« Sous nos yeux »
L'Occident et
l'apologie du terrorisme
Thierry Meyssan
Obsèques
nationales des généraux victimes de
l’attentat terroriste du 18 juillet 2012
Mercredi 1er août
2012
Cette
nouvelle chronique de Thierry Meyssan
est consacrée à l’analyse et au
commentaire d’une déclaration officielle
ou d’un document d’actualité. Toujours
attentif aux silences autant qu’aux
paroles, il observe cette semaine le
renversement doctrinal des Occidentaux
face au terrorisme.
Le Conseil de
sécurité s’est réuni peu après
l’attentat du 18 juillet qui a
décapité le commandement des forces
de sécurité syriennes. Certes, les
deux séances qui ont suivi portaient
sur les propositions de résolution
des Occidentaux et de la Russie.
Néanmoins, il revenait au Conseil de
condamner le principe de l’action
terroriste, comme il fait toujours
en pareille circonstance. L’usage
est d’adopter unanimement une
déclaration et de la faire lire par
le président en exercice du Conseil,
en l’occurrence le Colombien Nestor
Osorio. La courtoisie veut que l’on
présente ses condoléances à
l’État-membre qui vient d’être
frappé.
Pourtant le Conseil est resté
silencieux. Les Occidentaux ont
refusé d’appliquer à la Syrie un des
principes de base des relations
internationales : la condamnation du
terrorisme. Pis, dans leurs
déclarations respectives, les
dirigeants allemands, britanniques,
états-uniens et français ont
condamné les victimes, les ont
rendues responsables de la violence
dont elles ont été l’objet, et ont
réaffirmé leur soutien à ceux qui
ont perpétré l’attentat. Et encore :
les médias occidentaux se sont
appliqués à salir la mémoire des
victimes, comme si leur mort ne
suffisait pas à étancher leur soif
de sang syrien.
Personne ne doute que le
terrorisme en Syrie soit commandité
par l’OTAN et le CCG, mais jusqu’à
présent cela se faisait en toute
hypocrisie. Ne pouvant bombarder et
raser le pays du fait du double veto
russe et chinois, les Occidentaux et
leurs partenaires arabes faisaient
saigner le pays en attendant de le
faire attaquer par des mercenaires.
Il y eu certes l’épisode du 12
février : l’appel au jihad d’Ayman
al-Zawahiri. Tout d’un coup, l’OTAN,
le CCG et al-Qaida poursuivaient le
même objectif. Cependant, faisait-on
remarquer à Bruxelles, les
déclarations du cheikh égyptien
n’engagent que lui, elles ne valent
pas d’être commentées, et l’OTAN ne
va pas réviser ses positions en
fonction de ces fatwas. Ce
raisonnement n’était pas
convaincant, car il éludait la
question des objectifs communs aux
champions autoproclamés de la
démocratie d’une part et de
l’islamisme d’autre part, mais les
apparences étaient sauves. Cette
fois, c’est différent. Les
Occidentaux assument leur liens avec
les terroristes.
Le tournant s’est opéré lors de
la 3e conférence des « Amis » du
peuple syrien à Paris, le 6 juillet.
Le président François Hollande avait
accordé une place d’honneur à des
individus que l’on payait jusque là
en secret en prenant soin de nier
les connaître. Il avait élevé des
criminels de guerre au rang de héros
sans susciter la nausée de ses
partenaires étrangers.
Sans attendre qu’al-Qaida soit
invité à une prochaine conférence
des « Amis » du peuple syrien, le
ministre russe des Affaires
étrangères, Sergey Lavrov, s’est
étonné de ce comportement : « Il
signifie que [les Occidentaux]
continueront à soutenir ce genre
d’attaques terroristes jusqu’à ce
que le Conseil de sécurité remplisse
[leurs] exigences. C’est une
position terrifiante. » Et de
poursuivre « Nous ne savons pas
comment nous devons le prendre.
»
En effet, au delà de la question
morale, que signifie ce revirement
doctrinal ? Durant une décennie, les
Occidentaux se présentaient comme
les champions de la « guerre au
terrorisme », aujourd’hui, ils
revendiquent leur soutien à des
terroristes.
De nombreux auteurs, y compris
des stratèges US comme Zbignew
Brzezinski, ont souligné que la
notion de « guerre au terrorisme
» est un concept absurde. On peut
mener une guerre contre des
terroristes, pas contre leur
stratégie. Quoi qu’il en soit, ce
slogan marketing avait le double
avantage de placer certains États du
côté du Bien et de justifier leur «
guerre sans fin » contre tous
les autres.
Le terrorisme est une méthode de
combat asymétrique que l’on utilise
toujours par défaut. Elle permet
d’affaiblir un adversaire, mais elle
est insuffisante pour obtenir la
victoire militaire et conduit
toujours à une défaite politique.
Elle prive pour un long moment celui
qui en fait usage de la perspective
d’exercer le pouvoir. Le terrorisme
est une méthode immorale qui ne
s’emploie donc que lorsque l’on est
en position de faiblesse, non pour
gagner un avantage, mais pour gagner
du temps, en attendant d’être en
mesure de livrer un combat
conventionnel.
D’où le trouble de Sergey Lavrov.
Les Occidentaux sont-ils en train de
reconnaître à la fois leur
immoralité et leur impuissance ? Que
cache leur comportement ? Ou se
pourrait-il que leur décadence soit
beaucoup plus avancée que nous
n’osions le concevoir ?
Chacun a bien compris que la
crise syrienne n’est pas, ou n’est
plus, une confrontation interne,
mais la résultante d’un réajustement
des rapports de force mondiaux.
Washington tente de poursuivre le
remodelage du Moyen-Orient élargi et
de changer l’équation militaire
régionale. Moscou conteste son
autorité et tente d’instaurer un
Nouvel ordre international, basé sur
le droit et le multilatéralisme. La
Syrie est la zone d’achoppement
entre les nouveaux blocs.
La géophysique nous a appris que
la tectonique des plaques provoque
les tremblements de terre. La
géopolitique a les siens. Les
publicitaires de la soi disante
Armée « syrienne » libre ont eu tort
d’évoquer cette image. Les deux
blocs se sont heurtés en Syrie, mais
c’est la plaque occidentale qui a
commencé à glisser sous la plaque
eurasiatiaque et à disparaître, et
non l’inverse.
Sergey Lavrov considère
Washington comme un malade en fin de
vie. Sachant que « les empires ne
meurent pas dans leur lit », il
tente de calmer « l’empire
américain » pour lui éviter un
accès de folie, tout en le
conduisant gentiment au cimetière où
il reposera. Il observe le patient
avec prudence. L’apologie du
terrorisme est-il le symptôme d’un
début de crise de démence, ou d’une
anémie irréversible ?
Source
Tichreen (Syrie)
Thierry
Meyssan
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Professeur de
Relations internationales au Centre
d’études stratégiques de Damas. Dernier
ouvrage en français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
Article sous licence creative
commons
Vous pouvez reproduire librement les
articles du Réseau Voltaire à condition
de citer la source et de ne pas les
modifier ni les utiliser à des fins
commerciales (licence
CC BY-NC-ND).
Le sommaire du Réseau Voltaire
Les dernières mises à jour
|