Chronique de
Palestine
Le verdict pour le meurtre de Jamal
Khashoggi
est une sinistre parodie de
justice
Abdel Bari Atwan

Jamal Khashoggi - Photo : via Raï al-Yaoum
Jeudi 26 décembre 2019
Abdel Bari Atwan
– Le verdict du tribunal saoudien a
été programmé pour limiter les
réactions, mais il ne convaincra
absolument personne.
Rapporteur spécial
des Nations Unies, Agnès Callamard a eu
raison de qualifier ce jugement de
« parodie » de justice.
La décision du
tribunal saoudien de lundi, qui a
condamné à mort cinq personnes et trois
à la prison pour le meurtre du
journaliste Jamal Khashoggi – prétend
dans sa conclusion que le meurtre
n’était pas prémédité mais une décision
impulsive.
Callamard connaît
les détails de l’affaire. Elle a eu
accès aux enregistrements audio du crime
– réalisés par les autorités turques –
tel qu’il s’est déroulé au consulat
saoudien à Istanbul, tout comme la
directrice de la CIA, Gina Haspel, qui a
informé les députés américains que le
prince héritier Muhammad Bin Salman
l’avait très probablement commandité.
La grande surprise
du verdict a été l’acquittement des deux
principaux maîtres d’œuvre de
l’opération : Ahmad al-Asiri, chef
adjoint du renseignement saoudien, et
Saud al-Qahtani, conseiller direct du
prince héritier. Les diplomates
occidentaux qui ont assisté aux séances
d’ouverture du procès ont rapporté que
certains des accusés avaient pourtant
déclaré que les deux protagonistes, – et
en particulier Asiri – avaient réuni
l’équipe d’assassins et l’avaient
dirigée.
S’il n’y avait
aucune intention préalable de tuer
Khashoggi, pourquoi tant d’agents (19
hommes) ont-ils été affectés à
l’opération, y compris le médecin
légiste Saleh al-Tobaigy, qui était
équipé d’une scie à os électrique, et a
été entendu dans les enregistrements,
plaisantant que c’était la première fois
qu’il démembrait un corps encore chaud ?
Le départ en
catastrophe du consul saoudien à
Istanbul, Muhammad al-Otaibi, était tout
aussi surprenant, au motif qu’il était
en congé au moment du crime, même si des
employés locaux du consulat ont témoigné
qu’il était là. Les Turcs avaient révélé
de leur côté que les morceaux du corps
de Khashoggi avaient été emmenées à la
résidence consulaire pour être
incinérées dans un four spécial.
Le tribunal n’a pas
nommé les cinq condamnés à mort, ni
précisé si ou quand les peines devaient
être exécutées. On ne sait pas non plus
si Asiri et Qahtani seront réintégrés à
leurs postes, bien que certains rapports
affirment qu’ils sont restés dans leur
emploi et on conservé des relations
étroites avec le prince héritier.
L’annonce du
verdict juste avant les fêtes de Noël en
Occident a été délibérément programmée
pour réduire au minimum les retombées
politiques et médiatiques. Une décision
rusée, sans aucun doute, mais cela ne
signifie pas que l’affaire a été
enterrée. Loin de là. Il aurait
peut-être été préférable pour Riyad de
ne jamais rendre le verdict public, pour
la simple raison que personne, à
l’intérieur ou à l’extérieur de l’Arabie
saoudite, ne lui accorde la moindre
crédibilité.
Le meurtre de Jamal
Khashoggi ne sera pas facilement effacé.
Les tribunaux saoudiens et leurs
décisions, comme celles d’autres pays
arabes, n’ont aucun minimum d’équité,
d’indépendance ou de transparence.
L’affaire restera donc « en attente »
jusqu’à ce que, dans un avenir
indéterminé, elle soit rouverte et que
tous les responsables soient tenus de
rendre des comptes.
*
Abdel Bari Atwan est le rédacteur
en chef du journal numérique
Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de
L’histoire secrète d’al-Qaïda, de
ses mémoires,
A Country of Words, et d’Al-Qaida
: la nouvelle génération. Vous
pouvez le suivre sur Twitter :
@abdelbariatwan
18 novembre 2018
–
Raï al-Yaoum – Traduction :
Chronique de Palestine – Lotfallah
Le sommaire d'Abdel Bari Atwan
Le
dossier Monde
Les dernières mises à jour

|