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New Yorker
L'Administration Bush intensifie ses
manœuvres secrètes contre
l'Iran
Seymour Hersh
Illustration Guy Billout
30 juin 2008
article original :
"The Bush Administration steps up its secret moves against
Iran" (numéro du 7 juillet 2008)
Selon des sources militaires, des services
secrets et parlementaires, actuelles et anciennes, le Congrès a
accepté, en fin d'année dernière, une requête de Président Bush
pour financer une escalade majeure des opérations secrètes
contre l'Iran. Ces opérations, pour lesquelles le Président a
cherché à obtenir jusqu'à 400 millions de dollars étaient
décrites dans une Conclusion Présidentielle [Presidential
Finding] signée par Bush, sont
destinées à déstabiliser la direction religieuse du pays. Ces
activités secrètes impliquent le soutien à la minorité arabe
Ahwazi et aux groupes Baloutchis et autres organisations
dissidentes. Ils incluent aussi la collecte de renseignements
sur le programme nucléaire iranien présumé.
Les opérations clandestines contre l'Iran ne sont pas nouvelles.
Les Forces d'Opérations Spéciales des Etats-Unis mènent depuis
l'année dernière des opérations transfrontalières depuis le sud
de l'Irak, avec l'autorisation présidentielle. Celles-ci ont
inclus la capture de membres d'Al Quds, l'aile commando de la
Garde Révolutionnaire Iranienne, leur transfert en Irak pour les
interroger et la recherche de "cibles de haute valeur" dans la
guerre contre la terreur du Président. Ces cibles peuvent être
capturées ou tuées. Mais la taille et l'étendue de ces
opérations en Iran, qui impliquent la CIA et le JSOC (Joint
Special Operations Command, le commandement des opérations
spéciales interarmes), se sont désormais accrues de façon
significative, selon d'anciens et actuels officiels. Un grand
nombre de ces activités ne sont pas spécifiées dans la nouvelle
Conclusion et des leaders parlementaires se sont posés de
sérieuses questions quant à leur nature.
Selon la loi fédérale, une Conclusion Présidentielle, qui est
classée secrète, doit être émise lors du lancement d'une
opération des services secrets et, au minimum, les leaders
Démocrates et Républicains de la Chambre et du Sénat doivent en
être informés, ainsi que les membres de haut rang de leurs
commissions respectives des renseignements - ce que l'on appelle
l'Equipe des Huit. L'argent pour cette opération peut
alors être reprogrammé à partir des affectations précédentes,
autant que nécessaire, par les commissions parlementaires
idoines, qui peuvent aussi être informées.
"Cette Conclusion se concentre à saper les ambitions nucléaires
de l'Iran et à essayer d'ébranler le gouvernement de Téhéran au
moyen d'un changement de régime", a dit une personne au courant
de leur contenu, et implique "de travailler avec des groupes
d'opposition et de passer de l'argent". Celle Conclusion
envisageait tout un éventail nouveau d'activités au sud de
l'Iran et dans les zones, à l'est, où l'opposition baloutche est
forte, a-t-il dit.
Bien que certains parlementaires aient été troublés par des
aspects de cette Conclusion - et "il y a eu un grand nombre
discussions importantes à haut niveau" à ce sujet, selon cette
source bien informée -, le financement de cette escalade a été
approuvé. En d'autres termes, certains membres de la direction
Démocrate - le Congrès est sous contrôle Démocrate depuis les
élections de 2006 - étaient d'accord, en secret, pour se joindre
à l'Administration, afin d'étendre les activités secrètes
dirigées contre l'Iran, tandis que le candidat présumé du parti
Démocrate à l'élection présidentielle, Barack Obama, a dit
préférer des pourparlers directs et la diplomatie. La demande de
financement est arrivée à la même période où l'Administration
assumait le NIE (l'Evaluation nationale des renseignements),
publié en décembre, qui concluait que l'Iran avait arrêté ses
travaux sur les armes nucléaires en 2003.
L'Administration a minimisé la signification du NIE et, tout en
disant qu'elle était engagée dans la voie diplomatique, elle a
continué à mettre l'accent sur le fait qu'une action urgente
était essentielle pour contrer la menace nucléaire iranienne. Le
Président Bush a mis en doute les conclusions du NIE, et des
responsables de la sûreté nationale, dont le Secrétaire à la
Défense Robert Gates et la Secrétaire d'Etat Condoleeza Rice,
firent des déclarations similaires. (Tout comme le Sénateur John
McCain, le présumé candidat présidentiel républicain.) Pendant
ce temps, l'Administration a aussi ravivé les accusations selon
lesquelles la direction iranienne a été impliquée dans les
tueries de soldats américains en Irak : à la fois directement,
en envoyant des unités commandos à l'intérieur de l'Irak, et
indirectement, en fournissant des équipements utilisés pour la
pose de bombes au bord des routes et autres produits de mort.
(La véracité de ses accusations a été mise en doute ; le
Times, parmi d'autres, a rapporté qu'il "reste des
incertitudes importantes sur l'étendue de cette implication.")
Les dirigeants militaires et civils du Pentagone partagent la
préoccupation de la Maison Blanche au sujet des ambitions
nucléaires de l'Iran, mais il y a un désaccord sur le fait
qu'une frappe militaire serait la solution. Certains officiels
du Pentagone pensent, ainsi qu'ils l'ont fait savoir au Congrès
et aux médias, que bombarder l'Iran n'est pas une réponse viable
à la question de la prolifération nucléaire et que plus de
diplomatie est nécessaire.
Un sénateur démocrate m'a dit qu'en fin d'année dernière, lors
d'un déjeuner de réunion à huis clos, le Secrétaire de la
Défense Robert Gates a rencontré le groupe Démocrate du Sénat.
