Opinion
Le Vénézuéla aussi fut une carte postale
Thierry Deronne
Jeudi 10 février 2011
En ce début de 2011 le contraste est saisissant entre la
France et le Vénézuéla. Le CEVIPOF, labo de recherches associé
au CNRS, indique que seuls 38 % de français font encore
confiance à leurs députés et que 57% considèrent que la
démocratie ne fonctionne “pas bien” ou “pas bien du tout”. 39 %
des français expriment de la méfiance, 23 % du dégoût, 12 % de
l’ennui vis-à-vis de la politique (1). Au même moment, l’ONG
chilienne indépendante Latinobarómetro, classe le Vénézuéla
comme un des pays latinoaméricain où la population croit le plus
dans la démocratie (84% des citoyen(ne)s). Les chercheurs
attribuent ce record de confiance à la concrétisation effective
de politiques sociales et économiques attendues par la
population (2).
Deux sondages de janvier 2011 dont celui de Datanalisis,
proche de l’opposition, montrent que la popularité du président
se situe entre 50 et 54 % grâce notamment aux mesures prises en
faveur des mal logés et à l’augmentation des budgets sociaux.
Pour Latinobarometro "il est paradoxal que ce soit au Vénézuéla
que les gens croient le plus à la démocratie et que ce soit en
même temps le pays le plus critiqué sur l’état de sa
démocratie”.
Exemple parfait de ce “paradoxe”, un texte paru dans “Le
Monde” du 2 février 2011, sous le titre “Un parlement inutile”
(3). Son auteur, Jean-Pierre Mr. Langellier, n’enquête pas au
Vénézuéla et se contente de traduire depuis l’étranger les
titres des médias de droite, majoritaires dans ce pays.
D’emblée l’auteur exprime avec émotion son empathie
sociologique pour la minorité que ces médias recrutent
essentiellement dans la classe moyenne et supérieure. Ces quinze
minutes de casserolles “bruyantes”, qui “font écho sur les
tours”, ce “fracas”, ce “tintamarre”, qui semblent exciter
Mr. Langellier, proviennent parfois de CD où les ustensiles
pré-enregistrées s’expriment en boucle, voire de casseroles
réelles que la domestique stoïque frappe à la fenêtre à la
demande de ses employeurs. Avant de replier son tablier et de
rentrer chez elle, dans ce barrio où 80 % de la population du
Vénézuéla apprend alors par Globovision, à défaut de pouvoir
lire “Le Monde”, que le pays s’est “exprimé massivement pour
exiger le départ du dictateur”.
Mr. Langellier : “en septembre 2010, le président n’a pu
empêcher ses adversaires de l’emporter, avec près de 53 % des
suffrages. Un "charcutage" préalable des circonscriptions a
contenu leur poussée.” C’est faux. Les résultats du Conseil
National Electoral ont été validés comme d’habitude par tous les
observateurs internationaux.
Le “charcutage” que dénonce Mr. Mr. Langellier est la loi
électorale adoptée par l’assemblée nationale, et acceptée par
les toutes les parties avant l’élection. Le PSUV obtient 98
sièges sur un total de 165 contre 65 pour la très hétéroclite
Coordination de l’opposition. Avec son mélange de scrutin
majoritaire et de proportionnelle, la loi électorale reste
perfectible. Dans l’état très peuplé du Zulia elle a entraîné
une sous-représentation du camp bolivarien : bien qu’ayant
obtenu 44,4% des voix, il n’a obtenu que deux députés sur douze.
Mais Mr. Langellier prend ses désirs pour la réalité
lorsqu’il affirme comme le quotidien espagnol “El País” et la
plupart des grands médias, que l’oppostion a battu le
gouvernement avec.. 52% des voix. Ce mensonge de la droite
consiste à engranger des voix de petits partis indépendants qui
ne s’identifient pas à elle. Les chiffres officiels et validés
internationalement montrent que les candidats bolivariens ont
rassemblé 5.399.574 voix contre 5.312.293 pour l’opposition,
soit 46,23 % des suffrages exprimés contre 45,48 %.” (4)
La courte victoire du camp révolutionnaire dans cette
élection intermédiaire exprime un mélange d’impatience et de
mécontement justifiés par certains échecs et par la lenteur des
changements. Et même si l’accès aux bureaux de vote pour les
secteurs populaires (qui rassemblent, répétons-le, 80 % de la
population) s’est sensiblement amélioré, il reste des efforts à
faire pour qu’ils jouissent du même confort logistique que la
classe moyenne. Le secrétaire général de l’OEA (Organisation des
États Américains) José Miguel Insulza, pourtant plus sensible
aux thèses de Washington qu’à celles de Caracas, a déclaré le 5
février 2011 que “les élections qui ont eu lieu ces dernières
années au Vénézuéla ont été parfaitement normales et nous ne
voyons pas pourquoi il n’en serait pas ainsi dans l’avenir” (5)
Parce que le Vénézuéla a prévu, comme n’importe quelle
démocratie, une responsabilité juridique pour ceux qui
appelleraient au meurtre ou aux coups d’État à travers un média,
Mr. Langellier dénonce que “radio, télévision et Internet sont
contrôlés plus strictement”.
