Opinion
Cameroun: Danse de scalp autour de Paul
Biya
Zacchée Lapée
Lundi 26 septembre
2011
La Fin du pré
carré français au Cameroun ?
Pressé de libérer
la place par les Etats-Unis, Paul Biya
s’est résolument placé sous le giron de
la Chine en vue de résister aux
pressions occidentales visant à le
dégager d’un pouvoir autocratique qu’il
exerce depuis 30 ans. Sous le regard
complice de la France dans un premier
temps, un regard désormais perplexe du
tuteur, qui masque mal sa nervosité en
ce qu’il redoute qu’un soutien prolongé
à un président en fin de course ne porte
atteinte à ses intérêts économiques à
long terme. Cruel Dilemme pour la
France.
A contre courant
des usages diplomatiques, Hillary
Clinton s’est directement adressée au
peuple camerounais, le 20 mai dernier,
dans un message à l’occasion de la
célébration du 39me anniversaire de la
réalisation de l’unité du Cameroun,
ignorant délibérément ses interlocuteurs
institutionnels habituels, le ministre
des affaires étrangères du Cameroun et
surtout le président de la République.
Dans une allusion
limpide aux échéances présidentielles,
alors même que le Cameroun est dans
l’incertitude sur les intentions de Paul
Biya, dont le mandat expire le 30
décembre 2011, la secrétaire d’état
américaine a exprimé l’espoir de «voir
les Camerounais exercer leur droit de
vote au plus tard cette année, lors
d’une élection présidentielle libre,
transparente et crédible».
Elle assure le
peuple camerounais «de l’appui des
Etats-Unis» afin que les deux peuples
s’engagent dans un partenariat durable
et fructueux afin de consolider et
d’enrichir leurs efforts au profit d’un
avenir plus pacifique et plus prospère.
Cette démarche
insolite a suscité bon nombre de
supputations sur le fait de savoir si
les Etats-Unis avaient lâché le
président camerounais ou chercheraient
simplement à lui adresser un coup de
semonce à l’effet de l’inciter à assurer
une transition pacifique de son pouvoir.
Le président
camerounais n’a pas pipé mot face à
cette mauvaise manière. Sa réplique,
mutique, est intervenue, d’une manière
oblique, deux mois plus tard avec son
voyage en Chine, à la tête d’une
importante délégation de personnalités
nouvellement promues pour la conclusion
d’importants accords de coopération avec
le principal rival des pays occidentaux
en Afrique.
I- La Chine
au Cameroun
La Chine est
partenaire financier et technologique du
Cameroun dans d’importants projets
économiques: Le palais polyvalent des
sports de 5000 places à Warda (Yaoundé),
l’hôpital gynéco-obstétrique de Douala,
le projet Back Bône de transmission par
fibre optique à Kye-Ossi, le projet de
construction du centre pilote des
technologies agricoles de Nanga Eboko,
les projets de construction des stades
de Limbé et de Bafoussam et le
projet de construction de la
mini-centrale hydro-électrique de Mekin,
constituent certaines des principales
réalisations de prestige de la Chine au
Cameroun.
Il convient
d‘ajouter à cela le projet d’adduction
d’eau potable de Camwater dans les
villes de Douala et Yaoundé, la
construction des barrages de Lom Pangar,
de Memve’ele, Mekin ainsi que la
construction du port en eau profonde de
Kribi.
Le Cameroun, qui
entend devenir un pays émergent à
l’horizon 2035, a ainsi complété son
partenariat avec la Chine par la
conclusion d’une série d’accord en
juillet.
-Accord cadre
relatif à l’octroi d’un prêt
préférentiel de 433 millions de yuans
(près de 31 milliards Fcfa) destinés à
la réalisation du projet e-poste
-Echange de lettres portant sur la
fourniture d’un lot d’équipements
médicaux en faveur de l’hôpital
gynéco-obstétrique de Douala pour un
montant de 10 millions de yuans (environ
713 millions Fcfa);
-Echange de lettres portant sur la
fourniture d’un lot d’équipements
médicaux au centre antipaludique
sino-camerounais d’un montant de 1,5
million de yuans, soit 107 millions Fcfa.
-Accord de coopération économique et
technique portant sur un don sans
contrepartie de 50 millions de yuans
(environ 3,5 milliards Fcfa)
-Accord de coopération économique d’un
montant de 100 millions de yuans (plus
de 7 milliards Fcfa),
-Prêt sans intérêt destiné à la
réalisation de projets de coopération
économique et techniques convenus entre
les deux gouvernements.
L’intensification
des relations sino-africaines au cours
des trente dernières années témoigne de
l’intérêt marqué de Pékin non seulement
pour les matières premières et les
terres arables, mais aussi de son souci
de contourner l’Europe par le sud en vue
de s’assurer des réserves énergétiques
pour les besoins de son industrie. Les
investissements directs étrangers
chinois ciblent, en priorité, les pays
riches en ressources minières dont le
Cameroun.
