Silvia Cattori
Dimanche 18 janvier 2009
De Gaza, le journaliste palestinien Rami
Almeghari (*) exprime ici, après trois semaines de cruautés
israéliennes, l’écœurement qu’il ressent, à l’égard de
l’attitude des chefs d’Etats et de leurs diplomates vis-à-vis du
drame vécu par la population civile assiégée.
Silvia
Cattori : Tzipi Livni a signé ce 16
janvier, avec Condolezza Rice, une trêve qui ressemble à un
véritable piège pour Gaza !? Cela n’est-il pas porteur de
nouveaux malheurs ?
Rami
Almeghari : Ce qui se dit au-dehors sur notre réalité,
pendant que le monde regarde Israël semer la mort et la terreur,
sans réagir avec fermeté, m’a laissé écœuré et amer.
Mon cœur saigne devant cette
agression odieuse, insupportable, et le maintien de ce blocus
militaire qui fait souffrir notre peuple.
Pourquoi les grandes
puissances ont-elles laissé Israël massacrer un peuple
emprisonné et totalement démuni durant trois semaines ? Nous
sommes des êtres humains. Pourquoi une pareille injustice
est-elle acceptée ?
Je ne vous parle pas ici en
journaliste, mais en simple personne humaine. Pourquoi une si
immense injustice a-t-elle été infligée à des civils, à toute
une nation ?
C’est terrible. Les
politiciens du monde sont resté absents ; ils ont ainsi donné le
feu vert à Israël, et ils décrivent Gaza comme si c’était un
pays, un gouvernement. Ils ne viennent pas voir ce que Gaza est
en réalité. Nous vivons dans des petits camps de réfugiés, dans
de petites bicoques, des petits faubourgs, dans de petites
villes.
Pourquoi tous ces politiciens
qui soutiennent objectivement Israël et donnent, au-dehors, une
image déformée de la réalité ne viennent-ils pas voir ici
comment nous vivons, dans quelle insécurité, dans quel
dénuement, dans quelle indigence ?
Nous vivons entassés sur une
petite langue de terre qui ne fait que 40 kilomètres et les
missiles pleuvent sur nous. Nous sommes intoxiqués par la
pollution due à ces armes ; cela nous suffoque, atteint nos
enfants dans leur santé. Où sont les écologistes du monde ? Les
avez-vous entendus protester pour ce désastre écologique ?
Les Israéliens disent qu’ils
vont arrêter le feu, mais le feu continue !Vous
entendez-vous-même en ce moment les bombes, le bruit des
explosions qui terrorisent nos enfants. Pourquoi infliger tant
de persécutions à un peuple entier ?
Ce n’est pas une armée qu’ils
bombardent. Toute maison est une cible potentielle pour leurs
avions de guerre et leurs chars. Tout cela est si terrible, si
révoltant. Tous ces gens qui ont été décimés par la pluie de
bombes déversée sur nos têtes n’étaient pas des combattants.
Plus de 80% des blessés et tués sont des civils !
C’est une absolue injustice
que l’on nous inflige.
En Israël, les gens font
toute une histoire au sujet des roquettes du Hamas. C’est de la
désinformation. Il ne faut pas les croire ! Ces roquettes
artisanales ne font que des dommages dérisoires. Elles ont fait
6 victimes israéliennes alors que les missiles israéliens ont
tué pendant ce temps plus de 1’300 Palestiniens.
Quel genre de justice et de
démocratie le monde prétend-il défendre ? Est-ce un traitement
qui a quelque chose à voir avec la justice, celui que nous
subissons ? C’est absolument injuste !
La couverture de cette guerre
par nombre de médias internationaux me laisse aussi complètement
écœuré. Le devoir de tout journaliste devrait être de se situer
aux côtés de la victime. C’est le contraire qui se passe.
Ce que nous subissons en ce
moment, au vu et au su du monde entier, est du jamais vu ; même
pas lors de la seconde guerre mondiale. Dans quel genre de monde
vivons-nous ? Où allons-nous ? Vers un monde de cruauté, le
monde de la jungle ?
