Parlement de la nouvelle
Afrique du Sud consacre, en mai 2000,
pour la première fois de son histoire,
une session à l’Holocauste. Il explique
que, comme la masse des Blancs, la
majorité des quelque cent mille juifs
sud-africains est restée muette durant
l’apartheid, alors même qu’“il y a des
parallèles évidents entre la politique
menée à l’égard des juifs par les nazis
entre 1933 et 1939 et celle qui fut
imposée à la majorité des Sud-Africains
durant l’apartheid”. Il cite l’exemple
de Percy Yutar, procureur général au
procès de M. Mandela, qui réclama la
peine de mort contre l’accusé. Yutar fut
ensuite élu à la tête de la plus
importante synagogue orthodoxe de
Johannesburg et loué par les dirigeants
des institutions juives comme “un atout
de la communauté”. »
J’avais aussi rappelé que, durant
l’opération Plomb durci, la direction
des organisations juives, l’équivalent
du Conseil représentatif des
institutions juives françaises (CRIF),
avait soutenu cette intervention
israélienne.
Les choses ont-elles changé ? Oui, en
partie, si on en croit un article du
quotidien israélien Haaretz du
12 août, « Gaza
conflict exposes deep divisions among
South African Jews ». Si les
dirigeants de la communauté juive
restent résolument aux côtés d’Israël,
l’opinion d’un grand nombre de juifs, en
revanche, a évolué. Au point que, comme
le signale Haaretz, le South
African Jewish Report, l’organe
officiel de la communauté, a déploré les
positions « fortement émotionnelles
parmi les juifs à propos d’Israël ».
Deux incidents ont enflammé les
passions. D’abord, la parution sur
Facebook d’une photo de trois jeunes
d’une école juive prestigieuse de
Johannesburg, King David Victory Park,
portant un keffieh en solidarité avec
Gaza. Une pétition les condamnant a
recueilli mille deux cents signatures et
une contre-pétition en leur faveur en a
réuni mille. Le bureau de l’éducation
juive, un organisme responsable de
l’enseignement juif dans le pays, a
affirmé qu’aucune sanction ne serait
prise et l’un de ses responsables a
déclaré : « En ce qui concerne
Israël, les écoles King David
soutiennent l’existence d’Israël mais ne
prennent pas de position politique
précise. De plus, nous sommes en faveur
de la diversité de pensée et d’opinion
parmi les étudiants, qui sont encouragés
à penser par eux-mêmes et à explorer des
idées diverses. »
Le second incident a été la
publication par le South African
Sunday Times d’un appel commençant
ainsi : « Nous, juifs sud-africains,
sommes horrifiés et accablés par
l’attaque contre Gaza. » Signée par
plus de cinq cents membres éminents de
la communautés, la lettre expliquait :
« Nous sommes fiers d’être juifs.
Nous savons que tout être humain est
investi de la même dignité, que toutes
les vies sont égales. De la même manière
que nous résistons à l’antisémitisme,
nous refusons la déshumanisation des
Palestiniens qui vise à alléger le poids
de leur mort sur notre conscience
collective. Nous signons cette pétition
pour affirmer leur humanité et la nôtre.
Nous rejetons la position des
organisations juives sud-africaines qui
appuient aveuglément les actions
disproportionnées d’Israël qui nous
éloignent d’une paix juste. »
Même parmi les juifs, le gouvernement
israélien a plus de mal à trouver des
soutiens. Ne s’en plaindront que ceux,
antisémites ou non, qui veulent
rattacher tous les juifs du monde à
Israël et à sa politique.
L’existence du
Monde diplomatique ne peut pas
uniquement dépendre du
travail de la petite équipe
qui le produit, aussi
enthousiaste soit-elle. Nous
savons que nous pouvons
compter sur vous.
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