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Cuba
Cuba et les vertus
du dialogue
Salim Lamrani
Salim Lamrani
Jeudi 29 juillet 2010
Le dialogue entamé par l’Eglise catholique et l’Espagne avec les
autorités cubaines a été fructueux. En effet, après avoir libéré
le détenu Ariel Sigler en juin 2010 lequel, pour des raisons de
santé, a choisi d’émigrer aux Etats-Unis1, La Havane
a accepté de libérer, dans un délai de quatre mois, 52
prisonniers dits
« politiques2 »
– sur les 55 recensés par Amnistie Internationale3 –,
arrêtés et condamnés en 2003 (sur un total de 75, 23 d’entre eux
ayant été libérés par le passé) à de lourdes peines pour
« association avec une
puissance étrangère ». En effet, ces derniers avaient
accepté le financement offert par Washington dans le but de
promouvoir une opposition au gouvernement cubain. Ces
agissements constituent un grave délit à Cuba et la justice
cubaine s’était montrée particulièrement sévère à leur égard. Il
n’y a guère de controverses à ce sujet : Washington, la presse
occidentale, Amnistie Internationale (AI) et les dissidents
eux-mêmes admettent cette réalité4.
Le Cardinal de La Havane, Jaime Ortega, ainsi que le
ministre des Affaires étrangères espagnol, Miguel Ángel
Moratinos, ont également obtenu du gouvernement cubain
l’autorisation pour les bénéficiaires de cette mesure d’émigrer
en Espagne5. Les premières libérations ont eu lieu le
10 juillet 2010 et les photos de la presse occidentale ont
permis de montrer qu’ils étaient plutôt convenablement alimentés
lors de leur détention – la plupart accusant un certain
embonpoint – et relativement en bonne santé6. Au
total, au 25 juillet 2010, 20 personnes sur les 52 ont été
libérées et se sont rendues en Espagne7.
Le Cardinal Ortega a signalé que l’émigration était
« une proposition »
et non pas un « exil »
forcé. En effet, les dissidents libérés ont eu la
possibilité de rester à Cuba, mais la plupart ont choisi de
quitter l’île pour l’Espagne pour des raisons économiques
évidentes, entre autres, leur pays comme beaucoup d’autres
n’étant pas épargné par la crise mondiale. Sur les 32 personnes
restantes, dix d’entre elles ont déclaré vouloir rester à Cuba.
Moratinos a également assuré que Raúl Castro avait donné sa
garantie que les personnes libérées auraient la possibilité de
retourner à Cuba dans le futur et conserveraient leurs
propriétés8. De son côté, l’Espagne s’est engagée à
accueillir tous les prisonniers libérés et à leur octroyer le
statut d’émigrant9.
Ricardo Alarcón de Quesada, président du Parlement
cubain, a confirmé que les personnes libérées pouvaient rester à
Cuba si elles le souhaitaient.
« A Cuba, il y a des
personnes qui ont été libérées de prison il y a des années et
qui sont chez elles ». Il a également affirmé
« la volonté du
gouvernement cubain de libérer tous les personnes n’ayant pas
commis de crime de sang », en plus des 52 libérations déjà
entérinées par l’Eglise catholique et Madrid10.
Le secrétaire général de l’Organisation des Etats
Américains, José Miguel Insulza, s’est félicité du succès de la
politique basée sur le dialogue et le respect mutuel entreprise
par Madrid et le Vatican, opposée aux mesures répressives
adoptées par les Etats-Unis et l’Union européenne qui imposent
des sanctions distinctes à Cuba respectivement depuis 1960 et
1996, en vain. Selon Insulza, la décision du gouvernement cubain
« est un pas positif qui
ouvre un chemin à un changement du climat interne que vit l’île11 ».
Du côté de Washington, la secrétaire d’Etat, Hillary
Clinton, a salué la libération des vingt détenus, qu’elle a
qualifiée de « signal
positif ». Elle a également affirmé que le gouvernement
Obama se sentait
« encouragé » par ces décisions12. Virgina Staab,
porte-parole du Département d’Etat a fait part de sa
satisfaction : « Nous
voyons la libération des prisonniers comme un développement
positif13 ».