Le professeur de journalisme Aram Arahonian, directeur de la
revue “Question” et l’intellectuel vénézuélien Luis Britto
García rappellent qu’en 2011 l’opposition possède 90% du pouvoir
comunicationnel, d’où elle lance des épithètes dénigrants contre
la majorité du peuple vénézuélien – comme “singes, “plèbe”,
“hordes”, “édentés” et autres adjectifs de discrimination
ethnique et sociale (6) et d’où elle appelle régulièrement au
coup d’État contre un president élu, comme l’a fait le chef du
patronat en décembre 2010 (7). Une étude du Centre pour la
Recherche Économique et Politique (CPER) basé à Washington sur
les télévisions vénézuéliennes – médias les plus influents du
pays – montre qu’en 2010 les chaînes publiques ne font que 5,4 %
d’audience alors les chaînes privée font 94,5 % (neutres pour
les moins politisées, radicalement opposées au gouvernement
d’Hugo Chavez pour la majorité) (8). La proportion est la même
pour la radio et pour la presse écrite.
Récemment le gouvernement argentin a promulgué une loi pour
démocratiser le “latifundio” médiatique. Celle-ci répartit le
spectre radio-électrique de manière plus équilibrée : 33% des
ondes au secteur public, 33% à l’associatif et 33% au
commercial. Aussitôt les grands groupes privés qui possèdent les
médias ont crié à la “dictature”.
“La censure d’Internet au Vénézuéla” est un des thèmes
favoris de la désinformation mondiale contre la révolution
bolivarienne. Pourtant, même un opposant comme Federico Ravell,
ex-directeur de Globovision (chaîne dont Mr. Langellier annonça
la fermeture imminente en 2009 (9)) et actuel gérant d’une Web
de news a reconnu en janvier qu’il n’y a aucune restriction :
“En toute honnêteté, je dois dire que nous ne sommes sentis en
rien limités” (10). En janvier 2011 l’UNESCO a décerné un prix
au Vénézuéla pour la création d’un réseau national d’Infocentres
qui connecte et forme gratuitement des centaines de milliers de
citoyen(ne)s jusqu’ici exclu(e)s des technologies massives de
l’information (11). Le gouvernement bolivarien a imposé l’usage
de logiciels libres dans toute l’administration publique. Un des
"gourous" de la communauté du logiciel libre, Richard
M. Stallmann, recommande que l’on étudie les avancées du
Vénézuéla dans ce domaine (12) . Twitter a fait son entrée dans
tous les secteurs politiques. Le compte du président a dépassé
le million de lecteurs et d’interlocuteurs. Il peut ainsi
vérifier de première main la mise en oeuvre, les problèmes ou
les retards dans l’application des programmes sociaux.(13)
Comble de l’ironie, la seule censure exercée sur Internet a
été commise par des “Anonymous hackers” qui ont bloqué depuis
l’étranger plusieurs sites… de l’Etat vénézuélien au nom de “la
lutte contre Chavez, ennemi d’Internet” !... Preuve que la
campagne mondiale de manipulation a porté. En 2008 déjà
Mr. Langellier dénonçait la nouvelle loi de l’éducation parce
qu’elle prévoyait une éducation critique aux médias dans les
écoles, et préparait donc “la censure de la presse” (sic). Deux
ans plus tard il n’en est rien, au point que l’opposition qui
avait fait campagne sur ce thème, n’en parle même plus. (14)
Le “journalisme” de Mr. Langellier fonctionne ainsi, au fil
des années : un bric-à-brac d’effets d’annonce empruntés aux
médias de droite vénézuéliens, sans droit de suite pour le
lecteur.
“Toutes les commissions parlementaires sont sous contrôle du
pouvoir”. C’est faux. La plupart des commissions reviennent,
démocratiquement, à la majorite élue. Mais de nombreux artistes
sont préoccupés par la nomination à la tête de la Commission de
la Culture de Miguel Angel Rodriguez, un animateur pugnace de
RCTV (15) – cette télévision de droite dont Mr. Langellier avait
faussement annoncé la fermeture en 2009 (16)). Rodriguez
souhaite le retour à une culture plus “classique”, c’est-à-dire
avec un peu moins de participation populaire…
Mr. Langellier affirme que les débats parlementaires sont
contrôlés par le pouvoir, qui peut ainsi “éliminer les gêneurs”.
