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Counterpunch
Les
Etats-Unis, Israël et l’Iran
Interview
de Sasan Fayazmanesh
propos
recueillis par Mehran Ghassemi *
on Counterpunch, 17 mars 2007
http://www.counterpunch.org/sasan03172007.html
[Sasan
Fayazmanesh est le président de la Faculté d’Economie de l’Université
d’Etat de Californie, à Fresno.]
Quelle
évaluation faites-vous des relations entre les Etats-Unis et Israël,
à l’heure actuelle ? Sur quoi ces relations sont-elles
fondées, de votre point de vue ?
Tout d’abord, permettez-moi d’indiquer que je suis en train
d’écrire un livre – au titre ambitieux Les Etats-Unis et l’Iran :
des sanctions, de la guerre, et de la politique du double containment [The United States and Iran: Sanctions, Wars and the
Policy of Dual Containment] –, un ouvrage qui fera la chronique
des relations entre les Etats-Unis, Israël et l’Iran depuis
1979.
Ce livre (qui devrait être terminé vers la fin de l’été)
examine de manière exhaustive l’évolution de la politique états-unienne
du « double
containment », c’est-à-dire du maintien en respect de
l’Iran et de l’Irak, en particulier en ce qui concerne
l’Iran. Je pense qu’à défaut d’une analyse exhaustive de
ce type, il est bien difficile d’apporter des réponses sensées
et satisfaisantes à beaucoup de questions que l’on me pose
souvent, au sujet de l’imbroglio actuel entre l’Iran, d’un côté,
et les Etats-Unis et Israël, de l’autre. Cette réserve ayant
été formulée, je répondrais, à votre question, en disant que
jamais, sous les administrations précédentes, les relations
entre les Etats-Unis et Israël n’avaient été aussi étroites
qu’actuellement, sous l’administration Bush.
Pourquoi en est-il ainsi, et sur quoi cette relation est-elle basée ?
Voilà des questions qui requièrent le genre d’analyse globale
à laquelle je viens de faire allusion… Mais permettez-moi
simplement de dire que, comme chacun sait, la politique
moyen-orientale de l’actuelle administration (américaine) est déterminée
par les « néocons », c’est-à-dire des individus
qui ne voient virtuellement aucune différence entre l’ « intérêt »
des Etats-Unis et celui d’Israël, et qui peuvent même faire
passer l’ « intérêt » du second nommé devant
celui du premier. Mais je place « néocons » entre
guillemets, car, pour des raisons que je ne développerai pas ici,
il s’agit d’un terme ambigu et surfait. Je mets aussi le mot
« intérêts » entre guillemets, car il convient de
faire un distinguo entre, d’une part, des intérêts perçus et
des intérêts réels, et entre, d’autre part, l’intérêt des
citoyens comme vous et moi, et ceux de l’élite. Les
individualités qui font la politique étrangère des Etats-Unis,
en particulier les « néoconservateurs », représentent
un groupe privilégié de gens ayant une vision unique et très
particulière du monde. Pour ces « néocons », faire
des guerres contre la Palestine, l’Irak, le Liban, et peut-être,
demain, contre l’Iran et la Syrie, cela peut sembler être dans
l’ « intérêt » des Etats-Unis, même si en réalité
ces politiques pourraient s’avérer très dommageables pour
l’intérêt des citoyens ordinaires des Etats-Unis, en
particulier sur le long terme.
Les actuelles relations entre les Etats-Unis et Israël, bien
entendu, vont au-delà de la question de la puissance des « néoconservateurs »
à la Maison-Blanche. Le Congrès des Etats-Unis, lui aussi, était,
et demeure à ce jour, un allié très proche d’Israël.
Toutefois, étant donné que la guerre des Etats-Unis contre l’Irak
est calamiteuse – et étant donné le fait que les Etats-Unis
ont été poussés de but en blanc à déclencher cette guerre par
des hommes politiques israéliens et leurs alliés « néoconservateurs »
aux Etats-Unis, il appert que certains membres du Congrès américain
ressentent, depuis peu, un certain malaise devant le soutien
aveugle et sans équivoque accordé à Israël par les Etats-Unis.
Quelle évaluation faites-vous de l’intégration
entre les politiques états-unienne et israélienne ?
Comme cela ressort clairement de ma précédente réponse, l’intégration
entre les politiques états-unienne et israélienne n’a rien de
nouveau ; elle date de plusieurs décennies. Mais, conformément
à ce que j’ai indiqué plus haut, sous l’administration américaine
actuelle, cette intégration a atteint un niveau encore jamais
constaté. Même au début de l’administration Bush, l’intégration
n’était pas aussi forte qu’elle le devint par la suite. Nous
nous rappelons tous qu’immédiatement après les événements du
11 septembre 2001, l’administration Bush évoqua la création
d’un Etat palestinien, et entama une danse de cour avec
l’Iran.
