Opinion
Comment résoudre
la crise grecque
Salim
Lamrani
© Salim
Lamrani
Mercredi 27 juin
2012
Opera Mundi
http://operamundi.uol.com.br/...
Le cas emblématique de la crise de
l’endettement est la Grèce, qui a subi
depuis 2010 neuf plans d’austérité d’une
sévérité extrême, auxquels le peuple
grec a répondu par quatorze grèves
générales. Pourtant, il existe une
solution.
Le cas de la crise de la dette grecque
est un cas d’école et illustre l’échec
total des politiques néolibérales. En
effet, malgré l’intervention de l’Union
européenne, du Fonds monétaire
international et de la Banque centrale
européenne, malgré l’application de neuf
plans d’une austérité extrême – hausse
massive d’impôts dont la TVA, hausse des
prix, réduction des salaires (jusqu’à
32% sur le salaire minimum !) et des
pensions de retraite, recul de l’âge
légal de départ de la retraite,
destruction des services publics de
première nécessité tels que l’éducation
et la santé, suppression des aides
sociales et privatisations des secteurs
stratégiques de l’économie nationale
(ports, aéroports, chemins de fer, gaz,
eaux, pétrole) – qui ont mis à genoux la
population[1],
la dette est aujourd’hui supérieure à ce
qu’elle était avant l’intervention des
institutions financières internationales
en 2010[2].
Pourtant, la crise grecque aurait pu
être évitée. En effet, il aurait
simplement fallu que la Banque centrale
européenne prête directement à Athènes
les sommes nécessaires, au même taux
d’intérêt qu’elle prête aux banques
privées, c’est-à-dire entre 0% et 1%, ce
qui aurait empêché toute spéculation sur
la dette de la part de la finance. Or,
le Traité de Lisbonne rédigé par Valéry
Giscard d’Estaing, interdit cette
possibilité pour des raisons
difficilement compréhensibles si l’on
part du postulat selon lequel la BCE
agit dans l’intérêt des citoyens[3].
En effet, l’article 123 du Traité de
Lisbonne stipule qu’il « est interdit à
la Banque centrale européenne et aux
banques centrales des États membres,
ci-après dénommées « banques centrales
nationales », d’accorder des découverts
ou tout autre type de crédit aux
institutions, organes ou organismes de
l’Union, aux administrations centrales,
aux autorités régionales ou locales, aux
autres autorités publiques, aux autres
organismes ou entreprises publics des
États membres ; l’acquisition directe,
auprès d’eux, par la Banque centrale
européenne ou les banques centrales
nationales des instruments de leur dette
est également interdite[4] ».
En réalité, la BCE sert directement les
intérêts de la finance. Ainsi, les
banques privées ont emprunté à la BCE au
taux bas de 0% à 1% et ont ensuite
spéculé sur la dette en prêtant ce même
argent à la Grèce à des taux allant de
6% à 18%, aggravant ainsi la crise de la
dette, devenue mathématiquement
impayable, puisque Athènes se trouve
désormais dans l’obligation d’emprunter
uniquement pour rembourser les seuls
intérêts de la dette[5].
Pis encore, la BCE revend à la Grèce des
titres de sa dette au prix fort,
c’est-à-dire de 100% de leur valeur,
alors qu’elle les a acquis à 50%,
spéculant ainsi sur le drame d’une
nation.
Pour ces raisons, il est indispensable
de réformer en profondeur le Traité
européen afin d’autoriser la BCE à
prêter directement aux Etats et à éviter
ainsi les attaques spéculatives de la
Finance sur les dettes souveraines. Ce
fut le cas en Grèce, en Irlande, en
Espagne, au Portugal et en Italie, pour
ne citer que ces nations.
Les leçons en provenance de la nouvelle
Amérique latine
L’Europe a beaucoup à apprendre
de la nouvelle Amérique latine
représentée par le Brésil de Dilma
Roussef, le Venezuela d’Hugo, Chávez, la
Bolivie d’Evo Morales, l’Argentine de
Cristina Kirchner et l’Equateur de
Rafael Correa, en termes de lutte contre
la finance et de récupération de la
souveraineté et du destin national.
Toutes ces nations ont choisi de placer
l’être humain au centre du projet de
société et de se débarrasser du fardeau
de la dette, afin de mettre un terme à
l’influence des institutions financières
internationales tels que le Fonds
monétaire international et la Banque
mondiale.
