Opinion
La dignité des Algériennes
Ahmed Halfaoui

© Ahmed
Halfaoui
Samedi 16 mai 2015
Il y a 53 ans que nous avons bouté les
« mécréants » hors de nos frontières.
Cela a nous a fait énormément de bien,
surtout que nous avons pu accéder à
l’école et en masse. Cela nous a fait du
bien et à nos filles, surtout. Du statut
de « fatma », elles sont parties à
« l’assaut du ciel ». En quelques
décennies, elles ont conquis le droit à
l’existence, grâce aux bancs du savoir
qui leur ont donné des diplômes. Bien
plus, elles sont devenues majoritaires à
l’université. Mais elles n’ont pas
encore acquis tout le droit de cité.
Même si la Constitution dit le
contraire. Même si, tous les 8 mars,
elles ont droit à une fraternisation des
plus enthousiastes, il y des « mâles »
qui pensent autrement, particulièrement
quand ils détiennent un tant soit peu de
pouvoir. C’est ce qui vient d’arriver à
une étudiante, qui s’est trouvée
confrontée à deux d’entre eux. Le
premier détient un pouvoir sur l’entrée
de la faculté de droit d'Alger, en tant
qu’agent de sécurité, l’autre est
recteur. Les deux sont, de toute
évidence, convaincus que les femmes ne
sont pas des citoyennes au sens de la
loi. Le gardien a donc pu user de
prérogatives qui ne figurent que dans
l’arbitraire du « bon droit », un
« droit coutumier », non écrit, dont il
dispose en tant que « mâle ». Il a
interdit à l’étudiante de rentrer. Son
chef, le recteur, Mohamed Tahar Hadjar,
a approuvé et assumé la décision. Autour
et au-dessus, la république, la
citoyenneté, les lois, n’ont pas eu
besoin d’être invoquées. Elles ne
comptent pas quand il s’agit des femmes.
Dans les faits, le chef et l’agent ont
commis une agression délibérée contre la
liberté de l’étudiante et contre sa
dignité de citoyenne. L’Etat, la justice
et toutes les institutions garantes de
la protection des citoyens contre les
abus, auraient dû se saisir de l’affaire
et sévir contre les contrevenants,
coupables d’un acte, qu’il faut
qualifier de violence morale
insupportable. Il n’en est toujours
rien. Le recteur a même eu droit à une
promotion. Il lui a été confié, par
l’Etat, de diriger toutes les
universités du pays. Il vient d'être
nommé ministre de l'Enseignement
supérieur et de la Recherche
scientifique. Il avait dit, en défense
de son acte contre l’étudiante, qu’« il
faut comprendre que la faculté est un
lieu de culture », pour dire que la
longueur d’une jupe pouvait attenter à
la « culture », telle qu’il la conçoit,
en conformité avec sa propre épaisseur
« culturelle ». Apparemment, la même que
celle de ceux qui, à Hassi-Messaoud, ont
fait subir l’enfer à des citoyennes sans
défense, pour le simple fait qu’elle
sont des femmes. En toute logique, nous
devrions nous attendre à ce qu’il
institue le principe, initié par l’agent
de sécurité, à tout le secteur de
l’enseignement supérieur. Un principe
qui fait déjà, peut-être, jurisprudence.
Il peut le faire, puisque le pouvoir,
ayant fait de l'Islam sa religion, a
toujours laissé les « décrets
d’application » au libre jeu des
rapports de force au sein de la société,
en entretenant les équivoques qui
empoisonnent la vie des femmes dans
l’espace social.
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