Mais les confidences et la danse cessèrent aussitôt que les
forces israéliennes présentes tant aux Etats-Unis qu’ailleurs
furent intervenues. Le témoignage de Benjamin Netanyahu, en date
du 21 septembre 2001, devant le Congrès des Etats-Unis – un témoignage
au cours duquel il déclara que « si les Etats-Unis incluent
des régimes sponsorisant le terrorisme comme la Syrie, l’Iran
ou l’Autorité palestinienne à une coalition contre le
terrorisme mondial, alors cette alliance « sera battue
d’avance » - dressa le décor en vue d’un renversement
radical de la politique états-unienne nouvellement conçue. De même,
l’avertissement lancé le 6 octobre 2001 par Sharon, selon le
quel les Etats-Unis « ne devraient pas réitérer leur
terrible erreur de 1938 » tua dans l’œuf toute tentative
de modérer la politique américaine. Enfin, le 6 janvier 2002,
l’affaire Karine-A – Israël ayant soi-disant arrêté un
navire transportant des armes iraniennes à destination d’une
formation armée de l’Autorité palestinienne – mit un terme définitif
à tout rapprochement entre les Etats-Unis et l’Iran, ainsi
qu’à toute tentative de mettre sur pied un Etat palestinien. Le
résultat, ce fut le discours sur l’état de l’Union, prononcé
le 29 janvier 2002 par le président George Deubeuliou Bush, dans
lequel le concept « néoconservateur » de l’ « axe
du mal », inventé semble-t-il par un certain David Frum,
fut mis en avant. Depuis lors, les « néocons »
semblaient avoir un contrôle complet de la politique des
Etats-Unis au Moyen-Orient, et qu’ils intégraient totalement
cette politique à celle d’Israël.
Que
pensez-vous du rôle et de la position du lobby pro-israélien aux
Etats-Unis ? Existe-t-il, en Israël, des lobbies du même
type, qui défendraient les intérêts des Etats-Unis ?
C’est là une question très vaste et complexe, dont la réponse
nécessiterait, à elle seule, un livre ! Il y a, bien
entendu, un certain nombres d’articles et d’ouvrages consacrés
à la question des divers groupes de lobbying pro-israélien aux
Etats-Unis, en particulier à l’Aipac [American Israel Public
Affairs Committee]. Le plus récent de ces essais, et probablement
le plus complet et le plus académique, est celui de John
Mersheimer et Stephen Walt, disponibles en accès libre sur
Internet. Mais même cette analyse n’est pas assez détaillée
et, malheureusement, les détails fournis ne figurent qu’en
notes de bas de page. Mon livre traitera de cette question bien
plus en détail, mais seulement dans les cas où l’Iran est
concerné. Autrement dit, j’enquête sur le rôle qu’ont joué
les différents groupes et individus du lobbying israélien, en
particulier depuis le début des années 1990, dans la formulation
de la politique étrangère états-unienne vis-à-vis de l’Iran.
Ce rôle, dirais-je, est particulièrement large…
De fait, j’avance que nous devons remonter la filière de ce rôle
jusqu’à Martin Indyk, conseiller en communication de l’ancien
Premier ministre israélien Yitzhak Shamir, qui appartient à l’Aipac,
et qui est le directeur de l’Institut Washington pour la
Politique moyen-orientale (un rejeton de l’Aipac), ainsi que
vice-Secrétaire d’Etat chargé des affaires moyen-orientale près
le Département d’Etat des Etats-Unis sous l’administration
Clinton, et précédent ambassadeur des Etats-Unis en Israël.
Dans son discours inaugural après sa nomination en qualité de
conseiller de Clinton en matière de sécurité nationale, Indyk
avait déclaré :
La politique de ‘dual containment’ de l’administration
Clinton, tendant à tenir en respect à la fois l’Irak et l’Iran,
dérive, au premier chef, d’une évaluation selon laquelle les régimes
irakien et iranien actuels sont tout aussi hostiles l’un que
l’autre aux intérêts américains dans la région. Par conséquent,
nous n’acceptons pas l’argument selon lequel nous devrions
poursuivre le jeu suranné de l’équilibre des forces,
consistant à renforcer un côté afin qu’il serve de
contrepoids à l’autre… La coalition qui combat Saddam Hussein
restera unie, aussi longtemps que nous serons en mesure de perpétuer
notre présence militaire dans la région, et aussi longtemps que
nous réussirons à restreindre les ambitions militaires tant de
l’Irak que de l’Iran. Aussi longtemps, aussi, que nous
pourrons faire confiance à nos alliés régionaux : l’Egypte,
Israël, l’Arabie Saoudite et le Conseil des Emirats du Golfe,
ainsi que la Turquie, pour conserver un équilibre des forces en
notre faveur dans le Grand Moyen-Orient – nous détiendrons les
moyens de contrer à la fois le régime irakien et le régime
iranien. Nous n’aurons pas besoin de dépendre de l’un pour
contrer l’autre…
Comme je le dis, dans mon livre, l’affirmation d’Indyk, selon
qui la politique de double contention de l’Iran et de l’Irak
aurait été quelque chose d’entièrement neuf était largement
exagérée, et les prémisses de cette politique remontent dans le
passé jusqu’à l’administration Carter, et en particulier à
Zbigniew Brzezinski. Ceci mis à part, toutefois, j’affirme
qu’avec l’aide de Martin Indyk, une poignée d’autres
personnes, dans la Maison Blanche sous Clinton, ainsi qu’une
poignée de gens puissants au sein du Congrès, divers groupes de
lobbying israéliens, en particulier l’Aipac, devinrent des nègres
rédigeant la politique de sanction des Etats-Unis à l’encontre
de l’Iran. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne
l’Iran-Libya Sanctions Act, adopté en 1996. Mais Indyk, à mon
avis, représentait l’aile modérée des groupes de lobbying
israélien, en général, et au sein du Washington Institute, plus
particulièrement. C’était un proche du parti travailliste israélien.
Avec l’arrivée au pouvoir de l’administration Bush, des
membres plus radicaux du Washington Institute, tels Paul Wolfowitz
et Richard Perle, reprirent en mains la formulation et la mise en
application de la politique moyen-orientale de la Maison Blanche.
