Opinion
ONG : Organisations Non Grata
Ahmed Bensaada
Mardi 7 juin 2016
Depuis le succès retentissant des
révolutions colorées qui ont balayé,
dans les années 2000, plusieurs pays
d’Europe de l’Est ou les ex-Républiques
soviétiques, les missions politiques de
nombreuses ONG (Organisations Non
Gouvernementales) ont été mises en
évidence [1]. Sous les fallacieux
prétextes de l’exportation de la
démocratie, des droits de l’Homme et de
la liberté d’expression, ces
organisations – qui sont en essence des
OG (organisations gouvernementales) –
travaillent selon des agendas concoctés
par les stratèges de la politique
étrangère de pays Occidentaux. Dans ce
domaine, la palme revient très
certainement aux États-Unis, pays qui a
élevé la pratique en art absolu,
difficilement égalable. En effet, le
pays de l’oncle Sam s’est doté d’une
panoplie d’entités politico-caritatives
spécialisées dans la déstabilisation
non-violente de pays considérés comme
« non-amicaux » ou « non-vassaux ». Ces
organismes bénéficient d’un encadrement
politique de choix, de moyens matériels
colossaux en plus d’un financement
régulier et conséquent. Méthodiquement
actualisées, les techniques utilisées
sont redoutablement efficaces surtout
lorsqu’elles ciblent des pays
autocratiquement gouvernés ou en prise
avec de sérieux problèmes
socioéconomiques [2].
Les organismes étasuniens
d’« exportation » de la démocratie les
plus emblématiques sont l’USAID (United
States Agency for International
Development), la NED (National Endowment
for Democracy), l’IRI (International
Republican Institute), le NDI (National
Democratic Institute for International
Affairs), Freedom House et l’OSI (Open
Society Institute). Excepté le dernier,
tous ces organismes sont principalement
financés par le gouvernement américain.
L’OSI, quant à lui, fait partie de la
Fondation Soros, du nom de son fondateur
George Soros, le milliardaire américain,
illustre spéculateur financier. Inutile
de préciser que Soros et sa fondation
travaillent de concert avec le
département d’État américain pour la
« promotion de la démocratie ».
Et le tableau de chasse est
éloquent : Serbie (2000), Géorgie
(2003), Ukraine (2004), Kirghizstan
(2005) [3] et Liban (2005) [4]. Malgré
quelques échecs cuisants – Venezuela
(2007) et Iran (2009) – le succès a été
de nouveau au rendez-vous avec ce qui a
été improprement nommé « printemps »
arabe (2011). L’implication des
organismes américains d’« exportation »
de la démocratie a été clairement
démontrée dans les révoltes qui ont
secoué les pays arabes « printanisés » –
Tunisie et Égypte – et ceux où une
guerre civile fait encore rage à l’heure
actuelle – Libye, Syrie et Yémen [5].
La relative efficacité avec
laquelle ces déstabilisations sont
réalisées et leur apparente spontanéité
témoignent du rôle de cheval de Troie de
ces « ONG » épaulées par un réseau
d’activistes autochtones adéquatement
formés par le biais d’officines
spécialisées [6].
Afin de se prémunir contre
l’effet néfaste de ces bouleversements,
de nombreux pays ont interdit ces
organisations sur leur sol, à titre
prophylactique ou curatif.
Ainsi, le 8 février 2012, soit
quasiment une année après la chute du
président Moubarak, les journaux du
monde entier reprenaient une nouvelle en
provenance du Caire : « Égypte : la
justice accuse des ONG d'activités
"politiques" illégales » [7].
On pouvait y lire : « Ces tensions
font suite à des perquisitions dans 17
locaux d'ONG égyptiennes et
internationales le 29 décembre dernier.
Parmi elles, figurent les organisations
américaines National Democratic
Institute (NDI), International
Republican Institute (IRI) et Freedom
House ».
Quarante-trois employés
égyptiens et étrangers d'ONG présentes
en Égypte ont été accusés d'avoir reçu
des financements étrangers illégaux et
de s'être ingérés dans les affaires
politiques du pays. Parmi eux, figure
Sam LaHood, responsable de la section
Égypte de l'International Republican
Institute (IRI) et fils du ministre
américain des Transports Ray LaHood [8].
