Al-Ahram Hebdo
Des pourparlers à la merci des « sapeurs »
Samar Al-Gamal

Photo: Al-Ahram
Mercredi 12 mai 2010
Processus de Paix. Des négociations
indirectes entre Palestiniens et Israéliens, sous la houlette
des Américains, ont été lancées. Sans pour autant laisser
poindre un espoir de règlement avec Israël, qui poursuit sa
colonisation de Jérusalem-Est.
L'homme-clé s'appelle George
Mitchell, un ancien sénateur et un important négociateur. C'est
lui qui avait contribué à ramener la paix en Irlande. Mais
l'émissaire américain au Proche-Orient s'est impliqué dans une
mission encore plus difficile cette fois-ci et a lancé cette
semaine des négociations « indirectes » entre Palestiniens et
Israéliens.
L'annonce du coup d'envoi a été
faite dimanche dernier à Ramallah par le principal négociateur
palestinien Saëb Erakat. « Aujourd'hui 9 mai, les négociations
ont commencé », a-t-il déclaré à l'issue d'un entretien avec le
négociateur américain.
Des discussions qui démarrent
cependant dans un climat de grand scepticisme, tant chez les
Palestiniens que chez les Israéliens, que chez les parrains
américains ou les Arabes (lire page 5). Les deux parties ne
s'étaient même pas mises d'accord sur le démarrage de la mission
Mitchell. Chacune a pris sa décision à part. Les Israéliens ont
considéré la rencontre de leur premier ministre Benjamin
Netanyahu, mercredi, comme la relance du processus en panne,
alors que les Palestiniens n'avaient pas donné leur aval jusqu'à
dimanche.
Le négociateur américain fera
ainsi la navette entre le bureau du président palestinien
Mahmoud Abbass dans la Moqataa à Ramallah et le siège du
gouvernement israélien à Jérusalem. Quant aux observateurs, ils
se demandent ce qu'est au juste l'agenda de ce processus. A cet
égard, on assure, côté américain, que l'objectif premier est de
passer de ces pourparlers « de proximité », comme les nomment
les Israéliens, à des négociations directes.
Réunir uniquement les deux camps
autour d'une même table serait considéré comme un pas positif,
au moins aux yeux des Américains.
Tensions entre
Washington et Tel-Aviv
Barack Obama cherche à débloquer
la situation pour marquer une première réussite diplomatique
dans la région, s'ajoutant à d'autres succès sur d'autres
dossiers. Les tensions entre son administration et le cabinet
israélien ne sont plus un secret, et si les Israéliens ont
accepté de faire un pas aussi minime, c'est parce qu'ils pensent
que leur image sur la scène internationale est de plus en plus
ternie.
Ainsi, Mitchell aurait conseillé
à Netanyahu une libération des prisonniers politiques et un
allégement de déplacements des Palestiniens, bref, des gestes
symboliques ou de « bonne volonté », qui encourageraient les
Palestiniens à se mettre autour de la table des négociations.
Ces derniers ont finalement accordé 4 mois aux Américains pour
enregistrer des avancées significatives. « Après quoi, nous
consulterons la Ligue arabe pour décider ou non de poursuivre
les négociations », a déclaré Abou-Mazen. Parce qu'il avait
demandé d'abord l'aval du comité du suivi de la Ligue, afin de
fournir une couverture arabe à des pourparlers aux
« conséquences dangereuses » (lire page 5).
L'Organisation panarabe a
accepté, sans garanties, les propositions américaines de
négociations indirectes. Seule la Syrie a rejeté l'idée en
l'absence de « garanties solides, écrites, publiques et
internationales ». Le comité de suivi a justifié sa position en
indiquant avoir pris cette décision « en fonction des nouvelles
garanties de Washington et du contenu des messages adressés par
le président américain, Barack Obama, au président palestinien,
Mahmoud Abbass ».
Ces quatre mois fixés par les
Arabes représentent, en effet, le délai qui reste des neuf mois
durant lesquels Israël avait décidé de geler les colonies
juives, uniquement en Cisjordanie.
L'obstacle principal
Mais à peine commencées, ces
discussions ont buté sur ce contentieux explosif de la
colonisation juive à Jérusalem-Est. Un haut responsable
israélien, proche du premier ministre Benjamin Netanyahu, a
démenti qu'Israël se soit engagé à geler pendant deux ans la
colonisation dans la partie arabe de la ville sainte occupée par
Israël, comme l'avait annoncé juste un peu plus tôt le
Département d'Etat américain. « Aucun engagement israélien n'a
été donné sur cette question », a insisté la source israélienne,
selon laquelle « si ces constructions ne commenceraient pas
avant deux ans, c'est parce qu'il s'agissait d'un délai habituel
pour la mise en œuvre d'un tel projet ».