(De telles réunions ont lieu régulièrement.) Gates a mis en
garde sur les conséquences si Bush lançait une frappe préventive
contre l'Iran, disant, comme le rappelle ce sénateur, "Nous
créerons des générations de Djihadistes et nos petits-enfants se
battront contre nos ennemis, ici-même, en Amérique." Lors de ce
déjeuner, les commentaires de Gates ont étonné les Démocrates et
un autre sénateur a demandé à Gates s'il s'exprimait pour Bush
et le Vice-président Cheney. Voici la réponse de Gates, m'a dit
le sénateur: "Disons juste que je suis ici pour exprimer mon
point de vue." (Un porte-parole de Gates a confirmé que
celui-ci, lors de cette réunion, avait discuté des conséquences
d'une frappe mais qu'il n'avait pas voulu en dire plus sur ses
propos, à part contester l'interprétation du sénateur.
La personne bien au courant de cette Conclusion m'a dit que
l'état-major interarmées, dont le président est l'Amiral Mike
Mullen, "exerçait une très forte pression en sens contraire" à
la pression de la Maison Blanche pour entreprendre une frappe
militaire contre l'Iran. De la même manière, un conseiller du
Pentagone qui est impliqué dans la guerre contre la terreur a
dit "qu'au moins dix officiers généraux, dont des commandants
aux combats" - les généraux quatre-étoiles qui dirigent les
opérations militaires dans le monde entier - "ont pesé le pour
et le contre sur cette question".
Le plus critique de ces officiers est l'Amiral William Fallon,
qui, jusqu'à récemment, était le chef du Commandement Central
des Etats-Unis (CENTCOM) et donc en charge des forces
américaines en Irak et en Afghanistan. En mars, Fallon a été
forcé de démissionner après avoir donné une série d'interviews
exposant ses réserves vis-à-vis d'une attaque armée contre
l'Iran. Par exemple, en fin d'année dernière, il avait déclaré
au Financial Times que "l'objectif réel" de la politique
des Etats-Unis était de changer l'attitude des Iraniens et que
"les attaquer, comme moyen d'obtenir ce changement, m'étonne
comme n'étant pas le[ur] premier choix."
L'Amiral Fallon a reconnu, lorsque je lui ai parlé en juin,
qu'il avait entendu dire que des personnes à la Maison Blanche
avaient été contrariées par ses déclarations publiques. "Trop de
gens pensent que l'on doit être, soit pour, soit contre les
Iraniens", m'a-t-il dit."Soyons sérieux ! Quatre-vingt millions
de personnes vivent là-bas et elles sont toutes différentes.
L'idée selon laquelle ils sont tous à mettre dans le même panier
est un non-sens."
A propos de la guerre d'Irak, Fallon a dit : "Ai-je pesté contre
certaines choses qui étaient proposées ? Vous pouvez en être sûr
! Certaines étaient vraiment très stupides."
L'accord donné par les dirigeants Démocrates pour engager des
centaines de millions de dollars, en vue de plus d'opérations
secrètes en Iran, vaut la peine d'être noté, étant donnée
l'inquiétude générale d'officiels tels que Gates, Fallon et de
nombreux autres. "Le processus de supervision n'a pas tenu le
rythme - il a été coopté" par l'Administration, a dit cette
personne au courant du contenu de cette Conclusion. "Le
processus est rompu et c'est un truc dangereux que nous sommes
en train d'autoriser".
Des Démocrates de premier plan au Congrès m'ont dit qu'ils
étaient préoccupés par la possibilité que leur compréhension de
l'implication de ces nouvelles opérations diffère de celle de la
Maison Blanche. Il y a une question relative à une référence qui
se trouve dans les Conclusions, rappelle la personne au courant
: une potentielle action létale défensive par les agents
américains en Iran. (Début mai, le journaliste Andrew Cockburn a
publié des éléments de cette Conclusion dans CounterPunch,
le magazine et lettre d'information en ligne.)
Ce langage a été inséré dans cette Conclusion sur l'insistance
de la CIA, a dit un ancien agent des renseignements. Les
opérations secrètes qui sont exposées dans cette Conclusion se
déroulent essentiellement en parallèle à celles du corps
expéditionnaire militaire secret, opérant maintenant en Iran,
qui se trouve sous le contrôle du JSCO. Selon l'interprétation
de la loi par l'Administration Bush, les activités militaires
clandestines, contrairement aux opérations secrètes de la CIA,
n'ont pas besoin d'être décrites dans une Conclusion, parce que
le Président a le droit constitutionnel de commander les forces
de combat sur le terrain sans interférence du Congrès. Mais la
frontière entre ces opérations ne sont pas toujours claires : en
Iran, les agents de la CIA et les correspondants régionaux ont
les compétences linguistiques et la connaissance du terrain pour
prendre des contacts pour le compte des agents du JSOC, et ils
ont travaillé avec eux pour envoyer le personnel, le matériel et
l'argent en Iran depuis une base obscure dans l'ouest de
l'Afghanistan. En conséquence, le Congrès n'a reçu qu'une vue
partielle de la façon dont est utilisé l'argent qu'il a alloué.
L'une des missions du corps expéditionnaire du JSOC, la
recherche de "cibles de haute valeur", n'était pas directement
exposée dans cette Conclusion. Certains parlementaires réalisent
de plus en plus que l'Administration Bush, ces dernières années,
a regroupé ce qui correspond à une opération de renseignements
avec ce qui correspond à une opération militaire, afin d'éviter
d'informer complètement le Congrès sur ses agissements.
