Et du « printemps » s’écoula un inutile
flot de sang arabe…
Ahmed Bensaada
Dimanche 1er novembre 2015
« We came, we saw, he died »
[1].
C’est ainsi que Hillary Clinton,
alors secrétaire d’État, avait accueilli
l’annonce du sauvage assassinat de
Kadhafi. La tirade césarienne,
théâtralement prononcée en appuyant
chaque phrase avec un mouvement de
l’avant-bras, était accompagnée d’un
sourire fendu jusqu’aux oreilles, d’yeux
pétillants de joie et d’un gloussement
de plaisir que seul un profond bonheur
peut procurer. La nature humaine est
ainsi faite : il y a des sentiments
qu’il est difficile de dissimuler, même
lorsqu’on est au sommet du pouvoir et
que la retenue est une exigence de la
fonction.
Mais pourquoi diable madame Clinton
a-t-elle réagit si joyeusement à un
lynchage si inhumain ? Éprouvait-elle
tant d’animosité pour Kadhafi qu’elle
n’a pas pu respecter son devoir de
réserve ?
Et cela nous amène à une question
fondamentale : l’inimitié des décideurs
politiques peut-elle influencer la
politique d’un pays envers un autre,
quitte à y provoquer le chaos, la mort
et la désolation ?
La Libye
Comme dans le cas de la Tunisie et de
l’Égypte, des appels à manifester en
Libye ont été relayés par les réseaux
sociaux, Facebook et Twitter en tête.
Ainsi le 17 février 2011, un « Jour de
colère » a été décrété, évènement qui a
collecté près de 10 000 inscriptions sur
Facebook. La contestation n’a pas débuté
dans la capitale, mais à Benghazi, la
seconde ville du pays. Des jeunes ont
manifesté dans les rues, brandissant des
pancartes avec des slogans identiques à
ceux utilisés lors des révolutions
colorées et des vidéos bas de gamme ont
été diffusées par les médias mainstream.
Mais la situation a rapidement
dégénéré. La jeunesse a vite disparu de
la scène pour laisser place à des
acteurs beaucoup plus à l’aise dans le
maniement des kalachnikovs que dans les
claviers d’ordinateurs. La révolte s’est
ainsi rapidement métamorphosée en guerre
civile et les insurgés se sont regroupés
sous un « nouveau-ancien » drapeau qui
n’était autre que celui qui existait du
temps du roi Idriss Senoussi, renversé
en 1969 par le colonel Kadhafi.
Galvanisée par l’impulsion du
« printemps » arabe, la rébellion
anti-Kadhafi s’est regroupée autour
d’une entité politique se nommant le
Conseil national de transition (CNT).
Bernard-Henri Lévy (BHL), le
philosophe-guerrier aux chemises
immaculées même en temps de guerre, prit
fait et cause pour les insurgés libyens
et réussit à convaincre le président
Sarkozy de les recevoir. Ainsi, le 10
mars 2011, trois représentants du CNT
rencontrèrent le président français à
l’Élysée : Ali Zeidan, Mahmoud Jibril et
Ali Essaoui.
Ali Zeidan, diplomate en Inde sous
Kadhafi, réapparaissait après un long
exil en Allemagne après défection en
1980. En février 2011, il revint
au-devant de la scène insurrectionnelle
libyenne par le biais d’une obscure
Ligue libyenne des droits de l’homme
(LLDH) dont il était le porte-parole
officiel. C’est lui qui annonça, dès le
début du mois de mars 2011, que la
répression gouvernementale de
l’insurrection libyenne avaient fait «
6000 morts, dont 3000 dans la seule
ville de Tripoli, 2000 à Benghazi et
1000 dans d'autres villes. Et
elles pourraient être plus importantes
encore ».
Il s’avéra quelques mois plus tard
que cette annonce était un mensonge et
que le nombre de décès ne dépassait pas
les 300 selon la plupart des
organisations internationales [2].
Le 14 mars 2011, vers 22h,
Hillary Clinton sortit de l’ascenseur de
l’hôtel Westin, à Paris. BHL, qui
l’attendait de pied ferme, avait tout
fait pour lui présenter la personne qui
l’accompagnait : Mahmoud Jibril.
