Cuba
La nouvelle vie
des opposants cubains en Espagne
Salim
Lamrani
© Salim
Lamrani
Samedi 14 juillet
2012
Opera Mundi
http://operamundi.uol.com.br/...
En 2010 et 2011, tous les prisonniers
dits « politiques » cubains ont été
libérés suite à la médiation de l’Eglise
catholique cubaine et du gouvernement
espagnol. La majorité d’entre eux ont
choisi de s’installer en Espagne avec
leurs familles respectives et de
commencer une nouvelle vie. Mais
l’Eldorado européen tant rêvé n’est pas
au rendez-vous dans une Péninsule
ibérique frappée par une grave crise
économique. Certains souhaitent même
retourner à Cuba.
La médiation de l’Eglise
catholique cubaine dirigée par le
Cardinal Jaime Ortega, à la demande du
Vatican, et du gouvernement espagnol de
José Luis Rodríguez Zapatero avec les
autorités de La Havane a débouché en
2010 et 2011 sur la libération de 127
prisonniers, dont 52 étaient considérés
comme « politiques » par Amnistie
Internationale[1].
Selon cette organisation de défense des
droits de l’homme, il n’y a actuellement
aucun prisonnier de conscience à Cuba[2].
Ce point de vue est également partagé
par l’Eglise Catholique cubaine[3].
Certains secteurs avaient accusé
le gouvernement cubain, l’Eglise
catholique et le gouvernement Zapatero
d’avoir obligé ces personnes à prendre
le chemin de l’exil. Cette version avait
été reprise par plusieurs médias
occidentaux[4].
Le Parti Populaire espagnol (droite) a
ainsi dénoncé « l’exil forcé » des
opposants cubains[5].
Pourtant, cette version résiste
difficilement à l’analyse. En effet, sur
les 127 personnes libérées dans le cadre
de l’accord entre La Havane, le Vatican
et Madrid, 12 d’entres elles ont choisi
de rester à Cuba. Laura Pollán, alors
porte-parole du groupe d’opposition
« Les Dames en Blanc » et farouche
détractrice du gouvernement cubain,
avait été claire à ce sujet : « Personne
n’a obligé aucun des prisonniers à
quitter le pays. Quiconque affirme le
contraire est un menteur ». De la même
manière, plusieurs dissidents ont
affirmé qu’à aucun moment les autorités
cubaines leur avaient demandé de quitter
le pays comme condition préalable à leur
libération[6].
Fernando Ravsberg, correspondant
de la BBC à La Havane, a également
démenti cette allégation. Plusieurs
opposants qui ont choisi de quitter le
pays lui ont avoué qu’ils « auraient pu
rester dans l’île s’ils l’avaient
souhaité. Ils assurent qu’à aucun moment
on ne leur a imposé la sortie du
territoire comme condition à leur
liberté[7] ».
La douloureuse réalité espagnole
Loin de trouver une nation
prospère, les dissidents cubains ont été
frappés de plein fouet par la crise
économique qui affecte l’Espagne. La
plupart d’entre eux se trouve sans
emploi, sans ressources et parfois même
sans toit, restant à la charge des
centres d’accueil de la Croix Rouge.
Selon la presse ibérique, « un an après
leur arrivée, les exilés ont peu à peu
perdu les aides du Gouvernement et se
retrouvent sans ressources, puisque
l’immense majorité d’entre eux n’a pas
trouvé d’emploi stable[8] ».
Le nouveau gouvernement espagnol
de droite a décidé de mettre fin à
l’aide accordée aux dissidents cubains
un an après leur arrivée et a refusé de
la prolonger de douze mois
supplémentaires comme cela était prévu
au départ, pour des raisons économiques[9].
En effet, l’Espagne a dépensé une
moyenne de 2 000 euros par mois et par
personne, soit plus de 18 millions
d’euros pour subvenir aux besoins des
115 dissidents accompagnés de 647
membres de leur famille pendant un an.
Le coût a été jugé trop élevé dans un
pays qui compte près de 5 millions de
chômeurs, c’est-à-dire environ 25% de la
population active[10].
Pourtant, le Parti
Populaire (PP) n’avait pas hésité à les
utiliser dans leur guerre politique
contre La Havane en emmenant quatre
d’entre eux à Bruxelles témoigner et
défendre la nécessité de maintenir la
Position commune de l’Union européenne
vis-à-vis de Cuba – qui limite les
relations politiques, diplomatiques et
culturelles. Néanmoins, il s’est montré
peu reconnaissant en supprimant les
aides, laissant aux opposants cubains
l’amère sensation d’avoir été
instrumentalisés[11].
