Venezuela
La Seine ou
l'Orénoque
Thierry
Deronne
Nicolas
Maduro - PEDRO REY/AFP/Getty Images)
Mardi 9 avril 2013
Selon l’institut de sondage
GISXXI, 78 % des vénézuéliens
considèrent ce scrutin présidentiel
comme plus crucial que l’antérieur. Dans
la rue, on perçoit la crispation de ceux
qui croyaient que la révolution
prendrait fin avec la mort de Chavez et
qui n’ont jamais cessé de rêver à
revenir par la violence au Venezuela
d’avant l’irruption de millions
d’exclus; chez les ex-invisibilisés par
contre, on note un humour typique de
ceux qui jouissent pour la première fois
de droits humains concrets, et
l’attachement patient au verdict des
urnes. 17 scrutins, 14 ans de patience.
« Excès de démocratie » a dit
l’ex-président Lula. « Le meilleur
système électoral au monde » renchérit
l’ex-président Jimmy Carter qui compare
les 92 élections observées par sa
fondation.
Des instituts de
sondage comme
Hinterlaces ou
International Consulting Services
donnent une dizaine de points d’avance
au candidat bolivarien Nicolas Maduro
sur son adversaire néo-libéral Henrique
Capriles Radonski. Une avance comparable
à celle de Chavez en octobre 2012 ou à
celle de Rafael Correa réélu en Équateur
en février 2013 avec 57 % des voix .
L’institut de sondage GISXXI a creusé
l’opinion des électeurs :
Par ailleurs
les sondages montrent un fort rejet (60
%) de Capriles Radonski. Ses conseillers
en marketing ont compris que la majorité
des vénézuéliens ne s’identifie plus au
néo-libéralisme et qu’il convenait
d’occulter le programme réel. Pour
ratisser large, Radonski plagie donc les
thèmes, slogans (« le Venezuela est à
tous ») ou les logos (Bolívar à cheval)
de la révolution, et a enfilé une
chemise rouge. Alors qu’en avril 2002,
lors du coup d’État contre Chavez, il
assiégeait avec d’autres militants
d’extrême-droite l’ambassade de Cuba, il
remercie aujourd’hui «les médecins
cubains». Il s’est même présenté comme
le « Lula vénézuélien » jusqu’à ce le
vrai Lula affirme haut et fort son appui
total au candidat bolivarien Maduro.
Bref, il n’est pas sûr que le mimétisme
publicitaire de Radonski fasse illusion,
le sens critique des vénézuéliens ayant
quelque peu grandi ces dernières années.
Des groupements
politiques comme OPINA et des députés de
droite comme Ricardo Sanchez ont fait
défection ces derniers jours, accusant
Radonski d’ourdir des plans de
déstabilisation face à la défaite
annoncée. Une réunion d’un cadre de
l’opposition à l’ambassade des
États-Unis est avérée par un
enregistrement. Il y est question de
sabotage électrique. Nicolas Maduro a
évoqué la présence au Venezuela de
mercenaires financés par la droite
salvadorienne pour collaborer à ces
plans, voire pour l’assassiner : «Ils
ne me feront pas renoncer à la campagne
dans la rue, avec mon peuple. Le peuple
sait ce qu’il doit faire en cas de
magnicide».
Ce samedi dans l’Etat d’Amazonas
(territoire indigène gouverné par
l’opposition), berceau de l’immense
fleuve Orénoque, Nicolas Maduro a tenu
un meeting et annoncé aux habitants de
Puerto Ayacucho la création de la
Corporation spéciale pour le
Développement Intégral d’Amazonas, pour
répondre plus vite aux besoins de la
population, qui commencera aujourd’hui
son travail avec un capital initial de
100 millions de bolivars ; la mise en
chantier de l’Hôpital Central de l’État
d’Amazonas et d’un Complexe sportif et
culturel à Puerto Ayacucho. L’asphaltage
général des rues et l’envoi par le
Ministère du Transport Terrestre d’une
flotte de 100 métrobus pour activer une
route spéciale de transport.
Maduro a fait remettre 74 % des
titres de propriété des terres aux
peuples indigènes qui les avaient
demandés suivant la constitution
bolivarienne, et a demandé au
vice-président Arreaza de remettre
rapidement les 100 %. Maduro a rappelé
qu’en 1999 la droite a voté contre cette
constitution qui établit les droits des
indigènes sur leurs terres ancestrales.
“Soyez sûrs que si la droite
revenait aux affaires elle reprendrait
ces terres aux indigènes, comme elle
privatiserait la santé, l’éducation.»
Le candidat bolivarien a
rappelé la bataille de Macarapana (1567)
où les espagnols manipulèrent et
montèrent des peuples indigènes les uns
contre les autres, réussissant à écraser
la rébellion des peuples originaires. «Cette
bataille de 1567, nous pourrions
l’appeler la bataille de la trahison. Si
la droite gagnait,ce serait comme si la
malédiction de cette bataille retombait
sur nous mais nous n’allons pas
permettre que cela se reproduise. Je ne
suis pas un bourgeois, je suis un
petit-fils d’indigènes qui furent mises
en esclavage» a encore déclaré
Maduro au rythme du tambour tandis qu’à
ses côtés un groupe reprenait des titres
d’un immense chanteur vénézuélien, Ali
Primera.
