Tunisie
Comment sortir de
la crise politique en Tunisie
Tarak Khezami
Jeudi 8 août 2013
Plutôt que de
diviser, les forces politiques en place
doivent travailler à cimenter toutes les
franges de société tunisienne, toutes
les forces vives de la société pour que
nous puissions sortir grandis et
vainqueurs de ce goulet d'étranglement.
Par
Tarak
Khezami*
Les va-nu-pieds, les
laissés-pour-compte et tous les
déshérités des régions intérieures de la
Tunisie étaient à mille lieues de penser
que le mouvement insurrectionnel qu'ils
avaient impulsé entre le 17 décembre
2010 et le 14 janvier 2011 allait les
enfoncer davantage dans la misère et
aggraver considérablement leur situation
socio-économique.
Ils étaient à mille lieues de penser
que les cris d'orfraies qu'ils ont
poussés à cause du désespoir engendré
par une corruption endémique et des
inégalités socio-économiques et d'accès
à la richesse criantes allaient tomber
dans les oreilles d'un sourd.
Ils étaient à mille lieues de penser
que leurs protestations véhémentes
allaient, surtout, être mises à profit à
des fins bassement idéologiques par un
quarteron de politiciens qui n'ont pas
fait la révolution et qui ne l'ont même
pas vu venir.
Ils étaient à mille lieues de penser
que le bateau du changement et de
l'espoir qu'ils ont construit de leurs
propres mains allait connaître tellement
d'embardées qu'il allait finir quelques
mois plus tard par perdre le nord et
naviguer à la dérive, décevant ainsi les
grands espoirs placés en lui.
Dangereuses
embardées
Les embardées que le bateau de la
révolution tunisienne a connues sont si
dangereuses et si pernicieuses que le
port d'attache sur lequel il a mis le
cap dès après les élections du 23
octobre 2011, et qui symbolise la
démocratie, nous paraît, aujourd'hui,
comme un sommet inatteignable.
Nous-vous en laissons juge: depuis le
début de la révolution et alors même que
le peuple se débat dans des problèmes
économiques graves, certains de nos
gouvernants rêvaient à jeter les bases
d'un califat (le sixième du nom) en
Tunisie, à introduire la charia dans la
nouvelle constitution, à célébrer en
grande pompe les noces de la religion et
de la politique... Nous en passons et
des meilleures.
Certains autres de nos gouvernants se
sont longtemps demandé si la femme était
l'égale de l'homme ou juste une simple
partenaire. Ils se sont demandé, par
ailleurs, si l'islam politique était
l'une des meilleures solutions pour
sortir du goulet d'étranglement que
connaît le pays depuis le déclenchement
de la révolution...
D'autres encore ont insidieusement
ouverts des débats le moins que l'on
puisse dire moyenâgeux, à tout le moins
pour une grande partie du peuple
tunisien qui est instruite et
surdiplômée, sur la polygamie,
l'excision, le port du niqab ou voile
intégral... Tout cela pour faire
diversion, et comme qui dirait, pour
détourner l'attention de la grande masse
du peuple tunisien des vrais problèmes
qui la préoccupent et qui ont provoqué
son soulèvement un certain 17 décembre
2010...
En somme, des débats superfétatoires
et des questions insidieuses tranchées
depuis longtemps en Tunisie. Ce fut une
véritable perte sèche dans cette période
transitoire et pour le peuple et pour le
pays.
Qui en sont les responsables? La
majorité silencieuse, déjà
considérablement grevée, est-elle
toujours condamnée à payer la facture de
l'impéritie des gouvernants? Ne nous y
trompons pas, c'est bien de cela qu'il
s'agit : l'impéritie des gouvernants.
De
l'impéritie des gouvernants
Cette tare est-elle le triste partage
des peuples du tiers-monde dont les
politiciens se gobergent, se sucrent et
sont capables de se livrer une guerre
sans merci pour un simple strapontin en
faisant fi de la souffrance de leurs
concitoyens?
Le processus révolutionnaire en
Tunisie en a été victime à plusieurs
reprises. Nous n'en voulons pour preuve
que le dernier assassinat politique,
celui du député Mohamed Brahmi, qui a
vite fait de plonger le pays dans une
énorme crise politique entre d'un côté
ceux qui exigent la dissolution de
l'Assemblée nationale constituante (ANC)
et du gouvernement incapables, selon
eux, de gérer le pays et, de l'autre
côté, ceux qui défendent bec et ongles
la légitimité des urnes dont le
gouvernement de la Troïka est investi.
