Amérique latine
50 vérités sur les
sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba
Salim
Lamrani
WikiCommons - Fidel Castro durante
Assembleia da ONU
Lundi 29 avril
2013
Opera Mundi
http://operamundi.uol.com.br/...
La visite de la star étasunienne de la
chanson Beyonce et de son mari Jay-Z à
La Havane a relancé la polémique sur le
maintien des sanctions contre Cuba, en
vigueur depuis plus d’un demi-siècle.
Voici quelques données sur l’état de
siège économique le plus long de
l’histoire.
1.
Les premières sanctions économiques ont
été imposées à Cuba en 1960 par
l’administration républicaine de Dwight
D. Eisenhower, officiellement en raison
du processus de nationalisations
entrepris par le gouvernement
révolutionnaire de Fidel Castro.
2.
En 1962, le gouvernement démocrate de
John F. Kennedy a appliqué des sanctions
économiques totales contre l’île.
3.
L’impact a été terrible. Les Etats-Unis
ont en effet toujours constitué le
marché naturel de Cuba. En 1959, 73% des
exportations se faisaient vers le voisin
du Nord et 70% des importations
provenaient de ce territoire.
4.
Désormais, Cuba ne peut rien importer ou
exporter aux Etats-Unis. Depuis 2000,
suite aux pressions du lobby agricole
étasunien qui cherchait de nouveaux
marchés pour ses excédents, La Havane
est autorisée à acheter certaines
matières premières alimentaires, à des
conditions draconiennes.
5.
La rhétorique diplomatique pour
justifier le durcissement de cet état de
siège économique a évoluée au fil des
ans. Entre 1960 et 1990, les Etats-Unis
ont d’abord évoqué le cas des
expropriations de ses entreprises pour
justifier leur politique hostile
vis-à-vis de La Havane. Ensuite,
Washington a évoqué tour à tour
l’alliance avec l’Union soviétique, le
soutien aux guérillas latino-américaines
en lutte contre les dictatures
militaires et l’intervention cubaine en
Afrique pour aider les anciennes
colonies portugaises à obtenir leur
indépendance et à la défendre.
6.
En 1991, suite à l’effondrement du bloc
soviétique, les Etats-Unis, au lieu de
normaliser les relations avec Cuba, ont
au contraire choisi d’accroitre les
sanctions en invoquant la nécessité de
rétablir la démocratie et le respect des
droits de l’homme.
7.
En 1992, sous l’administration Bush Sr.,
le Congrès des Etats-Unis a adopté la
loi Torricelli qui accroit les sanctions
contre la population cubaine et leur
donne un caractère extraterritorial,
c’est-à-dire contraire à la législation
internationale.
8.
Le droit international interdit à toute
loi nationale d’être extraterritoriale,
c’est-à-dire de s’appliquer au-delà des
frontières du pays. Ainsi, la loi
française ne peut pas s’appliquer en
Allemagne. La législation brésilienne ne
peut pas s’appliquer en Argentine.
Néanmoins, la loi Torricelli s’applique
pour tous les pays du monde.
9.
Ainsi, depuis 1992, toute embarcation
étrangère – quelle que soit sa
provenance – accostant à un port cubain
se voit interdire l’entrée aux
Etats-Unis pendant six mois.
10.
Les entreprises maritimes opérant dans
la région privilégient le commerce avec
les Etats-Unis, premier marché mondial.
Cuba, qui dépend essentiellement du
transport maritime en raison de son
insularité, doit payer un prix bien
supérieur à celui du marché pour
convaincre les transporteurs
internationaux de livrer de la
marchandise sur l’île.
11.
La loi Torricelli prévoit également des
sanctions pour les pays qui apportent
une assistance à Cuba. Ainsi, si la
France ou le Brésil
octroient une aide de 100 millions de
dollars à l’île, les États-Unis
diminuent leur aide à ces nations à
hauteur du même montant.
12.
En 1996, l’administration Clinton a
adopté la loi Helms-Burton qui est à la
fois extraterritoriale et rétroactive,
c’est-à-dire qu’elle s’applique pour des
faits survenus avant l’adoption de la
législation, ce qui est contraire au
droit international.
13.
