9 septembre 2009
http://axisoflogic.com/artman/publish/Article_56893.shtml
Plus je réfléchis au conflit
israélo-palestinien, plus je constate que très rares sont les
gens à avoir une compréhension basique du conflit et qu’encore
plus rares sont ceux qui sont capables de le définir ne
serait-ce qu’en termes approximatifs.
Ainsi l’on entend dire parfois que tout
tournerait autour du « terrorisme » arabe/palestinien, autour
des attentats suicides et que le but ultime des terroristes
palestiniens serait de « jeter tous les juifs à la mer, morts ou
vifs », que leur motivation ne seraient rien d’autre que
l’antisémitisme et une haine viscérale des juifs. Ceux qui
entretiennent cette vision considèrent que le conflit tourne
essentiellement autour de la survie d’un Etat juif au milieu
d’un océan de haine irrationnelle.
C’est ainsi que les sionistes voient la
chose, et c’est la vision qu’ils voudraient que le monde
retienne. On entend aussi parfois dire que le conflit serait
religieux, entre juifs et Arabes et que ce conflit durerait,
sans interruption, depuis « des millénaires ».
Tout cela est faux.
Le premier attentat-suicide palestinien
s’est produit en 1994, quarante jours après le massacre, par
Baruch Goldstein, natif de Brooklyn, de vingt-neuf fidèles en
prière à la Mosquée d’Abraham, à Hébron. A l’époque, cela
faisait plus de vingt-cinq ans que la Cisjordanie, Jérusalem Est
et la bande de Gaza étaient sous occupation, à la suite de la
guerre de juin 1967. Ainsi, une génération entière de
Palestiniens avait accédé à l’âge adulte sans avoir rien connu
d’autre que l’occupation militaire, au moment où le premier
attentat-suicide s’est produit.
La phrase « jeter tous les juifs à la mer,
morts ou vifs » fut dite pour la première fois par le Premier
ministre israélien Ben Gourion devant la Knesset (le parlement
israélien) ; c’était en 1961. Ce fut sans doute la première
occurrence de cette phrase, prononcée par une personnalité
politique éminente, si bien qu’en tout état de cause cette
citation a une origine juive, et non une origine arabe. La
propagation de cette phrase chargée d’émotion dans l’ensemble du
débat israélo-palestinien trouve donc sa source chez le Premier
ministre israélien lui-même (voir : « Qui pousse qui, à la
mer ? » [Who is Pushing Whom into the Sea ?] :
http://www.counterpunch.org/martin03112005.html
L’idée qu’il s’agirait d’un conflit
religieux, qui se poursuivrait depuis des milliers d’années, est
inexacte. Depuis près de deux mille ans, juifs et Arabes
entretenaient des relations harmonieuses et, depuis quatre
siècles avant la Première guerre mondiale jusqu’à celle-ci
incluse, ils avaient les mêmes droits, en tant que citoyens de
l’Empire ottoman. De fait, les juifs occupaient des positions
officielles éminentes, dans l’administration dudit Empire.
Tout a changé en 1896, avec la publication
de l’ouvrage de Theodore Herzl, L’Etat juif, dans lequel il
proposait l’idée de l’inévitabilité, de l’immuabilité, de la
permanence et de l’omniprésence de l’antisémitisme, arguant que
la seule solution à ce problème était un Etat séparé, pour les
juifs.
L’idée hertzlienne de l’inéluctabilité de
l’antisémitisme a sans doute été auto-réalisatrice, puisque
plutôt que de s’opposer à l’antisémitisme, durant la première
moitié du vingtième siècle, les sionistes firent cause commune
avec Hitler, Eichmann et les nazis, utilisant l’antisémitisme et
le nazisme en tant que moyens d’obtenir leur but, la création
d’un Etat juif. Les deux mouvements réactionnaires (le nazisme
et le sionisme, ndt) avaient en partage l’idée que les juifs qui
vivaient en Allemagne représentaient dans ce pays une « race »
étrangère et que la séparation raciale devait être pérennisée à
tout prix (l’historien Lenny Brenner a écrit trois ouvrages
remarquables sur la collaboration siono-nazie). L’utilisation du
nazisme par les sionistes prit notamment la forme du blocage de
voies de secours pour les juifs vers d’autres pays d’Europe et
leur détournement vers la Palestine, même après que les trains
de la mort eurent commencé à sillonner l’Europe. L’ascension
politique d’Hitler et son accession au pouvoir n’ont jamais fait
l’objet d’une quelconque opposition du mouvement sioniste,
antérieurement à la création de l’Etat d’Israël.
