Opinion
La réforme du modèle économique cubain
Causes et perspectives (1/3)
Salim
Lamrani
Salim
Lamrani
Mardi 23 août
2011
Confrontée à des sanctions économiques
imposées par les Etats-Unis depuis plus
d’un demi-siècle, à la crise financière
globale et à un problème récurrent de
productivité, Cuba se trouve dans
l’obligation de réformer en profondeur
son système socio-économique afin de
préserver ses acquis sociaux et son mode
de vie. Si les facteurs externes
expliquent en partie les difficultés
auxquelles se trouve confrontée la
société cubaine, il est impossible d’en
éluder les responsabilités internes.
Comme l’a souligné le président cubain
Raúl Castro lors du IXe
Congrès de l’Union des Jeunes
Communistes le 4 avril 2010, « la
bataille économique constitue
aujourd’hui, plus que jamais, la tâche
principale […] des cadres car d’elle
dépend la durabilité et la préservation
de notre système social[1] ».
Quelques mois plus tard, le 18 décembre
2010, lors d’une intervention devant le
Parlement cubain, Raúl Castro a tenu un
discours plus alarmiste et a mis le
gouvernement et les citoyens face à
leurs responsabilités : « Soit nous
rectifions [ce qui ne marche pas,] soit
nous coulons après avoir trop longtemps
bordé le précipice[2] ».
Le leader historique de la Révolution
cubaine, Fidel Castro, a approuvé cette
analyse et a apporté son soutien au
processus d’actualisation du système
économique[3].
L’alternative est claire : le modèle
économique cubain doit urgemment subir
des changements structurels et
conceptuels profonds sous peine
d’effondrement.
Les facteurs externes
Le principal obstacle au
développement économique du pays reste
les sanctions économiques que Washington
impose de façon unilatérale à La Havane
depuis juillet 1960, lesquelles
affectent les catégories les plus
vulnérables de la population cubaine et
tous les pans de la société. Unanimement
condamnées pour la 19ème fois
consécutive par 187 pays en octobre
2010, lors de la réunion de l’Assemblée
générale des Nations unies, les
sanctions économiques, en plus de
bloquer tout commerce substantiel entre
les deux nations (sauf certaines
matières premières alimentaires depuis
2000), revêtent également un caractère
rétroactif et extraterritorial. En
effet, depuis l’adoption de la loi
Torricelli en 1992, de la loi Helms-Burton
en 1996 ainsi que des nouvelles
restrictions imposées par
l’administration Bush en 2004 et 2006,
le commerce avec les pays tiers s’en
trouve fortement affecté[4].
Ainsi, depuis 1992, toute embarcation
accostant à un port cubain se voit
interdire l’entrée aux Etats-Unis
pendant six mois, ce qui engendre un
surcoût important pour Cuba, qui dépend
essentiellement du transport maritime en
raison de son insularité. De la même
manière, depuis 1996, tout entrepreneur
étranger investissant à Cuba sur des
terres nationalisées en 1959 risque de
voir ses avoirs gelés aux Etats-Unis.
Par ailleurs, depuis 2004, tout
constructeur automobile, quelle que soit
sa nationalité, doit démontrer au
Département du Trésor que ses produits
ne contiennent pas un seul gramme de
nickel cubain pour pouvoir les vendre
sur le marché étasunien. Il en est de
même pour toutes les entreprises
agroalimentaires souhaitant investir le
marché étasunien. Danone, par exemple,
devra démontrer que ses produits ne
contiennent aucune matière première
cubaine. Ces mesures rétroactives et
extraterritoriales privent ainsi
l’économie cubaine de nombreux capitaux
et les exportations cubaines de nombreux
marchés à travers le monde[5].
D’un autre côté, les crises économique,
financière, énergétique, alimentaire et
environnementale ont eu un impact
désastreux sur les pays en voie de
développement en général et Cuba en
particulier. L’envolée des prix des
matières premières alimentaires, dont le
prix a été multiplié par deux depuis
2007 et dont l’île dépend à 83%, ainsi
que la baisse du cours des ressources
minérales que Cuba exporte (tel que le
nickel dont le cours a chuté de plus de
50%) ont déséquilibré la balance des
paiements et fortement réduit les
liquidités disponibles. Ainsi, entre
1997 et 2009, Cuba a subi une perte
nette de plus de 10 milliards de dollars
en raison de la dégradation des termes
de l’échange et a vu son pouvoir d’achat
se réduire de 15%. Par ailleurs, Cuba se
voit interdire tout accès à des
financements externes auprès du Fonds
monétaire international ou de la Banque
mondiale, en raison des sanctions
économiques. Les Cubains de l’étranger,
des Etats-Unis en particulier, ont
réduit le montant de leurs transferts
d’argent vers l’île en raison de la
récession économique. Les revenus du
tourisme ont également chuté pour les
mêmes motifs[6].
A cela s’ajoutent les catastrophes
naturelles – seize cyclones au total –
qui, entre 1998 et 2008, ont causé des
dégâts d’un montant supérieur à 20
milliards de dollars[7].