"C'est une grosse affaire", a dit la personne au courant de
cette Conclusion. "La CIA avait besoin de cette Conclusion pour
faire son boulot habituel, mais la Conclusion ne s'applique pas
au JSOC. Le Président a signé un Décret Présidentiel après le 11
septembre donnant au Pentagone l'autorisation de faire des
choses qu'il n'avait jamais pu faire auparavant sans en notifier
le Congrès. Il était prétendu que l'armée 'préparait l'espace de
bataille' et, en utilisant ce terme, ils pouvaient contourner la
surveillance parlementaire. Tout est justifié dans la sémantique
pour livrer la guerre mondiale contre la terreur". Il a ajouté,
"L'Administration a brouillé les pistes ; d'habitude, il y avait
des nuances" - entre les opérations dont les hauts dirigeants
parlementaires devaient être informés et celles qui ne devaient
pas l'être - "mais maintenant, c'est de la bouillie pour les
chats".
"L'agence dit que nous ne nous mettrons pas en position d'aider
à tuer des gens sans une Conclusion", m'a dit l'ancien officiel
des services secrets. Il se référait à la menace légale à
laquelle certains agents sont confrontés pour leur implication
dans l'interprétation et les accusations de torture de suspects
dans la guerre contre la terreur. "Ceci a fait sauter au plafond
les militaires", a-t-il dit. En ce qui concerne la CIA, l'ancien
officiel des services secrets a dit : "l'autorisation globale
inclut cette de tuer, mais ce n'est pas comme si c'était ce
qu'ils se préparaient à faire. C'est une question de collecte
d'information, de recrutement de soutiens". La Conclusion
envoyée au Congrès était un compromis, apportant une couverture
légale à la CIA, tout en se référant à l'utilisation de la force
létale en termes ambigus.
Ce langage létal-défensif a conduit certains Démocrates, selon
des sources parlementaires au courant de leurs points de vue, à
appeler le directeur de la CIA, le général de l'armée de l'Air,
Michael V. Hayden, pour un briefing spécial. Hayden a réassuré
aux parlementaires que ce langage ne faisait rien d'autre
qu'autoriser les agents des Forces Spéciales sur le terrain en
Iran à tirer pour s'échapper ou s'ils risquaient d'être capturés
ou blessés.
Les Parlementaires furent loin d'être convaincus. Dans la
foulée, un député a écrit personnellement au Président Bush
insistant sur le fait qu' "aucune action létale, point final"
avait été autorisée à l'intérieur des frontières iraniennes.
Pour l'instant, il n'a toujours pas reçu de réponse.
Par le passé, des membres du Congrès ont exprimé leur
scepticisme sur l'information fournie par la Maison Blanche. Le
15 mars 2005, David Obey, alors le Démocrate de haut rang à la
Commission des Affectations de la Chambre, à majorité
Républicaine, annonça qu'il mettait de côté un amendement qu'il
avait eu l'intention de proposer ce jour-là et qui aurait
supprimé tout financement pour les programmes d'espionnage
national, à moins que le Président n'accepte de tenir le Congrès
complètement informé sur les activités militaires clandestines
entreprises dans la guerre contre la terreur. Il avait changé
d'avis, dit-il, parce que la Maison Blanche avait promis une
meilleure coopération. "L'Exécutif comprend que nous n'essayons
pas de leur dicter ce qu'ils doivent faire", a-t-il dit à
l'époque dans un discours prononcé depuis l'hémicycle. "Nous
essayons simplement de nous assurer que ce qu'ils font est en
accord avec les valeurs américaines et qu'ils ne font pas courir
d'ennuis au pays."
Obey a décliné tout commentaire sur les spécificités des
opérations en Iran, mais il m'a bien dit que la Maison Blanche
est revenue sur sa promesse de consulter le Congrès plus à fond.
Il a dit : "Je soupçonne que quelque chose est en cours, mais je
ne sais pas quoi en penser. Cheney a toujours voulu attaquer
l'Iran et s'il disposait de plus de temps il trouverait un moyen
de le faire. Nous n'obtenons toujours pas suffisamment
d'informations de la part des agences [de renseignement] et j'ai
très peu confiance qu'ils nous donnent des informations
sensibles."
Pas un seul Démocrate de l'Equipe des Huit - le chef de la
majorité au Sénat, Harry Reid, la présidente de la Chambre,
Nancy Pelosi, le président de la Commission sénatoriale des
renseignements, John D Rockefeller IV, et le président de la
Commission des Renseignements de la Chambre, Silvestre Reyes -
n'a voulu faire de commentaire sur cette Conclusion, certains
disant qu'il s'agissait d'un dossier hautement secret.
L'assistant [parlementaire] de l'un des membres de la direction
Démocrate a répondu pour lui en indiquant les limites du
processus de l'Equipe des Huit. La notification d'une
Conclusion, a dit l'assistant, "n'est que cela - une
notification et pas une approbation des activités. Une
surveillance correcte des activités d'espionnage en cours se
fait en informant complètement les membres de la commission des
renseignements." Cependant, le Congrès a vraiment les moyens de
défier la Maison Blanche une fois qu'une Conclusion lui a été
envoyée. Il a le pouvoir de suspendre le financement de toute
opération du gouvernement. Les membres Démocrates de haut-rang,
de la Chambre et du Sénat, qui ont accès à la Conclusion peuvent
aussi, s'ils choisissent de le faire, et s'ils partagent les
mêmes préoccupations, parvenir à exercer une influence sur la
politique de l'Administration. (Un porte-parole de la CIA a
déclaré, "La règle est que nous ne commentons pas dans un sens
ou dans l'autre les allégations d'activités secrètes ou de
prétendues conclusions." La Maison Blanche a aussi décliné tout
commentaire.)
Un membre de la Commission aux Affectations de la Chambre des
Députés a reconnu que, même avec une victoire Démocrate en
novembre, "cela prendra encore une année avant que nous
puissions contrôler les activités des services secrets". Il a
poursuivit : "Nous contrôlons l'argent et ils ne peuvent rien
faire sans argent. L'argent est le nerf de la guerre. Mais je me
méfie beaucoup de cette Administration." Il a ajouté : "Cette
Administration a été si secrète."
