Interview
Salim Lamrani: « De puissants intérêts se cachent derrière la
cyberdissidence de Yoani Sánchez »
Salim Lamrani
Jeudi 25 février 2010
Salim Lamrani vient de publier
Cuba, ce que les médias ne vous diront jamais, dans lequel il
aborde tous les thèmes utilisés par la propagande étasunienne
pour justifier les sanctions économiques unilatérales contre
Cuba, indépendamment de l’alternance entre démocrates et
républicains. Avec un prologue de Nelson Mandela, ce livre à
l’analyse exhaustive et aux arguments précis en font un ouvrage
de référence.
Guillermo
Nova | La República | La Havane
Vous venez de
publier un nouveau livre sur le traitement médiatique sur cuba.
Que cachent les médias à propos de la réalité cubaine ?
Les médias
manipulent complètement la réalité de ce petit pays et le
présentent comme étant l’antichambre de l’enfer en se basant
surtout sur des préjugés et sur la rhétorique. Ils n’effectuent
jamais d’études comparatives ni ne donnent la parole à ceux qui
disposent d’une opinion différente sur ce thème. Prenons
l’exemple par excellence : les droits de l’homme. Les médias
dénoncent très souvent la situation des droits de l’homme à
Cuba. En revanche, ils n’effectuent jamais d’analyses
comparatives, alors qu’il suffit de prendre les rapports annuels
d’Amnesty International et de les comparer. C’est ce que je fais
dans le livre et le résultat est édifiant : De tout le continent
américain, du Canada jusqu’à l’Argentine, le pays qui viole le
moins les droits de l’homme est Cuba selon Amnesty
International. Cela ne veut pas dire que Cuba est le paradis. Il
existe certaines violations des droits de l’homme sur l’île.
Par ailleurs,
les médias occultent minutieusement le contexte géopolitique
dans lequel se trouve Cuba et ne disent pas un mot sur la
constante agression politique, économique, diplomatique et
médiatique de Washington contre Cuba. C’est la raison pour
laquelle les médias commettent une grave violation de la
déontologie journalistique lorsqu’ils traitent de la réalité
cubaine.
Il faut sortir
de la vision manichéenne : Cuba n’est ni « Alice au pays des
merveilles » ni « l’enfer de Dante » et c’est ce que j’essaye de
faire dans le livre.
Pourquoi Cuba
est-elle tant stigmatisée dans les médias ?
Pour la seule et
unique raison que Cuba a rejeté le capitalisme d’entreprise
privée et a décidé de placer l’être humain au centre de son
projet de société et non le profit. C’est un pêché impardonnable
pour les grands groupes économiques et financiers qui contrôlent
l’immense majorité des médias privés. Comme vous pouvez le
constater, cela n’a rien à voir avec la démocratie et les droits
de l’homme.
Les
Etats-Unis ont-ils besoin de cette couverture médiatique pour
maintenir les sanctions économiques?
Pendant 30 ans,
la rhétorique diplomatique des Etats-Unis, pour justifier l’état
de siège économique contre Cuba a présenté l’alliance avec le
monstre soviétique comme étant le principal obstacle à la
normalisation des relations avec La Havane. Bien évidemment,
cette affirmation est dénuée de fondement historique car
l’hostilité à l’égard du gouvernement révolutionnaire a débuté
avant le renouement des liens avec l’URSS en mai 1960. Par
ailleurs, après l’effondrement du bloc soviétique et la
disparition de la menace rouge en 1991, au lieu de normaliser
les relations, les Etats-Unis ont augmenté les sanctions avec la
loi Torricelli en 1992, la Helms-Burton en 1996, le Premier Plan
de Bush en 2004 et le Second Plan en 2006. Seule la rhétorique a
changé. Désormais ce n’est plus la menace soviétique qui empêche
un modus vivendi mais « l’inacceptable situation des droits de
l’homme ».
Comme si les
Etats-Unis et l’Union européenne disposaient d’autorité morale
pour donner des leçons sur les droits de l’homme aux Cubains.
L’ouvrage
contient un prologue de Nelson Mandela
Nelson Mandela,
grand ami de Fidel Castro, même si les médias ne veulent pas que
cela se sache, m’a fait l’immense honneur d’intégrer dans mon
livre une réflexion sur le rôle fondamental de Cuba dans la
libération des peuples d’Afrique. Il explique également pourquoi
le premier pays qu’il a visité après sa libération a été Cuba et
non un voisin africain, les Etats-Unis ou l’Europe. Je lui fais
part d’ici de mon immense dette de gratitude.
Vous avez
l’habitude de publier des articles, des livres, de participer à
des Débats publics, mais vous n’apparaissez quasiment jamais à
la télévision. Pourquoi ?
Tout d’abord,
parce que l’on m’invite très rarement et quand c’est le cas, on
m’impose des conditions inacceptables, comme par exemple
débattre contre plusieurs contradicteurs à la fois. Ensuite,
parce que la télévision est un moyen de communication
particulier et peu propice au débat profond pour une raison
simple : le temps de télévision est un temps très court, très
bref, uniquement adapté aux pensées conventionnelles. Par
exemple, si je dis à la télévision que Cuba est une dictature,
c’est un message qui passe sans aucun problème, aucune
explication n’est nécessaire. C’est comme si je disais que la
terre était ronde. En revanche, si j’affirme que le fait de
considérer Cuba comme une dictature est caricatural, il est
indispensable que j’explique mon point de vue et il faut du
temps pour cela. Mais la télévision ne dispose pas de ce temps.
Comment
voyez-vous le phénomène des bloggeurs opposants ?
Tout d’abord, de
mon point de vue personnel, rien ni personne ne devrait empêcher
les bloggeurs cubains d’exprimer leurs idées et leurs opinions
sans crainte de représailles, car ils ont le droit de critiquer
sévèrement les autorités de La Havane. Maintenant, il est
évident que de puissants intérêts
opposés au processus révolutionnaire cubain se cachent
derrière ce rideau de fumée que l’on nomme la « cyberdissidence
cubaine », symbolisée par Yoani Sánchez.
En un mot, si l’on me demandait de signer une pétition défendant
le droit de Yoani à critiquer le gouvernement cubain, je la
signerais sans aucun problème. En revanche, si l’on me
sollicitait pour signer un document affirmant que Yoani est une
simple bloggeuse dont l’objectif est de dénoncer les aberrations
et les contradictions d’un système, je ne le ferais pas car ce
n’est pas le cas.
La
contradiction qui existe entre les médias et le pouvoir est de
plus en plus grande mais en revanche, il est indéniable qu’il
existe une absence de critique à leur égard dans les pays
occidentaux.
Le problème
fondamental des médias et qu’ils ne disposent pas d’un
contre-pouvoir puissant, même si la presse alternative sur
Internet joue un rôle extraordinaire pour dénoncer les dérives
des transnationales de l’information.
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