Depuis 2014, les ONG
travaillant en Égypte ont l’obligation
de s'enregistrer auprès des autorités
sans quoi, elles risquent la saisie de
leurs biens ou des poursuites
judiciaires. D’autre part, les autorités
doivent également approuver tout
financement venant de l’étranger [9].
Outre l’Égypte, certains pays
du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et
Afrique du Sud) se sont dotés de lois
interdisant ou renforçant le contrôle
des ONG sur leurs sols.
La Russie, qui n’a pas été
épargnée par des tentatives de
révolutions colorées, a légiféré dans ce
sens. En 2012, le président
russe Vladimir Poutine a signé une loi
qualifiant les ONG recevant des fonds
étrangers « d'agents de l'étranger »
[10]. L’USAID a été tout
particulièrement ciblée : elle a été
interdite par Moscou le premier octobre
2012 pour « ingérence dans la vie
politique russe » [11].
La liste des ONG
« indésirables » en Russie s’est
allongée en 2015. Parmi elles, on peut
citer la NED, le NDI, l’IRI, Freedom
House et l’OSI de Soros [12].
La journaliste Julia Famularo
s’est posé la question à savoir si les
autorités russes et chinoises
collaborent dans le domaine de la lutte
contre les ONG « toxiques ». Toujours
est-il que la Commission chinoise de
sécurité nationale (NSC) a commencé à
enquêter officiellement sur le sujet dès
2014 [13]. Finalement, tout comme la
Russie, la Chine a récemment légiféré
sur la question. À partir du premier
janvier 2017, les ONG étrangères seront
contraintes à s’enregistrer auprès du
Ministère de la sécurité publique et
permettre à la police de scruter leurs
activités et leurs finances. Le New York
Times relève que les organisations
telles que la NED et l’OSI sont
particulièrement visées par la nouvelle
réglementation [14]. Il est clair que
les manifestations qui ont secoué Hong
Kong en 2014, baptisés « révolution des
parapluies », ne sont pas étrangères au
durcissement de la loi chinoise sur les
activités des ONG. En effet, il a été
montré que la NED, Freedom House et le
NDI étaient largement impliqués dans les
évènements [15].
De son côté, l’Inde a aussi sorti
ses griffes contre les ONG étrangères.
En 2015, le gouvernement du premier
ministre Narendra Modi a annulé les
licences de pas moins de 9000 d’entre
elles et a considérablement restreint le
financement provenant de donateurs
étrangers [16].
Quant au Brésil, il devrait se
méfier : les manifestations contre la
présidente Dilma Rousseff et sa
destitution ont des airs de « révolution
colorée » tel qu’expliqué par la
spécialiste des questions
latino-américaines et brésiliennes,
Micheline Ladouceur [17].
Il n’y a pas que la Russie qui
a eu maille à partir avec l’USAID.
Notons qu’une résolution des pays de
l’ALBA (Alianza Bolivariana para los
Pueblos de Nuestra América) demandant
l’expulsion immédiate de l’USAID des
pays membres de l’alliance a été signée
en juin 2012. Les signataires étaient la
Bolivie, Cuba, l’Équateur, la Dominique,
le Nicaragua et le Venezuela [18].
Parmi les pays arabes, les Émirats
arabes unis (EAU) ont procédé, en 2012,
à la fermeture des bureaux de plusieurs
ONG étrangères dont le NDI [19]. En
janvier 2016, le député jordanien
Zakaria Al-Cheikh a demandé à la chambre
basse du Parlement de Jordanie de mettre
fin aux activités de ce même organisme
arguant qu’il « constitue un danger
pour la sécurité nationale » [20].
Il va sans dire que le bilan
sanglant et catastrophique du funeste
« printemps » arabe aura certainement
pour conséquence le serrement de l’étau
contre les ONG « toxiques », qui ne sont
en réalité ni « non-gouvernementales »
ni caritatives. Elles passeront alors du
statut spécieux d’« Organisations Non
Gouvernementales » à celui salutaire
d’« Organisations Non Grata ».
