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En France, ces élections ...
Tariq Ramadan

Lundi 30 avril 2007

On s’y attendait et il faut regarder la réalité en France. Après l’alarme de 2002, le peuple s’est mobilisé en masse pour aller voter (une bonne nouvelle...), faire le choix du vote utile (une déception...) et redonner un profil « normal » à la polarisation du débat politique en France avec le traditionnel face à face droite-gauche au second tour (quelle droite et quelle gauche ?). François Bayrou a sans doute effectué la meilleure campagne et a été inspiré par des intuitions parfois justes : il a pressenti le manque de confiance et le ras-le-bol des Français vis-à-vis des pratiques politiciennes, des faux clivages gauche-droite et le besoin d’un réel renouveau dans la vie politique française. Cela n’aura pas suffi à le mener à la victoire mais il a pu se positionner en arbitre des débats et, sans donner de consignes de vote, de donner une impulsion en France à ce qui est apparu ailleurs en Europe : la création d’un nouveau centre où se retrouvent les politiciens de la « droite souple » et de la « gauche molle » lesquels, à l’exercice de la pratique politique, en sont arrivés à la conclusion que à gauche ou à droite du centre... c’est encore le centre et qu’il faut faire alliance au-delà des anciennes rhétoriques idéologiques. A long terme, il faudra compter avec ce calcul, avec ou sans François Bayrou d’ailleurs.

L’analyse des résultats du premier tour n’aura pas manqué de révéler certaines vérités et de curieux horizons pour la France. D’aucuns se sont réjouis de la baisse du Front National alors qu’il apparaît clairement qu’une partie des électeurs ont fait le choix utile de voter Nicolas Sarkozy afin de s’assurer que leurs idées passeraient la rampe du premier tour. Avec des propos sidérants sur « les racailles », « les voyous », le « karcher », « les moutons dans la baignoire », « la polygamie », « l’identité nationale », « l’immigration choisie » et cette France « que l’on aime ou que l’on quitte »... Nicolas Sarkozy n’a pas seulement flirté avec les extrêmes, il en a intégré la vision, l’esprit et le propos. Plutôt que de se réjouir de la déroute de l’extrême droite, on devrait mille fois s’inquiéter de la normalisation des thèses de ce parti dans le programme du candidat de droite. C’est plus qu’une inquiétude, somme toute, et ce devrait être un tremblement de conscience dans l’esprit des démocrates ! La campagne de Ségolène Royal aura également offert son lot de révélations à gauche. A force de chercher à résister à Nicolas Sarkozy, et de finir par lui courir après sur son propre terrain, la candidate socialiste a dû prendre des positions qui l’ont insensiblement, et parfois volontairement, rapprochée du centre. La surenchère sur « l’identité nationale » ou « la Marseillaise » et l’absence d’initiative quant à savoir imposer les thèmes de campagne de la gauche ont été des indices de ce glissement vers le réalisme efficace qu’ont exprimé à haute voix (et de façon pas aussi peu concertée que cela a été dit sans doute) Michel Rocard ou Bernard Kouchner : c’est vers la droite que doit s’orienter la gauche. Le vote utile a également joué à gauche de la gauche avec, de surcroît, un parti communiste à la dérive et des disputes de personnes qui ont achevé de faire tomber la sanction. On a critiqué, dans l’extrême gauche, le caractère mou, et très à droite, de la candidate socialiste mais force est de constater que Marie-Georges Buffet, Arlette Laguiller, José Bové, et jusqu’à Olivier Besancenot n’ont pas réussi à mobiliser les énergies de résistances sociales qui existent en France. C’est sans doute que l’extrême gauche et la gauche, au-delà des différences dans les rhétoriques convenues qui distinguent les socio-démocrates des marxistes ou des trotskistes, souffrent des mêmes maux... une déconnection flagrante avec les populations que leurs partis sont censés représenter. On parle de politique sociale, de justice, de résistance aux méfaits de « la grande finance », aux néfastes collusions « médiatico-financières » ou du « grand capital » mais on n’est plus représentatif des populations qui souffrent du chômage, de la discrimination, du racisme et du rejet. Le vote utile a eu l’utilité de révéler la vraie nature du débat politique en France : une classe politique qui connaît de moins en moins les citoyens de sa nation a emmené ces derniers, l’espace d’une élection, vers les cadres rassurants du passé : un vieux schéma (gauche-droite), d’anciennes oppositions rhétoriques (les ouvriers contre le patronat) et des oppositions d’images personnalisées (Sarkozy la sécurité, Ségolène la ténacité). Pas de débat sur les politiques sociales, rien sur les banlieues qui, il n’y a pas si longtemps, brûlaient et ont été la cause d’inscriptions massives de jeunes sur les listes électorales. Rien sur le rôle de la France en Europe, dans le monde, au Moyen-Orient, en Irak... Rien ! Ou trois fois rien. Il y a fort à parier que nous venons d’assister à des élections de transition. Ceux qui se sont réveillés pour voter aujourd’hui ne sauraient être satisfaits ni des résultats concrets de cette « élection utile » ni des politiques qui sont promises à gauche comme à droite. Les désillusions ne sauraient manquer d’être ressenties et on court peu de risques de se tromper en affirmant que les cinq ou dix ans à venir vont transformer le paysage politique de la France. La conscience populaire s’est réveillée à l’évidence et au-delà de l’écran trompeur de la polarisation traditionnelle, il faudra compter sur les désillusions vis-à-vis d’un parti socialiste qui ne sait plus ce qu’est le social et une droite qui s’est clairement radicalisée à droite comme l’exprime le choix de celui qui la représente aujourd’hui. 

