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Cuba
Changements à Cuba ?
Salim Lamrani
Salim Lamrani
17 avril 2008
La presse occidentale a été prolixe au sujet des changements
survenus à Cuba suite à l’élection de Raúl Castro à la
présidence de la République et s’est réjouie d’une éventuelle
libéralisation de l’économie de l’île1. Mais cette
réalité a été traitée, comme toujours dès lors qu’il s’agit de
Cuba, de manière superficielle et erronée. Que ce soit au sujet
de l’acquisition des appareils électriques, des hôtels, des
téléphones portables, les restrictions qui étaient en vigueur il
y a peu avaient des explications rationnelles, mais celles-ci
n’ont pas été abordées par les transnationales de l’information.
En réalité, un intense débat avait été lancé au début de l’année
2008, peu avant la décision de Fidel Castro de ne pas se
représenter, dans le but d’améliorer le socialisme cubain. Il
avait impliqué l’ensemble de la population et avait généré 1,3
millions de propositions.
Les appareils électriques
Les médias ont annoncé en fanfare que désormais les
Cubains étaient libres d’acquérir des appareils électriques et
électroménagers, sous-entendant qu’ils étaient complètement
interdits à la vente auparavant2. Or la réalité est
sensiblement différente. La vente de ces articles n’a jamais été
prohibée à Cuba mis à part certains produits à forte
consommation d’énergie tels que les cuisinières électriques et
les micro-ondes, à une époque où la production énergétique de
Cuba était insuffisante pour couvrir les besoins de la
population.
En effet, pendant la période spéciale qui a débuté en
1991, suite à la désintégration du bloc soviétique, Cuba s’est
retrouvée seule face au marché international et a dû faire face
à la disparition de plus de 80% de son marché extérieur, mais
également à la recrudescence de l’implacable agression
économique de la part des Etats-Unis. Dans ce contexte
extrêmement difficile, l’île des Caraïbes a été frappée par de
nombreuses pénuries, notamment au niveau de l’énergie, ce qui
entraînait de longues coupures de courant. A cette occasion, les
autorités avaient limité la vente des appareils électriques
dévoreurs d’électricité. Ces restrictions étaient parfaitement
justifiées. En effet, il aurait été irresponsable de procéder
autrement car le système énergétique, fortement subventionné,
aurait été en faillite.
Grâce à l’ingéniosité des Cubains, aux efforts consentis
par la population et aux nouvelles relations commerciales avec
des pays tels que le Venezuela et la Chine, Cuba dispose d’une
économie plus forte et a réussi à résoudre son problème
d’énergie. Grâce à la « Révolution énergétique » lancée
en 2006 qui a consisté à remplacer les ampoules, les anciens
appareils électroménagers tels que les télévisions, les
réfrigérateurs, les ventilateurs et autres objets électriques,
par des produits plus modernes et à moindre consommation, des
millions de Cubains ont pu bénéficier de toute une gamme de
produits électroménagers neufs à des prix subventionnés par
l’Etat, donc en dessous du prix du marché.
Les économies d’énergie réalisées permettent désormais de
faire face à la demande de la population, ce qui explique
l’élimination progressive des restrictions au niveau de
l’acquisition de nouveaux appareils électroménagers,
d’ordinateurs et autres appareils vidéos. Les Cubains ont ainsi
accès à un plus grand choix de biens de consommation. Ainsi, les
limitations s’expliquaient uniquement par un facteur d’ordre
économique, c’est-à-dire un manque de production énergétique. La
presse occidentale n’a pas daigné mettre en avant ces éléments
dans son traitement du sujet.
Les médias se sont empressés de souligner, à juste titre,
que de nombreux Cubains ne pourraient pas avoir accès aux
articles en vente au prix du marché, à cause de leur prix élevé
par rapport au salaire relativement modeste en vigueur à Cuba.
Néanmoins, cette réalité concerne une immense partie de la
population mondiale qui vit dans la pauvreté et dont les
principales préoccupations ne sont pas d’acquérir un lecteur Dvd
ou un micro-ondes mais de manger trois fois par jour et d’avoir
accès à la santé et à l’éducation, angoisses inexistantes à
Cuba.
Ainsi, selon le dernier rapport de l’organisation des
Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) sur
l’insécurité alimentaire dans le monde, 854 millions de
personnes à travers la planète dont 9 millions dans les pays
industrialisés souffrent de malnutrition3. Sur le
continent américain seuls trois pays ont déjà atteint les
objectifs du Sommet mondial de l’alimentation (SMA) 2015 : Cuba,
la Guyana et le Pérou4. Selon l’UNESCO, actuellement,
un adulte sur cinq dans le monde n’est pas alphabétisé, soit 774
millions de personnes, et 74 millions d’enfants sont privés
d’école5. D’après l’UNICEF, chaque jour, plus de
26 000 enfants de moins de cinq ans meurent de faim ou de
maladie curable, soit 9,7 millions par an6. Aucun
Cubain ne fait partie de ces listes.