Ces « néoconservateurs » étaient étroitement liés
à des membres du Likoud (parti conservateur, de droite) israélien,
en particulier à Benjamin Netanyahu. De ce simple fait, l’idée
qu’ils se faisaient de la « contention » de l’Iran
et de l’Irak allaient bien plus loin que la façon de tourner
autour du pot consistant à adopter des sanctions afin de ruiner
l’économie de ces pays, ce qui entraînerait du mécontentement,
des révoltes et, « donc », le renversement de leur
gouvernement ; ils recommandaient une manière beaucoup plus
directe de « changer les régimes » : au moyen de
la puissance militaire des Etats-Unis, utilisée contre ces pays récalcitrants.
Quand
bien même certains de ces individus ne sont plus en fonctions, il
y a toujours beaucoup de carafons du même genre dans
l’administration américaine actuelle. Une de ces fortes têtes,
c’est Elliott Abrams, actuel vice conseiller ès sécurité
nationale en vue d’une stratégie de démocratie mondiale. Il
s’agit là, bien entendu, d’une personnalité fort connue, qui
avait été jugée coupable (puis blanchie) dans le cadre du
scandale Iran-Contra. Autre forte tête : Stephen Hadley,
actuel conseiller ès sécurité nationale du président Bush.
Sous l’ancien président H.W. Bush, Hadley avait été un des
assistants de Wolfowitz, alors sous-secrétaire d’Etat à la Défense.
Mais il y a une nouvelle bobine, en la personne de Stuard Levey,
actuel sous-secrétaire au terrorisme et à l’intelligence
financière près le Département du Trésor. Ce Levey travaillait
d’arrache-pied afin de dissuader des banques étrangères
(non-américaines) de faire des affaires avec certaines banques
iraniennes.
En 2005, Stuart Levey prononça une conférence devant l’Aipac,
commençant par ceci : « C’est un réel plaisir
pour moi de discuter avec vous, aujourd’hui. Je suis un grand
admirateur du très bon travail que fait votre organisation depuis
l’époque où je suivais un programme d’une année à l’Université
hébraïque (de Jérusalem), en 1983-1984. Je tiens à vous féliciter
pour l’important travail que vous êtes en train de faire pour
promouvoir des liens très forts entre Israël et les Etats-Unis,
et pour plaider en la faveur d’une paix durable au Moyen-Orient. »
Après quoi, il poursuit en évoquant ce que son bureau fait et
comment « nous préconisons des sanctions économiques afin
d’exercer une pression sur des régimes obstructionnistes, et
nous avons la capacité de geler les avoirs des malfaiteurs. »
L’influence
des groupes de lobbying israélien ne se limite pas, bien entendu,
à leurs membres et à leurs associés à la Maison Blanche :
le lobby est très influent, aussi, au Congrès des Etats-Unis.
Son site ouèbe confirme cette influence, affirmant :
Depuis
plus d’un demi-siècle, l’Aipac œuvre afin de faire qu’Israël
soit plus sûr, en faisant en sorte que le soutien américain
demeure puissant. D’une petite boutique de relations publiques,
dans les années 1950, l’Aipac est devenue, aujourd’hui, un
mouvement de base comptant plus de 100 000 membres répartis sur
tout le territoire des Etats-Unis – un mouvement décrit par le
New York Times comme « la plus importante organisation américaine
exerçant une influence sur les relations entre l’Amérique et
Israël ».
Le lobbying politique est un des moyens les plus efficaces utilisés
par l’Aipac afin d’accomplir sa mission. Chaque année, l’Aipac
est impliqué dans plus de cent initiatives législatives et
politiques visant à élargir et à approfondir le lien entre les
Etats-Unis et Israël.
Parmi ces « plus de cent initiatives législatives et
politiques » auxquelles contribue l’Aipac, il y a les
nombreux projets de lois d’imposition de sanctions à
l’encontre de l’Iran, auxquelles j’ai déjà fait allusion
plus haut. A l’évidence, en raison du peu d’espace qui
m’est ici imparti, je ne peux développer cet aspect, et vous
devrez patienter jusqu’à ce que j’aie terminé mon bouquin…
Quant à la deuxième partie de votre question, je n’ai pas de réponse.
C’est-à-dire que la question de savoir s’il existe, en Israël,
des groupes de lobbying similaires, défendant les intérêts des
Etats-Unis, n’est pas une question sur laquelle je me sois penché,
personnellement…
Vous
avez lancé le terme Usraël. Quelle interprétation aviez-vous à
l’esprit, en lançant ce néologisme ? Quelles sont les
implications de concept pour les relations internationales ?
Apparemment, certaines personnes ont attribué la création du
terme « USraël » à ma frêle personne…
Malheureusement, je ne suis pas l’inventeur de ce néologisme.
Il existait déjà quand il a fait son apparition dans certains de
mes textes. Je l’ai utilisé dans le sens où, sous
l’administration Bush,
les politiques étrangères d’Israël et des Etats-Unis
convergeaient au point d’en devenir virtuellement impossibles à
distinguer. Comme je l’ai déjà expliqué, ce phénomène avait
commencé à se manifester quelques semaines après les attentats
du 11 septembre 2001, à une époque où les « néoconservateurs »
alignèrent la politique moyen-orientale des Etats-Unis sur celle
du Likoud. Etant donné cet alignement, il n’y a aucune différence
politique entre les Etats-Unis et Israël en ce qui concerne la
Palestine, l’Irak, l’Iran, la Syrie ou le Liban.