Finalement l’entrevue tant espérée entre
Clinton et Jibril allait avoir lieu.
Christopher Stevens, le futur
ambassadeur américain en Libye, était
présent à la rencontre qui dura environ
45 minutes. Le dissident libyen y
disserta de son rêve « d'un
État civil démocratique où tous les
Libyens sont égaux, d'un système
politique participatif sans l’exclusion
d’aucun Libyen, même les partisans de
Kadhafi qui ne commettent pas des crimes
contre le peuple libyen et comment la
communauté internationale devrait
protéger les civils d'un éventuel
génocide[…]
». Et, conseillé par BHL, Jibril a
évidemment exhorté Clinton de soutenir
la proposition d’une zone d'exclusion
aérienne, d’armer les rebelles et de
lancer des attaques sur l'armée de
Kadhafi.
Mais, persuadé de n’avoir réalisé
qu’une piètre prestation, il rejoint BHL
après l’entrevue. Fulminant, il sortit
par une porte dérobée pour éviter les
journalistes qui voyageaient avec la
secrétaire d’État [3].
Bien que cette rencontre fût la
première entre Clinton et Jibril, ce
dernier n’était pas un inconnu pour
l’administration américaine. Après un
premier cycle universitaire au Caire, il
continua ses études à l’université de
Pittsburgh (États-Unis) où il y obtint
sa maîtrise (dont le titre de thèse est
« La politique américaine envers la
Libye 1969-1982 : le rôle de l’image »)
puis son doctorat en sciences
politiques. Il enseigna ensuite
plusieurs années dans cette université
avant de rejoindre le gouvernement
Kadhafi pour mener des réformes
économiques en dirigeant, de 2007 à
2010, le Bureau du développement
économique national.
Le câble Wikileaks 09TRIPOLI386, daté
du 11 mai 2009, lève un peu plus le
voile sur les relations entre Jibril et
l’administration américaine et tout
semble montrer qu’il est dans ses bonnes
grâces. En effet, Gene Cretz
(l’ambassadeur américain à cette époque)
y mentionne que « titulaire d'un
doctorat en planification stratégique de
l'Université de Pittsburgh, Jibril est
un interlocuteur sérieux qui "comprend"
la perspective américaine » et que
« Jibril souhaite la bienvenue aux
compagnies américaines, aux universités
et aux hôpitaux ».
En citant l’université américaine et
en mettant « comprend » entre
guillemets, l’ambassadeur Cretz voulait
probablement insinuer que « Jibril
est quelqu’un qui a étudié chez nous :
il est de notre côté ».
Cette « préparation du terrain » au
développement du secteur privé libyen
assistée par le gouvernement étasunien
et utilisant des personnalités de
premier rang a fait dire à certains que
depuis 2007, Mahmoud Jibril et d’autres
opposants à Kadhafi avaient « ouvert
la voie à la conquête de l'OTAN »
[4].
Le 15 mars 2015, soit le
lendemain de la rencontre de l’hôtel
Westin, le président Obama réunit son
staff et des membres du Conseil de
sécurité nationale, dans la salle de
crise de la Maison-Blanche, pour
discuter de la position à prendre dans
le dossier libyen. On pouvait y voir,
adossée à un mur, Samantha Power,
adjointe spéciale au président et
directrice des affaires multilatérales
au Conseil de sécurité nationale (elle
est actuellement ambassadrice des
États-Unis auprès de l’ONU et membre du
cabinet du président Obama) ; Robert
Gates, Secrétaire à la défense ; Tom
Donilon, président du Conseil de
sécurité nationale ; Denis McDonough,
conseiller à la sécurité nationale
(actuellement chef de cabinet de la
Maison Blanche). Hillary Clinton y
participa à partir du Caire, Susan Rice
de New York et Gene Cretz de Paris. À
l’époque ambassadrice des États-Unis
auprès de l’ONU, Rice occupe
actuellement le poste de Donilon.
Toutes ces personnes formaient
cependant deux camps distincts : les
opposés à l’intervention américaine en
Libye (dont Gates, Donilon et McDonough)
et les fervents supporters d’une action
musclée contre Kadhafi (dont Power,
Cretz et Rice).
