« Sous nos yeux »
La France en panne
de politique étrangère
Thierry Meyssan
Mardi 4 septembre 2012
En France, en
matière de politique étrangère, le
changement n’est ni pour maintenant, ni
pour les cinq ans à venir. Le président
François Hollande s’inscrit dans la
continuité de son prédécesseur, Nicolas
Sarkozy : alignement complet sur les
États-Unis. En récompense de son
obéissance, Paris a été autorisé à faire
prochainement la guerre au Mali, sans
que l’annonce de cette nouvelle
expédition coloniale suscite la moindre
protestation au parlement.
Le nouveau président
français, François Hollande, a exposé sa
vision des relations internationales et
de la politique extérieure de son pays à
l’occasion de la XXe conférence des
ambassadeurs de France. Son discours
était très attendu car il ne s’était
jamais exprimé sur ces questions, son
expérience se limitant à la direction du
Parti socialiste et aux affaires
intérieures.
De manière inattendue, il a présenté
une synthèse entre deux courants de son
parti. D’un côté, les opportunistes
pro-US autour de l’ancien ministre des
Affaires étrangères Hubert Védrine. De
l’autre, les idéologues complètement
atlantistes et totalement sionistes
autour de l’actuel ministre des
Finances, Pierre Moscovici.
Les deux groupes ne partageant pas
les mêmes analyses, la synthèse est
réduite à quelques points de consensus :
la logique des blocs a disparue avec
l’URSS ; le monde est devenu instable et
a besoin d’être régulé par les
institutions internationales ; les
printemps arabes (au pluriel) confirment
que le sens de l’Histoire est orienté
vers la propagation du modèle politique
occidental. Par conséquent, l’influence
française peut se développer de deux
manières. D’abord en jouant en toute
circonstance le rôle de médiateur, Paris
peut utiliser sa marge de manœuvre pour
animer les institutions internationales
malgré le refus des Russes et des
Chinois de jouer le jeu selon les règles
fixées par les Etats-Unis ; ensuite,
Paris peut compter sur la langue
française pour bénéficier d’une zone
d’influence naturelle.
La politique extérieure de François
Hollande est déjà obsolète alors que son
mandat ne fait que commencer. Elle
n’intègre pas le déclin des États-Unis,
la montée en puissance de la Russie et
de la Chine, la réorganisation des
relations internationales ; elle
n’envisage que des ajustements avec la
Chine, le Japon et la Turquie. Elle
imagine que les institutions
internationales, fruits du rapport de
force de la fin de la Seconde Guerre
mondiale, survivront et s’adapteront
spontanément à la nouvelle donne. Enfin,
la France espère exercer une influence
en s’appuyant sur la francophonie sans
avoir à se doter d’une force militaire
significative et pense, par souci
d’économie, partager le budget de sa
Défense avec le Royaume-Uni.
Dans la même logique, le président a
réorganisé les ambassades de sorte que
des objectifs économiques leur soient
assignés. De cette manière, il a partagé
les responsabilités extérieures entre
les deux courants du Parti socialiste,
respectivement installés au ministère
des Affaires étrangères et à celui de
l’Économie. Ce n’est pas un gage de
cohérence.
Lors de son intronisation, François
Hollande a placé son quinquennat sous
les auspices de Jules Ferry (1832-1893),
une figure historique du socialisme
français. L’œuvre de Ferry ne peut se
comprendre que comme une tentative de la
bourgeoisie de fuir ses responsabilités
historiques (la libération de
l’Alsace-Moselle occupée et annexée par
les Allemands) en se lançant dans une
expansion coloniale parée de bons
sentiments. Sans surprise, le président
Hollande se conforme à son modèle. Après
avoir justifié qu’il ne ferait rien pour
affranchir son pays de la tutelle
états-unienne, il a dévoilé ses
ambitions pour le Mali et la Syrie.
Tout en précisant que les temps
anciens de l’impérialisme français en
Afrique sont révolus, il a annoncé que
Paris avait sollicité un mandat de la
CEDEAO pour intervenir militairement au
Mali. Cette couverture juridique ne peut
convaincre : l’organisation est présidée
par Alassane Ouattara que l’armée
française a installé au pouvoir en Côte
d’Ivoire, l’an dernier. Toutefois, il ne
semble pas que cette expédition ait été
préparée sérieusement, ni qu’il ait
évalué son impact intérieur sachant que
80 000 Maliens vivent en France.
Pressé par son opposition de prendre
une initiative à propos de la Syrie,
François Hollande a annoncé que Paris
reconnaîtra un gouvernement provisoire
dès qu’il sera formé ; qu’il œuvre à
traduire Bachar el-Assad devant la Cour
pénale internationale ; et que la France
prépare la reconstruction du pays.
L’option militaire a été définitivement
écartée, la Syrie ayant deux fois plus
d’avions de combat que la France, et ses
pilotes étant mieux formés, comme l’a
fait observer l’ancien chef d’état-major
de l’armée de l’air, le général Jean
Fleury.
L’initiative de François Hollande
n’avait pas été coordonnée avec son
suzerain. Le jour même, la porte-parole
du secrétariat d’État, Victoria Nuland,
balayait d’un revers de main ces
propositions. Les États-Unis n’entendent
pas laisser Paris concocter lui-même un
gouvernement provisoire en piochant dans
le Conseil national syrien (marionnette
de la France et du Qatar). Ils ont donc
exigé la participation du Conseil
national de coordination (indépendant),
du Conseil pour la Révolution syrienne
(créée par l’Arabie saoudite), et de
l’Armée syrienne libre (organisée par la
Turquie pour le compte de l’OTAN).
Quand à l’administration de la Syrie
« le jour d’après Bachar », Washington
ne veut pas non plus la confier aux
Français. D’autant que François Hollande
a évoqué « les » territoires syriens en
référence aux trois États confessionnels
(alaouite, druze et chrétien) que la
France avait jadis créés à l’intérieur
de la Syrie. Ils étaient représentés par
trois étoiles sur le drapeau du mandat
français… devenu récemment celui de la «
révolution ». Or, le projet de
l’état-major US prévoit un découpage
différent du pays, dans le cadre du «
remodelage du Moyen-Orient élargi ».
En définitive, comme en Libye, les
rêves français ne pèseront pas lourd
devant les projets préparés de longue
date par les stratèges US. La France,
qui n’a plus de stratégie diplomatique
depuis cinq ans, ne devrait pas en avoir
non plus dans les cinq années à venir.
Thierry
Meyssan
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Professeur de
Relations internationales au Centre
d’études stratégiques de Damas. Dernier
ouvrage en français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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