Dès leur arrivée en Espagne, ces
derniers n’avaient eu de cesse
d’affirmer leur soutien au PP, et de
critiquer le PSOE de Zapatero qui a
pourtant contribué à leur libération[12].
Les dissidents
cubains ont alors décidé d’avoir recours
à une grève de la faim pour protester
contre cette décision et exprimer leur
« désarroi total ». « C’est la seule
alternative qu’il nous reste », a
déclaré l’un d’eux, installé dans une
tente face au Ministère espagnol des
Affaires Etrangères à Madrid[13].
Loin d’être entendus par les
autorités espagnoles, les grévistes ont
été « brutalement » délogés par la
police qui leur a ordonné de lever le
camp[14].
Dawuimis Santana a dénoncé la violence
policière dont ils ont été victimes :
« On nous a trainés au sol, on nous a
frappés au visage, sur les bras et l’un
de nous a le nez cassé ». Quatre d’entre
eux ont été arrêtés[15].
Les forces de l’ordre se montrent
généralement sévères avec les
manifestants de tout type, et exception
n’a pas été faite avec les opposants
cubains. Certains observateurs ont fait
remarquer que le Parti Populaire,
d’habitude si prompt à venir en aide aux
dissidents cubains et à dénoncer
« l’oppression » dont ils étaient
victimes dans l’île, est cette fois
resté discret au sujet des agissements
de la police municipale de Madrid à leur
encontre[16].
José Manuel García Margallo,
ministre espagnol des Affaires
étrangères, a reconnu que le cas des
Cubains n’était « pas simple » et que
ces derniers se trouvaient « dans une
situation difficile ». Mais il a rejeté
toute idée de prolonger les aides
financières leur étant destinées, en
raison de la crise économique qui frappe
le pays. Tout au plus s’est-il engagé à
accélérer le processus de validation des
diplômes[17].
Parfois, le désarroi auquel sont
confrontés les opposants cubains en
Espagne prend des tournures tragiques.
Ainsi, Albert Santiago du Bouchet,
installé aux Îles Canaries depuis sa
libération, a mis fin à ses jours le 4
avril 2012, ne supportant plus d’être
abandonné à lui-même par les autorités
espagnoles qui avaient mis un terme à
l’aide financière mensuelle accordée[18].
Le gouvernement espagnol a rejeté tout
« lien direct » entre le suicide et la
décision de mettre un terme au soutien
financier. Néanmoins, sa famille ainsi
que plusieurs membres de son entourage
ont affirmé que sa situation économique
précaire était la principale cause du
drame[19].
Un retour à Cuba ?
Contre toute attente, plusieurs
dissidents ont fait part de leur volonté
de rentrer à Cuba, à défaut de pouvoir
se rendre aux Etats-Unis, accusant
l’Espagne d’abandon[20].
« Il vaut mieux être à Cuba qu’ici dans
la rue », a déclaré Ismara Sánchez[21].
« Depuis le 31 mars, je suis à la rue »,
faute de pouvoir se payer un logement,
s’est plainte Idalmis Núñez. « La
situation est difficile : nous avons
emmené nos familles loin de la maison et
nous ne pouvons pas leur donner à
manger. Pour la première fois de ma vie,
j’ai un cas de conscience. J’ai peur »,
a admis un autre opposant[22].
« Les enfants n’ont plus de nourriture
et n’ont plus de lait. Les enfants ne
peuvent plus se rendre à l’école parce
qu’ils n’ont pas l’argent pour le
transport », a exprimé l’opposant
Bermúdez[23].
De la même manière,
Orlando Fundaro et son épouse, ont dû
faire face à des conditions de vie
tellement difficiles qu’ils en ont
regretté leur terre d’origine. Dans une
interview à la BBC, Fundora a confessé
l’inattendu : « Nous mangions mieux à
Cuba[24] ».
La décision de rentrer à Cuba
n’est en réalité pas si surprenante que
cela. Malgré les ressources limitées de
la nation caribéenne, les difficultés et
vicissitudes quotidiennes engendrées par
l’état de siège économique que les
Etats-Unis imposent à Cuba depuis 1960,
lequel affecte toutes les catégories de
la population et constitue le principal
obstacle au développement de la nation,
le gouvernement de La Havane a mis en
place un système de protection sociale
relativement performant qui subvient aux
nécessités de base de la population.