Références
-
G. Sussman et S. Krader, «
Template Revolutions : Marketing
U.S. Regime Change in Eastern Europe
», Westminster Papers in
Communication and Culture,
University of Westminster, London,
vol. 5, n° 3, 2008, p. 91-112,
https://www.westminster.ac.uk/file/7561/download?token=CYB8Szpq
-
Ahmed Bensaada,
« Arabesque$: Enquête sur le rôle
des États-Unis dans les révoltes
arabes », Éditions Investig’Action,
Bruxelles, 2015, chap. 2
-
Ibid., chap. 1
-
Ahmed Bensaada, « Liban
2005-2015 : d’une révolution colorée
à l'autre », Afrique Asie, Octobre
2015, pp. 50-58,
http://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=323:liban-2005-2015-dune-l-revolution-r-coloree-a-une-autre&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119
-
Ahmed Bensaada,
« Arabesque$: Enquête sur le rôle
des États-Unis dans les révoltes
arabes », Op. Cit., chap. 5 et 6
-
Ibid., chap. 1 et 3
-
AFP, «
Egypte: la justice accuse des ONG
d'activités "politiques" illégales
», Le Point.fr, 8 février
2012,
http://www.lepoint.fr/monde/egypte-la-justice-accuse-des-ong-d-activites-politiques-illegales-08-02-2012-1428827_24.php
-
AFP, « Égypte : début du
procès de membres d'ONG égyptiennes
et étrangères », L’Express, 26
février 2012,
http://www.lexpress.fr/actualites/1/actualite/egypte-debut-du-proces-de-membres-d-ong-egyptiennes-et
etrangeres_1086667.html
-
France 24, « Le pouvoir
égyptien renforce son contrôle sur
les ONG », 10 novembre 2014,
http://www.france24.com/fr/2014110-focus-egypte-ong-controle-enregistrement-liberte-sissi-freres-muslmans-lutte-terrorisme
-
AFP, « Russie : les ONG
"agents de l'étranger" selon une loi
signée par Vladimir Poutine », Le
Huffington Post, 21 juillet 2012,
http://www.huffingtonpost.fr/2012/07/21/russie-les-ong-agents-de-etranger-loi-vladimir-poutine_n_1691436.html
-
AFP, « USAID interdite en
Russie », La Presse, 19 septembre
2012,
http://www.lapresse.ca/international/europe/201209/19/01-4575522-usaid-interdite-en-russie.php
-
RIA Novosti, « Soros and
MacArthur Foundations among 12 NGOs
in “patriotic stop list” », Meduza,
8 juillet 2015,
https://meduza.io/en/news/2015/07/08/soros-and-macarthur-foundations-among-12-ngos-in-patriotic-stop-list
-
Julia Famularo, « The
China-Russia NGO Crackdown », The
Diplomat, 23 février 2015,
http://thediplomat.com/2015/02/the-china-russia-ngo-crackdown/
-
Edward Wong, « Clampdown in
China Restricts 7,000 Foreign
Organizations», The New York Times,
28 avril 2016,
http://www.nytimes.com/2016/04/29/world/asia/china-foreign-ngo-law.html?_r=1
-
Ahmed Bensaada, « Hong Kong
: un virus sous le parapluie »,
Reporters, 14 octobre 2014,
http://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=294:hong-kong-un-virus-sous-le-parapluie&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119
-
Pierre Cochez, « Bras de
fer entre le gouvernement indien et
les ONG », La Croix, 7 juillet 2015,
http://www.la-croix.com/Monde/Bras-de-fer-entre-le-gouvernement-indien-et-les-ONG-2015-05-07-1310076
-
Micheline Ladouceur,
« "Révolution de couleur" à la
brésilienne. Qui a peur de Dilma
? », Mondialisation.ca, 19 mars
2016,
http://www.mondialisation.ca/revolution-de-couleur-a-la-bresilienne-qui-a-peur-de-dilma/5514116
-
ALBA-TCP, « ALBA Expels
USAID from Member Countries »,
Venezuela Analysis, 22 juin 2012,
http://venezuelanalysis.com/news/7069
-
Samir Salama, « German, US
institutes in UAE closed », Gulf
News, 5 avril 2012,
http://gulfnews.com/news/uae/government/german-us-institutes-in-uae-closed-1.1004603
-
Ammon News, « Le député
Al-Cheikh : le NDI représente un
danger pour la sécurité nationale »,
31 janvier 2016,
http://www.ammonnews.net/article.aspx?articleno=257727
Publié par:
7 juin 2016 - pp. 12-13
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