Cuba
Cuba, l'Union
européenne et la rhétorique des droits
de l'homme
Salim Lamrani
© Salim
Lamrani
Lundi 12 novembre
2012
Opera Mundi
http://operamundi.uol.com.br/...
Depuis 1996, l’Union européenne impose
une Position commune à Cuba,
officiellement à cause de la situation
des droits de l’homme. Le dernier
rapport d’Amnistie Internationale
illustre le caractère discriminatoire et
illégitime d’une telle politique.
Depuis 1996, l’Union européenne est
alignée sur la politique étrangère des
Etats-Unis et impose une Position
commune – la seule sur le continent
américain – au gouvernement cubain.
Celle-ci limite les échanges politiques,
diplomatiques et culturels en raison de
la situation « des droits de l’homme et
des libertés fondamentales[1] ».
La Position commune constitue le pilier
de la politique étrangère de Bruxelles à
l’égard de La Havane et représente le
principal obstacle à la normalisation
des relations bilatérales. Entre 2003 et
2008, l’Union européenne a également
imposé des sanctions politiques,
diplomatiques et culturelles à Cuba en
raison de la situation des droits de
l’homme.
En effet, les Etats-Unis justifient
officiellement l’imposition des
sanctions économiques, en vigueur depuis
juillet 1960 et qui affectent toutes les
catégories de la société cubaine, en
particulier les plus vulnérables, en
raison des violations des droits de
l’homme. De 1960 à 1991, Washington a
expliqué que l’alliance avec l’Union
soviétique était la raison de son
hostilité à l’égard de Cuba. Depuis
l’effondrement du bloc de l’Est, les
différentes administrations, de Georges
H. W. Bush à Barack Obama, ont utilisé
la rhétorique des droits de l’homme pour
expliquer l’état de siège anachronique,
qui loin d’affecter les dirigeants du
pays, fait payer le prix des divergences
politiques entre les deux nations aux
personnes âgées, aux femmes et aux
enfants[2].
Une Position commune discriminatoire et
illégitime
La Position commune, qui se
justifie officiellement en raison de la
situation des droits de l’homme à Cuba,
est discriminatoire dans la mesure où le
seul pays du continent américain, du
Canada à l’Argentine, à être stigmatisé
de la sorte par l’Union européenne est
Cuba. Pourtant, selon le dernier rapport
d’Amnistie Internationale (AI), l’île
des Caraïbes est loin d’être le plus
mauvais élève de l’hémisphère en termes
de violation des droits fondamentaux[3].
La Position commune est également
illégitime. En effet, Amnistie
Internationale dresse un bilan sévère et
sans concessions sur la situation des
droits de l’homme sur le Vieux
Continent. Ainsi, pour Cuba, et
contrairement aux pays membres de
l’Union européenne, Amnistie
Internationale ne signale aucun cas
-d’assassinat commis par les forces de
l’ordre (Autriche, Bulgarie, France,
Italie, Royaume-Uni, Suède),
-d’assassinat de mineurs par les forces
de l’ordre (Grèce),
-d’assassinats d’enfants souffrant de
maladies mentales (Bulgarie),
-de responsabilité dans un génocide
(Belgique),
-d’actes de torture et traitements
inhumains ou dégradants par les
autorités (Allemagne, Autriche,
Belgique, Espagne, France, Grèce,
Italie, Portugal, Roumanie, Royaume-Uni,
Slovaquie),
-d’actes de torture et traitements
inhumains ou dégradants par les
autorités à l’encontre de mineurs
(Belgique, Bulgarie, Danemark),
-d’actes de torture par les autorités
soutenus par le plus haut niveau de
l’Etat (Royaume-Uni),
-d’impunité pour les forces de l’ordre
coupables d’assassinat (Bulgarie,
France, Suède),
-d’impunité pour les forces de l’ordre
coupables de torture et autres mauvais
traitements (Allemagne, Belgique,
Espagne),
-d’utilisation de preuves obtenues sous
la torture (Roumanie),
-d’entrave à la justice et aux
réparations pour les victimes de torture
et de mauvais traitements commis par les
forces de l’ordre (Allemagne),
-d’expulsion de personnes, y compris de
mineurs, vers des pays pratiquant la
torture et où il y a des risques de
persécution (Allemagne, Autriche,
Bulgarie, Chypre, Danemark, Espagne,
Italie, Malte, Pays-Bas, Royaume-Uni,
Slovaquie, Suède),
-de répression violente de
manifestations de la part des forces de
l’ordre (Allemagne, Belgique, Grèce),
-de brutalités policières à caractère
raciste contre les étrangers et les
membres de minorités ethniques
(Autriche),
-de détention secrète de prisonniers et
de transfèrement vers des pays
pratiquant la torture (Allemagne,
Belgique, Lituanie, Roumanie),
-de traite d’êtres humains et
d’esclavage (Chypre, Espagne, Grèce,
Italie, Royaume-Uni),
-de travaux forcés (Chypre),
-de suicide de mineur en détention
(Autriche),
-de non assistance médicale, sociale ou
juridique à l’égard des demandeurs
d’asile (Belgique),
-de discrimination légale à l’égard des
minorités ethniques (Belgique, Espagne),
-de discrimination généralisée à l’égard
des minorités (Bulgarie, Danemark,
Grèce, Hongrie),
-de discrimination de la part des
tribunaux de justice à l’égard des
minorités (Bulgarie),
-d’expulsion forcée de membres de
minorités ethniques ainsi que de la
destruction de leur logement par les
autorités (Bulgarie, Grèce, Roumanie),
-d’agressions racistes généralisées
(Bulgarie),
-d’agressions récurrentes contre les
minorités sexuelles (Bulgarie, Italie,
Slovaquie),
-de non-reconnaissance des droits des