Tel n’était pas le cas, sous les précédentes administrations
américaines. Ainsi, par exemple, sous l’administration Clinton,
le Likoud et ses homologues « néocons » aux
Etats-Unis tentaient de durcir l’attitude américaine vis-à-vis
de l’Iran. Mais vers la fin de l’ère Clinton, la Secrétaire
d’Etat américaine Madeleine Albright, sous la pression du lobby
des affaires américain, tenta de modifier la direction de la
politique belliqueuse envers l’Iran, au grand dam du lobby israélien.
Le discours d’Albright, en date du 17 mars 2000, au cours duquel
elle présenta quasiment des excuses à l’Iran pour le coup d’Etat
fomenté par la CIA dans ce pays en 1953, évoquant le caractère
« regrettablement à courte vue » de la politique américaine
consistant à soutenir Saddam Hussein durant la guerre Irak-Iran
fit notamment partie de sa tentative de rapprochement. Nous
n’avons plus vu de rapprochements de cette nature depuis que les
« néocons » ont pris le contrôle de la politique
moyen-orientale américaine, la transformant quasiment en une
politique moyen-orientale israélienne bis.
L’alignement quasi total des politiques étrangères américaine
et israélienne a eu une conséquence profonde pour l’ensemble
du Moyen-Orient. Ainsi, les Etats-Unis avaient coutume de prétendre
être un « honnête courtier » entre les Israéliens
et les Palestiniens. Mais cette couche de vernis a pour
l’essentiel disparu, et les Etats-Unis ne prétendent même
plus, aujourd’hui, être un médiateur neutre. Depuis l’après-11
septembre, Israël a les coudées franches pour traiter (ou non)
avec les Palestiniens. Il a eu, de plus, les mains entièrement
libres pour lancer sa guerre d’agression contre la population
libanaise, durant l’été dernier. De fait, tandis que le monde
entier contemplait ce qui se passait, les Etats-Unis devinrent le
partenaire d’Israël, dans cette guerre. En ce qui concerne l’Iran,
comme je l’ai déjà dit plus haut, l’implication est
particulièrement claire : Israël et ses diverses
succursales aux Etats-Unis représentent, aujourd’hui la toute
première force à pousser les Etats-Unis à une confrontation armée
avec l’Iran.
Quelle
évaluation faites-vous des développements politiques entre les
Etats-Unis et Israël ? Par exemple, le changement dans l’équilibre
des pouvoirs au Congrès américain, ou l’arrivée au pouvoir
d’une nouvelle faction, différente, en Israël, ont-ils eu un
impact sur les intérêts stratégiques des deux pays ?
De ce que j’ai affirmé plus haut, il ressort qu’à l’évidence,
historiquement, tant le parti démocrate que le parti républicain
n’ont cessé de soutenir une politique de « contention »
de l’Iran depuis [sa révolution islamique, en] 1979. Ce soutien
semble appelé à se poursuivre à l’avenir, également. Ainsi,
par exemple, le 24 janvier 2007, le Jerusalem Post rapportait de
la Conférence d’Herzliya (en Israël) qu’ « en des
temps où la plupart des démocrates états-uniens prônent un
moindre engagement militaire à l’étranger, Edwards, de la
Caroline du Sud, a dit aux participants à cette conférence qu
son pays doit faire tout son possible afin d’empêcher l’Iran
d’acquérir des armes nucléaires. » D’après ce même
reportage, Edwards, un candidat démocrate à la présidentielle
en vue, a déclaré : « Toutes les options sont
sur la table, afin de s’assurer que l’Iran n’obtiendra
jamais d’arme nucléaire. » De la même manière,
l’agence Associated Press rapportait, le 2 février 2007, qu’Hillary
Clinton, autre candidate démocrate en vue à la présidentielle,
s’adressa à une manifestation de l’Aipac, la veille,
affirmant : « Je me suis prononcée en faveur de l’opération
armée [engagement] contre nos ennemis, qui sont aussi les ennemis
d’Israël. »
Le premier « ennemi » commun aux deux pays, c’était,
bien entendu, l’Iran. D’après le même reportage, Hilary
Clinton a déclaré alors que « notre politique étrangère
doit être claire et sans équivoque : nous ne pouvons pas
– nous ne devons pas – permettre à l’Iran de produire ou
d’acquérir des armes nucléaires… Face à cette menace…
toutes les options sont sur la table. » Le même jour,
Associated Press signalait que le candidat républicain à la présidence
Mitt Romney s’en était pris à Hilary Clinton, l’accusant de
« timidité » en ce qui concerne la menace sécuritaire
de l’Iran. Romney, d’après la même dépêche, a dit aux Républicains
conservateurs qu’ « à ce stade, nous n’avons pas
besoin de procéder à une tournée de consultations au sujet de
l’Iran… Quiconque est prêt à engager des négociations avec
Téhéran fait montre d’une timidité troublante face à une
menace terrifiante : celle d’un Iran muni de l’arme nucléaire. »
Le même Mitt Romney fit lui aussi son apparition à la Conférence
d’Herzliya, d’après le Jerusalem Post, et il y a déclaré
que « l’Iran doit être stoppé, l’Iran peut être stoppé
et l’Iran sera stoppé !… »
Au cœur de la menace jihadiste, il y a l’Iran… Je pense que
les dirigeants et les ambitions de l’Iran représentent la plus
grande menace pour le monde (« libre », ndt) depuis la
chute de l’Union soviétique et avant l’Allemagne nazie ».
Au cours d’une interview plus récente sur ABC News, le 16 février
2007, Mitt Romney a qualifié l’ensemble de la nation iranienne
de « génocidaire » et « suicidaire »,
ajoutant : « Vous vous dites que c’est là une
situation où, bien entendu, dans laquelle vous devez prendre en
considération la possibilité d’une action militaire (contre
vous, ndt), mais nous n’en sommes pas encore là… » Les
autres candidats républicains à la présidence ne diffèrent pas
tellement de ce modèle. Le même Jerusalem Post, auquel j’ai
fait allusion plus haut, indiquait qu’un autre « espoir républicain,
le Sénateur John MacCain, a déclaré que les Etats-Unis doivent
« intensifier » leur soutien militaire à Israël,
afin de s’assurer que ce pays maintient bien son avantage stratégique
sur ceux qui ont juré de le détruire, tel l’Iran. »
Nous le constatons : les candidats à la présidentielle des
deux partis fredonnent la même chanson. La question est de savoir
laquelle, des deux variantes des groupes de lobbying pro-israélien,
va se retrouver en situation de formuler la politique
moyen-orientale américaine, une fois que l’un de ces candidats
aura été élu ? Sera-ce un Martin Indyk, modèle Dennis
Ross, ou Wolfowitz, modèle Perle ?
Etant donné que la politique américaine vis-à-vis de l’Iran
est partagée par les diverses tendances des groupes de lobbying
pro-israélien, et étant donné les affiliations de ces groupes
vis-à-vis des partis politiques israéliens, il est naturel de
s’attendre au même type de disposition d’esprit chez les
dirigeants israéliens. Ces dirigeants sont, eux aussi, unanimes
dans leur politique de « contention » de l’Iran.
Qu’il s’agisse du Likoud, du parti travailliste ou du parti
Kadima, l’essence de leur politique demeurera identique. La
seule différence semble concerner la manière donc chaque parti
ou chaque individualité entend s’y prendre pour « contenir »
l’Iran. Certains hommes politiques israéliens sont plus
agressifs et fanatiques que d’autres, dans leur politique de
« contention ». Par exemple, dans leur campagne de
diabolisation de l’Iran, tant Benjamin Netanyahu, l’ex-Premier
ministre « faucon » que Shimon Peres, l’ex-Premier
ministre « colombe » ont comparé, à plusieurs
reprises, l’Iran actuel à l’Allemagne nazie. Mais, d’après
une dépêche de l’Agence France Presse datée du 5 décembre
2005, Benjamin Netanyahu a promis « une frappe aérienne préemptive
contre les installations nucléaires iraniennes, au cas où il
serait réélu. » Shimon Peres pourrait quant à lui y réfléchir
deux fois, avant de procéder à une frappe aérienne de cette
nature…
Comment
les Etats-Unis créent-ils un équilibre entre leur relation avec
leurs alliés arabes, d’un côté, et Israël, de l’autre ?
Historiquement, les administrations américaines successives ont
perpétué une relation symbiotique tant avec leurs états clients
arabes qu’avec Israël. Parfois, l’alliance américaine avec
les pays arabes a eu tendance à irriter Israël et ses groupes de
pression. Ainsi, par exemple, durant les premières années de la
guerre Iran / Irak, les Etats-Unis décidèrent de vendre des
avions AWACS [Airborne Warning and Control System : système
d’alerte et de contrôle aéroporté, ndt] à l’Arabie
saoudite, afin d’aider Saddam Hussein en lui fournissant des
renseignements stratégiques. Cette décision n’eut pas l’heur
de plaire à certains hommes politiques israéliens ainsi qu’à
leurs alliés, aux Etats-Unis, qui étaient intéressés, avant
tout, à la « contention » de l’Irak. Des frictions
et des fissures analogues sont apparues, à d’autres époques.
La question intéressante, c’est celle de savoir ce qui s’est
produit, récemment. Certains « néoconservateurs »,
au sein de la Maison Blanche de Bush, comme David Wurmser –
aujourd’hui conseiller ès Moyen-Orient du vice-président Dick
Cheney – qui considère la politique du « dual containment »
par trop procédurière et dévoreuse de temps, a plaidé en
faveur de l’adoption d’une nouvelle politique : « le
double repoussage de l’Iran et de l’Irak » [« Dual
Rollback of Iran and Iraq »].
Selon cette politique, les Etats-Unis étaient supposés attaquer
l’Irak, amener la majorité chiite au pouvoir, utiliser ce
pouvoir censément amical pour les Etats-Unis et pour Israël pour
faire contrepoids à l’Iran chiite, puis, procéder à un
« changement de régime » en Iran. Cette politique,
toutefois, n’a jusqu’ici jamais fonctionné comme il était prévu.
A savoir : les chiites irakiens n’ont pas défié l’Iran,
ni montré une grande affection, ni une grande admiration pour les
Etats-Unis et Israël… Ceci étant, nous entendons une musique
nouvelle, ces jours-ci, dans les cercles états-uno-israéliens :
un dangereux « croissant chiite », dirigé par l’Iran,
est en train d’émerger au Moyen-Orient, qui s’étend du Liban
jusqu’en Irak, et au-delà. Ce croissant, nous explique-t-on,
doit être vaincu grâce à une alliance composée des Etats-Unis,
d’Israël et de pays arabes sunnites. L’implication de cette
politique, c’est qu’Israël et ses alliés néocons aux
Etats-Unis ne pourraient plus continuer à faire opposition à une
relation étroite entre les Etats-Unis et leurs alliés
traditionnels parmi les pays arabes clients, telle l’Arabie
saoudite. La nouvelle politique est, bien entendu, fondée sur le
vieux dicton : « l’ennemi de mon ennemi est mon ami ».