Une des ironies du départ de Fallon est qu'il était, dans de
nombreux domaines, en accord avec le Président Bush sur la
menace posée par l'Iran. Ils avaient une bonne relation de
travail, m'a dit Fallon, et lorsqu'il gérait CENTCOM, ils
étaient en communication régulière. Le 4 mars, une semaine après
sa démission, Fallon a témoigné devant la Commission sénatoriale
aux Armées, en disant qu'il était "encouragé" par les situations
en Irak et en Afghanistan. Concernant le rôle joué par les
dirigeants iraniens, il avait déclaré : "Ils n'ont été
absolument d'aucune utilité, très nuisibles, et je ne tolère
absolument aucune de leurs activités. Et je n'ai toujours pas vu
le moindre signe, depuis que je fais ce boulot, qu'une action
publique de l'Iran ait pu être d'utilité dans cette région."
Fallon a bien fait comprendre au cours de nos conversations
qu'il considérait comme inapproprié de faire publiquement des
commentaires sur le Président, le Vice-président ou les
Opérations Spéciales. Mais il a dit qu'il avait entendu que des
gens à la Maison Blanche s'étaient "battus" contre ses points de
vue concernant l'Iran. "Lorsque je suis arrivé à CENTCOM, les
Iraniens finançaient toutes les entités à l'intérieur de l'Irak.
Il était dans leur intérêt de nous faire partir et ils ont donc
décidé de tuer autant d'Américains qu'ils pouvaient. Et pourquoi
pas ? Ils ne savaient pas qui prendrait les rênes mais ils
voulaient nous voir partir. J'ai décidé que je ne pouvais pas
résoudre la situation en Irak sans ses voisins. Pour résoudre ce
problème en Irak, nous avons dû, d'une manière ou d'une autre,
impliquer l'Iran et la Syrie. J'ai dû travailler le voisinage."
Fallon m'a raconté qu'il ne s'était pas concentré sur la
question nucléaire iranienne ou sur un changement de régime
là-bas, mais que sa préoccupation avait été d' "éteindre les
incendies en Irak". Il y avait des discussions constantes à
Washington et sur le terrain sur la manière de s'engager contre
l'Iran et, concernant l'option du bombardement, Fallon a dit
qu'il pensait que "cela se produirait seulement si les Iraniens
faisaient quelque chose de stupide."
La mise à la retraite anticipée de Fallon semble toutefois avoir
été provoquée, non seulement par ses commentaires négatifs
concernant le bombardement de l'Iran, mais aussi par sa croyance
très forte en la chaîne de commandement et son insistance pour
être informé sur les Opérations Spéciales dans son domaine de
responsabilité. L'un des défenseurs de Fallon est le général de
la Navy à la retraite, John J. (Jack) Sheehan, dont la
dernière affectation était celle de commandant en chef du
Commandement Atlantique Américain, où Fallon était son adjoint.
L'année dernière, Sheehan a rejeté une proposition de la Maison
Blanche de devenir le "tsar" du Président pour les guerres en
Irak et en Afghanistan. "L'une des raisons pour laquelle la
Maison Blanche l'avait choisi pour CENTCOM était qu'il est connu
pour être un penseur stratégique et qu'il avait démontré ces
qualités dans le Pacifique", m'a confié Sheehan. (Fallon a servi
comme commandant en chef des forces armées dans le Pacifique de
2005 à 2007.) "Il fut chargé de trouver une stratégie d'ensemble
cohérente pour l'Iran, l'Irak et l'Afghanistan et, en vertu de
la loi, le commandant des combats est responsable de toutes les
opérations militaires dans sa zone d'opération. Cela ne s'est
pas produit", a dit Sheehan. "Lorsque Fallon a essayé de
comprendre toutes les activités secrètes manifestes menées par
l'armée dans sa zone de responsabilité, un petit groupe à la
Maison Blanche l'en a empêché".
La loi citée par Sheehan est le Defense Reorganization Act
de 1986, connu sous le nom de Goldwater-Nichols, qui définissait
la chaîne de commandement : du Président au Secrétaire à la
Défense, en passant par le président de l'état-major interarmées
et ensuite vers les différents commandants des combats, auxquels
étaient confiée la charge de tous les aspects des opérations
militaires, y compris les entraînements interarmes et la
logistique. Cette autorité, exposait la loi, ne devait pas être
partagée avec d'autres échelons du commandement. Mais
l'Administration Bush, dans sa guerre mondiale contre la
terreur, a institué une nouvelle politique qui sapait l'autorité
des commandants en chef ; par exemple, elle donnait aux équipes
des Opérations Spéciales, au niveau du commandement militaire
partout dans le monde, la plus grande priorité pour assurer le
soutien et l'équipement. Ces dernières années, la dégradation de
la chaîne traditionnelle de commandement a été un point de
tension entre la maison Blanche et les militaires en uniforme.
"La cohérence de la stratégie militaire s'érode à cause de
l'influence civile indue et de la direction des opérations
militaires non conventionnelles", a dit Sheehan. "Si vous avez
des petits groupes qui planifient et conduisent des opérations
militaires sans que le commandant des combats le sache et le
contrôle, par défaut, vous ne pouvez pas avoir une stratégie
militaire cohérente. Vous finissez avec un désastre, comme le
sont les efforts de reconstruction en Irak."
L'Amiral Fallon, qui est connu sous le nom du Renard (Fox),
avait conscience qu'il serait confronté à des difficultés
particulières en tant que premier commandant de la Navy à
diriger CENTCOM, qui avait toujours été dirigé par un commandant
de l'Armée de terre, m'a dit l'un de ses collègues militaires.
