Opinion
Occident/Libye : la récompense
néocolonialiste
Seyed Abdollah Hoseini
Samedi 19 novembre
2011
(un point de vue iranien :
Mail and Guardian – 4/11/11)*
Il n’a pas fallu longtemps : un jour à
peine après que les images sanglantes de
Mouammar Kadhafi traîné, battu et
poignardé eurent fait le tour de Syrte
et du monde, une annonce fut faite que,
semble-t-il, tout le monde attendait et
que certains journaux ont appelé
« le coup de feu du départ ».
Le nouveau secrétaire à la Défense
britannique, Philip Hammon, annonçait
que les compagnies britanniques devaient
faire leur valise et se rendre en Libye
pour arracher les fabuleux contrats de
reconstruction. Cela résonnait de façon
étrangement familière. Pensons aux
Américains défilant en Irak, après
l’invasion, pour aider à « l’effort
de reconstruction ». Il ne fait
aucun doute que ce modus operandi
définira très vite ce qui semble n’être
rien de moins qu’une nouvelle forme de
néo-colonialisme au Moyen-Orient : les
militaires américains, ou de l’Otan (ou
ensemble) détruiront votre pays sous
prétexte d’y introduire la démocratie et
ensuite, les compagnies occidentales se
partageront la part du lion pour le
reconstruire.
Et, comme le Conseil National de
Transition a déjà annoncé la
couleur, dit qu’il
« récompenserait » les pays qui
étaient à ses côtés pendant la
« révolution », ce n’est un secret
pour personne qui sera le plus grand
profiteur de guerre.
Moralité sélective
Alors que par le passé, la Libye de
Kadhafi traitait avec la Chine, la
Russie et l’Italie, le terrain a
maintenant été, pour ainsi dire,
aplani. Même si les Etats-Unis
prétendent n’avoir eu qu’un rôle « en
coulisse » dans le renversement de
Kadhafi, il est certain qu’ils veulent
devenir l’acheteur numéro un du pétrole
en Libye pour compenser les années de
frustration qu’ils ont connues. Mais,
ils voudront, en temps voulu, une plus
grosse part du pétrole libyen qu’ils ne
le laissent croire aujourd’hui.
On dira bientôt que la fin justifie les
moyens, à savoir : le renversement d’un
dictateur qui a terrorisé son
peuple pendant quarante ans et, certes,
personne de bonne foi ne peut endosser
ce que le colonel a fait à la Libye.
Mais, la moralité sélective à l’œuvre
ici entraîne quelques questions.
L’Otan s’est battu la coulpe pour
« protéger les civils libyens »
(et, à la fin, a dépassé son
propre mandat pour commettre des
assassinats ciblés et bombarder les
civils) mais ne semble pas s’être soucié
du peuple bahraini, opprimé sous le joug
des gouvernants al-Khalifa. Les deux
pays avaient un dictateur, à leur tête,
mais un est resté au pouvoir. Les deux
peuples se sont levés pour défendre
leurs droits et sont descendus dans la
rue. Un seul a été autorisé à massacrer
son peuple dans la rue, aidé en cela par
le bastion de la démocratie, qu’est son
voisin, l’Arabie saoudite. L’autre fut
renversé.
Des vérités embarrassantes
La vérité est que les superpuissances
n’ont pas éliminé Kadhafi parce que
c’est cela qu’il fallait faire, mais
parce qu’il ne leur servait plus à rien.
Après tout quelle menace la Libye de
Kadhafi représentait-elle pour le
monde ? Kadhafi avait déjà renoncé à son
programme d’armement nucléaire,
indemnisé les victimes de l’attentat de
Lockerbie, dénoncé le « terrorisme »
et, en fait, comme le démontrent les
documents, maintenant, avait activement
coopéré avec les services d’intelligence
de l’Occident pour neutraliser al-Qaïda
en Afrique du nord et en Libye, en
particulier.
En outre, il était plus judicieux, par
ailleurs, de laisser les
« révolutionnaires » lyncher
Kadhafi que de le passer en jugement.
Des vérités embarrassantes auraient pu
être révélées comme elles l’auraient été
si le procès de Saddam Hussein avait
duré plus de cinq minutes. Ce sont des
vérités qui soulignent la complicité de
l’Occident dans la répression de la
démocratie dans les pays que l’Otan
prétend maintenant défendre.
Le fiasco libyen, dans lequel toutes les
lois du droit international ont été
violées, a été une diversion opportune.
Alors que les pays occidentaux étaient
aux prises avec des manifestations dans
leurs grandes villes contre le
traitement honteux de l’économie par
leurs gouvernements et les
sauvetages financiers massifs de
Wall Street, voici que se projette
une nouvelle histoire à la télé. Loin de
se soucier de leurs propres problèmes
domestiques, les Berlusconi, Obama,
Cameron et le reste de la Coalition des
Volontaires se précipitent dans une
guerre et le soutien à des
« révolutionnaires » assoiffés de
sang, au large de leurs frontières.
Résurgence de l’Iran
dans le jeu moyen-oriental
L’administration US a au moins retenu
une chose de ses erreurs passées. Dans
le cas de la Libye, elle ne s’est pas
mise en avant, même si elle a fait
le vrai travail. Elle a laissé aux
rebelles le crédit de la déstabilisation
du pays qu’elle avait engendrée. La
Libye doit aussi être analysée dans le
contexte des événements récents au
Moyen-Orient et la nécessité pour
certains pays comme les Etats-Unis de
réaffirmer leur domination là où leur
étoile faiblit.
Les Etats-Unis sont en train de perdre
en Afghanistan et en Irak. Le Printemps
arabe les a privés de deux de leurs
vieux alliés, la Tunisie et l’Egypte. En
Syrie, toutes les tentatives faites pour
mettre à bas le régime de Bachar al-Assad
ont échoué parce que l’Iran est un allié
puissant du gouvernement syrien.
Dernièrement, le président afghan, Hamid
Karzai, a déclaré que, si une guerre
éclatait entre les Etats-Unis et le
Pakistan, les Afghans soutiendraient
leurs frères. L’Irak a dit à peu près la
même chose s’agissant de l’Iran et de
toute attaque menée à partir de son sol.
L’alliance occidentale, s’appuyant sur
la force américaine, perd peu à peu du
terrain sur les terres stratégiques du
Moyen-Orient. Ses amis en haut lieu
s’éclipsent et la résurgence de l’Iran
dans le jeu moyen-oriental rend les
choses encore plus précaires.
Maintenant, elle a un nouvel ami
« les révolutionnaires libyens ».
Question: quand on a de tels amis, dans
les rangs desquels interviennent
d’anciens opérationnels d’Al-Qaïda,
a-t-on besoin d’ennemis ?
Traduction : Xavière Jardez
Seyed Hoseini est le fondateur du
Centre Islamique pour l’Afrique et
le président de South Africa/Iran
Friendship Association
*
http://mg.co.za/article/2011-11-04-west-rushes-to-grab-its-libya-reward/
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 19 novembre 2011 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
Le sommaire de Gilles Munier
Les dernières mises à jour
|