Pourquoi le monde entier se
préoccupe-t-il uniquement de la sécurité d’Israël alors qu’il y
a un peuple, ici, qui vit sous une très cruelle et brutale
occupation et qui n’a aucune sécurité ? Le sang des civils est
versé chaque jour en Palestine, des enfants sont tués chaque
jour sous les yeux de leurs parents impuissants ; et qui s’en
préoccupe ?
Chaque jour de l’année les
soldats israéliens attaquent ce peuple et, maintenant, le monde
entier se laisse convaincre que le problème ce sont ces
roquettes artisanales inoffensives du Hamas qui seraient une
menace pour Israël ! En ce moment toute la diplomatie se
mobilise au sujet de faux problèmes - le soi-disant trafic
d’armes - sous la pression de notre agresseur.
Avec tout ce dont nous
souffrons déjà, nous devons maintenant entendre dire des choses
très offensantes de la part de ces Etats occidentaux qui se
disent prêts à envoyer des armes, des missiles, des navires de
guerres, des troupes sur la frontière pour prévenir une
soi-disant contrebande d’armes à Gaza.
Mais de quoi parlent-ils ?
Gaza, est-ce un pays ? La France, l’Allemagne, la Grande
Bretagne se disent prêts à venir surveiller les frontières. La
minuscule bande de Gaza, est-elle un Etat pour dépêcher toute
une armada ?
Tout cela est folie. Gaza
n’est qu’un petit territoire, avec de pauvres gens, coupés du
monde, laissés sans armes réelles et sans armée, qu’Israël peut
exterminer à sa guise. Gaza, ce sont des pauvres gens qui
attendent de pouvoir revenir chez eux et qui, en attendant, font
ce qu’ils peuvent pour se tenir debout malgré les coups et les
humiliations qu’Israël leur inflige.
Ce n’est pas vrai qu’il y a
des armes iraniennes qui entrent ; c’est impossible. C’est de la
désinformation qui sert la stratégie militaire d’Israël. Israël
et l’Egypte maintiennent Gaza sous contrôle strict, tous les
passages sont fermés. Gaza est bouclée. Les tunnels ont été un
pis-aller pour la contrebande de marchandises, et ce qui entre
est sous le contrôle de l’Egypte. [1]
Silvia
Cattori : Comment les Palestiniens
pourront-ils se réconcilier avec ceux qui ont travaillé pour
« l’autre côté » ? Tout indique qu’une faction du Fatah, Mahmoud
Abbas, ses ambassadeurs, ont collaboré ouvertement avec Israël
pour affaiblir le Hamas. Ils continuent d’avoir le beau rôle,
sont présentés comme les « modérés » à qui l’Occident peut
parler face aux « extrémistes ». N’ont-ils pas intérêt à ce que
le Hamas sorte décimé de cette guerre féroce ?
Rami
Almeghari : Mahmoud Abbas est dépassé, hors jeu. Il a
été mis dans un coin, isolé par Israël et les Etats-Unis. Il a
été piégé. Il a été installé par eux dans son fauteuil. Et
maintenant ils le pressurent en même temps que le Hamas. Ils
sont maintenant en train d’accentuer les divisions entre le
Hamas et Abbas. Ils ont réussi, malheureusement. Avec l’aide de
quelques partenaires arabes, comme celui qui a la plus grande
base militaire US.
Il y a une contradiction dans
la position des pays arabes, comme cela s’est vu dans le dernier
sommet extraordinaire au Qatar. D’un côté ils ont des relations
normales avec Israël ; d’un autre ils disent qu’ils soutiennent
la résistance ; ce n’est pas vrai. Quand on dit aider la
Palestine on doit tendre les bras à Gaza et libérer la
Palestine. Pas avoir un pied de chaque côté. C’est une période
extrêmement critique. Le devoir de ceux qui prétendent soutenir
la cause palestinienne est de la soutenir sans aucune ambiguïté.
La guerre menée par Israël
contre les Palestiniens n’est pas un jeu. C’est une vraie guerre
contre une nation, contre tous les principes de justice. Elle a
un impact catastrophique sur nous.
