Venezuela
Les mensonges de Reporters sans frontières
sur le Venezuela
Salim Lamrani
Salim Lamrani
Samedi 20 juin 2009
Le 29 mai 2009, Reporters sans frontières a publié une lettre
ouverte destinée au président vénézuélien Hugo Chávez dans
laquelle l’association dénonce
« une véritable charge du
pouvoir et de l’administration » contre
Globovisión,
« une chaîne privée
d’information ». Selon l’organisation parisienne,
Globovisión
« fait l’objet d’une
procédure administrative pouvant mener à sa suspension d’antenne
pour une durée de soixante-douze heures » pour avoir
« relayé l’information
[du séisme du 4 mai 2009] en se référant aux données de
l’Institut géologique des Etats-Unis1 ».
Les autorités vénézuéliennes reprochent à la chaîne
« d’avoir enfreint
l’article 29 de la Loi de responsabilité sociale en radio et
télévision (Loi Resorte) sanctionnant les médias qui
‘promeuvent, font l’apologie ou incitent à la guerre ;
promeuvent, font l’apologie ou incitent aux altérations de
l’ordre public ». RSF questionne :
« En quoi une information
donnée sur un tremblement de terre, pour imparfaite qu’elle
puisse être, cadre-t-elle avec la définition de l’infraction2 ?».
Présentée de cette manière, l’affaire a de quoi
surprendre l’opinion publique internationale. Mais contrairement
à ce qu’affirme RSF, la réalité est autre et soigneusement
éludée par l’entité française de
« défense de la liberté
de la presse ».
Globovisión contre la
démocratie
Depuis 1998,
Globovisión n’a eu de cesse de s’opposer au gouvernement
démocratique d’Hugo Chávez. En avril 2002, la chaîne de
télévision avait activement participé au coup d’Etat de Pedro
Carmona Estanga. Dans n’importe quel pays du monde,
Globovisión aurait
été fermée et ses dirigeants condamnés à de lourdes peines de
prison. Mais le Tribunal suprême, contrôlé par l’opposition à
l’époque, avait refusé de reconnaitre la réalité du putsch et
s’était contenté de prononcer une
« vacance de pouvoir »
pour expliquer le coup de force.
Par la suite, la chaîne a multiplié les
appels à l’insurrection3. En mai 2007,
Globovisión s’est
même rendue coupable d’incitation à l’assassinat du président
Chávez en manipulant des images et en lançant des messages
subliminaux. Lors de la diffusion du programme Aló, Ciudadano,
où une interview de Marcel Granier, directeur de la chaîne
RCTV, critiquant fortement Chávez était diffusée, la chaîne
a montré simultanément les images de l’attentat contre le Pape
Jean-Paul II survenu en mai 1981.
Globovisión n’avait
pas su expliquer pourquoi elle avait diffusé des images de
l’attentat dans un programme traitant du non renouvellement de
la concession de RCTV4. Plusieurs experts en
sémiotique avait été catégoriques à ce sujet : « On incite à
l’assassinat du Président5 ». En France,
de tels agissements auraient conduit les journalistes de la
chaîne ainsi que leurs dirigeants derrière les barreaux.
Les journalistes de Globovisión
ainsi que les présentateurs de la chaîne ont également multiplié
les expressions diffamatrices à l’égard du gouvernement en
utilisant les termes « dictature » et « tyrannie »,
afin de justifier les appels à la désobéissance civile et les
actes de violence. De telles expressions sont inimaginables en
Occident6.
L’affaire du séisme
Le 4 mai 2009, une secousse sismique a frappé l’état de
Miranda à 4 heures 40 du matin, suivie de trois répliques (4h50,
6h23 et 6h24), sans faire de dégâts humains. A 5h25, le ministre
de l’Intérieur et de la Justice Tarek El Aissami a indiqué que
le tremblement de terre avait été ressenti à plusieurs endroits.
« Nous recevons
actuellement des rapports sur les dégâts. Nous sommes en train
de déterminer l’épicentre et la magnitude à travers la Funvisis
(Fondation vénézuélienne de recherche sismologique). Nous
voulons informer que pour l’instant nous n’avons aucun rapport
de dommages matériels ou humains. Nous souhaitons lancer un
appel au calme. Nous avons ordonné immédiatement un déploiement
de patrouilles afin de protéger les personnes qui ont quitté
leur demeure », a-t-il déclaré7. A 5h44, El
Aissami a rendu public un second rapport informant qu’il s’était
entretenu avec le président ainsi que le vice président Ramón
Carrizález, soulignant par la même occasion que Chávez avait
ordonné le déploiement de la Garde nationale bolivarienne afin
d’assurer la sécurité des citoyens7.
De son côté, Francisco Garcés, président de
Funvisis, a informé à 5h40 que deux secousses avaient frappé la
capitale Caracas ainsi que la zone métropolitaine et a demandé
aux médias de lancer des appels au calme à la population. A
6h05, le ministre des Travaux publics et du Logement, Diosdado
Cabello, a indiqué que le métro, le chemin de fer et l’aéroport
fonctionnaient parfaitement. Hector Navarro, ministre de
l’Education, a également souligné que les écoles et les
universités n’avaient pas été touchées par le séisme et qu’elles
restaient ouvertes. Jesús Mantilla, ministre de la Santé, a fait
part du fonctionnement normal des centres hospitaliers du pays.