Clinton informa le président de sa
rencontre avec Jibril et ajouta que la
Ligue arabe soutiendrait l’idée d’une
zone d'exclusion aérienne. Djibril
s’était trompé : selon BHL, elle cacha
bien sa réaction lors de la rencontre. «
C’est elle qui, sans rien laisser
paraître, sur l’instant, de ses
sentiments privés, saura, dans les
heures qui suivent, convaincre le
Président de ne surtout pas suivre le
non-interventionniste secrétaire à la
Défense, Robert Gates », écrit-il
[5]. Cretz, quant à lui, mentionna
l’existence d’un rapport sur un hôpital
libyen aux murs maculés de sang. Il
ajouta que Kadhafi avait « abattu
1200 prisonniers pris en otage dans les
années 90 » [6].
L’administration Obama ne s’est pas
contentée de son personnel pour se faire
une idée sur la position à prendre face
à la problématique libyenne. Elle a
utilisé les compétences d’« experts »
néoconservateurs, véritables faucons de
l’ère Bush fils, artisans du désastre
irakien, tel Elliott Abrams [7] ou le
cofondateur du think tank américain
pro-israélien « Washington Institute for
Near East Policy » (WINEP), Dennis Ross.
Il est intéressant de noter que WINEP
est une création de l’« American Israel
Public Affairs Committee » (AIPAC), le
lobby juif pro-israélien le plus
puissant des États-Unis [8].
Dès sa première élection, Obama nomma
Dennis Ross comme Conseiller Spécial
pour le Golfe et l'Asie du Sud-ouest
auprès de la Secrétaire d'État Hillary
Clinton. Quelques mois plus tard, Ross
quitta le Département d’État pour se
joindre à l’équipe de la Maison Blanche
chargée de la Sécurité Nationale et
occuper le poste d’assistant spécial du
président Obama et de directeur senior
pour le Moyen-Orient, le Golfe Persique,
l’Afghanistan, le Pakistan et l’Asie du
Sud. Ross, qui avait soutenu l’invasion
de l’Irak, est surnommé l’avocat
d’Israël car connu comme supporter
inconditionnel de l’État hébreu. Membre
influant de l’AIPAC, c’est probablement
pour le remercier de son appui auprès de
la communauté juive américaine lors de
la campagne présidentielle de 2008 qu’Obama
le nomma à ce poste [9]. Il va sans dire
que Ross et Abrams sont allés grossir
les rangs de l’équipe Power-Cretz- Rice.
Deux jours plus tard, soit le 17 mars
2011, le Conseil de sécurité des Nations
unies a adopté la résolution 1973
permettant l’établissement d’une zone
d'exclusion aérienne et de prendre
toutes les mesures nécessaires « pour
protéger les populations et les zones
civiles menacées ».
Selon certaines sources, Mme Clinton
avait travaillé très fort pour
convaincre les états membres du Conseil
de sécurité de ne pas utiliser leur
droit de veto en appelant
personnellement leurs représentants
[10].
Malgré cela, la résolution fut
adoptée avec cinq abstentions : celles
de la Chine, de la Russie, de
l’Allemagne, du Brésil et de l’Inde.
Un Américain proche de la famille
Kadhafi rapporta que la nuit suivante
(le 18 mars 2011), Seïf al-Islam
Kadhafi, le fils du chef d’état libyen,
a essayé d'organiser une conversation
téléphonique avec Hillary Clinton qui
refusa de lui parler. Elle demanda au
contraire à Gene Cretz de le rappeler
pour lui ordonner de retirer toutes ses
troupes des villes et de quitter le
pouvoir [11].
Le 19 mars 2011, l’intervention
militaire débuta : l’armée américaine
lança, ce jour-là, pas moins de 110
missiles de croisière Tomahawk pour
atteindre des cibles de la défense
aérienne libyenne à Tripoli, la
capitale, et à Misrata, dans l'ouest du
pays [12].
En quelques semaines, le pays a été
pilonné et, le premier mai, une frappe
aérienne tua le fils cadet de Kadhafi
ainsi que trois de ses petits-fils. Cela
relança le débat à savoir si la
résolution 1973 faisait de Kadhafi et sa
famille des cibles légitimes.
Mais cette expédition militaire de
Clinton et de son équipe de
va-t-en-guerre n’était pas du goût de
tout le monde. C’est le cas de Dennis J.