L’Afrique fournit désormais un tiers du
pétrole importé à la Chine, deuxième
consommateur mondial de pétrole derrière
les Etats-Unis.
La Chine se procure
ses besoins en hydrocarbures du
continent africain de l’Angola (premier
fournisseur de la Chine devant l’Arabie
Saoudite), du Cameroun, du Congo
Brazzaville, du Gabon, du Nigeria et du
Soudan., ces deux derniers pays étant
les plus gros bénéficiaires des
investissements directs chinois sur le
continent.
A cela s’ajoute un
intérêt non négligeable pour d’autres
ressources telles que le bois (60% de la
production africaine est vendue en
Chine) et les matières premières
agricoles pour lesquelles elle déploie
une grande politique d’acquisition des
terres arables dans les pays comme le
Zimbabwe, le Congo ou le Cameroun.
L’Afrique abrite un
millier d’entreprises chinoises, un
chiffre en constante augmentation. Le
volume des échanges a été multiplié par
dix depuis 2000 pour atteindre
107 milliards de dollars en 2008.
Sur le plan de l’agriculture, le
Cameroun a cédé 10 000 hectares de
terres agricoles pour une durée de 99
ans à Sino Cam Iko. La multinationale
chinoise spécialisée dans la production
et la commercialisation de produits
agricoles s’est installée sur trois
sites dont Ndjoré, un site de 4000
hectares situé à 100 kilomètres de la
capitale camerounaise) et Nanga-Eboko (2
000 hectares situés à 170 kilomètres de
Yaoundé). A Nanga-Eboko, Sino Cam Iko a
planté des cultures expérimentales de
fruits et légumes, de maïs ainsi que 200
variétés de riz, tandis que le site de
Ndjoré est affecté à la culture du
manioc.
Ce dispositif est
complété au Zimbabwe par l’acquisition
par la société publique China
International Water and Electric du
droit d’exploiter plus de 100.000
hectares de maïs dans le sud du pays, en
République démocratique du Congo où le
géant chinois des télécommunications,
ZTE International, a acquis 2,8 millions
d’hectares de forêt pour y planter des
palmiers à huile, enfin en Tanzanie, où
une entreprise de semences chinoise, la
Chongqing Seed Corp a décidé de
s’implanter sur 300 hectares en Tanzanie
où le manque de céréales contraste avec
l’abondance des terres cultivables.
L’intensification
de la présence chinoise au Cameroun a
suscité des critiques, déplorant
l’asymétrie de la relation
sino-camerounaise du fait de la
prépondérance chinoise dans le processus
de contrôle des projets communs et de la
balance déficitaire des échanges au
détriment du Cameroun.
Devant la montée en
puissance de la Chine dans l’économie
camerounaise, le MEDEF français a laissé
percer sa mauvaise humeur. Ainsi M.
Patrick Lucas, président du comité
Afrique du MEDEF International, en
visite au Cameroun du 4 au 8 juillet
2011, a ainsi résumé la position du
patronat français:
«Je ne sais pas
jusqu’à quand le contribuable français
va continuer à accepter cette
situation», feignant d’ignorer que les
offres chinoises sont généralement
«mieux disantes» que les concurrents
français, feignant d’ignorer
l’omniprésence économique française au
Cameroun.
II – La
France au Cameroun ou «la fin du
pré-carré français au Cameroun»
Cent trente
filiales d’entreprises françaises
opèrent au Cameroun et une centaine
d’établissements de droit local
appartenant à des ressortissants
français sont installés sur place. Les
principales entreprises phares du CAC 40
français y ont pignon sur rue, se
livrant à la mise en valeur, -en coupe
réglé?- d’un pays situé à la bordure
méridionale du Sahara, à la limite
septentrionale de la forêt équatoriale
et du bassin du Congo face au Golfe de
Guinée. En un mot à l’épicentre d’une
zone de turbulences aiguisée par la
compétition des puissances pour le
contrôle des ressources énergétiques du
Golfe de Guinée et les réserves minières
de la zone nigérienne.
Le groupe des
entreprises françaises opérant au
Cameroun comprend Péchiney, Castel,
Brasseries et Glacières International,
Lafarge, CFAO pour l’industrie, le
Groupe Bouygues, SGE, Comsip Cam pour le
BTP, Total-Fina-Elf pour le pétrole.
Le groupe Bolloré, pour la gestion des
infrastructures portuaires, et le
secteur bois, en compagnie sur ce
secteur avec les firmes de Thanry et
Pasquet, Rougier.
- Sodecoton (capital à 30% détenu par la
Compagnie française de développement des
fibres textiles) pour le secteur coton
- Le grossiste Agrisol SA dans le
secteur de la banane.
- Deux entreprises à participation
française Nocusa et Socusam pour le
sucre.