Ainsi, malgré tout, 85% des Cubains sont
propriétaires de leur logement. De la
même manière, ils bénéficient d’un accès
gratuit à l’éducation, à la santé et aux
activités culturelles. Le carnet de
rationnement leur permet de disposer,
chaque mois, en sus du salaire, d’une
alimentation de base suffisante pour
deux semaines. Ainsi, personne n’est
abandonné à son sort à Cuba et les
catégories les plus vulnérables sont
prises en charge par l’Etat. C’est la
raison pour laquelle, malgré les limites
en termes de ressources, il n’y a pas à
Cuba de sans domicile fixe, ni d’enfants
désemparés dans les rues. D’ailleurs, à
ce sujet, selon l’UNICEF, Cuba est le
seul pays du Tiers-monde où n’existe pas
la malnutrition infantile[25].
Finalement, l’Europe s’est avérée
ne pas être l’Eldorado promis aux
opposants cubains. Ces derniers ont été
confrontés de manière brutale à la
réalité économique de la Péninsule
ibérique et ont découvert que les plus
vulnérables étaient rapidement
abandonnés à leur sort. Ils ont
également pu se rendre compte que leur
Île n’était finalement pas l’antichambre
de l’Enfer, malgré les problèmes
quotidiens, et que le système de
protection sociale faisait en sorte de
protéger les plus faibles.
[3]
Juan O. Tamayo, « Tensa cita de
las Damas de Blanco con Iglesia
cubana »,
El Nuevo Herald, 25 mai
2012.
[4]
Axel Gyldén, « En exil forcé, un
dissident cubain met fin à ses
jours »,
L’Express,7 avril 2012.
[5]
Público,
« Aznar afirma que los presos
cubanos sufren ‘un destierro’ en
España », 28 juillet 2010.
[8]
Carmen Pérez-Lanzac, « Exprisioneros
políticos refugiados en España
protestan tras quedarse sin
ayudas »,
El País, 11 avril 2012.
[9]
Carmen Pérez-Lanzac,
« Entre 2010 y 2011 llegaron a
España 767 cubanos : 115 presos
y sus familiares »,
El País, 10 avril 2010.
[10]
Joaquín Gil,
« El Gobierno paga 2.000 euros
al mes por cada uno de los 762
disidentes y familiares »,
El País, 13 juillet 2011.
[11]
Jerónimo Andreu,
« Exprisioneros políticos
traídos a España por Exteriores
hace un año pierden las ayudas
públicas »,
El País, 9 avril 2012.
[12]
EFE,
« Opositores cubanos piden a
España una actitud ‘más
enérgica’ contra castrismo », 20
janvier 2012.
[13]
EFE,
« Diez ex presos cubanos deciden
emprender una huelga de hambre
en Madrid », 13 avril 2012.
[15]
Europa Press,
« Denuncian la detención de
cuatro expresos cubanos que
protestaban en Madrid ante le
Ministerio de Exteriores », 23
mai 2012.
[16]
EFE,
« El Partido Popular español
exige a Cuba que deje de oprimir
a la disidencia », 20 janvier
2012.
[17]
Carmen Pérez-Lanzac, « Exprisioneros
políticos refugiados en España
protestan tras quedarse sin
ayudas »,
El País, 11 avril 2012.
[18]
El País,
« Fallece un expreso político
cubano llegado a España el año
pasado », 6 avril 2012.
.
[19]
Europa Press,
« España no ve ‘relación
directa’ entre el suicidio de un
disidente y el fin de la
ayuda », 9 avril 2012.
[20]
Juan O. Tamayo,
« Ex presos políticos cubanos en
España viven pesadilla »,
El Nuevo Herald, 17 avril
2012.
[21]
Ríos Biot, « ‘Es mejor estar en
Cuba que aquí en la calle »,
El País, 13 avril 2012.
[22]
Jerónimo Andreu,
« Exprisioneros políticos
traídos a España por Exteriores
hace un año pierden las ayudas
públicas »,
El País, 9 avril 2012.
[23]
EFE,
« Ex presos cubanos denuncian en
Madrid su ‘total desamparo’ »,
10 avril 2012.
[24]
Fernando
Ravsberg, « La conspiración
católico-comunista »,
BBC,
op. cit.
[25]
UNICEF,
Progreso para la infancia. Un
balance sobre la nutrición,
2011.
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