L'annonce d'un projet semblable
dans le quartier de colonisation juive de Ramat Shlomo avait
torpillé en mars une précédente tentative de lancement de
pourparlers indirects entre Israéliens et Palestiniens. Israël
avait alors dévoilé un projet de construction de 1 600 colonies,
créant une grave crise diplomatique entre Tel-Aviv et
l'administration Obama, obligeant le gouvernement israélien à
présenter ses excuses. Aujourd'hui encore, les Etats-Unis
mettent en garde les Israéliens et les Palestiniens contre tout
acte qui « saperait la confiance au Proche-Orient », mais ils ne
disent pas comment ils entendent réagir face à l'abstention
israélienne sur la question de la colonisation qui érode les
terres palestiniennes. « Nous réagirions en les tenant pour
responsables », s'est contenté de déclarer dans un communiqué le
porte-parole du département d'Etat, Philip Crowley, en parlant
des futurs « sapeurs » des pourparlers.
Les Palestiniens l'ont fait
savoir. Ils conditionnent la reprise des négociations directes à
un arrêt des colonisations. « Les questions de moindre
importance, nous en avons suffisamment parlé lors des
précédentes négociations », a déclaré Abbass.
Le président palestinien veut
que ces discussions via l'émissaire américain abordent les
questions-clés de Jérusalem, des réfugiés et des frontières,
surtout que la semaine prochaine, les Palestiniens commémorent
la nakba, le jour qui entérine cette lente disparition de la
Palestine des cartes avec la création d'Israël en 1948.
Netanyahu veut entamer un
dialogue direct sans lequel, croit-il, il sera impossible de
s'accorder sur les questions-clés. « Il est impossible
d'instaurer la paix à distance, parce que nous sommes des
voisins », dit-il.
Et Netanyahu est bien connu par
ses manœuvres. Il a été testé plusieurs fois durant sa prise au
pouvoir de 1996 à 1999, comme l'explique le chercheur
spécialiste des affaires israéliennes au Centre des Etudes
Politiques et Stratégiques (CEPS) d'Al-Ahram, Emad Gad. « Il n'a
jamais tenu ses promesses », explique-t-il. Pourtant, « c'est un
pragmatique qui recule à la dernière minute devant les
pressions ». C'est lui qui avait signé l'accord de Wye River et
accepté de se retirer de Hébron, un accord rejeté par le
Travailliste de l'époque Ehud Barak.
Un Obama fin
psychologue ?
Obama comprend ce caractère chez
Netanyahu, croit Gad, ce qui explique pourquoi il a exercé tant
de pressions, laissant planer le doute que Washington allait
retirer son appui « inconditionnel » à Israël et appeler l'Onu à
proclamer unilatéralement l'Etat palestinien. « Ceci a suscité
la panique à Tel-Aviv », croit encore le rédacteur en chef d'Israeli
Digest. Les plus alignés sur la droite dans son gouvernement
sont partis pour mettre en garde contre « un différend avec
Washington », privant Netanyahu de son excuse selon laquelle son
gouvernement allait s'effondrer s'il gelait les colonies et s'il
entamait des négociations sur le statut final avec les
Palestiniens. Netanyahu, explique Gad, sait bien aussi que les
Américains peuvent chercher à soutenir le chef travailliste Ehud
Barak comme ils l'avaient fait en 1999, s'il continue à mettre
les bâtons dans les roues de l'administration américaine.
Pourtant, le chef du
gouvernement israélien aurait du mal à avancer sur le chemin de
la paix, c'est quelqu'un qui préfère « les lignes larges et les
cadres généraux », explique un diplomate européen au Caire.
Washington, qui veut
restructurer ses relations dans la région, pourrait finir par le
contourner au profit de « l'intérêt de la sûreté américaine ».
Mitchell est attendu en principe la semaine prochaine dans la
région pour poursuivre sa médiation, avec des mises en garde
répétées et des espoirs encore limités.
Un premier pas dans un nouveau
marathon où les coureurs semblent s'essouffler déjà et où les
promoteurs trouvent des difficultés à imposer leur discipline.
Mais dans tout cela, n'est-ce pas cette population palestinienne
qui est la principale victime, la laissée-pour-compte justement
depuis la nakba ?
Droits de reproduction et de diffusion réservés. ©
AL-AHRAM Hebdo
Publié
le 12 mai 2010 avec l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
Sommaire Al-Ahram Hebdo
Les dernières mises à
jour
 |