Il avait aussi conscience que la communauté des Opérations
Spéciales serait un problème. "Le Renard m'a dit qu'il y avait
plein de trucs pas nets qui se déroulaient aux Opé Spéciales et
je lui ai dit qu'il devait se faire une idée sur ce qu'ils
tramaient vraiment", a dit le collègue de Fallon. "Les types des
Opé Spéciales finirent par se rendre compte qu'ils avaient
besoin du Renard et ils ont donc commencé à lui parler. Le
Renard aurait remporté son combat contre les Opé Spéciales s'il
n'y avait eu Cheney".
Le conseiller du Pentagone a dit la chose suivante : "Fallon a
été éliminé parce que, à sa manière, il essayait de prévenir une
guerre contre l'Iran et on doit l'admirer pour cela."
Ces derniers mois, selon les médias iraniens, il y a eu une
montée en puissance de la violence en Iran. Cependant, à ce
stade précoce il est impossible d'en attribuer le crédit aux
activités de la CIA ou du JSOC ou d'évaluer leur impact sur la
direction iranienne. Les reportages de presse sur l'Iran sont
minutieusement contrôlés par le Colonel de l'Armée de l'Air à la
retraite, Sam Gardiner, qui a enseigné la stratégie au
National War College et qui conduit à présent des jeux de
guerre centrés sur l'Iran, par le gouvernement fédéral, les
groupes de réflexion et les universités. La presse iranienne
"est très ouverte pour décrire les tueries qui ont lieu à
l'intérieur du pays", a dit Gardiner. C'est, dit-il, "une presse
contrôlée qui considère qu'il est plus important de publier ces
choses. Nous commençons à voir à l'intérieur du gouvernement."
Il a ajouté, "Pratiquement, pas un seul jour ne se passe
aujourd'hui où nous ne voyons pas d'affrontement quelque part.
Il y a eu trois ou quatre incidents au cours d'un des derniers
week-ends et les Iraniens donnent même les noms des officiers
des Gardes Révolutionnaires qui ont été tués."
Au début de l'année, un groupe Ahwazi, partisan de la lutte
armée, a revendiqué avoir assassiné un colonel de la Garde
Révolutionnaire, et le gouvernement iranien a reconnu qu'une
explosion avait eu lieu dans un centre culturel à Shiraz, au sud
du pays, qui avait tué au moins douze personnes et en avait
blessé plus de deux cents et que c'était un acte terroriste et
non pas, comme il avait insisté plus tôt, un accident. On ne
pouvait pas savoir s'il y avait une implication américaine dans
un incident spécifique en Iran, mais, selon Gardiner, les
Iraniens ont commencé à accuser publiquement les Etats-Unis, la
Grande-Bretagne et, plus récemment, la CIA, pour certains de ces
incidents. La CIA a été impliquée dans un coup d'Etat en Iran en
1953 et son soutien au régime impopulaire du Shah Mohammed Reza
Pahlavi - qui fut renversé en 1979 - a été condamné pendant des
années par les mollahs au pouvoir à Téhéran, ce qui a eu un
grand effet. "Le nec plus ultra pour les Iraniens - accuser la
CIA", a dit Gardiner. "C'est nouveau et c'est une escalade - une
augmentation de la tension. Cela renforce le soutien au régime
et montre au peuple qu'il y a une menace continue de la part du
'Grand Satan'." Selon le point de vue de Gardiner, la violence,
plutôt que l'affaiblissement du gouvernement religieux iranien,
pourrait lui générer un soutien.
Beaucoup de ces activités pourraient être entreprises sur le
terrain par les dissidents en Iran et non pas par les
Américains. Un problème pour "passer l'argent" (pour reprendre
l'expression de la personne qui connaît cette Conclusion) dans
un cadre secret est qu'il est difficile de contrôler où va
l'argent et à qui il bénéficie. Néanmoins, l'ancien responsable
des renseignements a dit : "Nous sommes exposés, à cause de
notre transfert d'armes et de notre matériel de communication.
Les Iraniens auront la capacité de prendre pour argument que
l'opposition a été inspirée par les Américains. Combien de fois
avons-nous essayé ceci sans poser les bonnes questions ? Le jeu
en vaut-il la chandelle ?" Une conséquence possible de ces
opérations seraient des mesures sévères violentes iraniennes
contre les groupes dissidents, ce qui donnerait à
l'Administration Bush une raison d'intervenir.
La stratégie consistant à utiliser les minorités ethniques pour
ébranler l'Iran est viciée, selon Vali Nasr, qui enseigne la
politique internationale à la Tufts University et qui est
aussi membre du comité de direction du CFR (Council on
Foreign Relations). "Ce n'est pas parce que le Liban, l'Irak
et le Pakistan ont des problèmes ethniques que cela signifie que
l'Iran est confronté à la même question", m'a dit Nasr. "L'Iran
est un vieux pays - comme la France ou l'Allemagne - et ses
citoyens sont tout aussi nationalistes. Les Etats-Unis
surestiment la tension ethnique en Iran." Les groupes
minoritaires avec lesquels les Etats-Unis établissent le contact
sont soit bien intégrés soit petits et marginaux, sans beaucoup
d'influence sur le gouvernement ou beaucoup de capacité à
représenter un challenge politique, a dit Nasr. "On peut
toujours trouver des groupes militants qui iront tuer un
policier, mais travailler avec les minorités se retournera
contre nous et nous aliènera la majorité de la population."
Il se peut que l'Administration ait été d'accord pour compter
sur les organisations dissidentes en Iran, même lorsqu'il y
avait une raison de croire que ces groupes avaient monté dans le
passé des opérations contre les intérêts américains.
L'utilisation des éléments baloutchis, par exemple, est
problématique, m'a dit Robert Baer, un ancien agent secret de la
CIA qui a travaillé pendant près de deux ans en Asie du Sud et
au Moyen-Orient. "Les Baloutchis sont des fondamentalistes
sunnites qui haïssent le régime de Téhéran, mais on peut les
décrire comme faisant partie d'Al-Qaïda", m'a dit Baer. "Se sont
des types qui coupent la tête des incroyants - et dans ce cas,
[les incroyants] sont les Chiites iraniens. L'ironie est qu'une
nouvelle fois, nous travaillons avec des fondamentalistes
sunnites, exactement comme nous l'avons fait en Afghanistan dans
les années 80." Ramzi Youssef, qui a été condamné pour son rôle
dans l'attentat à la bombe du World Trade Center en 1993, et
Khaled Cheikh Mohammed, qui est considéré comme l'un des
planificateurs des attaques du 11 septembre, sont des
fondamentalistes sunnites baloutchis.
L'un des groupes le plus actif et le plus violent aujourd'hui
contre le régime en Iran est le Djoundallah, connu aussi sous le
nom de Mouvement de la Résistance du Peuple Iranien, qui se
décrit lui-même comme une force de résistance qui se bat pour
les droits des Sunnites en Iran. "C'est une organisation
salafiste vicieuse dont les fidèles ont suivi les cours de la
même madrasa que les Taliban et les extrémistes pakistanais. Ils
sont soupçonnés d'avoir des liens avec Al-Qaïda et on pense
aussi qu'ils sont liés à la culture du pavot." Le Djoundallah a
endossé la responsabilité de l'attentat à la bombe d'un bus
rempli de soldats de la Garde Révolutionnaire, en février 2007.
Au moins 11 membres de la Garde ont été tués. Selon Baer et les
reportages de presse, le Djoundallah fait partie des groupes en
Iran qui bénéficient du soutien américain.
Les communautés de la CIA et des Opérations Spéciales ont aussi
des liens de longue date avec deux autres groupes dissidents en
Iran : le Moudjahidin-e-Khalq, connu en Occident sous le sigle
M.E.K., et un groupe séparatiste kurde, le Parti pour une Vie
Libre au Kurdistan, le PJAK.
Le M.E.K. est sur la liste terroriste du Département d'Etat
depuis plus de dix ans. Pourtant, ces dernières années, ce
groupe a reçu des armes et des renseignements, directement ou
indirectement, des Etats-Unis. Une partie de ces fonds secrets
nouvellement autorisés, m'a dit le conseiller du Pentagone,
pourrait très bien atterrir dans les coffres du M.E.K. "Le
nouveau corps expéditionnaire travaillera avec le M.E.K.
L'Administration attend désespérément des résultats". Il a
ajouté, "Le M.E.K. n'a pas d'expert-comptable qui vérifie ses
comptes et l'on pense que ses dirigeants se sont remplis les
poches pendant des années. Si les gens savaient ce que touche le
M.E.K. et les sommes qui atterrissent sur ses comptes bancaires
! Et pourtant, cela est pratiquement inutile pour les objectifs
qu'attend l'Administration."
Le parti kurde, le PJAK, que l'on a aussi rapporté comme
bénéficiant secrètement des largesses des Etats-Unis, mène des
actions contre l'Iran depuis des bases au Nord de l'Irak, depuis
au moins trois ans. (L'Iran, comme l'Irak et la Turquie, a une
minorité kurde, et le PJAK et les autres groupes ont recherché
l'autodétermination sur un territoire qui est à cheval sur ces
trois pays.) Ces dernières semaines, selon Sam Gardiner, le
stratège militaire, il y a eu une nette augmentation des
engagements armés du PJAK contre les Iraniens et des attaques
terroristes contre des cibles iraniennes. Début juin, l'agence
de presse Fars a rapporté qu'une douzaine de membres du PJAK et
quatre gardes frontières iraniens avaient été tués dans un
affrontement près de la frontière irakienne ; une attaque
similaire en mai avait tué trois Gardes Révolutionnaires
iraniens et neuf combattants du PJAK. Le PJAK a aussi soumis la
Turquie, un membre de l'OTAN, a des attaques terroristes
répétées et le soutien américain dont bénéficierait ce groupe a
été une source de friction entre les deux gouvernements.
Gardiner a aussi mentionné un voyage que le Premier ministre
irakien, Nouri al-Malaki, a fait à Téhéran en juin. A son
retour, Maliki a annoncé que son gouvernement interdirait tout
contact entre des étrangers et le M.E.K. - une gifle pour les
Etats-Unis qui traitent avec ce groupe. Maliki a déclaré que
l'Irak ne voulait pas être le terrain où se préparent les
opérations secrètes contre les autres pays. C'était un signe, a
dit Gardiner, que "Maliki choisit de plus en plus les intérêts
de l'Irak plutôt que ceux des Etats-Unis." En ce qui concerne
les accusations américaines de l'implication iranienne dans la
mort de soldats américains, a-t-il dit, "Maliki est réticent à
jouer le jeu consistant à accuser l'Iran." Gardiner a ajouté que
le Pakistan venait juste d'accepter de remettre un dirigeant du
Djoundallah au gouvernement iranien. Les opérations secrètes de
l'Amérique, dit-il, "semblent nuire aux relations avec les
gouvernements, à la fois de l'Irak et du Pakistan, et pourraient
bien renforcer le lien entre Téhéran et Bagdad."
La dépendance de la Maison Blanche sur des agents douteux et sur
des plans impliquant une action létale possible à l'intérieur de
l'Iran a soulevé tant la colère que l'inquiétude au sein des
Opérations Spéciales et des communautés du renseignement. On
pense que les opérations du JSOC en Iran sont façonnées sur un
programme qui a, avec quelques réussites, utilisé des
mandataires pour viser la direction Taliban dans les territoires
tribaux du Waziristân, le long de la frontière
pakistano-afghane. Mais les situations au Waziristân et en Iran
ne sont pas comparables.