L’Histoire eût peut-être été différente si
la composante sioniste des communautés juives s’était opposée
aux nazis
L’histoire aurait sans doute été bien
différente, si la composante sioniste de la communauté juive
s’était opposée au nazisme, il n’y aurait sans doute jamais eu
d’Holocauste. Et il n’y aurait peut-être pas d’Etat d’Israël (ce
que beaucoup de sionistes, à l’époque, avaient parfaitement
compris).
Voici ce qu’en dit Lenni Brenner :
… parmi tous les juifs opposants actifs à
l’idée de boycotter l’Allemagne nazie, le plus important fut
l’Organisation Sioniste Mondiale [World Zionists Organisation –
WZO]. Non seulement cette organisation acheta des équipements
allemands, elle les revendit et elle alla jusqu’à chercher de
nouveaux clients à Hitler et aux industriels qui le finançaient
et le soutenaient.
… « La WZO perçut la victoire d’Hitler
comme sa filiale allemande, la ZVfD, l’Organisation Sioniste
d’Allemagne : elles y virent non pas principalement une défaite
pour tous les juifs, mais comme une preuve positive de l’échec
de l’assimilation et du libéralisme » [Brenner,
Zionism in the Age of
Dictators].
Mais la collaboration des sionistes avec
les nazis, ainsi qu’avec les fascistes et Mussolini est une
vaste question, à laquelle il faudrait consacrer des dizaines de
volumes, que nous nous ne développerons pas ici.
Bien qu’Herzl eût envisagé de jeter son
dévolu sur une région d’Argentine, et même sur une région de
l’Ethiopie, la Palestine fut le site sur lequel se dégagea le
plus important consensus. A propos des indigènes palestiniens,
qui étaient à l’époque environ un million à vivre en Palestine,
il avait dit :
«Nous ferons disparaître la population sans
le sous à travers la frontière en lui refusant tout emploi. Le
processus de l’expropriation et le déplacement des pauvres
doivent être menés à bien avec discrétion et circonspection. »
C’est ainsi que fut introduit le concept de
nettoyage ethnique de la Palestine. Cela ne relève pas de la
physique nucléaire, ça n’est pas sorcier : si vous voulez créer
un Etat qui soit peuplé exclusivement de juifs européens au beau
milieu du Moyen-Orient, vous devez, avant toute chose, vous
débarrasser des Arabes.
Herzl créa donc l’Organisation Sioniste
Mondiale, dont l’intention était d’établir un Etat sioniste en
Palestine et de se muter en proto-gouvernement, d’où émergerait
le gouvernement du véritable Etat, sans raccords, une fois créé
l’Etat juif.
Le monde semble ne pas comprendre quelle
est la véritable intention du programme sioniste. Mais il faut
dire que les sionistes eux-mêmes n’étaient pas d’accord entre
eux, à ce sujet.
Dans son ouvrage Le Mur de fer, paru en
1923, Vladimir Jabotinsky, fondateur de l’aile « révisionniste »
du sionisme, écrivait :
« Il ne saurait être question de
réconciliation volontaire avec les Arabes, ni aujourd’hui, ni
dans un avenir envisageable. Tous les gens bien intentionnés, à
l’exception des aveugles de naissance, ont compris depuis bien
longtemps la totale impossibilité de parvenir à un accord
volontaire avec les Arabes de Palestine sur la transformation de
la Palestine, de pays arabe qu’elle était, en un pays peuplé
d’une majorité de juifs.
« Tout peuple voit dans son pays son foyer
national, dont il veut être le maître total. Un peuple ne
laissera jamais son pays, de son plein gré, à un nouveau maître.
Ce sont donc les tenants d’un compromis avec les Arabes, parmi
nous, qui sont invités à nous convaincre que les Arabes sont des
sortes d’imbéciles qu’il serait possible de duper avec des
formulations dissimulant nos objectifs fondamentaux. Je refuse
tout de go d’avaliser cette vision avilissante des Arabes
palestiniens…
« Les Palestiniens vont se battre comme ils
le font tant qu’il leur restera la moindre étincelle d’espoir….
Peu importe les termes dont nous usons pour expliquer notre
colonisation. La colonisation a sa signification, intégrale et
inéluctable, que chaque juif et que chaque Arabe connaît fort
bien. La colonisation n’a qu’un seul but. C’est dans la nature
même des choses. Changer cette nature est quelque chose
d’impossible. Il a été nécessaire de poursuivre la colonisation
à l’encontre de la volonté des Arabes palestiniens, et les
conditions actuelles sont strictement les mêmes.
« Un accord volontaire est inconcevable.