Philip J. Crowley, secrétaire d’Etat assistant, a rendu hommage
« aux efforts de l’Eglise
catholique de Cuba, à l’Espagne et à tous ceux qui [avaient]
contribué à la libération des prisonniers de conscience à Cuba14 ».
L’Union européenne a également exprimé sa satisfaction
après l’annonce de l’Eglise catholique15.
« L’UE soutient
activement le processus de dialogue en cours et est prête pour
faciliter la libération du nombre maximum de prisonniers
politiques », a déclaré Catherine Ashton, chef de la
diplomatie européenne16.
L’Espagne, qui s’est réjouie du
« succès du dialogue et
de la diplomatie17 »,
a appelé l’Union européenne à mettre un terme à la Position
commune adoptée en 1996. Cette politique, élaborée
officiellement en raison de la situation des droits de l’homme,
est toujours en vigueur et limite les échanges politiques,
diplomatiques et culturels entre La Havane et Bruxelles. Elle
constitue le principal obstacle à la pleine normalisation des
relations bilatérales. Cuba rejette la Position commune en
raison de son caractère discriminatoire – l’île est loin d’être
le plus mauvais élève du continent en terme de respect des
droits de l’homme, selon AI –, hypocrite – l’Europe des 27 n’est
pas irréprochable en terme de respect des droits fondamentaux,
toujours selon AI –, et intrusif – Bruxelles conditionne la
levée des sanctions à un changement structurel à Cuba, ce qui va
à l’encontre du principe de souveraineté et d’autodétermination
des peuples18.
« Le moment est
venu d’établir une nouvelle relation entre l’UE et Cuba » a
déclaré Moratinos, qui a souligné
« la nouvelle attitude
des autorités cubaine ».
« Tous les prisonniers de
conscience, politiques seront libérés dans un délai maximum de
quatre mois, et même avant », a-t-il ajouté19.
La diplomatie espagnole et l’Eglise catholique ont
démontré que le dialogue basé sur le respect mutuel et la
non-ingérence était la meilleure recette pour obtenir des
résultats. Madrid et le Vatican ont compris que La Havane
n’était guère sensible au langage de la contrainte et que la
politique de la sanction est vouée à l’échec.
A l’issue de la libération des 32 prisonniers dits
« politiques » dans quatre mois, il ne restera plus que trois
détenus de conscience à Cuba, selon Amnistie Internationale,
lesquels seront probablement libérés dans le même délai, d’après
les dires d’Alarcón. Ainsi, le principal grief à l’encontre du
gouvernement cubain – les prisonniers d’opinion – n’aura plus
lieu d’être. Par conséquent, l’Union européenne sera dans
l’obligation de mettre un terme à la Position commune.
Mais les gestes les plus significatifs doivent venir des
Etats-Unis qui imposent depuis un demi-siècle des sanctions
économiques à Cuba, lesquelles, loin de toucher les dirigeants,
affectent les catégories les plus vulnérables de la population
cubaine et constituent le principal obstacle au développement du
pays.
Le président Barack Obama a maintes fois
exprimé le désir de normaliser les relations avec La Havane. Il
peut effectuer un pas en ce sens en libérant dans un premier
temps les cinq prisonniers politiques cubains détenus aux
Etats-Unis depuis 1998 pour avoir infiltré des groupuscules
violentes du sud de la Floride, responsables de plusieurs
dizaines attentats terroristes contre Cuba.