Le droit international interdit à toute
législation d’avoir un caractère
rétroactif. Par exemple, en France,
depuis le 1er janvier 2008,
il est interdit de fumer dans les
restaurants. Néanmoins, un fumeur qui
aurait consommé une cigarette le 31
décembre 2007 lors d’un repas ne peut
être sanctionné pour cela, car la loi ne
peut pas être rétroactive.
14.
La loi Helms-Burton sanctionne toute
entreprise étrangère qui
s’installerait sur les propriétés
nationalisées appartenant à des
personnes qui, au moment de
l’étatisation, disposaient de la
nationalité cubaine, violant ainsi le
droit international.
15.
,
La loi Helms-Burton viole également
le droit étasunien qui stipule que les
poursuites judiciaires auprès de
tribunaux ne sont possibles que si la
personne lésée par un processus de
nationalisations est citoyen étasunien
lors de l’expropriation et que celle-ci
s’est déroulée en violation au droit
international public. Or, aucune de ces
deux conditions n’est remplie.
16.
La loi Helms-Burton a pour effet de
dissuader de nombreux investisseurs de
s’installer à Cuba par crainte d’être
poursuivis par la justice étasunienne et
elle se révèle très efficace.
17.
En 2004, l’administration Bush Jr. a
créé la Commission d’assistance à une
Cuba libre, qui a imposé de nouvelles
sanctions contre Cuba.
18.
Cette Commission a notamment fortement
limité les voyages. Tous les habitants
des Etats-Unis peuvent se rendre dans
leur pays d’origine autant de fois
qu’ils le souhaitent, sauf les Cubains.
En effet, entre 2004 et 2009, les
Cubains des Etats-Unis n’ont pu se
rendre dans l’île que 14 jours tous les
trois ans, dans le meilleur des cas, à
condition d’obtenir une autorisation du
Département du Trésor.
19.
Pour pouvoir voyager, il fallait
démontrer qu’au moins un membre de la
famille vivait toujours à Cuba.
Néanmoins, l’administration Bush a
redéfini le concept de la famille, qui
s’est exclusivement appliqué aux
Cubains. Ainsi, les cousins, neveux,
oncles et autres parents proches ne
faisaient plus partie de la famille.
Seuls les grands-parents, parents,
frères et sœurs, enfants et époux
faisaient partie de l’entité familiale,
selon la nouvelle définition. Par
exemple, un Cubain résidant aux
États-Unis ne pouvait pas rendre visite
à sa tante à Cuba, ni envoyer une aide
financière à son cousin.
20.
Les Cubains ayant pu remplir toutes les
conditions pour se rendre dans leur pays
d’origine, en plus de devoir limiter
leur séjour à deux semaines, ne devaient
pas dépenser plus de 50 dollars par jour
sur place.
21.
Les citoyens ou résidants étasuniens
peuvent envoyer une aide financière à
leur famille restée au pays, sans limite
de montant, sauf les Cubains qui ne
pouvaient pas envoyer plus de 100
dollars par mois entre 2004 et 2009.
22.
Néanmoins, si un Cubain de Floride
souhaitait envoyer de l’argent à sa mère
– membre direct de la famille selon la
nouvelle définition – qui vivait à La
Havane, cela devenait impossible si
celle-ci militait au sein du Parti
communiste.
23.
En 2006, la Commission d’assistance à
une Cuba libre a adopté un nouveau
rapport accroissant les restrictions
contre Cuba.
24.
Dans le but de limiter la coopération
médicale cubaine avec le reste du Monde,
les Etats-Unis
interdisent toute exportation
d’appareils médicaux à des pays tiers
« destinés à être utilisés dans des
programmes à grande échelle [pour] des
patients étrangers », alors que la
majeure partie de la technologie
médicale mondiale est d’origine
étasunienne.
25.
En raison de l’application
extraterritoriale des sanctions
économiques,
un fabriquant d’automobiles japonais,
allemand, coréen ou autre, qui
souhaiterait commercialiser ses produits
sur le marché étasunien, doit démontrer
au Département du Trésor que ses
voitures ne contiennent pas un gramme de
nickel cubain.
26.
De la même manière, un pâtissier
français qui désirerait investir le
premier marché économique mondial doit
prouver à cette même entité que sa
production ne contient pas un gramme de
sucre cubain.
27.
Ainsi, le caractère extraterritorial des
sanctions limite fortement le commerce
international de Cuba avec le reste du
monde.