Kucinich, membre du Congrès américain,
qui a admis avoir gardé des contacts
avec Kadhafi et son entourage. Il
craignait que Mme Clinton utilise
l’émotion pour vendre une guerre non
justifiée contre la Libye. Kucinich a
reconnu avoir été contacté par des
intermédiaires en Libye qui ont affirmé
que Kadhafi était prêt à négocier une
fin au conflit dans des conditions qui
semblaient favoriser la politique de
l’administration américaine.
Kucinich n’était pas le seul à
émettre des réserves. Très sceptiques à
l’égard du bellicisme clintonien, des
hauts responsables du Pentagone ont
aussi ouvert des canaux diplomatiques
avec la Libye de Kadhafi.
Des enregistrements secrets de
conversations authentifiés par leurs
protagonistes ont été minutieusement
analysés par des journalistes du
Washington Times. Cette analyse montre
que Mme Clinton a mené les États-Unis à
une guerre inutile sans se soucier des
recommandations de la communauté du
renseignement [13]. Selon cet article,
de nombreux responsables américains ont
confirmé que c’était Mme Clinton et non
le président Obama qui a poussé pour
l’utilisation de la force militaire de
l’OTAN pour se défaire de Kadhafi. Dans
ses conversations privées, Obama
informait les membres du Congrès que la
Libye était « l’affaire de Clinton ».
Ainsi, au lieu de s’appuyer sur le
ministère de la Défense ou de la
communauté du renseignement pour
l'analyse, la Maison Blanche a fait
confiance à Mme Clinton qui était
soutenue par Susan Rice et Samantha
Power.
Après la chute de Kadhafi,
Christopher Stevens a été nommé
ambassadeur en Libye, poste qu’il
n’occupa qu’un peu plus de trois mois.
Le 11 septembre 2011, il fut assassiné
par des islamistes libyens, ceux-là même
qu’il avait aidé à prendre les rênes de
la Libye post-Kadhafi [14]. Ce qui a fit
dire à la secrétaire d’État : « De nombreux Américains se demandent
aujourd’hui, je me le suis demandé
moi-même, comment cela a pu se produire.
Comment cela a-t-il pu se produire dans
un pays que nous avons aidé à libérer,
dans une ville que nous avons aidée à
échapper à la destruction ? »
[15].
À la suite de ce dramatique
événement, la « Citizens’ Commission on
Benghazi » (CCB) a été créée. Cette
commission citoyenne, dans laquelle
siègent des officiers retraités de
l’armée américaine ainsi que d’anciens
responsables de la CIA, s’est donnée
pour mission de « tenter de
déterminer la véracité et l'exactitude
de ce qui est arrivé à Benghazi, en
Libye, le 11 Septembre 2012, en
référence à l'attaque terroriste sur le
complexe diplomatique américain qui a
entraîné la mort de quatre Américains, y
compris l’ambassadeur en Libye, Chris
Stevens » [16].
Les travaux de cette commission ont
été publiés le 22 avril 2014 dans un
rapport intitulé « How America Switched
Sides in the War on Terror » (Comment
l'Amérique a changé de camp dans la
guerre contre le terrorisme) [17].
Ce document rapporte les différentes
discussions qui ont eu lieu entre des
militaires américains de haut rang et
les proches de Kadhafi.
Le 20 mars 2011, soit le lendemain du
début des frappes américaines, le
général Abdelkader Youssef Dibri, chef
de la sécurité personnelle de Mouammar
Kadhafi, transmit la proposition de
Kadhafi pour établir une trêve afin
d’amorcer des pourparlers directs avec
le gouvernement des États-Unis. Le
contre-amiral américain à la retraite
Charles R. Kubic, qui œuvrait comme
consultant d’affaires en Libye, en fut
rapidement informé.
Dès le lendemain, soit le 21 mars
2011, Kubic entreprit de faire parvenir
la proposition à AFRICOM-Stuttgart. Son
contact, le lieutenant-colonel Brian
Linvill, fit le nécessaire pour que
l’information arrive le jour même au
commandant de l’AFRICOM, le général
Carter Ham qui a accepté de collaborer.