Amnistie Internationale, le Groupe de
travail sur les détentions arbitraires des Nations unies, pas
moins de dix Prix Nobel, Mary Robinson, ancienne présidente de
l’Irlande, le Sénat mexicain à l’unanimité, Lawrence Wilkerson,
ancien chef d’état-major du cabinet de l’ex secrétaire d’Etat
Colin Powell, une centaine de parlementaires britanniques, mais
également la National Association of Criminal Defense Lawyers,
les Cuban-American Scholars, l’Ibero-American
Federation of Ombudsmen, le National Jury Project, le
William C Velazques Institute and the Mexican American
Political Association, le National Lawyers Guild et
la National Conference of Black Lawyers, le Civil
Right Clinic de l’Howard University School of Law, l’International
Association of Democratic Lawyers, la Florida Association
of Criminal Defense Lawyers-Miami Chapter, le Center for
International Policy et le Council on Hemispheric Affairs
ont exigé la remise en liberté de Gerardo Hernández
Nordelo, Antonio Guerrero Rodríguez, Ramón Labañino Salazar,
René González Sehweret et Fernando González Llort.
Pour cela une simple grâce suffit. Au
président Obama, dont l’élection a suscitée tant d’espoirs à
travers le monde, de jouer.
Notes
1
EFE, « Raúl Castro
recibirá a Moratinos en el último día de su visita a Cuba », 7
juillet 2010 ; The
Associated Press, « Cuba : Disidente recientemente liberado
viaja a EEUU », 22 juillet 2010.
2
Juan O. Tamayo, « Cuba liberará a 52 prisioneros políticos »,
El Nuevo Herald, 8
juillet 2010.
3
Amnesty International,
« Rapport 2010. La situation des droits humains dans le monde »,
mai 2010.
http://thereport.amnesty.org/sites/default/files/AIR2010_AZ_FR.pdf
(site consulté le 7 juin 2010), pp. 87-88.
4
Salim Lamrani, Cuba. Ce
que les médias ne vous diront jamais (Paris : Editions
Estrella, 2009), pp. 79-105
5
Andrea Rodriguez, « Iglesia da nombres disidentes beneficiados
por liberaciones y traslados », 8 juillet 2010.
6
Juan O. Tamayo, « Primeros siete presos cubanos y sus familias
ya llegaron a España »,
El Nuevo Herald, 13 juillet 2010.
7
EFE, « Damas piden a
España acoger a más presos políticos », 25 juillet 2010.
8
AFP, « Cuba inicia
excarcelación de presos políticos », 10 juillet 2010 ; Jorze
Sainz, « Disidentes cubanos en España eligen caminos
diferentes », The
Associated Press, 24 juillet 2010 ; Juan O. Tamayo,
« Conocido opositor ha decidido no salir de Cuba »,
El Nuevo Herald, 14
juillet 2010.
9
Juan O. Tamayo, « Otros dos presos políticos cubanos viajan a
España », El Nuevo Herald,
14 juillet 2010.
10
José Luis Fraga, « Alarcón : presos liberados pueden quedarse en
Cuba y prodrían ser más de 52 »,
Agence France Presse,
20 juillet 2010.
11
EFE, « Insulza
celebra decisión de Fariñas de abandonar huelga de hambre », 9
juillet 2010.
12
AFP, « Clinton :
liberación de presos políticos en Cuba ‘tardía’ pero
‘bienvenida’ », 8 juillet 2010.
13
Juan O. Tamayo, « Cuba liberará a 52 prisioneros políticos »,
El Nuevo Herald, 8
juillet 2010.
14
The Associated Press,
« EEUU aplaude liberación de disidentes cubanos », 13 juillet
2010.
15
Anna Pelegri, « UE saluda liberación de reos cubanos pero pide
más esfuerzos a La Habana »,
AFP, 8 juillet 2010.
16
Juan Carlos Chávez, « Aplauden excarcelaciones como un triunfo
de la oposición cubana »,
El Nuevo Herald, 9 juillet 2010.
17
EFE, « Varios países
europeos y latinoamericanos se ofrecen a acoger presos
cubanos », 9 juillet 2010.
18
EFE, « España pide a
UE renovar relación con Cuba », 27 juillet 2010.
19
Id.
Salim Lamrani est enseignant chargé de
cours à l’Université Paris-Sorbonne-Paris IV et l’Université
Paris-Est Marne-la-Vallée et journaliste français, spécialiste
des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Son nouvel ouvrage
s’intitule Cuba. Ce que les médias ne vous diront jamais
(Paris : Editions Estrella, 2009).
Disponible en librairie et sur Amazon :
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