Ainsi, l’ouragan Gustav qui a frappé les
Caraïbes à la fin du mois d’août 2008 a
eu un coût matériel dramatique. Les
provinces de Pinar del Río, Matanzas et
de l’île de Jeunesse ont offert un
spectacle de ruine et de désolation. Des
25 000 logements que compte l’Île de la
Jeunesse, 20 000 ont été partiellement
ou totalement détruits. Près de 45% des
habitations de Pinar del Río, soit
102 000 logements, ont été gravement
endommagées. Fidel Castro avait comparé
les dégâts causés par le cyclone à
« une attaque nucléaire[8] ».
Pour sa part, l’ouragan Ike de septembre
2008 a détruit, entre autres, 323 000
logements, 700 000 tonnes d’aliments,
une grande partie de l’infrastructure
électrique et les réserves d’eau
potable.[9]
Par ailleurs, les précipitations
irrégulières entre novembre 2008 et juin
2010 ont affectés les cultures agricoles
et réduit les possibilités
d’exportations de certaines matières
premières alimentaires (tabac, rhum,
sucre)[10].
Ces aléas ont amenés les autorités
cubaines à bloquer les transferts
financiers vers l’extérieur à partir de
2008 afin d’éviter une fuite des
capitaux étrangers. La Havane a
également été contraint de renégocier sa
dette face aux difficultés de paiement.
Quant à la croissance, elle a été de
2,1% pour l’année 2010[11].
À suivre :
-« Les facteurs internes » 2/3
-« Les mesures économiques et sociales »
3/3
Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est
enseignant chargé de cours à
l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, et
l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée,
et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule
Etat de siège. Les sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba, Paris,
Editions Estrella, 2011, avec un
prologue de Wayne S. Smith et une
préface de Paul Estrade.
Contacto:
Salim.Lamrani@univ-mlv.fr
;
lamranisalim@yahoo.fr
[1]
Raúl Castro, « Discurso
pronunciado por el General de
Ejército Raúl Castro Ruz,
Presidente de los Consejos de
Estado y de Ministros, y Segundo
Secretario del Comité Central
del Partido Comunista de Cuba,
en la clausura del IX Congreso
de la Unión de Jóvenes
Comunistas »,
República de Cuba, 4 avril
2010.
http://www.cuba.cu/gobierno/rauldiscursos/2010/esp/r030410e.html
(site consulté le 26 mars 2011).
[2]
Raúl Castro, « Discurso
pronunciado por el General de
Ejército Raúl Castro Ruz,
Presidente de los Consejos de
Estado y de Ministros, en la
clausura del Sexto Período
Ordinario de Sesiones de la
Séptima Legislatura de la
Asamblea Nacional del Poder
Popular, en el Palacio de
Convenciones, el 18 de diciembre
de 2010, “Año 52 de la
Revolución” »,
República de Cuba,
18 décembre 2010.
http://www.cuba.cu/gobierno/rauldiscursos/2010/esp/r181210e.html
(site consulté le 2 avril 2011).
[3]
Agence France
Presse,
« Fidel Castro apoya cambios
impulsados por su hermano
Raúl », 18 novembre 2010.
[4]
Salim Lamrani,
État de siège, Paris,
Éditions Estrella, 2011.
[6]
Partido
Comunista de Cuba,
« Resolución sobre los
lineamientos de la política
económica y social del partido y
la Revolución »,
Prensa Latina 18 avril 2011.
http://www.prensa-latina.cu/Dossiers/LineamientosVICongresoPCC.pdf
(site consulté le 20 avril
2011).
Voir également Andrea Rodriguez,
« Alza de precio de alimentos
afecta a Cuba »,
The Associated Press, 15
avril 2011.
[8]
Fidel Castro, « Un golpe
nuclear », Granma, 3
septembre 2008 ; Ronald Suárez
Rivas, « Housing, the Greatest
Challenge », Granma, 2
septembre 2008.
[9]
Marta Hernández, « Más de
320 000 casas dañadas »,
Granma, 11 septembre 2008.
Orfilio Pelaez, « Pérdidas
millonarias en la vivienda »,
Granma, 13 septembre 2008 ;
Granma, « Cuba prioriza
alimentación de damnificados por
huracán Gustav », 5 septembre
2008, Prensa Latina,
« Cuba prosigue evaluación de
daños y recuperación tras
huracán Ike », 11 septembre 2008
; Freddy Pérez Cabrera,
« Recuperar todo lo relacionado
con la producción de
alimentos », Granma, 11
septembre 2008 ; EFE,
« Los supermercados de La Habana
presentan problemas de
abastecimiento », 16 septembre
2008 ; Wilfredo Cancio Isla,
« Perdidas 700,000 toneladas de
alimentos », El Nuevo Herald,
12 septembre 2008 ; The
Associated Press, « Cuba
Estimates Gustav, Ike Damages at
US$5 Billion », 16 septembre
2008 ; Granma,
« Información oficial de datos
preliminares sobre los daños
ocasionados por los huracanes
Gustav e Ike », 16 septembre
2008.
[10]
Raúl Castro, « Discurso
pronunciado por el General de
Ejército Raúl Castro Ruz,
Presidente de los Consejos de
Estado y de Ministros, en la
clausura del Sexto Período
Ordinario de Sesiones de la
Séptima Legislatura de la
Asamblea Nacional del Poder
Popular, en el Palacio de
Convenciones, el 18 de diciembre
de 2010, “Año 52 de la
Revolución” »,
op.cit.
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