« Sous nos yeux »
Jeux d'influence
derrière « L'Innocence des musulmans »
Thierry Meyssan
Le 17
septembre 2012, Sayyed Hassan Nasrallah
met en garde les États-Unis
contre la continuation de la diffusion
d’un film insultant l’islam
Mardi 25 septembre 2012
Le grand jeu
israélien se poursuit derrière les
manifestations et réactions au film «
L’Innocence des musulmans ». Cependant
l’entrée en scène du Hezbollah renverse
la donne et pourrait conduire Tel-Aviv à
interrompre cette opération.
Les réactions
internationales au film de « Sam Bacile
» sont de plus en plus incompréhensibles
si on les prend au premier degré, en
ignorant qui sont les commanditaires et
quels sont leurs objectifs.
Cette provocation au choc des
civilisations est très différente des
précédentes. Il ne s’agit pas ici de
stigmatiser l’islam auprès des
populations occidentales pour susciter
une haine à l’encontre des musulmans,
mais de s’adresser aux musulmans pour
les injurier et susciter chez eux une
haine des occidentaux. Ce n’est pas de
l’« islamophobie », mais de l’«
islam bashing ». L’objectif est
de provoquer la colère des musulmans et
de l’orienter vers des cibles précises :
ceux qui aux USA ou parmi leurs alliés
veulent interrompre le cycle de guerres
débuté le 11 septembre 2001.
On ignore toujours si L’Innocence
des musulmans existe en entier. Pour
le moment, on ne connaît que 13 minutes
de ce film qui sont devenues injurieuses
à l’encontre de l’islam après que l’on
en ait modifié la bande sonore. D’abord
placée sur YouTube, cette bande vidéo
n’a eu l’impact attendu que lorsqu’elle
a été diffusée en arabe par la
télévision salafiste Al-Nas. Des
groupes salafistes ont alors réagi avec
violence, mais au lieu d’attaquer leur
télévision ou ses financiers saoudiens…
ils s’en sont pris aux représentations
diplomatiques états-uniennes.
Le département d’État avait été
averti le 9 septembre —c’est-à-dire deux
jours avant la diffusion du film par la
télévision salafiste— que plusieurs de
ses ambassades seraient attaquées le 11.
Cependant cette alerte n’a pas été prise
au sérieux et le personnel diplomatique
n’a pas été informé du danger. Le
département d’État s’attendait à des
manifestations anti-américaines
commémoratives des attentats du 11
septembre 2001, pas à la relance de
cette logique.
Il est désormais établi que, derrière
la foule de Benghazi, un commando était
prêt pour attaquer le consulat, puis, à
attaquer la villa sécurisée prévue pour
servir de position de repli en cas de
problème grave.
La cible de cette opération était
l’ambassadeur US en Libye, Chris
Stevens. Ce spécialiste des affaires
proche-orientales au département d’État
était connu pour ses positions certes
impérialistes US, mais anti-sionistes.
Ainsi que l’a confirmé le négociateur
spécial palestinien Saeb Erekat en
déplorant la mort d’un diplomate qui
avait beaucoup fait pour comprendre et
faire entendre à Washington le point de
vue du peuple palestinien.
Une seconde cible devrait être
choisie pour punir la France de s’être
alignée sur les positions US. Paris
refuse en effet de se laisser entraîner
dans une guerre contre l’Iran et refuse
également de s’engager un peu plus dans
le bourbier syrien. À cet effet, une
nouvelle provocation a été ourdie en
utilisant une revue satirique qui relaie
depuis des années le point de vue
néo-conservateur dans les milieux de la
gauche française. Anticipant les
conséquences, la France a immédiatement
interrompu le fonctionnement de vingt de
ses ambassades et déployé un lourd
système de sécurité.
Dans son pays, le gouvernement
français s’est présenté comme garant de
la liberté d’expression. À ce titre, il
défend le droit des adversaires de
l’islam à la caricature blasphématoire.
Toutefois, se contredisant lui-même, le
même gouvernement a annoncé
l’interdiction de toute manifestation
hostile au film ou au journal déniant
ainsi la liberté d’expression des
défenseurs de l’islam.
Pourtant, dans la tradition
française, la liberté d’expression
s’entend comme une condition préalable
de la démocratie. Elle s’accompagne donc
de l’interdiction de l’injure et de la
diffamation qui viennent perturber le
débat démocratique. Or, la
caractéristique principale de
L’Innocence est qu’il ne rapporte
aucun fait historique et ne présente
aucune critique de l’islam. Il se
compose exclusivement de scènes
injurieuses. Et l’insulte n’est pas un
droit de l’homme.
Revenons au plan géopolitique.
L’Innocence des musulmans rappelle
l’opération conduite autour des
Versets sataniques. C’était en 1988,
l’Iran venait de triompher seul de
l’Irak, massivement soutenu par les
Occidentaux. En quelques années, l’imam
Khomeini avait transformé un peuple
colonisé en une nation de guerriers. Il
puisait dans sa religion la force qui
lui avait permis de transformer son pays
et de vaincre. Pour casser cette
dangereuse révolution islamique, le MI6
avaient commandé un ouvrage à l’écrivain
britannique Salman Rushdié. Rouhollah
Khomeini publia immédiatement un décret
religieux le condamnant à mort. La
campagne s’arrêta instantanément et la
condamnation, bien que maintenue, ne fut
pas exécutée.
Cette fois, Téhéran se devait de
réagir avec la même promptitude. Mais il
était piégé : en condamnant le film, il
faisait le jeu de ceux qui font pression
pour que Washington entre en guerre
contre l’Iran. La solution tactique
réside dans l’intervention de nouveaux
protagonistes. Dans un premier temps,
l’Ayatollah Ali Khamenei a condamné le
film en rappelant que l’ennemi, c’est le
sionisme. Puis, dans un second temps,
Hassan Nasrallah, le secrétaire général
du Hezbollah, s’est positionné pour
prendre la tête du mouvement. À
Beyrouth, dans un discours enflammé,
devant une foule galvanisée, il a placé
ceux qui répandent ces insultes devant
leurs responsabilités. L’entrée en lice
du Hezbollah modifie profondément la
donne. On passe d’exactions commises par
des groupuscules salafistes désordonnés,
facilement manipulés par Israël, à une
mise en garde par une vaste organisation
structurée, disposant de cellules en
ordre de bataille dans de nombreux pays.
Cette fois, c’est Tel-Aviv qui est piégé
: il a perdu le contrôle du mouvement de
protestation qui peut à tout instant se
retourner contre lui.
De son côté, pour se sortir
d’affaire, l’administration Obama a
multiplié les déclarations apaisantes à
l’intention des musulmans. Mais, avec un
manque total de solidarité, elle a aussi
condamné les contradictions françaises
en espérant détourner ainsi vers Paris
la foudre qui la frappe.
Quoi qu’il en soit, Benjamin
Netanyahu ne relâche pas la pression. Il
a sommé Barack Obama de tracer une ligne
rouge devant les ambitions nucléaires
militaires qu’il attribue aux Iraniens,
et d’entrer en guerre lorsque Tel-Aviv
pensera qu’ils la franchissent.
Thierry
Meyssan
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Professeur de
Relations internationales au Centre
d’études stratégiques de Damas. Dernier
ouvrage en français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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