Toute colonisation, aussi raisonnable soit-elle, doit continuer,
défiant la volonté de la population indigène. Par conséquent, la
colonisation ne peut se poursuivre et se développer qu’à l’abri
d’un bouclier protecteur comportant un Mur d’Acier, que la
population locale ne pourra jamais franchir. Telle est notre
politique arabe. La formuler différemment ne serait que pure
hypocrisie.
« Que ce soit au moyen de la Déclaration
Balfour ou du Mandat, la force extérieure est nécessaire à
l’établissement, dans le pays, des conditions administratives et
militaires au moyen desquelles la population locale, quelles que
soient ses aspirations (dont nous nous moquons, ndt) sera privée
de la possibilité de faire obstacle à notre colonisation, que ce
soit administrativement ou physiquement. L’armée doit jouer son
rôle – avec force et sans indulgence. En cela, il n’y a aucune
différence d’une quelconque importance entre nos militaristes et
nos végétariens. Les uns préfèrent un Mur de Fer constitué de
baïonnettes juives, et les autres le préfèrent, constitué de
baïonnettes britanniques.
« Si vous voulez coloniser une terre déjà
habitée par des gens, vous devez lever une armée pour conquérir
cette terre… Sinon ? Sinon, renoncez à votre colonisation, car,
à défaut d’une armée qui rende physiquement impossible toute
tentative pour détruire cette colonisation ou en empêcher
l’installation, la colonisation est impossible. Le sionisme est
une aventure de colonisation : la question de son échec ou de sa
réussite tourne toute entière autour de sa force armée. Bien
entendu, parler hébreu, c’est important. Mais, malheureusement,
il est encore plus important de savoir viser et tirer – sinon,
je n’ai rien contre l’idée de jouer à la colonisation…
« Au reproche absurde que ce serait là une
position immorale, je réponds que c’est absolument faux. C’est
notre éthique. Il n’y en a pas d’autre. Tant qu’existera la
moindre étincelle d’espoir, chez les Arabes, de nous en
empêcher, ils ne renonceront pas à cet espoir – ils n’y
renonceront pas, quoi qu’il en soit, pour de bons mots ni pour
quelque bouchée de choix. Parce que ce peuple, le peuple
palestinien, ça n’est pas un lapin de garenne : non, c’est un
peuple, un peuple vivant. Et personne ne fait des concessions
aussi énormes sur des questions aussi cruciales, sauf lorsque
tout espoir (pour les Arabes) sera perdu, c’est-à-dire quand
nous aurons bouché jusqu’à la moindre faille visible, dans notre
Mur d’Acier ».
Les « sionistes révisionnistes » étaient
partisans de réviser le mandat britannique sur la Palestine afin
d’y inclure la rive orientale du Jourdain (la Transjordanie, ndt),
qui constitue aujourd’hui la Jordanie, aussi bien que la
Cisjordanie, le Jourdain formant la frontière orientale du
territoire sous mandat britannique, à l’époque. Le parti
« révisionniste » s’est transformé, au fil des années, en
l’actuel parti Likoud, le parti de droite de Menahem Begin, qui
voyait en Jabotinsky sont parangon et son mentor philosophique.
C’est aussi le parti d’Yitzhak Shamir, qui est devenu le chef du
parti Révisionniste au moment de la mort de Jabotinksky, ainsi
que celui d’Ariel Sharon et de Benjamin Netanyahu.
Ainsi, en 1937, Ben Gourion avait affirmé :
« Le transfert forcé des Arabes des vallées
de l’Etat juif futur pourrait nous donner quelque chose que nous
n’avons jamais eu, même à l’époque où nous étions solidement
établis, aux jours où existaient le premier et le deuxième
Temples ».
En 1937 toujours, il écrivait, dans une
missive envoyée à son fils :
« Nous
devons expulser les Arabes et prendre leur place, et si nous
devons recourir à la force armée afin de garantir notre propre
droit à nous installer dans ces lieux, alors nous aurons une
armée à notre disposition. »
Au début de l’année 1948, le même Ben
Gourion écrivait, dans ses carnets de guerre :
« Durant l’assaut, nous devons être prêts à
frapper le coup décisif ; c’est-à-dire soit à détruire les
villes, soit à en expulser les habitants, afin que notre peuple
puisse prendre leur place. »
Et, en février 1948, Ben Gourion disait à
Yosef Weitz, directeur de la colonisation du Fonds National Juif
et chef du Comité du Transfert de 1948 :
« C’est la guerre qui nous donnera notre
terre. Le concept de ce qui est à nous et de ce qui n’est pas à
nous est un concept qui relève uniquement d’une situation de
paix : nous sommes en guerre, et ces concepts ont perdu toute
signification. »
Et en 1940, Josef Weitz, qui était le chef
des achats de terres de l’Organisation Juive Mondiale, ainsi que
le chef de l’un des multiples « comités de transfert » (visant à
étudier les manières d’expulser les Arabes de Palestine)
écrivait :
« Entre nous, il doit être clair qu’il n’y
a pas de place pour deux peuples vivant ensemble, dans ce pays.
