Opinion
Cuba, les Etats-Unis et la lutte contre
le terrorisme
Salim
Lamrani
Dimanche 16 juin 2013
Opera Mundi
http://operamundi.uol.com.br/...
Les Etats-Unis viennent une nouvelle
fois d’inclure Cuba dans la liste des
pays soutenant le terrorisme, suscitant
l’ire de La Havane qui rejette une
accusation « arbitraire ».
Depuis 1982, Cuba fait partie de
la liste des nations soutenant le
terrorisme international, établie par le
Département d’Etat des Etats-Unis, avec
pour conséquence l’application de
diverses sanctions. L’administration
républicaine de Ronald Reagan avait
décidé d’inclure l’île en raison du
soutien apporté aux mouvements
révolutionnaires en Amérique latine,
notamment au Salvador. A l’époque, le
gouvernement conservateur avait décidé
de mettre un terme à la politique de
rapprochement avec La Havane entreprise
par son prédécesseur James Carter, qui
était sur le point de normaliser les
relations avec Cuba.
Dans son
dernier rapport rendu public le 30 mai
2013, Washington justifie le maintien de
La Havane au sein du groupe incluant
l’Iran, la Syrie et le Soudan, en
soulignant que « dans les années
passées, certains membres des Forces
armées révolutionnaires de Colombie
(FARC) ont été autorisées à trouver
refuge à Cuba ». Le rapport note
également que « le gouvernement cubain a
continué à abriter des fugitifs
recherchés aux Etats-Unis. Le
gouvernement cubain a également fourni
un soutien tels qu’un logement, des bons
alimentaires et un accès aux soins à ces
individus ». Enfin, le document fait
allusion à la présence de séparatistes
basques à Cuba[1].
Néanmoins,
Washington omet de souligner plusieurs
éléments fondamentaux qui mettent à mal
les différentes accusations. Pour ce qui
est des FARC, La Havane a effectivement
accueilli certains éléments par le
passé. Mais c’est la Colombie avait
sollicité le gouvernement cubain pour
cela dans le cadre de négociations
destinées à déboucher sur un accord de
paix. Ainsi, depuis novembre 2012, Cuba
est le siège de négociations entre des
représentants des FARC et du
gouvernement colombien. Le rapport du
Département d’Etat admet que Cuba
« accueille des pourparlers de paix »
entre la guérilla et l’Etat colombien et
souligne qu’il n’y a « aucune indication
que le gouvernement cubain ait fourni
des armes ou un entrainement
paramilitaire à des groupes terroristes[2].
Wayne S.
Smith, ancien ambassadeur étasunien à
Cuba, a fait part de son incompréhension
suite à la publication du rapport : « Le
gouvernement colombien, loin d’accuser
Cuba d’abriter des guérilléros, a salué
à maintes reprises la contribution de La
Havane dans le processus de paix[3] ».
Pour ce qui
est des membres de l’ETA, Washington
omet de signaler que La Havane n’a fait
que répondre à une demande du
gouvernement espagnol de Felipe González
d’accueillir certains dirigeants, dans
le cadre de négociations de paix avec
l’organisation séparatiste basque.
Jim McGovern,
représentant républicain pour l’Etat du
Massachussetts, a également exprimé son
désaccord avec la décision du
Département d’Etat. « Il n’y a aucune
preuve que Cuba apporte son soutien à
des groupes terroristes », a-t-il noté,
rappelant que la Colombie avait maintes
fois salué « le rôle constructif » de
l’île dans la recherche d’un accord de
paix[4].
Anthony Quainton, ambassadeur à
l’origine de l’inclusion de Cuba dans la
liste des pays terroristes en 1982, a
également fait part de sa
désapprobation : « Le temps est venu,
pour nos intérêts mutuels, de retirer
Cuba de la liste ».
De la même
manière, Patrick Ryan, ancien
ambassadeur étasunien, auteur des
rapports sur le terrorisme entre 2007 et
2009, a conjuré Washington de mettre un
terme à la stigmatisation contre La
Havane :
« En tant qu’ancien diplomate américain,
auteur des rapports sur le terrorisme
entre 2007 et 2009 […], j’ai visité Cuba
à de nombreuses reprises dans le cadre
de mon travail. Je suis convaincu que le
fait de maintenir Cuba sur la liste des
pays soutenant le terrorisme est absurde
et hautement politique, notamment au vu
de ses omissions évidentes.
Où est la Corée du Nord, qui a lancé des
attaques contre le sud durant les
dernières années – et a récemment menacé
de lancer une frappe nucléaire contre
les Etats-Unis ? […] Aucune source
crédible de renseignement n’affirme que
Cuba représente actuellement une menace
à notre sécurité. […]
Depuis trop longtemps, une petite
minorité de politiciens cubano-américains
a dicté la politique étrangère des
Etats-Unis vis-à-vis d’un de nos voisins
géographiquement le plus proche, et a
utilisé cette liste de pays terroristes
hautement questionnable pour justifier
le maintien d’un embargo datant de la
guerre froide.
Curieusement, ces membres du Congrès
soutiennent la liberté des Cubains de
voyager aux Etats-Unis mais pas la
liberté des Américains de voyager à
Cuba, et utilisent la justification du
terrorisme pour cela.
Le fait que certains membres du groupe
séparatiste basque ETA se trouvent sur
l’île avec la bénédiction du
gouvernement espagnol, que les membres
des FARC se trouvent à Cuba durant les
pourparlers de paix accueillis par La
Havane et soutenus par le gouvernement
colombien et que plusieurs fugitifs de
la justice américaine – aucun d’eux n’a
été accusé de terrorisme, soit dit en
passant – aient vécu en exil depuis les
années 1970, ne sont tout simplement pas
des arguments crédibles pour maintenir
l’accusation. […]
Il est temps d’adopter une nouvelle
approche car l’actuelle politique
anachronique a lamentablement échoué
depuis plus d’un demi-siècle. »[5].
De son côté, le gouvernement de
La Havane a condamné
l’instrumentalisation de la guerre
contre le terrorisme à des fins
politiques. Dans une longue déclaration,
le Ministère des Affaires étrangères a
apporté une réponse à Washington :
« Cette décision honteuse a été prise en
dépit de la vérité et ignorant le large
consensus et la demande explicite de
nombreux secteurs de la société
étasunienne et de la communauté
international pour que cesse cette
injustice.
Le seul but de cet exercice discrédité
contre Cuba est d’essayer de justifier
le maintien du blocus, une politique qui
a échoué et qui est condamné par le
monde entier.
Le gouvernement des Etats-Unis persiste
à maintenir cette désignation arbitraire
et unilatérale, malgré l’effondrement
total des accusations ridicules et des
arguments faibles qu’il a
traditionnellement utilisé lors des
dernières années comme excuses pour ce
faire. […]
Le territoire de Cuba n’a jamais été
utilisé et ne sera jamais utilisé pour
abriter des terroristes d’aucune
origine, ni pour organiser, financer ou
perpétrer des actes de terrorisme contre
aucun pays du monde, y compris les
Etats-Unis. Le gouvernement cubain
rejettent et condamne sans équivoque
tout acte de terrorisme, partout, en
toute circonstance et quelles que soient
les motivations avancées.
Au contraire, le gouvernement des
Etats-Unis emploie le terrorisme d’Etat
comme arme contre des pays qui défient
ses intérêts, causant des morts au sein
de la population civile. Il a fait usage
de drones pour perpétrer des exécutions
extrajudiciaires de supposés
terroristes, y compris étasuniens,
occasionnant la mort de centaines de
civils innocents[6].
Le gouvernement cubain accuse
également Washington d’abriter des
terroristes d’origine cubaine
responsables de plusieurs milliers
d’assassinats, chose que les Etats-Unis
ne nient pas. Depuis 1959, le terrorisme
en provenance des Etats-Unis a coûté la
vie à 3 478 Cubains et 2 099 sont
handicapés à vie. Le cas le plus
emblématique est celui de Luis Posada
Carriles. Ancien policier sous le régime
dictatorial de Fulgencio Batista, Posada
a été recruté par la CIA en 1961 et est
devenu expert en explosifs. Il est
responsable de plus d’une centaine
d’assassinats dont l’attentat du 6
octobre 1976 qui a provoqué l’explosion
en plein vol un avion civil au dessus de
la Barbade, entrainant la mort de 73
personnes dont toute l’équipe junior
d’escrime cubaine qui venait de
remporter les Jeux panaméricains. Il est
également l’auteur intellectuel de la
vague d’attentats terroristes qui a
secoué l’industrie touristique cubaine
entre avril et septembre 1997 et qui a
coûté la vie au citoyen italien Fabio di
Celmo, faisant des dizaines de victimes[7].
La
culpabilité de Luis Posada Carriles ne
fait aucun doute. En effet, les rapports
du FBI et de la CIA sont explicites à ce
sujet :
« Posada et Bosch ont orchestré
l’attentat à la bombe contre l’avion[8] ».
De la même manière, dans son
autobiographie
Los caminos del guerrero, revendique
ouvertement sa trajectoire terroriste.
Enfin, le 12 juillet 1998, Posada
Carriles concédait une interview au
New York Times dans laquelle il se
vantait d’être la personne ayant commis
le plus grand nombre d’actes terroristes
contre Cuba, revendiquant la paternité
intellectuelle des attentats de 1997.
Selon lui, le touriste italien
« se trouvait au mauvais endroit au
mauvais moment[9] ».
Face à la
recrudescence des attentats dans les
années 1990, Cuba a infiltré plusieurs
agents en Floride afin de déjouer les
projets terroristes de groupuscules
d’extrême droite d’origine cubaine.
Après avoir réuni un volumineux dossier
au sujet de 64 personnes impliquées dans
des actes violents contre l’île, La
Havane a transmis les données au FBI. Au
lieu de procéder à l’arrestation des
individus appartenant à ces
organisations criminelles, Washington a
fait arrêter les cinq agents infiltrés
au sein de l’exil cubain et les a
condamnés à des peines de prison allant
de 15 ans à la perpétuité, au cours d’un
procès qui a été dénoncé par Amnesty
International, les Nations unies et pas
moins de dix Prix Nobel[10].
L’instrumentalisation à des fins
politiques d’un sujet aussi grave que le
terrorisme nuit à la crédibilité du
Département d’Etat, accusé de calcul et
d’hypocrisie. D’un côté, Washington
affirme qu’il mène une guerre contre le
terrorisme et de l’autre, il offre une
protection à des criminels tels que Luis
Posada Carriles et sanctionne cinq
agents cubains dont le rôle était
d’empêcher la réalisation d’attentats
contre Cuba. Au nom de la guerre
économique et idéologique que Washington
mène contre La Havane depuis plus d’un
demi-siècle, les Etats-Unis n’hésitent
pas à placer sur la liste des pays
terroriste une nation dont la principale
caractéristique est d’avoir été victime
du terrorisme depuis cinquante ans.
Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est
Maître de conférences à l’Université de
La Réunion et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule
État de siège. Les sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba, Paris,
Éditions Estrella, 2011 (prologue de
Wayne S. Smith et préface de Paul
Estrade).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
[1]
Unites States Department of
State, « Country Reports on
Terrorism 2013 », mai 2013.
http://www.state. gov/documents/
organization/ 210204.pdf
(site consulté le 2 juin 2013).
[2]
Ibid.
[3]
Latin
American Herald Tribune,
« U.S. Urged to Drop Cuba from
Terror List », 8 mars 2013.
[4]
Ibid.
[5]
Patrick Ryan, « Former U.S.
Diplomat Patrick Ryan : Time to
Drop Cuba from Terror List »,
The Hill,
30 avril 2013.
http://thehill.com/blogs/global-affairs/guest-commentary/296867-former-us-diplomat-patrick-ryan-#ixzz2SnlLc3RR
(site consulté le 2 juin 2013).
[6]
Ministère
des Affaires étrangères de la
République de Cuba, « Cuba no
reconoce al Gobierno de EEUU la
más mínima autoridad moral para
juzgalo »,
Cubadebate, 30 mai 2013.
[7]
Salim Lamrani,
Cuba, ce que les médias ne vous
diront jamais, Paris,
Estrella, 2009, p. 135-154.
[8]
Federal
Bureau of Investigation,
« Suspected Bombing of Cubana
Airlines DC-8 Near barbados,
West Indies, October 6,1976 », 7
octobre 1976, Luis Posada
Carriles, the Declassified
Record, The National Security
Archive, George
Washington University.
http://www.gwu.edu/~nsarchiv/NSAEBB/NSAEBB153/19761008.pdf
(site consulte le 3 juin 2013).
[9]
Ann Louise Bardach & Larry
Rohter, « Key Cuba Foe Claims
Exiles' Backing », New York
Times,12 juillet 1998.
[10]
Salim Lamrani,
op. cit.
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