28.
Parfois, l’application de ces sanctions
prend une tournure moins rationnelle.
Ainsi, tout touriste étasunien qui
consommerait un cigare cubain ou un
verre de rhum Havana Club lors d’un
voyage à l’étranger, en France, au
Brésil ou au Japon, risque une amende
d’un million de dollars et dix années de
prison.
29.
Le Département du Trésor est clair à ce
sujet : « On se demande souvent si les
citoyens américains peuvent légalement
acquérir des biens cubains, y compris du
tabac ou des boissons alcoolisées, dans
un pays tiers pour leur consommation
personnelle en dehors des Etats-Unis. La
réponse est non ».
30.
De la même manière, un Cubain vivant en
France ne peut théoriquement pas manger
un hamburger à Mc Donald’s.
31.
Les sanctions économiques ont un impact
dramatique dans le domaine de la santé.
En effet, près de 80% des brevets
déposés dans le secteur médical sont du
fait des multinationales pharmaceutiques
étasuniennes et de leurs filiales, et
Cuba ne peut pas y avoir accès. Le
Haut-commissariat aux droits de l’homme
des Nations unies souligne que « les
restrictions imposées par l’embargo ont
contribué à priver Cuba d’un accès vital
aux médicaments, aux nouvelles
technologies médicales et
scientifiques ».
32.
Le 3 février 2006, une délégation de
seize fonctionnaires cubains, réunie
avec un groupe de chefs d’entreprise
étasuniens, a été expulsée de l’hôtel
Sheraton María Isabel de la capitale
mexicaine, en violation de la loi
mexicaine qui interdit tout type de
discrimination en raison de l’origine ou
de la race.
33.
En 2006, l’entreprise japonaise Nikon a
refusé de remettre le premier prix – un
appareil photographique – à
Raysel Sosa Rojas, un jeune garçon de 13
ans souffrant d’hémophilie héréditaire
incurable qui avait remporté le XVe
concours international de dessin
d’enfant du Programme des Nations unies
pour l’environnement. La multinationale
nippone a expliqué que l’appareil
numérique ne pouvait être remis au jeune
Cubain car
il contenait des composants étasuniens.
34.
En 2007, la banque autrichienne Bawag,
rachetée par un fond étasunien, a fermé
tous les comptes tenus par près d’une
centaine de clients d’origine cubaine
résidant dans la république alpine,
appliquant ainsi de manière
extraterritoriale la législation
étasunienne dans un pays tiers.
35.
En 2007, la banque Barclays a ordonné à
ses filiales de Londres de fermer les
comptes de deux entreprises cubaines :
Havana International Bank et
Cubanacán, suite aux pressions
exercées par le Bureau de contrôle des
avoirs étrangers (Office of Foreign
Assets Control, OFAC) du Département
du Trésor.
36.
En juillet 2007, la compagnie aérienne
espagnole Hola Airlines, qui disposait
d’un contrat avec le gouvernement cubain
pour transporter les patients atteints
de maladies oculaires dans le cadre de
l’Opération Milagro, a dû mettre un
terme à ses relations avec Cuba. En
effet, lorsqu’elle a sollicité le
fabricant étasunien Boeing pour
effectuer des réparations sur un
appareil, ce dernier a exigé comme
condition préalable que Hola Airlines
rompe ses relations avec l’île des
Caraïbes, précisant que la directive
émanait du gouvernement des États-Unis.
37.
Le 16 décembre 2009, le Crédit Suisse a
reçu une amende de 536 millions de
dollars de la part du Département du
Trésor pour avoir effectué des
transactions financières en dollars avec
Cuba.
38.
En juin 2012, la Banque néerlandaise ING
s’est vue infliger la plus importante
sanction jamais dictée depuis le début
de l’état de siège économique contre
Cuba. Le Bureau de contrôle des biens
étrangers (OFAC) du Département du
Trésor a sanctionné l’institution
financière d’une amende de 619 millions
de dollars pour avoir effectué, entre
autres, des transactions en dollars avec
Cuba, à travers le système financier
étasunien.
39.