Mais le tableau est
loin d’être paradisiaque. Pollution,
bénéfices économiques aléatoires pour
les autochtones, multiples atteintes à
l’environnement émaillent le quotidien
des entreprises françaises sous les
tropiques.
«L’empire noir de
Bolloré en Afrique», objet de deux
enquêtes de la presse française, au
printemps 2011, a valu à leurs auteurs
«France inter» et le journal en ligne
«Rue 89» des poursuites judicaires pour
diffamation. Le groupe Bolloré passe
pour être un des gros utilisateurs de
l’armé judiciaire come arme de
dissasasion conte toute critique fouilée
à son égard.
Premier partenaire
économique du Cameroun, la France a paru
cédé du terrain au profit de la Chine.
Certes le port de Douala est toujours
géré par le Groupe Bolloré, le voyagiste
de Nicolas Sarkozy, la France n’est plus
le principal partenaire du Cameroun.
Dans une interview accordée en mai 2007,
Georges Remi Belinga, responsable des
douanes dans le Littoral parle de «la
fin du pré-carré français au Cameroun »
et l’explique par la volonté des
Africains de trouver des marchés plus
favorables d’acquisition de produits de
haute technologie au moindre coût.
III- Pour qui
sonne le glas ?
La Chine et les
Etats-Unis sont sans passif colonial au
Cameroun, contrairement à la France, au
Royaume Uni, voire même l’Allemagne, et,
l’Amérique peut se targuer de bonnes
relations nouées avec ce pays à la
faveur des «Peace Corps», ce contingent
de volontaires civils envoyés sous la
présidence de John Kennedy dans le tiers
monde à l’époque de la décolonisation.
Redoutant d’être
supplantée par les Etats-Unis sur le
plan politique, et, par la Chine sur le
plan économique, la France, en pleine
campagne présidentielle pour la
reconduction du mandat de Nicolas
Sarkozy a été contrainte à lever le
blocus sur le financement des projets
économiques.
Sur le plan
politique, Nicolas Sarkozy chercherait à
compenser l’érosion de la position
française au Cameroun par une percée
diplomatique dans la région des Grands
lacs. Reniant son discours moralisateur
et ses principes humanistes, l’homme du
discours de Dakar a programmé la visite
en France, en septembre 2011, de Paul
Kagamé, le président du Rwanda, celui là
même qu’il menaçait de traduire devant
la justice internationale du fait de sa
qualité de «génocidaire».
Cette visite a
suscité une tension au sein du
gouvernement français, notamment entre
Alain Juppé, ministre gaulliste des
Affaires étrangères et l’Elysée
atlantiste, ainsi que l’incompréhension
et la colère dans certains milieux
militaires français. L’association
France-Turquoise, présidée par le
général Lafourcade, considère ainsi que
l’accueil de Paul Kagamé en France
équivaudrait à “brader l’honneur de ses
soldats et à couvrir un tissu de
mensonges».
Les jongleries du
saltimbanque Nicolas Sarkozy tant en
Libye, qu’en Côte d‘Ivoire qu’au
Cameroun, de même que le pas de deux de
Paul Biya avec la Chine, suffiront-ils à
préserver leur position respective?
Que pense de tout
cela, particulièrement de la visite de
Paul Kagamé en France, Bernard Henri
Lévy, le ministre occulte des affaires
étrangères françaises, le pourfendeur
des dictatures, lui dont l’entreprise
familiale de bois a été mentionnée dans
la déforestation de l’Afrique?
Pour qui sonne le
glas? Du pré carré français au Cameroun?
De la mandature Biya? Des deux à la
fois, jumeaux pendant un quart de
siècle? Qu’il est dur d’être après avoir
été?
Référence :
A propos de
Socapalm au Cameroun,
Un petit empire de l’huile de palme
La Société camerounaise de palmeraies
occupe 78 529 hectares de surface
concédée (près de 110 000 terrains de
football), 25 998 hectares de surface
exploitée (36 000 terrains de foot),18
265 hectares de plantations villageoises
encadrées (25 000 terrains de foot).
Avec ses cinq plantations, la Socapalm a
une capacité de production de 132
tonnes/heure, grâce à laquelle elle pèse
pour 42% du marché de l’huile brute.
Dans sa note d’information pour son
introduction à la Bourse de Douala,
début 2009, la société fait état de 1
314 salariés (dont 603 ouvriers et 83
manœuvres), 2 338 «planteurs privés
(sous-traitants)» qui livrent leur
production à la société; 2 500 à 3 000
ouvriers employés par des sous-traitants
pour la récolte et le transport des
régimes. Plus de 30 000 personnes
«dépendent directement de l’entreprise»,
dont 15 000 vivent dans les vingt
villages répartis dans les plantations.
Bref, un petit empire de la palme.
Zacchée
Lapée, membre de l’équipe de
campagne de Mme Edith
Kahbang
Walla, candidate du Cameroon people’s
party (Cpp) à la présidentielle du 9
octobre 2011
Le
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