Dans « Le
Monde » du 7 avril 2013 tout cela est
devenu :
«
Maduro agite la menace d’une
malédiction sur les Vénézuéliens«
« Le Monde.fr
avec Reuters | 07.04.2013 à 05h23
« Candidat à
l’élection présidentielle au
Venezuela, Nicolas Maduro a
affirmé samedi 6 avril qu’un
sortilège vieux de plusieurs siècles
s’abattrait sur ceux qui ne lui
apporteraient pas leur voix le 14
avril . »Si quelqu’un parmi
le peuple vote contre (moi), il vote
contre lui-même et la
malédiction de Macarapana s’abattra
sur lui« , a mis en garde
le président par intérim, dauphin
désigné par
Hugo Chavez lui-même avant sa
mort d’un
cancer en mars.«
Devoir recourir à une telle
manipulation en dit long sur l’idée
que ce journal se fait du lecteur.
Il est clair que «le Monde »
construira de toutes pièces une
image de Nicolas Maduro semblable à
celle qu’il a faite de Hugo Chavez
pendant quatorze ans.
On aurait tort d’attribuer
cette désinformation au seul fait
que ce journal est membre de
l’internationale du Parti
de la Presse et de l’Argent.
Ce mépris pour le vote des peuples
latino-américains, c’est aussi celui
de Versailles assistant aux
Indes Galantes de Rameau, avec
ses sauvages emplumés dont la magie
menace notre raison. «Eux
les barbares, nous les civilisés».
Il ne faut pas sous-estimer ce
colonialisme du Monde, au moment où
l’Amérique Latine s’émancipe enfin
de l’Occident. (1)
De même ce ne sont pas
seulement des convictions néo-libérales
qui expliquent les contrepieds
infantiles de Paulo Paranagua, dont le
nom latino peut faire illusion auprès
des lecteurs du Monde tant qu’ils
ignorent l’Histoire de l’Amérique
Latine. Paranagua incarne la bourgeoisie
latino des années 70 (de gauche parce
que c’était la mode en France) qui a
joué de son accent exotique pour
incarner «l’Amérique Latine».
Éditions, médias, universités,
gagne-pain assuré, sans risque de
concurrrence : les peuples illettrés ne
remonteraient jamais la Seine. Du moins
à cette époque. Car depuis lors, le
continent a quelque peu bousculé tout ce
trompe-l’oeil éditorial et la culture
populaire a commencé à sortir ses
griffes face aux thèses doctorales. Tout
ce qui bouge aujourd’hui en Amérique
Latine se fait sans cette avant-garde
auto-proclamée, loin d’elle, contre
elle, comme le rappellent l’odeur de
cambouis de Lula, la syntaxe espagnole
d’Evo Morales ou l’humour populaire de
Maduro.
Le spécialiste de la critique
des médias Armand Mattelard fut surpris
de voir que ses homologues
universitaires de Caracas (les Pasquali,
etc..) qui dans les années 70
dénonçaient la propriété capitaliste des
médias, dénoncent aujourd’hui le…
totalitarisme de
gouvernements de gauche qui osent
démocratiser un champ médiatique écrasé
par le quasi-monopole privé. Comment
comprendre que des intellectuels qui se
disaient «marxistes» tournent le dos à
un extraordinaire processus de
changement ?
Il ne faut pas être grand sociologue
pour lire dans ce retournement de veste
l’égoïsme d’une élite (de droite comme
de gauche) qui monopolisait le capital
culturel et qui aujourd’hui vomit la
peau brune et les cheveux crépus qui
déboulent dans les amphithéâtres, les
imprimeries, les théâtres, les
télévisions, les studios de cinéma. Le
Venezuela est le troisième pays
d’Amérique Latine en nombre de lecteurs,
plus de la moitié de la population y
étudie. Cela enrage les Pasquali et les
Paranagua d’ici et d’ailleurs de devoir
céder leur billet d’avion à des mères de
famille nombreuse qui étudient l’économie
pétrolière.
Julio
Cortázar (1914-1984) Un des rares
intellectuels de l’époque qui comprit le
sens de l’Histoire sans devenir
réactionnaire, ce fut Julio Cortázar.
Lorsque « le Monde » mena
campagne contre la révolution sandiniste
des années 80, fabriquant (déjà !) un
totalitarisme qui n’existait pas, il
répliqua par un texte génialement
intitulé «
les pieds de Greta Garbo».
Le «Monde » se garda de le publier. Peu
importe. Pour le grand cronope argentin,
la Seine se jetait déjà dans l’Orénoque.
Thierry Deronne, Caracas le 8 avril
2013
Note :
(1) Dans son
passionnant roman «Sur
les eaux noires du fleuve»,
paru aux Éditions Don Quichotte en mars
2013, Maurice Lemoine a magistralement
campé le journaliste mutant du « Monde »
Paralier
(Paranagua + Langellier) avec sa morgue
grotesque et son instinct de
supériorité. Lire
http://www.legrandsoir.info/sur-les-eaux-noires-du-fleuve.html
Le dossier Amérique latine
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