Les Etats-Unis et Israël ont joué à ce petit jeu-là à moult
reprises, dans leur recherche d’une domination coloniale,
parfois en subissant des revers fort coûteux. Le malheur, c’est
que certains pays arabes semblent marcher dans cette vieille ruse
coloniale, et qu’ils sont effectivement en train de s’enrôler
dans l’alliance contre le (fumeux) « croissant chiite ».
Quel rôle Israël joue-t-il, en matière des
pressions exercées sur l’Iran concernant la question nucléaire ?
Un rôle particulièrement étendu, en particulier si vous incluez
y compris les groupes de lobbying pro-israélien et leurs associés
aux Etats-Unis. Mais en montrer l’étendue, cela requerrait une
description détaillée, que je ne peux manifestement pas apporter
ici. Dans mon livre, je suis une des premières allégations
au sujet de la fabrication d’une arme atomique par l’Iran, et
j’en fais remonter la piste jusqu’au « néoconservateur »
Kenneth L. Adelman. D’après le Bulletin du Département d’Etat
du 2 mai 1984, Adelman – lequel était, à l’époque,
directeur américain de l’Agence de Contrôle des armes et du Désarmement
– a prononcé une allocution devant le « Mid-America
Committee », à Chicago, parlant de « certaines
perspectives effrayantes », comme l’idée que l’Iran, la
Libye ou l’OLP puisse(nt) un jour acquérir une bombe nucléaire.
Adelman déclara ensuite qu’ « à ce jour, la prolifération
nucléaire en direction de l’Iran fait les titres des
quotidiens. Une revue britannique spécialisée dans la défense a
affirmé, récemment, que l’Iran de l’Ayatollah Khomeïni
n’est plus qu’à deux ans de l’acquisition d’armes nucléaires. »
Vingt ans plus tard, les « néoconservateurs » et
leurs homologues en Israël continuent à nous bassiner, en nous
disant que l’Iran obtiendra la bombe nucléaire d’ici deux,
cinq ou dix ans… Dans mon livre, je fournirai des détails sur
les vingt-trois années d’allégations de ce type par les Israéliens
et leurs agents aux Etats-Unis. Mais permettez-moi juste de citer
une de ces allégations, particulièrement croustillante. A partir
de 1992, des Israéliens et certains « dissidents iraniens »
travaillant en étroite association avec les services de
renseignement israéliens, se mirent à clamer que l’Iran était
effectivement détenteur de deux, voire trois têtes balistiques
nucléaires ! Selon cette allégation, Iran aurait acquis ces
têtes nucléaires au Kazakhstan, après l’éclatement de l’URSS.
En 1998, encore, ce genre d’info continuait à circuler dans les
cercles israéliens, « iraniens dissidents » et dans
certains milieux américains. Ainsi, par exemple, le 9 avril 1998,
le Jerusalem Post annonçait : « L’Iran a reçu
plusieurs têtes nucléaires d’une ancienne république soviétique
au début des années 1990 et ce sont des experts russes qui en
assurent la maintenance, d’après des documents du gouvernement
iranien transmis à Israël et dont nous avons obtenu copie. »
« Les documents », poursuivait le quotidien israélien, « jugés
authentiques par des experts du Congrès des Etats-Unis et encore
étudiés à ce jour en Israël, contiennent de la correspondance
entre des responsables du gouvernement iranien et des chefs des
Gardiens de la Révolution au sujet des efforts – couronnés de
succès – déployés par l’Iran afin d’obtenir des têtes
nucléaires de la part d’ex-républiques soviétiques. »
Le quotidien poursuivait encore, disant : « Ces
documents semblent confirmer des informations remontant à 1992,
selon lesquelles l’Iran aurait reçu de l’uranium enrichi et
jusqu’à quatre têtes nucléaires du Kazakhstan, avec l’aide
de milieux interlopes russes. » Le lendemain, le Jerusalem
Post publiait un nouvel article, brodant sur le même thème.
Mais cette fois-ci, variante : l’article prétendait que
« l’Iran a versé 25 millions de dollars, dans le cadre
d’une opération classée top secret, avec l’assistance de
techniciens argentins, d’après des documents officiels iraniens
classifiés top secret et dont nous avons obtenu copie. »
Tout ceci, bien entendu, n’était que pure et simple invention,
par Israël, ses alliés américains et leurs partenaires « iraniens
dissidents ».
Cette histoire à
sensation, toutefois, ne tarda pas à disparaître, tandis que la
CIA et le gouvernement américain reconnaissaient qu’elle était
entièrement bidonnée. Par la suite, les Israéliens et leurs
alliés revinrent à leur passe-temps favori consistant à évaluer
dans quel délai l’Iran disposerait de la bombe atomique ;
et cette bombe ne s’était jamais matérialisée, ils ont
continué à repousser la date butoir. Bien entendu, comme je le démontrerai,
dans mon livre, la bombe iranienne alléguée, à l’instar des célèbres
« armes de destruction massive » irakiennes
(inexistantes) ne sont qu’un prétexte. L’intention réelle,
c’est de compléter le « dual containment » en
« contenant », voire en détruisant le seul pays qui
continue à se montrer récalcitrant.
Les
Etats-Unis sont confrontés à la colère des peuples du
Moyen-Orient, résultant de leur soutien à Israël. Est-il
possible, pour eux, de continuer ainsi ? Ou bien alors, les
Etats-Unis vont-ils atteindre un point où ils seront prêts à
changer l’équation ?
Tant que la colère des peuples du Moyen-Orient ne se traduira pas
par le renversement des régimes corrompus, tyranniques et réactionnaires
de cette région du monde, qui sont en relation symbiotique avec
les Etats-Unis et Israël, je n’envisage pas de changement
fondamental dans la politique étrangère des Etats-Unis.
