|
Opinion
Vincent Reynouard à ses correspondants
Vincent Reynouard
Mardi 26 octobre 2010
Cela fait deux mois que je suis dans la prison de
Valenciennes. Le 19 octobre, j’ ai changé de cellule. Du
quartier Est je suis passé au quartier Ouest. Ma nouvelle
cellule est prévue pour une seule personne (un seul lit) ; elle
est normalement réservée au « confinement », c’ est-à-dire aux
détenus qui, pour une raison ou pour une autre, doivent être mis
à l’ écart. La plupart du temps il s’ agit de prisonniers qui,
s’ étant attiré la haine des autres, craignent pour leur
sécurité. Il faut, en effet, savoir que l’ univers carcéral est
rempli de délateurs qui, contre un maigre avantage (ou même un
simple espoir de maigre avantage) « donnent » d’ autres détenus
coupables de trafics (shit, portable…). Certains parviennent à
passer inaperçus. Mais d’ autres, qui parlent trop, acquièrent
rapidement la réputation de « balances », ce qui peut leur créer
de nombreux désagréments.
D’ autres prisonniers sont, quant à eux, couverts de « dettes
» : ils ont emprunté du tabac sans pouvoir, ensuite, rendre l’
équivalent. Pour rembourser, ils peuvent accepter des missions
périlleuses : véhiculer de la dope ; ramasser en promenade des
sacs que des gens jettent de l’extérieur et qui contiennent des
choses interdites en prison (on appelle ça « les missiles »,
leur ramassage est interdit, il est puni de « mitard ») ou, s’
ils refusent, le plus sage est de rester en cellule, voire être
en confinement…
La prison est un monde qui a ses règles : règles dictées par
les autorités et règles non écrites venues des détenus. Mieux
vaut n’ enfreindre ni les unes ni les autres. Ici, la politique
de sagesse consiste à parler le moins possible, à en savoir le
moins possible et à rester à l’ écart de tous les trafics.
Sachant que la cigarette (et le shit) reste la principale
monnaie d’ échange, le fait de ne pas fumer protège énormément,
car le non-fumeur est automatiquement considéré comme un
miséreux incapable de mener à bien une quelconque transaction.
Voilà pourquoi ma mise en « confinement » est sans lien avec
une situation dangereuse. Ici, je suis vu comme un genre d’
extraterrestre‚ un « écrivain », emprisonné juste pour avoir
écrit « des trucs sur Israël » (ce qui révolte tous mes
co-détenus), mais un extraterrestre « gentil », prêt à dessiner,
à écrire des lettres et même à composer des poèmes à la demande.
Bref, on me respecte, un respect mêlé d’ ignorance car ces gens
voient bien que nous ne sommes pas du même monde.
Je suis en cellule seul, tout simplement parce que les
autorités de la prison n’ ont trouvé personne qui ait le même
profil que moi : non-fumeur, qui se lève vers 4h du matin, qui
ne regarde jamais la TV, passant ses journées à écrire, à
apprendre l’ allemand et à dessiner dans le calme… Nouvelle
preuve qu’il n’ y a aucun « complot » contre moi : les autorités
de la prison ne me persécutent pas, bien au contraire. Elles
respectent ce que je suis et tentent de rendre mon séjour ici le
moins dur possible, dans le respect du règlement intérieur (je
n’ ai aucun passe-droit). J’ écris cela pour ceux qui, dans nos
milieux, croient les Juifs surpuissants, capables de plonger
leurs tentacules partout. Si c’ était le cas, ils pourraient
aisément faire de ma détention un véritable enfer, ce qui n’ est
pas le cas, loin de là.
Les gens ici m’ apprécient à tel point que, du temps où j’
étais seul dans une cellule pour deux, cinq autres détenus ont
proposé de venir avec moi, afin de pouvoir bénéficier de calme
et de conversations intéressantes. Les 17 et 18 octobre, suite à
un couac administratif, un autre prisonnier – assez peu aimé
pour des raisons plus ou moins bonnes – a partagé ma cellule. Il
était aux anges et faisait tout pour m’ être agréable. C’ en
était presque gênant. Lorsque, le 18 au soir, je lui ai annoncé
mon départ, il est resté prostré pendant près de 20 minutes. (…)
J’ aime bien, ici, lire Libé. Ce quotidien défend les
prisonniers d’ opinion du monde entier. Le 14 octobre, c’ était
Fahem Boukadous, un journaliste opposant tunisien condamné à 4
ans de prison pour « diffusion d’
information susceptible de porter atteinte aux personnes et à
leurs biens » (Libé, 14 oct., p. 11). Quatre jours plus
tard, une page entière était consacrée à Sonia Terhzaz, une
Franco-Marocaine de 27 ans qui se bat pour la libération de son
père, un colonel major marocain coupable d’ avoir critiqué le
régime et embastillé au terme « d’ une parodie de procès »
(Libé, 18 oct., p. 40). Le quotidien se lamentait : «
La cause n’ est pas facile à vendre : un
haut gradé à la retraite, c’ est moins “ sexy” qu’ un activiste
des droits de l’ homme ». Sans doute. Et, tout au bas de l’
échelle, il y a le révisionniste. Pour lui, pas une page, pas
une ligne, pas un mot. Alors que l’ affaire ne se passe pas
au-delà des mers mais à moins de 300 km de Paris.
Pourtant, Libé publie des textes sans ambiguïté sur la libre
recherche et l’ objectivité en histoire : «
L’ historien », écrit un professeur-formateur, doit «
s’ interdire une recherche partielle et
partiale ». C’ était dans l’ édition du 15 octobre, p. 7.
Quelques pages plus loin on lisait, sous la plume du professeur
d’ histoire contemporaine à l’ université Paris VIII, Michèle
Riot-Sarcey : « Non, décidément, l’ histoire
n’ appartient ni à l’ Etat républicain ni au gouvernement. Faite
de conflits, d’ interprétations contradictoires [je souligne],
d’ oublis et d’ impensés, elle est tout entière à la disposition
de tous et de chacun, Français ou étranger » (Ibid., p.
29). Ces textes sont à rapprocher des propos tenus la veille par
Robert Badinter sur la non-constitutionnalité des lois
mémorielles.
Quand je les lis ou que je les entends, je vais à la fenêtre
de ma cellule et j’ appelle : « Hou-hou ! Je
suis là ! C’ est le moment d’ agir ! » M’ entendront-ils ?
La réponse à cette question permettra, comme l’ a si bien dit
P.E. Blanrue, de trier entre les vrais et les faux libertaires.
Partager
Le sommaire de Paul-Eric Blanrue
Dernières mises à
jour
|