Opinion
Une autre
transition pour la Tunisie
Ahmed Halfaoui

© Ahmed
Halfaoui
Lundi 20 janvier 2014
Il ne
reste pas grand-chose, en Tunisie, du
mouvement populaire qui a conduit à
l'éviction de Zine El Abidine Ben Ali.
Etouffé dans le fumeux concept de "
printemps " au parfum de jasmin, la
révolution tunisienne a été très
rapidement engouffrée dans un débat qui
lui a ôté sa substance. Toutes les
données, qui ont jeté dans la rue la
colère de centaines de milliers de
Tunisiens, sont passées à la trappe. Ils
se seraient juste révoltés pour chasser
la dictature, dans l'absolu de sa
définition, pour l'instauration d'une "
démocratie " dont les contours sont
laissés à l'imaginaire de chacun. Le "
changement " escompté, qui n'avait
certainement pas le même contenu pour
tous, a fini par ne se limiter qu'à la
reconfiguration du pouvoir et non à
celle des politiques qui ont plongé la
population dans la détresse économique
et sociale. Des politiques dont le
dictateur déchu ne faisait que
représenter l'exécuteur et crouler sous
les satisfecit, depuis sa prise de
pouvoir en 1987, année où il a signé les
accords avec le Fonds monétaire
international (FMI) et l'Union
européenne. Tambour battant et grâce à
une main de fer qui réprimait la moindre
velléité de contestation. Le pays a pu
s'ouvrir à des " délocalisations " à la
recherche d'une main-d'œuvre pas chère
et docile et contenir les très nombreux
exclus de la " prospérité ". Pouvait
s'afficher l'image d'une Tunisie
dynamique, mais dont la vitrine
dissimulait le profond ressentiment qui
montait de ses profondeurs. En vingt ans
de dictature, la Tunisie est devenue
exsangue. Au-dessus du pavé, une
minorité sourde à la détresse de ses
compatriotes, se servait. De ses
composantes, seul le cercle immédiat de
Ben Ali, est désigné à la vindicte… Le
système devait être sauvegardé et ce
sont ses caciques qui vont s'approprier
une révolution qui les menaçait. La
transition est organisée et suit son
cours, envers et contre le refus des
véritables acteurs de cautionner la
perpétuation du déni qui les a réduits à
la survie. Des acteurs qui n'ont pas pu
produire une alternative qui soit à la
fois significative et assez puissante
pour peser dans la lutte pour le
pouvoir. Le champ fut alors laissé
vierge, sur fond d'émeutes, à ceux qui
pouvaient offrir le spectacle de leurs
divergences en guise de preuve de la
liberté supposée retrouvée. A la petite
nuance près qu'il existe un courant plus
ou moins homogène, qui détonne par ses
positions plus ou moins favorables à une
refonte de la gouvernance économique et
à une rupture avec la politique qui
perpétue celle de Ben Ali. Sera-t-il
entendu ? Les élections annoncées
verront-elles les électeurs voter plus,
au lieu des 40 % qu'ils ont été à porter
à la tête du pays une coalition cooptée
par les Frères d'Enahdha. Mais sur le
terrain les déchirures font leur œuvre.
La confusion ou les désillusions font
qu'il sera problématique qu'il y ait une
place pour les idées de rupture.
Domineront les clameurs autour de la
religion et des libertés formelles, loin
des préoccupations sociales et de la
vérité des enjeux, qui resteront latents
sous les fleurs déjà fanées d'un "
printemps " désormais oublié.
Article publié sur
Les débats
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