Nous n’auront pas atteint notre but s’il y a encore des Arabes
ici. Il n’y a aucun autre moyen que de transférer les Arabes
vivant ici vers des pays voisins – de les transférer tous !
Aucun village, aucune tribu ne devront être épargnés ».
En 1983, Raphael Eytan, alors chef d’état
major des Forces Israéliennes de Défonce [Tsahal, ndt] a dit :
« Nous déclarons ouvertement que les Arabes
n’ont aucun droit à s’installer sur le moindre centimètre carré
de la Terre (sacrée) d’Israël [Eretz Israel]… Apparemment, la
force est la seule chose qu’ils comprennent ou comprendront.
Nous devons user de la force la plus extrême jusqu’à ce que les
Palestiniens viennent ramper devant nous… Quand nous aurons
peuplé les terres, la seule chose que les Arabes seront en
mesure de faire, c’est de courir partout, comme des cafards
saouls enfermés dans une bouteille… »
Quant aux raisons, au juste, pour
lesquelles le peuple palestinien n’a aucun droit à vivre sur la
terre où ils sont nés et où leurs ancêtres sont nés avant eux,
ou pour lesquelles les colons juifs européens, eux, ont ce
droit, M. Eytan reste silencieux.
En 2002, Moshe Yaalon, chef d’état-major de
l’armée israélienne, a dit :
« Il faut faire comprendre aux
Palestiniens, jusqu’aux tréfonds de leur conscience, qu’ils sont
un peuple vaincu. »
Entre l’époque où Israël s’est autoproclamé
un Etat, en mai 1948, et l’été 2005, Israël a tué 50 000
Palestiniens, estime l’historien israélien Ilan Pappe. Et depuis
octobre 2000, Israël a tué 6 348 Palestiniens, affirme le site
ouèbe If Americans Knew
[Si les Américains savaient ça…] Ce dernier chiffre correspond à
environ 2 Palestiniens tués, chaque jour, par Israël [1,932,
selon un calcul personnel]
Une chose est sure : Israël n’est pas la
victime, même s’il ne cesse de couiner, mais bien le bourreau.
Alors, quelle est la cause de ce conflit ?
Quel est le thème qui parcourt comme un fil rouge toute
l’histoire du sionisme, depuis son origine ?
La destruction du peuple palestinien en
tant que peuple et la prise de possession de sa terre
ancestrale, voilà ce qui est au programme du sionisme.
Il est des sionistes qui seraient
favorables à une solution à deux Etats et à un retrait de la
présence militaire israélienne à l’intérieur des frontières de
l’Israël pré-1967, tout en autorisant la création d’un mini-état
« palestinien » sur les 22 % de la Palestine restants. Mais la
réalité, sur le terrain, c’est qu’Israël s’est étendu au-delà du
point de ce retrait, avec l’installation de 300 000 colons en
Cisjordanie et de 183 000 colons à Jérusalem Est (à la date où
cet article est écrit), avec au minimum 200 colonies en
Cisjordanie dont certaines sont deux fois plus étendues que
Manhattan, avec leurs écoles, leurs universités, leurs centres
commerciaux et leurs milliards de dollars d’investissements en
infrastructures tant publiques que privées et un système
ségrégué de 4502 km d’autoroutes réservées aux seuls juifs,
coupant en deux la Cisjordanie, les Palestiniens étant
emprisonnés entre ces barrières de béton et d’asphalte, en des
bantoustans discontinus.
Mais, quoi que pensent ces sionistes
modérés qui prônent le retrait à l’intérieur des frontières de
1967, la dynamique d’Israël, c’est l’expansion, comme cela a
toujours été le cas, depuis sa création. Les forces centrifuges
qui poussent à cette expansion sont multiples et complexes ;
elles sont religieuses, elles sont militaires, elles sont
sécuritaires, elles sont dues à une soif de pouvoir pour le
pouvoir. Mais elles sont constantes, elles ont derrière elles un
élan séculaire, et elles représentent un siècle de sionisme en
action.
Le cœur du conflit israélo-palestinien, c’est la volonté de
détruire le peuple palestinien et de l’évacuer, et la prise de
contrôle totale, par l’Etat juif, de la Palestine jusqu’au
Jourdain. L’enjeu est donc de savoir si les Palestiniens
finiront par être détruits et éliminés en tant que peuple, avec
sa culture et son histoire propres, et un attachement à la terre
où il est né, et où ses parents et ses ancêtres ont vécu avant
lui.
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier