Opinion
Libye : et dire
que j'ai failli douter de cette histoire
d'intervention humanitaire
Viktor Dedaj
Le siège
de l'OTAN
Organisation qui tue des civils au nom
de leur protection
Dimanche 21 août 2011
Envoyer des pyromanes pour
éteindre une incendie, brûler la
forêt pour sauver les arbres,
bombarder la population pour
épargner des civils, lancer des
campagnes de terreur au nom du
combat contre le terrorisme,
promouvoir la démocratie en
soutenant des dictateurs, des
monarchies, des terroristes et
autres voyous en tous genres...
la logique des dirigeants
occidentaux est imparable.
Pendant ce temps,
l’Organisation des médias de
masse bombarde les consciences
jusqu’à obtenir leur reddition.
Et c’est ainsi que vous vous
réveillez un jour avec le
sentiment que vous avez toujours
été favorable aux
privatisations. Avec la croyance
que les Taliban ont toujours été
nos ennemis. Que cette Europe-ci
est la seule qui vaille. Que
vous comprenez bien qu’on ne
pourra pas verser votre
retraite. Que vous êtes né(e)
avec la certitude qu’il n’y a
pas d’alternative au
capitalisme. Et que l’OTAN est
une sorte de SAMU international.
Aujourd’hui, 21 août, la
dernière : « les rebelles sont
entrés dans Tripoli ». Après des
semaines de « les rebelles
libyens avancent... », « les
rebelles contrôlent la
ville de... », les « rebelles
annoncent... ». C’est drôle
comment l’acteur principal de
ces évènements, l’OTAN, arrive à
se faire discret dans les
dépêches.
A voir le mal que ces
rebelles ont eu pour avancer
dans un pays plutôt plat, plutôt
dépeuplé, où leurs maîtres
avaient et ont la maîtrise
totale du ciel – des conditions
idéales pour une telle campagne
- et où (suprême avantage) le
peuple serait « acquis à leur
cause », il est évident et clair
que les « rebelles libyens »
n’ont jamais représenté grand
chose, allant jusqu’à
s’entre-tuer et éliminer leur
propre commandant en chef (et
ceci dans des conditions
pourtant « idéales »).
Cela dit, à moins d’un coup
de théâtre, ils « gagneront »,
tôt ou tard, c’est certain. Et
comment pourrait-il en être
autrement ? Lorsque le bâton
rond de la propagande n’entre
pas dans le trou carré de la
réalité, l’OTAN se charge
d’arrondir les angles.
Parions qu’il ne manquera pas
alors quelques sombres abrutis
pour déferler devant nos écrans
en gueulant « on a gagné ! ». Et
dire qu’il y a encore quelques
mois ils ne savaient même pas
épeler le nom du pays (Lybie ?
Libye ?). Mais la vérité est que
l’histoire a d’ores et déjà
prouvé qu’ils ont eu tort,
qu’ils avaient tort, qu’ils ont
tort, et ce sur toute la ligne,
et l’issue du « combat » n’y
changera rien.
Tripoli résistera-t-elle ?
Combien de temps ? Des heures,
des jours ? Et soudain, les
paris sont ouverts et nous voilà
projetés au PMU local. Ils
parleront sans doute de
« partisans de Kadhafi » (un
certain nombre) et jamais « des
Libyens opposés à l’intervention
militaire impérialiste »
(probablement plus nombreux).
Ils nous montreront quelques
images de foules en liesse.
Utiliseront-ils des images
tournées jadis à Bagdad ?
Trouveront-ils enfin les 6000
Libyens assassinés « par le
régime » ou changeront-ils de
sujet, comme pour les armes de
destruction massive ?
Donc, « on va gagner ». La
question qui me nargue est de
savoir qui est le « on » et
qu’est-ce qui aura été
« gagné ». C’est fou comme on
esquive systématiquement cette
question intéressante. Je sais
que ce « on » n’est pas moi, pas
plus que vous (quelle que soit
votre opinion sur cette
opération de l’OTAN). Je sais
aussi que ce n’est pas l’immense
majorité de la population
libyenne qui avait certainement
une autre idée de printemps
arabe.
Ce matin (21 août), la presse
nous explique qu’une brigade
rebelle d’élite piaffe
d’impatience aux portes de
Tripoli. Elle nous explique sans
sourciller que certains des 600
hommes ont la « double
nationalité américaine et
libyenne »... que leur chef
parle « avec un fort accent
irlandais », un « tireur
d’élite » qui a « passé la
majeure partie de sa vie à
Dublin », qui est « en contact
permanent avec les forces de
l’OTAN ». Et je me suis dis « tiens,
pas de Libyen pour diriger la
brigade d’élite de la
rébellion ? ». Et aussi « si
ce ne sont pas des mercenaires,
ça y ressemble furieusement. »
Mais l’idée n’a pas traîné dans
mon esprit car la place était
déjà occupée par cette autre
idée récemment martelée par les
médias : c’est Kadhafi
qui emploie des mercenaires
(« noirs et drogués »).
Oui, nous avons désormais le
signalement de la tête de « on »
qui a gagné : un Libyen pur jus,
comme on n’en fait plus dans les
tribus. Il porte des Ray Ban,
mâche du chewing-gum, parle avec
un fort accent irlandais et son
passeport libyen est
probablement tout beau, tout
neuf et doit encore sentir
l’encre fraîche. Et j’ai le
sentiment confus que si je lui
demandais « et Bagdad,
c’était comment ? », il
répondrait « no comment ».
Alors, après des mois de
bombardements en tous genres,
autant me rendre... à
l’évidence. Et dire que j’ai
failli douter de cette histoire
d’intervention humanitaire.
Viktor Dedaj
"Tu devrais goûter à la
démocratie, ça fait l’effet
d’une bombe"
PS : dernière minute, dans la
catégorie "ils osent tout", un
porte-parole de l’OTAN déclare
que la mission de l’OTAN est de
protéger la population civile et
pas de prendre partie pour l’un
des deux camps. Orwell, t’es un
amateur.
© LE GRAND SOIR -
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Publié le 22 août 2011
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