Les touristes étasuniens peuvent se
rendre en voyage en Chine, principal
rival économique et politique des
Etats-Unis, au Vietnam, pays contre
lequel Washington a été plus de quinze
ans en guerre, ou en Corée du Nord, qui
possède l’arme nucléaire et qui menace
d’en faire usage, mais pas à Cuba qui,
dans son histoire, n’a jamais attaqué
les Etats-Unis.
40.
Tout citoyen étasunien qui violerait
cette interdiction risque une peine
pouvant aller jusqu’à 10 ans de prison
et 1 million de dollars d’amende.
41.
Suite aux sollicitations de Max Baucus,
sénateur du Montana, le Département du
Trésor a informé avoir réalisé, entre
1990 et 2004, quatre-vingt treize
investigations en rapport avec le
terrorisme international. Dans le même
temps, il en a effectué 10 683 « pour
empêcher les Nord-américains d’exercer
leur droit de voyager à Cuba ».
42.
Dans un rapport, le Bureau de
responsabilité gouvernementale des
États-Unis (United States Government
Accountability Office – GAO) note
que les services douaniers
(Customs and Border Protection – CBP)
de Miami ont réalisé des
inspections
« secondaires » sur 20% des
passagers en provenance de Cuba afin de
vérifier que ces derniers n’importaient
pas de cigares, de l’alcool ou des
produits pharmaceutiques de l’île. En
revanche, la moyenne a été de 3%
seulement pour les autres voyageurs.
Selon le GAO, cette focalisation
sur Cuba
« réduit l’aptitude des services
douaniers à mener sa mission qui
consiste à empêcher les terroristes, les
criminels et les autres étrangers
indésirables d’entrer dans le pays ».
43.
Les anciens présidents James Carter et
William Clinton ont exprimé à plusieurs
reprises leur opposition à la politique
de Washington. « Je n’ai eu de cesse de
demander à la fois publiquement et en
privé la fin de notre blocus économique
contre le peuple cubain, la levée toutes
les restrictions financières,
commerciales et de voyage », a déclaré
Carter après son second voyage à Cuba en
mars 2011. Pour Clinton, la politique de
sanctions « absurde » s’est soldée par
un « échec total ».
44.
La Chambre de commerce des États-Unis,
représentant le monde des affaires et
les plus importantes multinationales du
pays, a également fait part de son
opposition au maintien des sanctions
économiques.
45.
Le
New York Times a condamné « un
anachronisme de la guerre froide ».
46.
Le
Washington Post, pourtant
d’obédience conservatrice, se montre le
plus virulent à l’égard de la politique
cubaine de Washington : « La politique
des Etats-Unis à l’égard de Cuba est un
échec […]. Rien n’a changé, excepté le
fait que notre embargo nous rend plus
ridicule et impuissant que jamais ».
47.
L’opinion publique étasunienne est
également majoritairement favorable à
une normalisation des relations entre
Washington et La Havane. Selon un
sondage réalisé par CNN le 10 avril
2009, 64% des citoyens étasuniens
s’opposent aux sanctions économiques
contre Cuba.
48.
Selon l’entreprise Orbitz Worldwide,
l’une des deux plus importantes agences
de voyages sur Internet, 67% des
habitants des États-Unis souhaitent se
rendre en vacances à Cuba et 72% pensent
que « le tourisme à Cuba aurait un
impact positif sur la vie quotidienne du
peuple cubain ».
49.
Plus de 70% des Cubains sont nés sous
cet état de siège économique.
50.
En 2012, lors de la réunion annuelle de
l’Assemblée générale des Nations unies,
188 pays sur 192 ont condamné pour la
21ème fois consécutive les sanctions
économiques imposées à Cuba.
Pour approfondir le sujet :
-Salim Lamrani,
État de siège. Les sanctions
économiques des Etats-Unis contre Cuba,
Paris, Éditions Estrella, 2011.
http://www.amazon.fr/Etat-si%C3%A8ge-sanctions-%C3%A9conomiques-Etats-Unis/dp/2953128425/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1366726829&sr=8-1&keywords=salim+lamrani
-Salim Lamrani,
The Economic War against Cuba,
New York, Monthly Review Press, 2013.
http://monthlyreview.org/press/books/pb3409/
Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est
Maître de conférences à l’Université de
la Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule
État de siège. Les sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba, Paris,
Éditions Estrella, 2011 (prologue de
Wayne S. Smith et préface de Paul
Estrade).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
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