Jusqu’ici, la colère a occasionné, pour l’essentiel, des
actes de violence sporadiques, isolés et, le plus souvent,
individuels. Ces actes ont eu le mérite de faire sauter la mince
couche de vernis faisant apparaître les Etats-Unis comme un
« honnête broker » entre Israël et ses adversaires.
Toutefois, en même temps, ces actes ont durci la position des
Etats-Unis, les rapprochant encore plus d’Israël ; ils
n’ont fait que produire encore plus de violence, de la part des
Etats-Unis et d’Israël.
Quelle
évaluation faites-vous des perspectives au Moyen-Orient, dans le
courant de l’année à venir ?
Il est très difficile – et même dangereux – de prédire le
futur, en particulier quand on connaît le passé et ses complexités.
C’est particulièrement le cas quand on a affaire à des
individus qui semblent irrationnels ou qui semblent se comporter
dans un monde hobbésien. Y aura-t-il de nouvelles élections, en
Israël, susceptibles de ramener Benjamin Netanyahu au pouvoir ?
Tiendra-t-il sa promesse de « frappe aérienne préemptive
contre les installations nucléaires iraniennes, si nous devions
être réélus ? » Les « néoconservateurs »
vont-ils pousser au recours à une frappe aérienne de type
« choc et tremblement » contre l’Iran et au
bombardement en tapis de sites nucléaires et militaires
classiques iraniens, aussi irrationnelle ce comportement
puisse-t-il paraître aux yeux du reste du monde ?
Ou bien alors, est-ce que l’Iran capitulera, renoncera à ses
droits garantis par l’article IV du Traité de non-prolifération
nucléaire, et acceptera l’exigence américano-israélienne (désormais
appuyée de sanctions décidées par l’Onu) de le voir cesser
toute activité d’enrichissement d’uranium ? Si l’Iran
se plie à cette exigence, quelles autres exigences seront-elles
mises en avant par les Etats-Unis et par Israël, étant donné
que la question nucléaire, comme je l’ai indiqué, n’est
qu’un prétexte pour « contenir » l’Iran ? Et
si l’Iran n’acceptait pas cette exigence, mais que les gens
raisonnables, de par le vaste monde, soient à même d’arrêter
les Etats-Unis et Israël dans leur aventurisme militaire, y
aurait-il des sanctions encore plus sévères, prises à
l’encontre de l’Iran par l’Onu ?
Tentera-t-on d’acheter la Chine et la Russie, en les cajolant, ou
en leur forçant la main, à nouveau, afin qu’elles consentent
à ces sanctions ? Ces sanctions amèneront-elles ce que les
Etats-Unis et Israël recherchent depuis des années, à savoir la
ruine de l’économie iranienne, la provocation de troubles, et
rendre l’Iran mûr pour une invasion états-unienne, comme cela
fut le cas pour l’Irak ?
C’est là des questions auxquelles il est bien difficile
d’apporter une réponse, et cela rend toute prédiction des événements
futurs pratiquement impossible. La question suprême, toutefois,
est la suivante : « l’Iran est-il prêt à faire face
à toute (à absolument n’importe quelle) éventualité ?
L’Iran connaît-il vraiment les règles de ce petit jeu, et
dispose-t-il d’un plan bien réfléchi, bien structuré et cohérent,
qui soit bien à lui ? A-t-il pleinement conscience du fait
que les Etats-Unis et Israël oeuvrent patiemment, méticuleusement,
depuis des décennies, à coincer l’Iran dans l’impasse où il
se trouve actuellement, où des sanctions de l’Onu ont fini par
lui être imposées ? Est-il prêt à faire face à un
resserrement du garrot de l’Onu autour de son cou ? L’économie
iranienne, déjà soumise à de sévères contraintes, est-elle en
mesure de résister à des pressions aggravées ? Les
Iraniens sont-ils prêts à tolérer des difficultés économiques
supplémentaires, comme la réduction des investissements étrangers,
l’augmentation du chômage et l’envol de l’inflation ?
Ayant étudié attentivement l’histoire de l’imbroglio américano-israélo-iranien,
et ayant entendu beaucoup de voix provenant d’Iran, beaucoup de
rhétorique creuse et de pensée illusoire, je ne suis pas certain
qu’on puisse répondre à toutes les questions précédentes par
l’affirmative…
Selon
vous, la confrontation entre les Etats-Unis et l’Iran
vise-t-elle la position stratégique de l’Iran et son impact
potentiel sur la région, ou bien cet effort vise-t-il à
affaiblir l’influence politique et spirituelle de l’Iran dans
la région ?
Il appert qu’à l’instar de la plupart des empires du passé,
les Etats-Unis ne tolèrent aucune désobéissance, et qu’ils
n’accepteront jamais aucun pays les défiant dans le monde,
qu’il s’agisse de la Syrie, de la Corée du Nord, du Soudan,
de la Somalie, de Cuba ou du Venezuela – peu importe. Ainsi, ce
n’est pas nécessairement la position stratégique de l’Iran,
ni son influence politique et spirituelle dans la région qui
entraînera nécessairement à la confrontation entre les deux
pays. Cette confrontation, cela est bien connu, remonte à l’année
1979, année où les Etats-Unis ont « perdu »
l’Iran. Depuis lors, les Etats-Unis s’efforcent de ramener
l’ordre ancien et de faire de l’Iran un énième pays obéissant,
un énième pays client. Pour utiliser une expression américaine,
tant que l’Iran n’appellera pas les Etats-Unis et Israël
« tonton », ce pays sera considéré « hors-la-loi »,
comme un « pays voyou », qu’il faut punir. Bien
entendu, la position stratégique de l’Iran, et sa conformité
politique avec des formations comme le Hamas et le Hezbollah
placent ce pays en tête des cibles prioritaires des Etats-Unis…
L’Iran
sera-t-il en mesure de former une coalition contre Israël, dans
la région ? Ou bien sera-t-il contraint à collaborer avec
la Syrie, le Hezbollah et le Hamas, afin de former une alliance
anti-israélienne, par opposition aux pays arabes modérés ?