Linvill avait préalablement discuté
directement avec le général libyen Ahmed
Mahmoud, un proche de Kadhafi. À son
tour, le général Carter Ham communiqua
avec beaucoup d’enthousiasme la
proposition au Pentagone via la chaîne
de commandement.
Selon Kubic, « les Libyens
arrêteraient toutes les opérations de
combat et retireraient toutes les forces
militaires à la périphérie des villes
».
Le 22 mars, Kadhafi commença à
retirer ses forces d’importantes villes
tenues par les rebelles comme Benghazi
et Misrata.
Mais après deux jours d’attente et de
va-et-vient avec les Libyens, le général
Ham n'avait reçu aucune confirmation
quant à la suite à donner à l'offre de
Kadhafi.
Le contre-amiral Kubic déclara que le
général avait plutôt reçu des ordres de
se retirer des négociations et que ces
ordres émanaient du département d’État.
Questionné par les journalistes du
Washington Times, le général a refusé de
commenter cette déclaration.
Et Kubic de se poser les « vraies »
questions : « Si leur but était
d’écarter Kadhafi du pouvoir, alors
pourquoi ne pas essayer une trêve de
72h ? ». Pour enfin conclure : « ce
n’était pas suffisant de l’écarter du
pouvoir ; ils le voulaient mort ».
Kubic fit d’autres révélations : « [Kadhafi]
revint et dit qu'il était prêt à partir
pour permettre l’établissement d’un
gouvernement de transition, mais il
avait deux conditions. La première était
de s’assurer, après son départ, qu’une
force militaire reste pour chasser
Al-Qaïda. Dans la seconde, il demandait
un libre passage ainsi que la levée des
sanctions contre lui, sa famille et ses
fidèles. À ce moment-là tout le monde
pensait que cela était raisonnable. Mais
pas le Département d'Etat ».
La conclusion du rapport de la CCB
est très éloquente. Elle mentionne que
la guerre en Libye n’était pas
nécessaire, qu’elle aurait pu être
évitée si les États-Unis l’auraient
permis et que l’administration
américaine a facilité la fourniture
d’armes et le soutien militaire à des
rebelles liés à Al-Qaïda.
La guerre a alors continué comme si
de rien n’était. Des dizaines de
milliers de vies ont été inutilement
sacrifiées sur l’autel d’une
« démocratie » chimérique et un pays
nommé Libye a périclité…
Capturé le 20 octobre 2011,
Mouammar Kadhafi a été sauvagement
lynché et sodomisé par des rebelles
hystériques. Allongé sur un sale
matelas, son corps écorché et sans vie
fut exposé comme un trophée de chasse à
une foule de badauds friands d’images
macabres.
« We came, we saw, he died
». Clinton a fini par avoir la peau de
sa « proie ».
Et elle n’était pas la seule. Dans ce
chapitre, l’histoire retiendra aussi les
rôles des fervents promoteurs de
l’intervention militaire contre la
Libye, à savoir le président Nicolas
Sarkozy, le sénateur John McCain et le
« rossignol des charniers »,
Bernard-Henri Lévy.
Gloire aux vainqueurs : le 9 mars
2012, l’AFRICOM a été décoré du « Joint
Meritorious Unit Award » pour son rôle
dans la « printanisation » de la Libye
[18].
Mais combien de sang libyen a
coulé inutilement ?
La Syrie
La guerre civile qui secoue
actuellement la Syrie a des curieuses
similitudes avec la celle qui a prévalu
en Libye : a) l’épicentre initial de la
révolte syrienne n’était pas situé dans
la capitale mais dans une région
frontalière (contrairement à la Tunisie
et l’Égypte) ; b) Un « nouvel ancien »
drapeau est apparu comme étendard des
insurgés; c) La phase non-violente de la
révolte a été très courte; d)
L’implication militaire étrangère
(directe ou indirecte) a rapidement
transformé les émeutes non-violentes en
sanglante guerre civile.
Et, comme dans le cas de la Libye,
cette « révolution » aurait pu
rapidement finir avec l’image du
président Bachar, le cœur dévoré par des
djihadistes spécialistes de la question,
puis exposé sur un matelas sordide.
« Aidée » par la machine de guerre
otanienne, la Syrie aurait rapidement
connu le même sort que la Libye si ce
n’était la leçon de « la résolution
1973 ».
