Opinion
19 mars : une plaque qui faisait mal
Ahmed Halfaoui

© Ahmed
Halfaoui
Jeudi 19 mars 2015
Le petit maire de Béziers est satisfait.
Il y avait une plaque où il y avait
écrit dessus, en blanc sur fond bleu,
« 19 mars 1962 ». Une plaque qui nommait
une rue de sa ville. Il a mis une autre
plaque avec autre chose dessus, censé
effacer la date qu’il déteste, qui
dérange sa mémoire mal en point,
torturée même, si l’on mesure l’impact
recherché. A la place, il a choisi le
nom d’un ancien tueur d’Algériens,
condamné par la justice française pour
sédition, puis gracié et enfin promu au
rang de Grand Croix de la Légion
d’honneur par Nicolas Sarkozy. Il faut
préciser que le père du petit maire,
lui-aussi, a des états de services
éloquents, en matière de tueries. Il
était membre de l’OAS et son fils l’a
rappelé fièrement dans l’un de ses
écrits : « Je suis pied-noir et fier
de l'être. Et je n'oublie pas, je
n'oublierai jamais les leçons de mon
père… » On peut le croire. Il l’a
prouvé en faisant de cette histoire de
plaque un haut fait d’armes, une
revanche prise a posteriori. Une plaque
qui, pour la France officielle, n’est
que « la reconnaissance du 19 mars
comme journée nationale du souvenir et
de recueillement à la mémoire des
victimes civiles et militaires de la
guerre d'Algérie et des combats en
Tunisie et au Maroc ». Mais pas pour
lui et pour ses semblables, qui ont vécu
autrement cette journée. Fonctionnaires,
artisans ou ouvriers, tous les petits
métiers, au contact avec la masse
indigène, n’ont pas voulu consentir le
partage. Ils ne pouvaient imaginer le
« bougnoule » ou la « fatma » que sous
la corvée et pas autrement. Ils ne
pouvaient renoncer à un statut social
supérieur, nourri d’un racisme incrusté
dans toutes les fibres de leur être,
sans subir une révolution existentielle.
C’était la fin de l’ignominie qui
faisait d’eux des maîtres dans un pays
qui ne leur appartenait pas. C’était la
fin du colonialisme qui faisait de
millions d’Algériens des infrahumains,
sur la terre de leurs ancêtres. C’était
le jour de la victoire des
« indigènes », au bout de la dernière
bataille qu’ils ont menée pour récupérer
leur pays. C’était le jour où Robert
Ménard, le petit maire, a découvert que
ses parents et lui devaient se résoudre
à accepter la fin du code de
l’indigénat. Depuis enfant il ne s’en
est pas remis et cette plaque aggravait
son cas. Mais en a-t-il eu gain de
cause ? Il doit savoir que rien n’est
moins vrai. La date n’a pas disparu,
pour autant, de sa tête et encore moins
de l’histoire, qu’il n’a pu changer par
son geste vengeur. Il doit s’en rendre
compte, maintenant que c’est le nom de
son « héros français » qu’il lit. Il
aurait dû méditer la phrase du général
de Gaulle qui disait ceci : « en
matière de décolonisation aussi, la
seule victoire c'est de s'en aller.»
Ce faisant, il ne vivrait pas le 19 mars
1962 comme une « défaite », il s’en
sentirait mieux dans sa peau et ne se
ferait pas les sangs contre une réalité
contre laquelle il ne pourra jamais
rien. Il aurait laissé la plaque à sa
place, à laquelle pas grand monde ne
faisait attention, à Béziers, et
personne en Algérie. Car demain, quand
les projecteurs de l’actualité se seront
éteints, le monde n’aura pas refait le
chemin inverse.
A.H
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