La mise en perspective de la réalité
cubaine avec la problématique latino-américaine et du
tiers-monde est toujours éludée par les transnationales de
l’information car elle est édifiante et conduit inévitablement à
la nuance.
Les téléphones portables
L’accès au téléphone portable a également été élargi à
Cuba pour diverses raisons7. La première est d’ordre
économique et la seconde d’ordre technologique. L’accès au
téléphone portable a été massifié à travers le monde occidental
dans les années 1990.
A cette époque, Cuba avait d’autres
priorités que de fournir un accès à la téléphonie mobile à la
population. Les défis concernaient alors l’alimentation, le
transport et le logement. Le problème alimentaire est désormais
résolu à Cuba. Pour ce qui est du transport, il est en passe
d’être solutionné, notamment grâce à l’importation de nombreux
bus chinois. Quant au logement, il s’agit sans doute de la
principale difficulté à laquelle est confrontée la population.
Là encore, il ne s’agit pas d’une
spécificité cubaine. La réalité est la même dans une ville du
monde développé telle que Paris, à une différence près : à Cuba,
il s’agit d’un manque de logement dû aux sanctions économiques
étasuniennes qui empêchent la construction de 100 000 logements
de plus par an, alors que les parisiens doivent faire face une
absurde aberration. En effet, plus de 100 000 logements,
propriété de classes aisées, sont vacants à Paris alors que
100 000 familles sont à la recherche d’un toit. Une loi de
réquisition existe pourtant mais elle n’est jamais appliquée par
les autorités. A Cuba, les citoyens n’accepteraient jamais un
tel scandale8.
En France, selon le Ministère du Logement,
1,6 millions de personnes vivent dans des logements sans douche
ou sans toilettes. Plus d’un million de Français sont logés en
« situation de surpeuplement accentué », 550 000
personnes vivent dans des hôtels dont 50 000 enfants, 146 000
dans des maisons mobiles et 86 000 sont sans domicile et vivent
dans la rue9. Pourtant, près de deux millions de
logements sont vacants en France, dont 136 554 à Paris. Autre
aberration : seuls 32 000 logements à Paris payent la taxe pour
le logement vacant alors que plus de 136 000 sont concernés.
Mais les autorités préfèrent fermer les yeux10.
Pour en revenir au téléphone portable, le
second obstacle était d’ordre technologique (c’est toujours le
cas pour l’accès à Internet car Washington empêche Cuba de se
connecter au câble à fibre optique du Détroit de Floride qui lui
appartient). Cuba dispose d’une connexion satellitaire limitée
qui, de surcroît, est extrêmement coûteuse. C’est la raison pour
laquelle l’accès au téléphone portale avait été restreint. Avec
l’amélioration de la situation économique, l’offre est désormais
étendue à toute la population, même si les tarifs restent très
élevés. Là encore, si le téléphone portable est largement
répandu en Occident, il reste un luxe pour de nombreux habitants
du Tiers-monde.
L’accès aux hôtels
Pour ce qui concerne les hôtels, les médias ont également
fait preuve de partialité. Jusqu’au 1er avril 2008,
l’accès aux hôtels de luxe était, non pas interdit comme l’a
affirmé la presse occidentale, mais restreint. Ici,
l’explication est d’ordre social et économique.
Dans les années 1990, la résurgence d’un
phénomène qui avait été éradiqué au triomphe de la Révolution en
1959 avait fortement préoccupé les autorités : la prostitution.
Pour essayer d’endiguer ce problème qui a surgi des difficultés
auxquelles ont dû faire face les Cubains, le gouvernement de La
Havane avait décidé de limiter l’accès de la population aux
infrastructures touristiques. Grâce au labeur des travailleurs
sociaux et à l’amélioration de la situation économique, ce
phénomène social, s’il n’a pas encore complètement disparu, a
été fortement atténué.
La seconde explication est d’ordre
économique. En effet, avec le développement vertigineux du
tourisme à partir des années 1990, la capacité hôtelière cubaine
s’est révélée insuffisante pour accueillir à la fois les
étrangers et les Cubains. Les autorités ont privilégié l’accueil
des étrangers, surtout en haute saison, en partant d’un
raisonnement économique. Un touriste dont on ne pourrait
satisfaire les demandes de villégiature irait dépenser son
argent ailleurs, ce qui génèrerait un manque à gagner pour
l’économie cubaine. Par contre, la petite catégorie de Cubains
qui dispose des ressources nécessaires pour se payer un hôtel de
luxe dépenserait son argent dans d’autres secteurs mais celui-ci
resterait à Cuba.