Reste qu’il faut aujourd’hui composer avec ce qui reste. Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal : pour qui voter ? A défaut, quel est le choix du moindre mal ? Le candidat Nicolas Sarkozy a deux visages désormais. Celui du premier tour qui tranche et qui juge, joue sur les peurs, travaille son populisme, entretient la crainte sécuritaire et caresse dans le sens du poil les velléités racistes de certains Français qui craignent l’immigré, le Noir, l’Arabe et tous ces étrangers qui nous colonisent. Il est celui qui demande à un ministre israélien de combien de temps le gouvernement israélien a besoin pour « finir le travail » alors que les civils libanais tombaient sous les bombes israéliennes. Il est celui qui, aux Etats-Unis, a regretté les positions françaises en Irak et qui vient raconter le contraire en France. L’ambition et la soif de pouvoir sont telles que le candidat ne s’interdit aucun mensonge, aucune méthode... tous les journalistes, comme tous les politiciens, connaissent les pratiques et les pouvoirs d’intimidation de l’homme. Le candidat est ambitieux jusqu’à l’enivrement et ceux qui l’entourent sont carnassiers. Or, on ne peut séparer l’homme de sa politique promise : l’arrogance naturelle prendra bientôt le dessus et il faut s’attendre à des choix qui en protégeant les riches, ses amis et ses protégés d’aujourd’hui, s’abattront comme autant de couperets sur les plus fragiles et les plus pauvres. Johnny Halliday reviendra en France au moment même où des centaines d’immigrés en seront chassés. Belle France ! Des médias sous influence et de nombreux citoyens sans droits...

Faut-il se réjouir du choix du moins pire avec Ségolène Royal ? Certes non... Des années au pouvoir ont prouvé que, des éléphants d’hier à la politique « nouvelle façon » d’aujourd’hui, rien n’avait vraiment changé au parti socialiste. L’entourage proche de Ségolène Royal a de quoi effrayer... l’influent Julien Dray en tête, et tant d’autres à vrai dire. Un discours socialiste sans politique sociale, une absence de débats et de propositions de fond. Les socialistes entonnent la Marseillaise et n’ont rien à proposer pour faire de la République française, sociale et laïque, une terre de justice qui refuse les discriminations, les racismes et les mises en scène sur l’acceptation de la diversité culturelle. Que les Français « d’origine immigrée », ou clairement « les Arabes », les femmes « d’origine immigrée », voire les musulmans « d’origine immigrée », soient représentés dans la psyché socialiste par Malik Boutih ou Fadela Amara en dit long sur la déconnection de cette gauche. Amis des salons parisiens, Malik Boutih et Fadela Amara, ont symboliquement consacré la disposition du parti socialiste à devenir un parti de salon davantage que de la société sociale. Le parti socialiste ne représente plus, ne connaît plus et ne fait d’ailleurs plus confiance aux citoyens, dans leurs diversités, dont le statut social aurait dû être son réservoir politique naturel. (En retour, ces citoyens ne lui font plus confiance et rechignent à voter pour sa candidate). Une errance qui se retrouve dans les désordres du positionnement socialiste français sur la question européenne (les débats sur la Convention en son sein étaient presque risibles de cacophonie) et bien sûr sur la scène internationale. Les Irakiens, les Tchétchènes, les Ivoiriens (et les Africains dans leur ensemble), les Tibétains, les Palestiniens, et les Turcs d’ailleurs, n’ont clairement aucune raison de se réjouir d’une victoire de Ségolène Royal. On a bien raison, et bien des raisons, d’être empruntés et inquiets.

Certains ont affirmé avec force que le « Tout pour Ségolène » est la formulation positive du « Tous contre Sarkozy » et que, quels que soient nos états d’âme, il fallait préférer la candidate socialiste qui, avec le temps, s’était montrée « tenace », « solide », « déterminée » et que c’est Nicolas Sarkozy qui, entre les deux tours, avait retrouvé sa vraie nature agressive étonnamment agrémentée d’accents plaintifs et victimaires. A fortiori, à l’étude des « programmes », le seul choix qui demeure (même s’il exige de plier et de tordre sa conscience aux exigences de la « real politik » ) semblerait être celui de la gauche. Ce choix du moindre mal ne peut néanmoins s’imposer que si ceux qui s’y engagent comprennent la nature de la transition que représentent ces élections. Au-delà, il y a les élections législatives et municipales puis dans cinq ans d’autres élections présidentielles. C’est sur le temps plus long de l’engagement politique et de la conscientisation populaire qu’il faut ancrer et conditionner son positionnement aujourd’hui. Un vote d’opposition à la politique extrême de la droite classique qui va se traduire par un vote de soutien critique à une gauche sans colonne vertébrale : tout cela doit s’exprimer par un discours et un engagement clairs dans les prochaines années qui forcent la classe politique à entendre des revendications que tous ont pu omettre, négliger, voire railler pendant la présente campagne.

Il s’agit donc de tout sauf d’un vote du désarroi et de la démission. Le choix du moindre mal aujourd’hui ne peut se justifier que par un redoublement d’engagement tout de suite et demain. Quel que soit le vainqueur au demeurant. Ces élections nous promettent des lendemains tristes et tendus : il faut voter aujourd’hui et refuser l’attitude victimaire et passive. La résistance aux politiques de droite qui transforment la France en un bunker sous haute sécurité (contre les immigrés et les-pas-très-français...) ou à une gauche qui ment et se ment à elle-même sur les couches populaires qu’elle ne représente plus désormais...la résistance, disions-nous, ne fait que commencer. Voter avec un malaise compréhensible aujourd’hui impose de se mobiliser avec une conviction redoublée dès demain. Ne rien lâcher, ne rien compromettre et exiger d’être entendu jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’autre choix que de l’être.



Source : Tariq Ramadan
http://www.tariqramadan.com/...


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