Au Waziristân, "ce programme marche parce qu'il est petit et que
des types intelligents le gèrent", m'a raconté l'ancien
responsable des renseignements. "Il est exécuté par des
professionnels. La NSA, la CIA et la DIA" - l'Agence des
Renseignements Militaires - "sont là, sur le terrain, avec les
Forces Spéciales et les renseignements pakistanais, et ils
s'occupent de types vraiment méchants." Il a ajouté, "Nous
devons vraiment faire très attention lorsque nous demandons
l'intervention des missiles. Nous devons toucher certaines
maisons à certains moments. Les gens sur le terrain observent à
la jumelle à une distance de quelques centaines de mètres et
donnent les localisations, en latitude et en longitude. Nous
laissons rôder le Prédateur, jusqu'à ce que les cibles
localisent une maison et nous devons nous assurer que nos hommes
sont suffisamment loin afin de ne pas être touchés." L'une des
victimes la plus importante de ce programme, m'a dit l'ancien
responsable, était Abou Laith al-Libi, un haut commandant
Taliban, qui aurait été tué le 31 janvier dans une frappe de
missile qui a tué aussi onze autres personnes.
Une dépêche publiée le 26 mars par le Washington Post
faisait état d'un nombre croissant de frappes couronnées de
succès contre les Taliban et d'autres unités d'insurrection dans
les zones tribales du Pakistan. Un article complémentaire
faisait remarquer qu'en riposte les Taliban avaient tué "des
douzaines de personnes" soupçonnées d'avoir donné des
informations aux Etats-Unis et à leurs alliés sur les allées et
venues des dirigeants Taliban. On pense qu'un grand nombre de
ces victimes étaient des espions américains et leurs exécutions
- dans un cas, une décapitation - furent enregistrées sur vidéo
et distribuées par DVD pour mettre en garde les autres.
Il n'est pas simple de reproduire ce programme en Iran. "Tout le
monde se querelle sur la liste de cibles de haute valeur", a dit
l'ancien responsable des renseignements. "Les gars des Opé
Spéciales sont énervés parce que le cabinet de Cheney fixe les
priorités sur des catégories de cibles et il est désormais
impatient et exerce des pressions pour obtenir des résultats.
Mais cela prend beaucoup de temps pour que les bonnes personnes
soient en place."
Le conseiller du Pentagone m'a dit, "Nous avons eu d'excellents
résultats dans la Corne de l'Afrique avec l'utilisation
d'indicateurs et de leurres - des tactiques basiques de
contre-espionnage et de contre-insurrection. Et nous avons
commencé à les embrouiller en Afghanistan. Mais la Maison
Blanche va tuer ce programme si elle l'utilise contre l'Iran.
C'est une chose de s'engager dans des frappes et des assassinats
sélectifs au Waziristân et cela en est une autre en Iran. La
Maison Blanche pense que la même chose peut s'appliquer partout,
mais les questions légales entourant les assassinats
extrajudiciaires au Waziristân sont moins un problème parce
qu'Al-Qaïda et les Taliban traversent la frontière pour entrer
en Afghanistan et en revenir, souvent avec les forces de l'OTAN
à leur poursuite. La situation n'a rien d'aussi clair dans le
cas de l'Iran. Toutes les considérations - judiciaires,
stratégiques et politiques - sont différentes en Iran."
Il a ajouté, "Il y a une immense opposition au sein de la
communauté des renseignements à l'idée de livrer une guerre
secrète à l'intérieur de l'Iran et d'utiliser les Baloutchis et
les Ahwazis comme substituts. Les dirigeants de notre communauté
des Opérations Spéciales ont tous un courage remarquable, mais
ils sont moins enclins à exprimer leur opposition à cette
politique. L'Iran n'est pas le Waziristân."
Un sondage de l'institut Gallup réalisé en novembre dernier,
avant que le NIE ne soit rendu public, trouvait que 73% de ceux
qui avaient été interrogés pensaient que les Etats-Unis devaient
utiliser l'action économique et la diplomatie pour stopper le
programme nucléaire iranien, tandis que 18% seulement étaient
favorables à une action militaire directe. Les Républicains sont
deux fois plus disposés que les Démocrates à soutenir une frappe
militaire. La lassitude avec la guerre en Irak a sans aucun
doute affecté la tolérance du public pour une attaque contre
l'Iran. Toutefois, l'humeur pourrait changer rapidement. Le
potentiel pour une escalade est devenu clair début janvier,
lorsque cinq bateaux patrouilleurs iraniens, que l'on pense
avoir été sous le commandement des Gardes Révolutionnaires, ont
fait une série de gestes agressifs en direction de trois navires
de guerre de la Navy qui naviguaient à travers le Détroit
d'Ormuz. Les reportages initiaux de cet incident, rendu public
par le bureau de presse du Pentagone, disaient que les Iraniens
avaient proféré des menaces par radio de bateau à bateau, de
"faire sauter" les navires américains. Lors d'une conférence de
presse de la Maison Blanche, le Président, le jour de son départ
pour un voyage de huit jours au Moyen-Orient, a dit que cet
incident est une "dangereuse provocation" et il y a eu, très
brièvement, un sentiment de crise et d'indignation vis-à-vis de
l'Iran. "NOUS SOMMES A DEUX MINUTES DE LA GUERRE" a titré un
quotidien britannique.
Cette crise fut rapidement désamorcée par le vice-Amiral Kevin
Cosgriff, le commandant des forces navales dans la région. Aucun
tir de semonce n'a eu lieu, a déclaré l'Amiral au corps de
presse du Pentagone le 7 janvier, via une téléconférence depuis
son QG à Bahreïn. "Oui, c'est plus sérieux que ce que nous
avions considéré, mais, pour remettre les choses dans leur
contexte, nous communiquons vraiment régulièrement avec les
Gardes Révolutionnaires et leur Marine ", a dit Cosgriff. "Je
n'ai pas eu le sentiment en lisant les rapports que je recevais
qu'il y avait une raison d'être effrayé par ces cinq bateaux."