La presse occidentale s’est également
attardée sur les tarifs relativement prohibitifs pour le Cubain
moyen. Selon l’Associated Press, très peu de Cubains
peuvent se payer une chambre à 173 dollars la nuit dans l’hôtel
Ambos Mundos (quatre étoiles) de La Vieille Havane, l’un
des plus prestigieux établissements touristiques de la capitale
qui était le favori d’Ernest Emingway11. Elle a
raison. Mais elle oublie, encore une fois, de souligner que
l’accès à une chambre d’hôtel de renom est un luxe pour tous les
habitants du tiers-monde, mais également pour une large
catégorie des citoyens vivant dans des pays développés. A titre
de comparaison, combien de Français, par exemple, peuvent se
payer une chambre à 730 euros (la moins chère) au Ritz
(cinq étoiles) de Paris12 ?
Libéralisation économique ?
Faut-il voir pour autant dans ces réformes une certaine
libéralisation de l’économie cubaine13 ? Ce serait
une erreur que de penser cela. Il faut rappeler que dans les
années 1980 les Cubains avaient abondamment accès aux biens de
consommation. Il s’agit simplement de la suppression de
restrictions qui n’avaient plus raison d’être. D’autres
devraient rapidement suivre. Ainsi, le gouvernement a décidé de
louer des terres non cultivées à des petits producteurs privés
afin d’accroître la production agricole, à l’heure où les prix
des matières premières ont atteint des sommets14.
Les véritables changements à Cuba sont
survenus en 1959 et l’île est en évolution perpétuelle depuis
cette date. La critique y est constante et il suffit de lire la
presse nationale pour s’en convaincre, notamment les quotidiens
Juventud Rebelde et Trabajadores dont le ton est
extrêmement incisif et sans concessions. Il y a indéniablement,
parmi les hauts dirigeants, une volonté politique de susciter le
débat. La fille de Raúl Castro, Mariela Castro, sexologue qui
défend les droits des minorités gay et lesbienne, a plaidé en
faveur du « socialisme, mais avec moins d’interdits15 ».
Mais les médias font semblant de ne pas s’apercevoir de cette
réalité. Contrairement à ce que prétendent – et espèrent – les
transnationales de l’information, Washington et l’Union
européenne, les Cubains ne reviendront pas à une économie de
marché mais poursuivront leurs efforts dans la construction d’un
socialisme moderne, plus juste et plus rationnel.
Notes
1
Will Weissert, « Raul’s Reforms May Strengthen Communism », 2
avril 2008.
2
Will Weissert, « Castro Reforms : Dvd’s, Farms for Cubans »,
The Associated Press, 2 avril 2008.
3
Organisation des Nations unies pour l’alimentation et
l’agriculture, L’état de l’insécurité alimentaire dans le
monde 2006 (Rome : FAO, 2006), p. 8.
4
Ibid., p. 17.
5
Institut de statistique de l’UNESCO, « Alphabétisme », 9 octobre
2007.
http://www.uis.unesco.org/ev.php?URL_ID=6401&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201
(site consulté le 15 avril 2008).
6
UNICEF, La situation des enfants dans le monde 2008. La
survie de l’enfant (New York, décembre 2007), p. 1.
7
The Associated Press, « Cuban Restrictions Eased By Raul
Castro », 2 avril 2008, Will Weissert, « Cubanos hacen largas
filas para comprar celulares », The Associated Press/El Nuevo
Herald, 15 avril 2008.
8
Droit au Logement, « Le logement en chiffres : exclusions et
inégalités », 2002.
http://www.globenet.org/dal/index.php3?page=SOMMSITUCHIF
(site consulté le 15 avril 2008).
9
Ministère du Logement, de l'Equipement et des Transports,
Questionnaire de la Commission de la Production et des Echanges.
Projet de LFI pour 2001 & INSEE, enquête 2001 sur la
population « fréquentant les services d'hébergement et les
distributions de repas chauds », in Droit au Logement,
op. cit.
10
Droit au Logement, op. cit.
11
Will Weissert, « Thanks Raul : Cubans Can Stay in Hotels »,
The Associated Press, 1er avril 2008.
12
Hôtel Ritz Paris, « Tarifs ».
http://www.ritzparis.com/jump_to.asp?id_target=1250&id_lang=1
(site consulté le 15 avril 2008).
13
Reuters, « Les téléphones portables désormais autorisés à
Cuba », 14 avril 2008.
14
The Associated Press, « Cuba Lends private Farmers Unused
Land », 1er avril 2008 ; Andrea Rodriguez & Will
Weissert, « Communiste Cuban Solution : Private Farms », 5 avril
2008.
15
Alessandra Coppola, « Socialismo, ma con meno proibizioni »,
Corriere della Sera, 27 mars 2008.
Salim Lamrani est enseignant, écrivain
et journaliste français, spécialiste des relations entre Cuba et
les Etats-Unis. Il a notamment publié Washington contre Cuba
(Pantin : Le Temps des Cerises, 2005), Cuba face à
l’Empire (Genève : Timeli, 2006) et Fidel Castro, Cuba et
les Etats-Unis (Pantin : Le Temps des Cerises, 2006).
Il vient de publier Double Morale.
Cuba, l’Union européenne et les droits de l’homme (Paris :
Editions Estrella, 2008).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr
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