En effet, de nombreux pays ont estimé
que les États-Unis et leurs alliés ont
détourné et abusé de cette résolution en
permettant à l’OTAN d’outrepasser le
mandat du Conseil de sécurité. En
particulier la Russie et la Chine qui, à
chaque fois que l’occasion se présente,
opposent leurs vétos à toute résolution
onusienne condamnant la Syrie ou son
président, Bachar Al-Assad.
Reste une similitude de taille entre
les deux conflits : la tragédie syrienne
aurait pu, elle aussi, être évitée et
ce, dès le mois de février 2012. C’est
ce qui a été récemment révélé par
l’ancien président de la Finlande
(1994-2000) et prix Nobel de la Paix
(2008), Martti Ahtisaari [19].
Le 22 février 2012, Martti Ahtisaari
rencontra les représentants des cinq
nations membres permanents du Conseil de
sécurité des Nations Unies pour le
compte de « The Elders », une ONG qui
regroupe des personnalités indépendantes
agissant pour la paix et les droits de
l'homme dans le monde. Ahtisaari, qui
possède une grande expérience dans la
résolution des conflits internationaux,
se rappelle bien de sa rencontre avec
une vieille connaissance : Vitali
Tchourkine, le représentant russe.
Tchourkine lui proposa un plan de
résolution du conflit syrien en trois
points : 1) ne pas armer l’opposition ;
2) organiser un dialogue entre
l’opposition et Bachar Al-Assad ; 3)
permettre à Bachar Al-Assad de se
retirer élégamment.
Pour Ahtisaari, il ne faisait aucun
doute que cette proposition avait été
formulée par le Kremlin. Il s’empressa
donc de la présenter aux représentants
américain, britannique et français. Mais
aucune suite n’y fut donnée. Selon
l’ex-président Finlandais,
l’indifférence à la proposition russe
était motivée par le fait, qu’à cette
époque, tout ce beau monde pensait qu’il
ne restait que quelques semaines à
Bachar et, donc, il n’y avait aucun
besoin de faire quoi que ce soit.
Sans doute encore sous l’euphorie de
son « triomphe » contre Kadhafi, Hillary
Clinton déclara, le 28 février 2012, que
le président Bachar « répondait à la
définition d’un criminel de guerre
» [20]. À cette époque, le conflit avait
causé la mort d’environ 7500 personnes.
Aujourd’hui, ce nombre s’élève à 250 000
avec 8 millions de déplacés dans le pays
et 4 millions de réfugiés dans les pays
voisins [21].
Sans compter les milliers de migrants
syriens qui ont fui le pays et qui
sillonnent les routes européennes à la
recherche d’un petit coin de monde
exempt de violence, de sang et de haine.
Au sujet de ces migrants, Ahtisaari a
un avis arrêté : « Nous aurions pu
empêcher que cela n’arrive car il s’agit
d’une catastrophe que nous avons créée
nous-mêmes […]. Je ne vois pas d’autre
option que de prendre soin de ces
pauvres gens…Nous payons les factures de
ce que nous avons nous-mêmes causé
» [22].
Combien de vies auraient pu
être sauvées, combien de malheurs
auraient pu être évités, combien de
peines auraient pu être épargnées si la
recherche d’une solution avait placé
l’Être humain au-dessus des intérêts
bassement politiques ou des sentiments
personnels des leaders politiques
occidentaux ?
Les différentes péripéties de
ces bouleversements tragiques qui ont
touché les pays arabes et que les
bien-pensants veulent vendre comme étant
un « printemps » montrent à quels
sommets s’est hissée l’hypocrisie des
décideurs politiques occidentaux.
Derrière leurs discours mielleux d’où
suintent une morale fallacieuse et des
formules creuses, se cachent des mains
éclaboussées.
Éclaboussées par cet inutile flot de
sang arabe qui ne finit plus de
s’écouler de ce malheureux
« printemps »…
Références
« Nous sommes
venus, nous avons vu, il est mort
»
Ahmed Bensaada,
« Arabesque$: Enquête sur le rôle
des États-Unis dans les révoltes
arabes », Éditions Investig’Action,
Bruxelles, 2015, chap.5
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