minorités sexuelles par les autorités
(Chypre),
-de soutien des forces de l’ordre aux
mouvements d’extrême droite lors de
manifestations (Chypre),
-de violence récurrente contre les
femmes (Danemark, Espagne, Finlande,
Malte, Portugal, Suède),
-de violence récurrente à l’égard de
jeunes filles et de fillettes (Espagne,
Finlande, Portugal),
- de châtiments corporels contre les
enfants dans les centres spécialisés
pour mineurs (Espagne),
-d’impunité juridique pour les
responsables de violences sexuelles
contre les femmes (Danemark, Finlande,
Suède),
-de détention de mineurs dans des
prisons pour adultes (Danemark),
-de détention de mineurs demandeurs
d’asile (Finlande, Pays-Bas),
- de détentions au secret (Espagne),
-d’interdiction d’enquêtes sur des
crimes de droit international (Espagne),
-de violation de la liberté de religion
des femmes (Espagne, France, Pays-Bas),
-de stigmatisation des minorités
ethniques par la présidence de la
République et les autorités (France,
Roumanie),
-de discours politiques discriminatoires
de la part des autorités (France,
Hongrie, Italie, Roumanie, Slovénie),
- de discrimination raciale à l’égard
des minorités (Italie, Portugal,
Slovénie),
-de non accès à l’éducation et à un
logement décent pour les minorités
ethniques (France, Italie, Portugal),
-de conditions de détention inhumaines
(Grèce, Irlande, Italie),
-de violences à caractère raciste
(Grèce, Hongrie, République Tchèque),
- d’agression de journalistes par les
autorités (Grèce),
-de violences de la part des autorités à
l’égard des minorités et demandeurs
d’asile (Grèce),
-de ségrégation raciale dans
l’enseignement et d’exclusion des
enfants des minorités ethniques du
système éducatif (Grèce, Hongrie,
Italie, République Tchèque, Roumanie,
Slovaquie, Slovénie),
-de scolarisation des enfants issus des
minorités dans des établissements pour
handicapés mentaux (République Tchèque),
-de ségrégation raciale dans l’accès aux
soins (Hongrie, Italie, Roumanie,
Slovaquie, Slovénie),
-de crimes à caractère raciste (Hongrie,
République Tchèque),
-d’impunité pour les responsables de
crimes à caractère raciste (Hongrie),
-de crimes à caractère antisémite
(Hongrie),
-de crimes contre les minorités
sexuelles (Hongrie),
-d’atteinte aux droits des enfants
(Irlande),
-de maltraitance sur enfants (Irlande),
-de décès d’enfants confiés aux services
publics de protection de l’enfance par
manque de soins (Irlande),
-de non-respect des droits des minorités
sexuelles (Irlande),
-de violation des droits des demandeurs
d’asile (Irlande),
-de conditions de vie « totalement
inacceptables et inhumaines » dans les
établissements hospitaliers (Irlande),
-de violation du droit à l’avortement
(Irlande),
-d’interdiction légale de l’avortement
(Malte),
-de refus d’inscrire la torture parmi
les crimes sanctionnés par le Code pénal
(Italie),
-de dispositions législatives
discriminantes envers les minorités
sexuelles avec une pénalisation de
l’homosexualité (Lituanie),
-de politiques et pratiques
gouvernementales discriminatoires avec
profilage ethnique (Pays-Bas),
-de stérilisation forcée de femmes
issues des minorités (République
Tchèque, Slovaquie),
-de personnes rayées arbitrairement des
registres de la population (Slovénie)[4].
Conclusion
Au vu des rapports d’Amnistie
internationale, il est difficile pour
l’Union européenne de prétendre que la
Position commune de 1996, toujours en
vigueur, se justifie par la situation
des droits de l’homme à Cuba. En effet,
les principales nations du Vieux
continent présentent également de graves
violations des droits humains, souvent
pires que celles commises à Cuba.
L’autorité morale de Bruxelles devient
ainsi discutable à plus d’un titre.
L’Europe des 27 doit normaliser
ses relations avec La Havane et
démontrer que sa politique étrangère
n’était pas tributaire de celle de la
Maison-Blanche. En abrogeant la Position
commune et en adoptant une posture
rationnelle, constructive et
indépendante, l’UE effectuera un pas
dans la bonne direction. Bruxelles doit
saisir l’idiosyncrasie cubaine. En
effet, le gouvernement de l’île est
ouvert à tout – sauf à la négociation de
la souveraineté et de l’identité
nationales – dès lors que les relations
se basent sur le dialogue, le respect et
la réciprocité – comme l’a démontré
l’accord avec l’Eglise catholique et
l’Espagne qui a débouché sur la
libération de tous les prisonniers dits
« politiques ». En revanche il se
montre résolument inflexible – il n’y a
qu’à voir l’état des relations entre
Washington et La Havane depuis un
demi-siècle – dès lors que le langage de
la force, de la menace ou de la
contrainte prend le pas sur la
diplomatie conventionnelle.
Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est
Maître de conférences à l’Université de
la Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule
État de siège. Les sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba, Paris,
Éditions Estrella, 2011 (prologue de
Wayne S. Smith et préface de Paul
Estrade).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
[2]
Salim Lamrani,
Etat de siège. Les sanctions
économiques des Etats-Unis
contre Cuba, Paris, Editions
Estrella, 2011.
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