Tous les problèmes, qui sont à
l'origine du sit-in du Bardo devant
l'ANC, ont été maintes fois signalés par
les médias mais aucun homme politique
n'a daigné les écouter.
Voilà ce que c'est, messieurs les
gouvernants de la Tunisie post
révolutionnaire, que de diviser
sournoisement le pays entre croyants et
mécréants.
Voilà ce que c'est que de politiser
les mosquées et de fermer les yeux sur
les prêches incendiaires et les discours
violents qui s'y tiennent.
Voilà ce que c'est que de distiller
sournoisement des mots qui incitent à la
violence dans le discours de certains de
vos hommes politiques à la noix dans
l'impunité la plus totale.
Voilà ce que c'est que de composer
avec des cagots rétrogrades qui se sont
autoproclamés vicaires de Dieu sur terre
et qui ne sont que les pauvres sbires de
pétro-monarques tout aussi cagots
qu'envieux.
Voilà ce que c'est que de composer
avec des terroristes et des repris de
justice qui se sont autoproclamés
protecteurs de la révolution.
Voilà ce que c'est que de ne pas
appliquer la loi, seule et unique garant
qui nous permette de vivre sous le même
toit avec nos multiples différences et
avec les mêmes droits et les mêmes
devoirs.
Voilà ce que c'est que d'atermoyer et
de lanterner à l'ANC au lieu de faire
diligence pour sauver le pays et
rasséréner les citoyens.
Solutions
pour une sortie de crise
Pour sortir vite de cette crise
gravissime surtout pour l'économie du
pays, qui est déjà à l'article de la
mort de l'aveu même de la présidente du
patronat tunisien (Utica), il faut que
le gouvernement enlève vite ses boules
Quies et écoutent les doléances de
l'opposition.
Il est impérieux que celle-ci fasse
preuve de souplesse en faisant des
concessions même dans la douleur pour le
bien suprême de notre pays.
S'asseoir autour d'une même table
pour essayer de recentrer le débat sur
les questions essentielles en
l'occurrence: réduire cette période
transitoire qui s'étire et qui lamine
dangereusement l'économie du pays;
s'attacher à combattre le chômage en
s'attaquant frontalement à l'hydre du
terrorisme et de l'insécurité
rampante... Sans sécurité en effet point
d'investissements, point de touristes,
point de croissance économique, point de
création de richesse... Nul besoin
d'être un grand clerc en matière
économique pour le comprendre. Est-il
besoin de rappeler que les inégalités
sociales, régionales et d'accès à la
richesse étaient au cœur du soulèvement
populaire en Tunisie? Est-il besoin de
rappeler par ailleurs que le ministère
du Tourisme en Tunisie est un ministère
régalien au même titre que celui du
pétrole dans les pays du Golfe?
Nos gouvernants se doivent de
comprendre aussi que le dialogue, quand
il n'exclut personne et quand il est
fait sur de bonnes bases, est notre
seule et unique planche de salut. Cette
planche de salut nous permettra à coup
sûr de garder cette fois-ci le même cap
et de ne pas faire d'autres embardées
malgré les vents ennemis de la
contre-révolution et des esprits envieux
qui ne veulent pas que la Tunisie
réussisse sa transition démocratique et
soit véritablement une exception dans le
monde arabe et parmi les pays du
printemps arabe.
Le besoin est tout aussi impérieux
que les uns et les autres comprennent
que la révolution est un long processus
qui nécessite un travail laborieux et un
effort de tous les instants.
C'est, répétons-le à satiété, un long
chemin semé d'embûches. Les grands
peuples ont su les éviter intelligemment
pour ne pas faire le jeu des forces
rétrogrades qui tirent vers le bas et
des contre-révolutionnaires qui
cherchent par tous les moyens à faire
échec à la révolution et au processus
révolutionnaire. Les problèmes
qu'ils ont rencontrés n'ont fait que les
fédérer davantage et attiser la flamme
révolutionnaire qu'ils portent en eux.
Plutôt que de diviser, les forces
politiques en place doivent travailler à
cimenter toutes les franges de société
tunisienne, toutes les forces vives de
la société pour que nous puissions
sortir grandis et vainqueurs de ce
goulet d'étranglement.
* Citoyen tunisien.
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Kapitalis. Tous droits réservés
Publié le 9 août 2013 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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