Silvia
Cattori : Vous voulez dire que
certaines forces qui prétendent vous aider travaillent en
réalité à vous faire perdre ? Du reste, les déclarations de
Bernard Kouchner, disant que la France ne parle pas au Hamas
mais à Abbas, ou la rencontre de Tzipi Livni avec Condolezza
Rice, ne démontrent-elles pas que les grandes puissances ne sont
pas sorties de ce jeu pervers où Israël a le beau rôle ; où il
peut étaler ses soutiens, dire qu’il a gagné cette guerre et que
vous êtes seuls ?
Rami
Almeghari : Vous avez raison, d’une certaine façon.
Nous sommes isolés. Les grandes puissances européennes nous
isolent par les punitions qu’elles nous imposent, en donnant
raison à Israël, par leur lâcheté à notre égard. De nombreux
pays montrent qu’ils ne sont pas avec le peuple palestinien,
qu’ils se moquent bien de nous, qu’ils soutiennent Israël.
La cause palestinienne est
très importante ; elle est aujourd’hui à un carrefour. Il est
indispensable que les Palestiniens s’unissent pour définir une
position commune face à ce monde qui veut les diviser.
Silvia
Cattori : Ces derniers jours, j’ai pu
observer les positions idéologiques de Leila Shahid et d’Elias
Sambar, très sollicités par les médias. On comprend qu’ils ne
seraient pas vraiment affectés par la mise hors jeu du Hamas.
Ils ne condamnent pas Abbas quand il blâme le Hamas. De fait, on
comprend qu’ils composent avec les Etats qui veulent préserver
les acquis d’Israël. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
Rami
Almeghari : Le mandat d’Abbas est terminé depuis le 9
janvier. Il se conduit comme s’il était toujours le président
d’un pays. Mais il ne dispose pas d’un pays. Maintenant, il
devrait agir non pas comme s’il était Président mais comme un
leader politique gravement préoccupé par les souffrances de son
peuple, toutes tendances politiques confondues. Il devrait
soutenir son peuple victime d’Israël. Il a échoué à le faire
jusqu’ici. Il devrait se placer comme un leader qui combat
l’occupation et le siège imposé à Gaza par Israël. Ce n’est pas
le moment de condamner le Hamas. La guerre n’est pas menée par
Israël contre le Hamas. Par son attitude Abbas participe à la
guerre de propagande que mène l’agresseur israélien. Une
propagande qui justifie la guerre d’Israël contre des civils à
Gaza.
Abbas doit exercer des
pressions sur ses partenaires arabes et occidentaux afin de
forcer Israël à stopper immédiatement le massacre des
Palestiniens. Je le répète. C’est une guerre contre les civils
pas contre le « diable » que désigne Israël. Abbas doit insister
auprès des Etats-Unis et de l’Union européenne pour revenir aux
racines du conflit.
Croyez-moi, la situation ici
est terrible. Nous sommes fatigués de tout ce à quoi nous
assistons et qui se retourne sans arrêt contre notre peuple. Les
gens ont besoin de savoir qu’ils ne sont pas isolés, qu’il y a
dans le monde des êtres humains sincères qui les soutiennent,
qui veulent vraiment les aider efficacement, qui veulent
vraiment que leur aide puisse avoir un réel impact sur le
terrain.
Silvia
Cattori : Voyez-vous maintenant ce qui
va suivre ? Est-ce le pessimisme qui prévaut ?
Rami
Almeghari : Ce n’est pas une question d’optimisme ou de
pessimisme. C’est une question de faits sur le terrain. Je suis
optimiste par nature. Il ne s’agit pas de sentiments. Mais de
faits, de choses qui sont en train de se dérouler sous nos yeux.
Il y a en ce moment une grande manœuvre pour saper la cause
palestinienne, et il y va de l’état de santé des gens, de la
détresse des enfants, de leur survie. Toutes ces questions sont
vitales. Nous sommes face à de grands dangers.
Propos recueillis le 17 janvier 2009
Silvia Cattori
(*) Le journaliste palestinien, Rami
Almeghari, vit dans le camp de réfugiés de Al Maghazi, au centre
de la bande de Gaza. Il collabore notamment avec le site
états-unien Electronic Intifada
http://electronicintifada.net/v2/aboutEI.shtml.