A ce stade, il faut observer que si l’ASL comprend très peu de combattants syriens, elle est soutenue par plusieurs millions de civils, notamment dans le Nord du pays. Or, dans les manifestations organisées ici et là, jamais les foules n’ont brandi de portraits de leaders politiques en exil (Burhan Ghalioum, Abdulbaset Sieda, etc.), mais souvent elles ont scandé le nom du cheik Al-Arour. Surtout elles ont repris ses slogans, comme « Les chrétiens à Beyrouth ! les alaouites au tombeau ! ». Les Syriens qui soutiennent l’ASL ne veulent pas d’une démocratie, mais réclament une dictature à la saoudienne, épurant le sunnisme de ses soufis et réprimant toutes les minorités religieuses.
Pour réussir, la trêve aurait due être négociée par l’envoyé spécial des secrétaires généraux de l’ONU et de la Ligue arabe, Lakdhar Brahimi, avec le cheik Adnan Al-Arour. Mais une telle rencontre aurait marqué la fin du rêve de « printemps arabe » et mis en évidence que l’Occident finance et arme le sectarisme religieux le plus extrémiste.
Le second obstacle que rencontrera le Conseil de sécurité pour déployer une force de paix, c’est le jusqu’au-boutisme français. Paris bloque la mise en œuvre de l’accord signé le 30 juin à Genève. Le texte rédigé par Kofi Annan est volontairement vague sur certains points, de sorte que les grandes puissances ont pu le signer et remettre à plus tard la résolution des contradictions restantes. Depuis, Washington, Moscou et Pékin se sont accordés. Paris persiste à faire bande à part.
La question est de savoir quelle opposition syrienne est légitime pour participer à une transition politique, et en quoi consiste cette transition. Pour la France, c’est évidemment le Conseil national syrien dont les membres sont hébergés à Paris et abondamment subventionnés qui doivent former le noyau dur du prochain gouvernement. Tandis que pour Moscou et Pékin, les politiciens qui ont soutenu l’action armée et appelé à l’intervention étrangère sont indignes de leur patrie. Seuls les opposants qui ont défendu l’indépendance de leur pays et la souveraineté de leur peuple sont légitimes. Pour la France, il s’agit d’organiser une transition entre une Syrie gouvernée par Bachar el-Assad (sans Total) et une Syrie sans el-Assad (mais avec Total). Tandis que pour Moscou et Pékin, la transition, c’est passer de l’actuelle situation de division et de guerre civile à l’unité nationale et à la paix. De son côté, Washington est prêt à des concessions pourvu qu’on en finisse vite et que l’on évite l’embrasement régional.
Tirant les leçons du cessez-le-feu de l’Aïd, la Chine vient de proposer une solution originale. Au lieu de présenter un plan par étape politique, elle imagine de régler le problème région par région. Ce procédé permettrait d’inverser le processus actuel d’extension du conflit et, au contraire, de réduire les zones de guerre. Il est dans l’intérêt de tous, mais heurte frontalement la stratégie française : à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU, le président François Hollande a réclamé un mandat du Conseil de sécurité sur les « zones libérées ». Paris rêve avec nostalgie du mandat que la SDN [1] lui octroya pour légaliser sa conquête de la Syrie (1920-1946). D’ores et déjà, n’est-il pas parvenu à faire adopter le drapeau de la colonisation par les « révolutionnaires » ?
Prononçant un discours à l’université nationale de Singapour, Kofi Annan a souligné que la responsabilité des événements actuels incombe à certains Etats occidentaux : ils ont détourné le mandat du Conseil de sécurité pour protéger la population libyenne en une opération pour changer le régime d’el-Kadhafi. Aujourd’hui, ils refusent de condamner le terrorisme et poussent au martyre de la population syrienne en espérant trouver ainsi une occasion de renverser le régime des el-Assad.
Source
Tichreen (Syrie)
[1] La Société des Nations, organisation internationale créée par le traité de Versailles en 1919. Elle fut remplacée en 1945 par l’Organisation des Nations unies.
Thierry
Meyssan
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Professeur de
Relations internationales au Centre
d’études stratégiques de Damas. Dernier
ouvrage en français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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