A 6h47, la ministre des Télécommunications et de l’Informatique
Socorro Hernández a informé la population que le réseau de
télécommunications n’avait pas été affecté. Alejandro Hitcher,
président de Hidrocapital, a expliqué pour sa part que le
système des aqueducs fonctionnait normalement. A 7h, Blanca
Ekhout, ministre de la Communication et de l’Information, a
signalé que l’ensemble des organismes de l’Etat était entré en
état d’alerte dès la première secousse. Jacqueline Faría, chef
du gouvernement du District de la capitale, ainsi que Rafael
Ramírez, ministre de l’Energie et du Pétrole, ont tenu la
population informée dans leurs attributions respectives8.
Cependant, à 5h20 du matin, soit à peine 40 minutes après
la première secousse sismique, le directeur de
Globovisión Alberto
Federico Ravell, s’est empressé d’intervenir personnellement en
direct sur sa chaîne pour – après avoir fourni une information
erronée sur l’épicentre du séisme se basant sur des informations
en provenance… des Etats-Unis – s’en prendre directement au
gouvernement et l’accuser d’incurie tout en transmettant un
message de peur et d’angoisse.
« Nous sommes très
inquiets, nous n’avons trouvé personne, nous n’avons trouvé
aucune autorité susceptible de nous informer de manière précise
et exacte […]. Nous sommes dans l’attente d’une information
précise et vérace de la part de nos autorités car nous n’avons
personne à qui nous adresser. Nous avons appelé Funvisis mais on
a été coupé, nous n’avons pas pu entrer en contact avec les
pompiers. Le maire [Gerardo] Blay n’indique pas s’il y a des
dégâts dans sa région9 ».
A ce moment de la conversation, le présentateur de
Globovisión a
interrompu son directeur pour lui rappeler une réalité.
« Directeur, nous venons
d’avoir une nouvelle
fois au téléphone le président de Funvisis qui nous
informe qu’il se trouve en voiture et que c’est la raison pour
laquelle il lui a été impossible de nous fournir des
informations. Cependant, il a affirmé que dès qu’il arrivera à
destination, il nous informera en direct à la télévision pour
nous fournir une meilleure information10 ».
Loin d’entendre l’appel à la raison, Ravell en profita
pour stigmatiser de nouveau les autorités :
« Les médias officiels
qui font tant de propagande devraient être en train d’informer
les citoyens en ce moment, sans que nous ayons à recourir aux
services météorologiques des Etats-Unis pour informer les gens
qu’à Caracas il y a eu un tremblement de terre11 ».
Tarek el Assaimi a dénoncé
« l’attitude mesquine et
l’utilisation irresponsable d’un moyen de communication ».
Ravel, au lieu de transmettre un message de tranquillité, a
instrumentalisé une catastrophe naturelle pour des fins
politiques et « semer la
crainte au sein de la population », selon Cabello, ministre
des travaux Publics12. Que se passerait-il en France
si le directeur de la chaîne privée TF1 avait attaqué le
gouvernement de Nicolas Sarkozy, avec la même virulence,
quarante minutes après le début des inondations survenues en
2008, l’accusant d’abandonner les victimes à leur sort ?
La
désinformation de RSF
RSF a bien évidemment soigneusement censuré cette réalité
et tente de faire passer une grave atteinte à la déontologie
journalistique et un sérieux manquement à la responsabilité des
médias pour une violation de la liberté de la presse. En
référence au coup d’Etat de 2002, l’organisation parisienne
reconnait qu’« une
procédure judiciaire, assortie d’un débat contradictoire, sur
l’attitude de certains médias privés au cours de ces évènements
n’était pas sans fondement à l’époque » mais feint d’ignorer
les agissements continuels et illégaux de
Globovisión en
s’interrogeant : « Sur
quel contenu repose désormais l’accusation, plus de sept ans
après les faits13 ? ».
Enfin, RSF
affirme que « Globovisión
est le seul média télévisuel du réseau à émettre une voix
nettement critique envers votre gouvernement. […].Dans d’autres
pays d’Amérique latine, où vos homologues ont été durement
confrontés à des médias hostiles ou considérés comme tels,
jamais la réplique de l’État n’a pris une tournure aussi
extrême.
Jamais n’a eu lieu la subordination
de la quasi-totalité du secteur télévisuel à la seule voix
dirigeante ». Ici, le
mensonge est triple : l’entité du président Robert Ménard tente
de faire croire que les agissements de
Globovisión sont
monnaie courante en Amérique latine, que le gouvernement Chávez
s’en prend à la chaîne en raison des critiques émises à son
encontre et que les autres médias télévisuels du pays
sont à la solde du
leader bolivarien14.