L’Equateur du président Correa a
indiqué la marche à suivre. En effet, ce
dernier a réussi à faire passer la dette
de 24% à 11% du PIB sans appliquer de
mesures d’austérité. Celle-ci,
contractée dans les années 1970 par des
régimes dictatoriaux, était par essence
illégitime et entrait dans la catégorie
de dette dite « odieuse[6] ».
Le concept de « dette odieuse »,
c’est-à-dire illégitimement imposée,
remonte à 1898 lorsque les Etats-Unis,
suite à leur intervention militaire à
Cuba, ont décidé de décréter
unilatéralement l’annulation de la dette
de La Havane vis-à-vis de Madrid, car
contractée par un régime colonial
illégitime.
Entre 1970 et 2007, l’Equateur a
remboursé 172 fois le montant de la
dette de 1970. Néanmoins, grâce aux
intérêts exorbitants imposés à la
nation, le volume de celle-ci a été
multiplié par 53. De la même manière,
entre 1990 et 2007, la Banque mondiale a
prêté 1,44 milliards de dollars et
l’Equateur a remboursé à cette
institution la somme de 2,51 milliards
de dollars. Le service de la dette
représentait entre 1980 et 2005 50% du
budget de la nation, au détriment de
tous les programmes sociaux[7].
A son arrivée au pouvoir en 2007, Correa
réduit le service de la dette à 25% du
budget national et crée la Commission
pour l’audit intégral de l’Endettement
public, afin d’évaluer la légitimité de
la dette[8].
La Commission publia son rapport et
considéra que la dette commerciale
équatorienne était illégitime. En
novembre 2008, le président Correa a
procédé à la suspension du paiement de
70% de la dette publique.
Conséquence logique, la valeur de la
dette équatorienne a perdu 80% de sa
valeur dans le marché secondaire. Quito
en a profité pour racheter 3 milliards
de sa propre dette pour une somme de 800
millions de dollars, réalisant ainsi une
économie de 7 milliards de dollars
d’intérêts que le pays aurait payé
jusqu’à 2030.
Ainsi, par un simple audit
international, l’Equateur a réduit, sans
aucun frais, sa dette de près de 10
milliards de dollars. La dette publique
est passée de 25% du PIB en 2006 à 15%
du PIB en 2010. Dans le même temps, les
dépenses sociales (éducation, santé,
culture, etc.…) sont passées de 12% à
25%[9].
L’Europe doit suivre la voie
tracée par la nouvelle Amérique latine.
En effet, le problème de la dette
publique ne peut en aucun cas être
résolu par l’application de mesures
d’austérité politiquement désastreuses,
socialement injustes et économiquement
inefficaces. Les vagues de
privatisations de secteurs clés de
l’économie nationale et la remise en
cause des droits sociaux chèrement
conquis ne sont pas non plus la solution
pour une dette mathématiquement
impayable. L’issue est pourtant simple :
que la Banque centrale européenne prête
directement aux Etats au même taux que
celui réservé aux banques privées et que
le pouvoir de création monétaire soit
une exclusivité des banques centrales.
L’intérêt général doit prévaloir sur
celui des banques privées. Qui osera en
Europe prendre exemple sur le Nouveau
Monde latino-américain et avoir le
courage politique d’affronter le monde
de la finance ?
Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est
enseignant chargé de cours à
l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, et
l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée,
et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule
État de siège. Les sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba, Paris,
Éditions Estrella, 2011 (prologue de
Wayne S. Smith et préface de Paul
Estrade).
Contact :
Salim.Lamrani@univ-mlv.fr ;
lamranisalim@yahoo.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
[1]
Le Figaro,
« Grèce : les 10 nouvelles
mesures de rigueur », 13 février
2012.
[2]
Comité
pour l’Annulation de la Dette du
Tiers monde (CADTM),
« Le
CADTM dénonce la campagne de
désinformation sur la dette
grecque et le plan de sauvetage
des créanciers privés », 10 mars
2012.
http://www.cadtm.org/Le-CADTM-denonce-la-campagne-de
(site consulté le 29 avril
2012).
[4]
Traité de
Lisbonne,
article 123.
[5]
Comité
pour l’Annulation de la Dette du
Tiers monde (CADTM),
« Le
CADTM dénonce la campagne de
désinformation sur la dette
grecque et le plan de sauvetage
des créanciers privés »,
op. cit.
[8]
Comisión para la Auditoría
Integral del Crédito Público,
juillet 2007.
[9]
Guillaume Beaulande,
« Equateur : le courage
politique de dire non à la dette
et au FMI »,
Place au Peuple 2012, 14
décembre 2011.
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