C’est encore faux. Ce mardi 8 février 2011 les vénézuéliens ont
eu droit à la retransmission en direct et sur toutes les chaînes
d’un débat passionné. Pendant près de huit heures les députés de
l’opposition ont pu interpeller et critiquer, parfois
virulemment, plusieurs ministres bolivariens. Cette séance de
questions se poursuivra dans les semaines prochaines avec
d’autres membres du gouvernement.
Ironie de l’Histoire : plusieurs députés de l’opposition
furent les acteurs du coup d’État sanglant de 2002 qui renversa
le président élu pour le remplacer par le chef du patronat. Ils
applaudirent alors le décret putschiste qui dissolvait
l’Assemblée Nationale. Le premier député d’opposition à
interpeller le gouvernement, Enrique Mendoza, fit fermer VTV,
l’unique chaîne publique. C’est cette télévision qui transmet
aujourd’hui sa parole intégrale, en direct, à l’ensemble de la
population…
Mr. Langellier occulte le fait que les diverses institutions
républicaines - qu’il qualifie de “chavistes” - comme le
Tribunal Suprême de Justice ou l’Assemblée Nationale et ses
commissions sont issues des décisions légitimes d’une assemblée
élue au suffrage universel.
Ainsi, parce qu’une “loi d’habilitation” a été approuvée par
les députés pour permettre au président de légiférer directement
et de prendre ainsi les mesures d’urgence pour aider et reloger
des dizaines de milliers de victimes d’inondations
catastrophiques, Mr. Langellier en tire (comme tous les grands
médias) que “le parlement est inutile”. C’est faux : le
parlement continue de son côté à discuter des lois et à
légiférer comme en temps normal. On n’a jamais vu au Vénézuéla
un tel bouillonnement de lois d’initiative populaire. Syndicats,
mouvements paysans, groupes féministes, victimes d’escroqueries
immobilières, associations de locataires et de concierges : le
parlement bruisse de projets législatifs. Les organisations
citoyennes manifestent, débattent, critiquent les lois
existantes ou en proposent de nouvelles, dans la rue, à la
télévision, dans les réunions avec les députés et le président.
Loi du travail, loi contre l’impunité sur les disparus sous les
régimes “démocratiques” d’avant Chavez, loi sur le droit
locatif, loi sur l’éducation, etc.. au point que l’assemblée
nationale vient de créer un nouveau centre de réception des
projets citoyens.
Toutes les lois que Mr. Langellier et la droite vénézuelienne
traitent de “paquet cubain” et qu’ils accusent de renforcer le
contrôle de l’État, sont, au contraire, un des moteurs de la
démocratisation. La loi du pouvoir comunal, approuvée par
l’assemblée en 2010, approfondit la démocratie participative.
Elle permet aux comunes et aux conseils communaux de diriger et
de réaliser des travaux publics, de les superviser, de les
financer. Plus de 40.000 de ces conseils communaux agissent déjà
au Vénézuéla, outil efficace de la participation populaire.
« L’opposition dit qu’avec ces réformes, les parlements
régionaux et les mairies vont disparaître, mais c’est faux. Ces
institutions sont replacées dans une véritable unité dynamique.
Désormais, au lieu d’avoir un gouverneur dans l’incapacité de
résoudre un problème, les Communes pourront immédiatement y
répondre » explique Ulises Daal, un des députés qui ont défendu
la loi (17). Une des innovations majeures est le Conseil de
l’Economie Communale, instance chargée de promouvoir le
développement économique de la Commune. Son rôle sera de
surveiller, évaluer et exercer le contrôle social sur les
projets et les activités d’intérêt collectif. La Banque des
Communes se charge de tout ce qui tient à la gestion économique
de caractère social : administration, transfert, collecte et
contrôle des ressources. Depuis 2008 le transfert de l’État aux
organisations citoyennes atteint une dizaine de milliards de
dollars (18).
Le nouveau règlement parlementaire, que Mr. Langellier
dénonce comme “une camisole de force” satisfait une vieille
revendication des députés : disposer du temps suffisant de
parcourir sa circonscription, à la rencontre des habitants et de
leurs problèmes, et veille ainsi à ce que certains
parlementaires n’oublient pas la mission pour laquelle ils ont
été élus.