Encore une fois,
il est aisé d’infirmer les propos de RSF. D’une part, aucun
média latino-américain n’a appelé au renversement du président
élu tel que l’a fait
Globovisión. Par ailleurs, il suffit de regarder les chaînes
de télévision privées qui occupent plus de 80% de l’espace
médiatique du pays pour se rendre contre que la critique à
l’encontre des autorités y est acerbe et constante. Enfin, tout
analyste sérieux sait pertinemment qu’aucun pays du continent
américain ne peut se targuer de disposer d’une liberté
d’expression et de la presse similaire à celle qui règne au
Venezuela. Ainsi, pour RSF, les médias doivent inciter à
l’insurrection et au renversement de l’ordre établi comme le
fait Globovisión pour
ne pas être considérés comme étant à la botte du pouvoir.
Depuis l’élection d’Hugo Chávez à la présidence de la
République bolivarienne du Venezuela, RSF a pris fait et cause
pour l’opposition antidémocratique et putschiste et n’a eu de
cesse de défendre ses intérêts au niveau international. Ainsi,
lors du coup d’Etat du 11 avril 2002, RSF s’était bien gardée de
dénoncer le rôle principal joué par les médias privés opposés au
président démocratiquement élu. Pis encore, le 12 avril 2002,
RSF avait publié un article reprenant sans aucune réserve la
version des putschistes et avait essayé de convaincre l’opinion
publique internationale que Chávez avait démissionné :
« Reclus dans le palais présidentiel,
Hugo Chávez a signé sa démission dans la nuit, sous la pression
de l’armée. Il a ensuite été conduit au fort de Tiuna, la
principale base militaire de Caracas, où il est détenu.
Immédiatement après, Pedro Carmona, le président de Fedecámaras,
a annoncé qu’il dirigerait un nouveau gouvernement de
transition. Il a affirmé que son nom faisait l’objet d’un
"consensus" de la société civile vénézuélienne et du
commandement des forces armées15 ».
RSF n’est pas une organisation de défense de la liberté
de la presse mais une sombre entité à l’agenda politique bien
précis chargée de discréditer par tous les moyens possibles les
gouvernements progressistes à travers le monde et qui se
trouvent sur la liste noire des Etats-Unis. Rien d’étonnant
quand on sait que Washington finance substantiellement
l’organisation par le biais de la
National Endowment for
Democracy, une officine écran de la CIA selon le
New York Times16.
Notes
1
Reporters sans frontières,
« Acharnement gouvernemental contre la chaîne Globovisión :
lettre ouverte au Président Hugo Chávez », 29 mai 2009.
http://www.rsf.org/article.php3?id_article=31466 (site
consulté le 2 juin 2009).
2
Ibid.
3
Agencia Bolivaria de Noticias, « Periodistas coinciden en
que Globovisión es promotor de protestas de oposición », 29 mai
2007.
4
Agencia Bolivaria de Noticias, « Ministro Lara denunció
que medios de oposición incitan a magnicidio », 27 mai 2007.
5
Agencia Bolivaria de Noticias,
« CNN miente sobre Venezuela y Globovisión incita al
magnicidio », 28 mai 2007.
6
Agencia Bolivaria de Noticias, « Globovisión continúa con
la instigación a la desestabilización », 29 mai 2007.
7
Luigino Bracci Roa, « Fuerte
temblor sacudió región central del país esta madrugada sin
causar daños »,
Yvke Mundial,
4 mai 2009.
http://www.radiomundial.com.ve/yvke/noticia.php?23910
(site consulté le 15 juin 2009).
8
Ibid.
9
Globovisión, « ¿Quién
sintio el temblor primero? ¿Los chavistas o los opositores? », 4
mai 2009.
http://www.youtube.com/watch?v=TwC0pLR-ajQ
(site consulté le 15 juin 2009).
10
Ibid.
11
Ibid.
12
Ibid.
13
Reporters sans frontières,
« Acharnement gouvernemental contre la chaîne Globovisión :
lettre ouverte au Président Hugo Chávez »,
op. cit.
14
Ibid.
15
Reporters sans frontières, « Un journaliste a été tué,
trois autres ont été blessés et cinq chaînes de télévision
brièvement suspendues », 12 avril 2002.
www.rsf.org/article.php3?id_article=1109 (site consulté le
13 novembre 2006).
16
Salim Lamrani, Cuba. Ce
que les médias ne vous diront jamais (Paris : Editions
Estrella, 2009).
Salim Lamrani est enseignant chargé de
cours à l’Université Paris-Descartes et l’Université Paris-Est
Marne-la-Vallée et journaliste français, spécialiste des
relations entre Cuba et les Etats-Unis. Il a publié, entre
autres, Double Morale. Cuba, l’Union européenne et les droits
de l’homme (Paris : Editions Estrella, 2008). Son nouvel
ouvrage s’intitule Cuba.
Ce que les médias ne vous diront jamais (Paris : Editions
Estrella, 2009) et comporte un prologue de Nelson Mandela.
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr
;
salim.lamrani@parisdescartes.fr
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