La prudence de l'Amiral Cosgriff était parfaitement fondée : en
une semaine, le Pentagone a reconnu qu'il ne pouvait pas
identifier avec certitude les bateaux iraniens comme source de
la transmission radio scandaleuse. Des reportages de presse ont
suggéré à la place que leur provenance était celle d'un farceur,
connu depuis longtemps pour envoyer de faux messages dans la
région. Néanmoins, le comportement de Cosgriff mit Cheney en
colère, selon l'ancien responsable des renseignements. Mais une
leçon a été apprise de cet incident : le public avait soutenu
l'idée d'une riposte et demandait même pourquoi les Etats-Unis
n'en avaient pas fait plus. Cet ancien responsable a dit que,
quelques semaines plus tard, une réunion a eu lieu dans le
bureau du vice-Président. "Le sujet était comment créer un
casus belli entre Téhéran et Washington," a-t-il dit.
En juin, le Président Bush s'est rendu en Europe pour une
tournée d'adieu. Il a pris le thé avec la Reine Elizabeth II
[d'Angleterre] et a dîné avec Nicolas Sarkozy et Carla Bruni.
Les affaires sérieuses se sont déroulé à huis clos et ont
impliqué une série de réunions sur un nouvel effort diplomatique
pour persuader les Iraniens d'arrêter leur programme
d'enrichissement d'uranium. (L'Iran soutient que son programme
d'enrichissement n'a que des objectifs civils et qu'il est
légal, en vertu du Traité de Non-Prolifération Nucléaire - le
TNP.) [N. du T. : Ce qui est parfaitement exact] La Secrétaire
d'Etat Rice a été impliquée pour développer un nouvel ensemble
de mesures d'encouragement. Mais la position essentielle de
négociation de l'Administration a semblé inchangée : des
pourparlers ne peuvent avoir lieu tant que l'Iran n'a pas arrêté
son programme. Les Iraniens ont régulièrement et catégoriquement
rejeté cette condition préalable, laissant la situation
diplomatique dans l'impasse ; ils n'ont pas encore répondu
officiellement à ces nouvelles offres.
L'impasse continue alarme de nombreux observateurs. Joschka
Fischer, l'ancien ministre allemand des affaires étrangères, a
écrit récemment dans un article de presse qu'il pourrait "être
possible de ne pas geler le programme nucléaire iranien pour la
durée des négociations, afin d'éviter une confrontation
militaire avant qu'elles ne soient achevées. Si cette nouvelle
tentative devait échouer, les choses deviendraient rapidement
sérieuses. Mortellement sérieuses." Lorsque je lui ai parlé la
semaine dernière, Fischer, qui a des contacts étendus dans la
communauté diplomatique, a dit que la toute dernière approche
européenne incluait un nouvel élément : que les Européens et les
Etats-Unis étaient prêts à accepter quelque chose de moins qu'un
arrêt complet de l'enrichissement comme étape intermédiaire.
"Cette proposition dit que les Iraniens doivent cesser de
fabriquer des centrifugeuses et l'autre camp mettra un terme à
toutes les activités supplémentaires de sanction au sein du
Conseil de Sécurité des Nations Unies", a dit Fischer, bien que
l'Iran doive toujours geler ses activités d'enrichissement
lorsque les négociations officielles commenceront. "Ceci
pourrait être acceptable pour les Iraniens - s'ils font preuve
de bonne volonté."
La grande question, a ajouté Fischer, se trouve à Washington.
"Je pense que les Américains sont profondément divisés sur la
question de ce qu'il fait faire au sujet de l'Iran", a-t-il dit.
"Certains officiels sont préoccupés par les retombées d'une
attaque militaire et d'autres pensent qu'une attaque est
inévitable. Je connais les Européens, mais je n'ai aucune idée
jusqu'où iront les Américains sur cette question."
Il y a une autre complication : la politique présidentielle
américaine. Barack Obama a déclaré que s'il est élu, il
entamerait des pourparlers avec l'Iran sans conditions
préalables qui "iraient à l'encontre du but recherché"
(toutefois, seulement après que le terrain diplomatique aura été
balisé). Cette position a été vigoureusement critiquée par John
McCain. Le Washington Post a cité récemment Randy
Scheunemann, le directeur de campagne de McCain pour les
questions de sûreté nationale, qui a exposé que McCain soutient
la position de la Maison Blanche et que ce programme doit être
suspendu avant d'entamer les pourparlers. Ce qu'Obama propose,
dit Scheunemann, "est une politique unilatérale de rencontre au
sommet façon cow-boy."
Scheunemann, qui est connu pour être un néoconservateur, est
aussi le canal le plus important de communication avec la Maison
Blanche pour la campagne de McCain. Il est un ami de David
Addington, le chef de cabinet de Dick Cheney. J'ai entendu des
comptes-rendus qui diffèrent sur l'influence de Scheunemann sur
McCain ; Bien que certaines personnes proches de la campagne de
McCain parlent de lui comme d'un possible conseiller à la sûreté
nationale, d'autres disent qu'il n'est pas une personne prise au
sérieux tandis "qu'il dit à Cheney et aux autres ce qu'ils
veulent entendre". C'est ce qu'affirme l'un des conseillers de
McCain.
On ne sait pas si McCain, qui est le Républicain de plus haut
rang à la Commission sénatoriale sur les forces armées, a été
officiellement informé des opérations en Iran. Lors de la
conférence annuelle de l'AIPAC [le tout-puissant lobby d'Israël
aux Etats-Unis] en juin, Obama a répété son engagement pour une
"stricte diplomatie de principe". Mais il a aussi dit, comme
McCain, qu'il garderait la menace d'une action militaire contre
l'Iran sur la table.
Traduit de l'anglais par [JFG/QuestionsCritiques]
Publié le 1er juillet 2008 avec l'aimable
autorisation de Questions Critiques
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