Démocratie politique, très bien, mais justice sociale ?
Rappelons, car Mr. Langellier n’en dira rien à ses lecteurs, que
l’ONU, l’UNESCO, la CEPAL, le PNUD et la FAO ont confirmé
récemment dans leurs rapports publics que le Vénézuéla a réussi
à faire baisser de manière importante la pauvreté, à promouvoir
la souveraineté alimentaire, l’éducation pour tous, la santé
puiblique et qu’il est devenu en douze ans de révolution un des
pays les plus égalitaires de la région. (19)
Le mensonge final de Mr. Langellier reprend les campagnes du
FN local sur “la gabegie financière de la présidence”. Cynique,
il conclut : “Après tout, la révolution n’a pas de prix”.
Par contraste avec les présidences antérieures célèbres pour
leurs fêtes très somptueuses, l’actuelle présidence du Vénézuéla
a créé divers services qui attribuent quotidiennement des
pensions à des personnes âgées qui n’ont jamais cotisé à la
sécurité sociale ou des financements pour des patients
cardiaques qui n’ont pas les moyens de payer des opérations de
haut niveau. Comme les autres ministères, le palais présidentiel
vient de déménager certains de ses services pour pouvoir
accueillir, loger, nourrir et appuyer la réinsertion sociale des
familles de victimes des inondations de décembre 2010.
Peut-être que le dégoût des français envers la politique
provient-il aussi de cette inintelligence du monde entretenue
par des médias cotés en bourse. Un matin, le réveil sonne, des
peuples surgissent du silence, on ne comprend pas. Comme la
Tunisie ou l’Egypte, le Vénézuéla fut aussi une carte postale.
En 1989 son peuple manifestait contre les mesures néo-libérales
du FMI et fut massacré sur ordre du président social-démocrate
Carlos Andrés Pérez. De jeunes officiers “nassériens”, parmi
lesquels un certain Hugo Chavez, indignés par la répression,
décidèrent de se rebeller au nom de la pensée d’un certain Simón
Bolívar :”maudit le soldat qui retourne son fusil contre le
peuple”.
Thierry Deronne, Caracas, février 2011
Notes
1. CEVIPOF, baromètre de la
confiance politique,
http://www.cevipof.com/fr/le-barome...
2. Voir
http://laradiodelsur.com/?p=1298
3. “De l’inutilité d’un Parlement,
Le Monde, 02.02.11,
http://www.lemonde.fr/ameriques/art...
4. Lire “Une défaite à l’envers”, de
Renaud Lambert, le Monde Diplomatique,
http://www.monde-diplomatique.fr/ca...
5. Déclarations de José Miguel
Insulza,
http://www.abn.info.ve/node/41764
6. Aram Arahonian, “un polo para
descongelar la revolución”,
http://www.rebelion.org/noticia.php...
7. Lire, de Eva Golinger, “Quelques
points sur les “i” à propos du Vénézuéla et de Hugo Chavez”,
9 janvier 2011,
http://www.larevolucionvive.org.ve/...
8. “Médias et Vénézuéla : qui
étouffe qui ?”
http://www.monde-diplomatique.fr/ca...
9. Voir
http://www.legrandsoir.info/Le-Mond....
Autre exploit journalistique : le 2 octobre 2009, Mr. Langellier
avait relayé la campagne du Parti de la Presse et de
l’Argent brésilien reprochant au président Lula d’accueillir
dans son ambassade au Honduras le président Zelaya, victime
d’un coup d’État qui a ramené son pays à l’ère des escadrons
de la mort et des traits de libre commerce.
10. Interview de Federico Ravell
parTelesur,
http://www.telesurtv.net/secciones/...
11. Voir sur le site de l’UNESCO ;
http://portal.unesco.org/geography/...
12. Voir
http://www.somoslibres.org/modules.php ?name=News&file=article&sid=650
13. Voir
http://www.medelu.org/spip.php?arti...
14. Voir "Mr. Langellier prend un
aller simple pour le pays des soviets",
http://www.alterinfos.org/spip.php?...
15. Voir
http://www.rctv.net/galerias/Galeri...
16. “La fuite en avant de Hugo
Chavez”, de JP Langellier,
http://www.lemonde.fr/idees/article...
17. Sur la loi du pouvoir communal,
voir
http://www.larevolucionvive.org.ve/...
18. Interview récente de la jeune
Ministre de la Commune Isis Ochoa :
http://www.mpcomunas.gob.ve/noticia...
19. Voir notamment l’article du
quotidien chilien El Ciudadano —http://www.elciudadano.cl/2009/02/1...
Publié
sur Révolución Vive
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