Comme je l’ai déjà mentionné, ayant échoué à obtenir le résultat
escompté en Irak, les Etats-Unis et Israël sont en train
d’essayer de créer le mythe du croissant chiite, sous la
houlette de l’Iran. Comme je l’ai également indiqué, les
pays arabes traditionnellement clients des Etats-Unis semblent
mordre à l’hameçon de ce nouveau mythe, et marchent dans
l’idée de rejoindre les Etats-Unis et Israël dans la « contention »
de l’Iran. La question de savoir si l’Iran sera en mesure de
modifier cette tendance semble douteuse, étant donné la nature
de ces régimes arabes et leur relation de longue date, historique
et symbiotique avec les Etats-Unis. Cela laisse à l’Iran un
choix d’allié très limité : il s’agit pour
l’essentiel des pays et des mouvements tels la Syrie, le
Hezbollah et le Hamas.
Mais, à l’évidence, cette alliance ne peut pas faire
grand-chose pour l’Iran, en termes de sécurité. En réalité,
une raison majeure de la politique israélo-américaine de
« contention » et l’insécurité résultante à
laquelle l’Iran se trouve confronté, c’est le soutien apporté
par l’Iran à des formations telles que le Hamas et le
Hezbollah. Comme je l’ai défendu ailleurs, et comme je le démontrerai
dans mon bouquin, quand la politique du « dual containment »
a été annoncée, au début des années 1990, l’Iran était
supposé responsable de trois « péchés » capitaux :
1) celui d’encourager le terrorisme dans le monde entier – ce
qui signifiait que l’Iran soutenait le Hamas, le Hezbollah et le
Jihad islamique ; 2) celui de s’opposer aux efforts de paix
au Moyen-Orient – on signifiait par là le « processus de
paix » d’Oslo et enfin 3) celui de développer la
production d’armes de destruction massive – ce qui fut, à
l’époque, laissé dans un vague voulu. Le péché de
s’opposer au « processus de paix » d’Oslo fut
rapidement exclu de l’équation, étant donné qu’Israël y était
lui-même opposé ! Mais les deux autres péchés demeuraient ;
et, pour paraphraser l’explication donnée par Paul Wolfowitz de
l’invasion de l’Irak, pour des raisons bureaucratiques, les
Etats-Unis et Israël convinrent du fait que la question des armes
de destruction massive était la raison centrale pour laquelle
l’Iran devait être « contenu ». En réalité, la
raison principale de la politique belliciste d’Israël envers
l’Iran, c’est le soutien apporté par celui-ci au Hamas et au
Hezbollah. Aussi longtemps que ce soutien se poursuivra, la
tentative de « contenir » l’Iran et l’insécurité
résultante demeureront à l’ordre du jour.
Israël
servira-t-il de levier permettant d’exercer une pression contre
l’Iran ? Ou bien, en exagérant la menace nucléaire émanant
de Téhéran, Israël va-t-il tenter de se fabriquer un bouclier
occidental ?
Israël, comme je l’ai indiqué, et comme je le démontrerai dans
mon livre, est la force principale qui se tient derrière la
« contention » de l’Iran depuis la fin de
l’invasion américaine de l’Irak en 1991 et depuis les
sanctions imposées par l’Onu à ce pays, qui lui ont fait
suite. Aussi, étant donné ce que j’ai déjà dit, il est évident
qu’Israël n’a nul besoin d’un bouclier occidental, et
qu’il n’est pas réellement inquiet au sujet de la
construction d’armes de destruction massive par l’Iran. Il est
bien connu – et dernièrement, Olmert l’a reconnu,
indirectement – qu’Israël possède de nombreuses têtes nucléaires.
Avec ces ogives nucléaires, et grâce à sa technologie
occidentale avancée, Israël ne saurait être véritablement se
sentir menacé par un Iran supposé développer quelque bombe nucléaire
primitive. Comme l’a dit le président Chirac lors de son
interview au New York Times du 31 janvier de cette année,
« Où l’Iran lancerait-il cette bombe ? Sur Israël ?…
Cette bombe n’aurait pas parcouru deux cents mètres dans
l’atmosphère que, déjà, Téhéran aurait été rasée. »
Comme je l’ai expliqué, la question du développement éventuel
de l’arme nucléaire par l’Iran est un prétexte, que les
Etats-Unis et Israël utilisent afin de « contenir »
l’Iran, de la même manière qu’ils ont « contenu »
l’Irak. La « contention » de l’Irak, bien entendu,
ne s’est pas déroulée exactement comme prévu, mais l’Irak
restera hors jeu pendant encore des décennies, tant sur le plan
économique que militaire. Pour certains des architectes de
l’invasion américaine de l’Irak, il s’agit là d’une
« contention » suffisamment réussie !
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
[* Mehran Ghassemi est un journaliste iranien. Cette interview est
disponible en ligne, en persan, à l’adresse suivante :
http://www.roozna.cvom/Images/Pdf/1_23_12_1385.Pdf
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